Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0861

 

DATE :

3 novembre 2011

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LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Kaddis Sidaros, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

M. Robert Chamberland, A.V.A.

Membre

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Mme NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

M. BENOÎT MERCIER, conseiller en sécurité financière, représentant de courtier en épargne collective et planificateur financier (numéro de certificat 123660, numéro de BDNI 1199101)

Partie intimée

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DÉCISION SUR REQUÊTE POUR SUSPENSION DE L’INSTANCE

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[1]           Le 10 août 2011, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau, bureau 2600, Montréal, et a procédé à l'audition d'une requête pour suspension de l’instance présentée par l'intimé ainsi libellée :

LA REQUÊTE

[2]           Comme fondement de sa demande en suspension d’instance, l’intimé invoque qu’à la plainte disciplinaire il lui est reproché d’avoir fait souscrire à ses clients, au cours des années 2005 à 2008 des contrats de prêts à terme sans y être autorisé en vertu de sa certification alors que dans le dossier pénal numéro 200-61-146057-100[1] il est accusé d’avoir illégalement exercé l’activité de courtier en valeurs[2] en effectuant sensiblement aux mêmes dates le placement[3] de titres constatant un emprunt d’argent pour les mêmes montants auprès des mêmes clients.

[3]           Il ajoute que bien que la formulation des infractions disciplinaires et des infractions pénales puissent être différentes, la même question devrait se retrouver au centre du débat dans les deux (2) instances à savoir si l’intimé, aux dates concernées, était autorisé à faire souscrire aux clients concernés des contrats de prêt à terme auprès du Centre de traitement d’information de crédit inc. (C.T.I.C.)

[4]           Compte tenu de la situation, il demande au comité de discipline de suspendre ses travaux jusqu’à ce qu’un jugement de la Cour du Québec, final et sans appel, ait été rendu dans le dossier pénal.

[5]           L’intimé soutient que si l’instance disciplinaire devait procéder en même temps que l’instance pénale il y aurait un risque réel de jugements contradictoires. En effet invoque-t-il, le comité de discipline pourrait en venir à la conclusion qu’il n’était pas autorisé à faire souscrire à ses clients les contrats de prêts en cause, alors que la Cour du Québec pourrait conclure qu’il y était autorisé ou vice versa.

[6]           Il soumet de plus que si l’instance disciplinaire était reportée et que la Cour du Québec devait conclure qu’il était « autorisé à faire souscrire ses clients aux contrats de prêts visés », le débat devant le comité en serait « grandement circonscrit » puisqu’il y aurait alors chose jugée.

[7]           Il suggère que le comité s’évite « un débat inutile et sans objet sur une question qui sera déterminée par la Cour du Québec » et lui demande de suspendre le dossier disciplinaire pendant l’instance devant ladite Cour.

[8]           Il allègue enfin qu’il serait injuste de le forcer à subir deux (2) débats contradictoires simultanés basés sur les mêmes faits et sur les mêmes questions de droit.

[9]           Au soutien de sa demande, il réfère notamment aux propos tenus par le juge Martin Hébert du Tribunal des professions dans la décision Fleury c. Pharmaciens[4] ainsi qu’à la décision rendue par le comité de discipline du Barreau du Québec le 22 juillet 2004 sur une requête de même nature dans l’affaire Daniel Mandron c. Hélène Danais[5].

[10]        Quant à la partie plaignante, la syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière, elle s’objecte à la requête et plaide, par l’entremise de son procureur, qu’il n’y a pas lieu pour le comité de faire droit à celle-ci.

[11]        Elle soutient notamment qu’il n’y a pas de risque de jugement contradictoire, que le comité de discipline n’est pas lié par une décision rendue dans une autre instance, et que la règle de la chose jugée ne peut trouver application en l’espèce.

[12]        Elle soumet de plus que lorsqu’il s’agit d’assurer à l’intimé une défense pleine et entière, l’interrelation entre le dossier pénal et le dossier disciplinaire peut être protégée par d’autres mesures que la suspension des procédures.

