Chambre de l'assurance de dommages (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 
 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE L’ASSURANCE DES DOMMAGES

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

 

N° :

2009-06-01(E)

2009-06-02(E)

 

 

DATE :

10 février 2010

 

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Patrick de Niverville, avocat

Président

M. Yvon Clément, expert en sinistre

Membre

M. Jules Lapierre, expert en sinistre

Membre

______________________________________________________________________

 

CAROLE CHAUVIN, ès qualités de syndic de la Chambre d’assurance de dommages

Partie plaignante

c.

BENOIT MAYER, expert en sinistre

et

MICHEL GUERTIN, expert en sinistre

Parties intimées

______________________________________________________________________

 

DÉCISION CORRIGÉE SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

 

[1]   Le 8 décembre 2009, le comité de discipline de la Chambre d’assurance de dommages procédait à l’audition conjointe des plaintes disciplinaires nos 2009-06-01(E) et 2009-06-02(E);

[2]   La syndic était représentée par Me Claude G. Leduc et les intimés par Me Jean-Yves Therrien;

[3]   Me Therrien au nom de ses deux clients enregistra un plaidoyer de non culpabilité à l’encontre des deux plaintes;

 

I.     Les faits

 

[4]   En l’espèce, les deux intimés sont accusés de la même infraction, soit :

Depuis le mois de janvier 2009, a fait défaut de répondre aux demandes de renseignements contenues dans une correspondance de l’adjoint au syndic de la Chambre de l’assurance de dommages datée du 28 janvier 2009, laquelle lui était adressée sur sa conduite professionnelle, entravant ainsi le travail d’enquête du bureau du syndic, le tout en contravention avec la Loi sur la distribution de produits et services financiers et le Code de déontologie des experts en sinistre, notamment aux dispositions de l’article 342 de la Loi et des articles 54 et 56  dudit Code.

[5]   Le 8 décembre 2008, les intimés reçoivent une première lettre (P-2) les informant qu’une plainte a été déposée contre eux le 25 juillet 2008 mais que, faute d’information le dossier fut fermé;