[13]        Elle termine en invoquant que les infractions reprochées à l’intimé sont sérieuses, que l’objectif visé par les plaintes disciplinaires est la protection du public et que la balance des inconvénients penche en faveur de la poursuite de l’audition.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[14]        Mentionnons d’abord que bien que le libellé des infractions disciplinaires et des infractions pénales en cause soit différent, il est raisonnable de penser que la question à savoir si l’intimé était autorisé ou non à faire souscrire à ses clients des contrats de prêt à terme avec C.T.I.C. sera, dans l’une et l’autre instance, au cœur des débats.

[15]        Néanmoins, le comité estime qu’il n’y a pas lieu de sursoir à l’audition des procédures disciplinaires.

[16]        Le comité qui selon la loi doit décider prioritairement à tout tribunal, en première instance, si un représentant a commis une infraction à la loi constitutive de son « ordre professionnel » ou aux règlements adoptés sous son emprise ne doit pas être privé de sa juridiction, même temporairement, parce que les actes reprochés au représentant constituent ou pourraient constituer également une faute d’une autre catégorie, d’un autre ordre ou d’une autre nature soumise à une juridiction différente qui ne saurait légalement le lier.

[17]        L’objectif de la protection du public interdit généralement que le déroulement du processus disciplinaire soit assujetti à des décisions relevant d’instances autres que la Cour supérieure ou les tribunaux d’appel.

[18]        Comme l’écrivait le juge André Brossard de la Cour d’appel dans l’affaire Docteur Jacques Martin c. Docteur Gérard Monfette[6], le comité est d’avis que « l’intérêt public exige que les instances disciplinaires d’un ordre professionnel, agissant sous l’autorité d’une loi et d’un pouvoir délégué de l’État qui lui confèrent une juridiction exclusive et privative, ne puissent être paralysées par la simple hypothèse qu’un jugement à intervenir, dans une instance où l’ordre professionnel n’est pas partie, pourrait, possibilité très éloignée, constituer tout au plus qu’une référence jurisprudentielle ».

[19]        Ajoutons de plus que le comité étant le seul habilité à analyser, sous l’angle disciplinaire, le comportement du représentant, il n’y a pas de risque de décisions contradictoires.

[20]        Suivant notre système législatif, une même réalité, un même geste ou un même acte fautif peut être sanctionné par des instances judiciaires différentes en vertu de lois différentes mais chacune apprécie alors la preuve qui lui est soumise selon le fardeau de preuve et les règles qui lui sont applicables.

[21]        Lorsque comme en l’espèce le fardeau de preuve n’est pas le même, le dispositif et les conclusions des décisions peuvent être différents.

[22]        Quant à l’argument du requérant voulant qu’une décision du comité refusant sa requête lui sera préjudiciable parce qu’il lui sera alors imposé de se soumettre à deux débats judiciaires portant sur les mêmes faits, il n’est pas sans fondement. Le comité est toutefois d’avis qu’il doit céder le pas à l’argument lié au rôle et à la responsabilité de la Chambre qui est de voir à la protection du public.

[23]        De plus, lorsque comme en l’instance aucune véritable atteinte au droit de l’intimé de se défendre n’est alléguée, ni prouvée, la balance des inconvénients dicte que les travaux du comité de discipline ne soient pas immobilisés.

[24]        En l’espèce, il n’y a pas lieu pour les motifs invoqués par l’intimé, de retarder l’instance disciplinaire.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

REJETTE la requête du requérant, partie intimée, en suspension de l’instance;

LE TOUT, frais à suivre.

 

(s) François Folot

Me FRANÇOIS FOLOT, avocat

Président du comité de discipline

 

 

(s) Kaddis Sidaros

M. KADDIS SIDAROS, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Robert Chamberland

M. ROBERT CHAMBERLAND, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

Me Éric Cantin

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Serge Fournier

BCF

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

10 août 2011

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Intenté par l’Autorité des marchés financiers.

[2]     Au sens de l’article 5 de la Loi sur les valeurs mobilières.

[3]     Sous la forme d’investissements assujettis à la Loi sur les valeurs mobilières.

[4]     Gilles Fleury c. Pharmaciens (Ordre professionnel des), 2010 QCTP 128. N.B. Cette décision a fait l’objet d’un appel devant la Cour d’appel du Québec qui n’a pas encore été entendu.

[5]     Daniel Mandron c. Hélène Danais, (No : 06-02-01667) SOQUIJ AZ-50264600.

[6]     Docteur Jacques Martin c. Docteur Gérard Monfette, 500-09-000201-954, EYB 1995-56239.

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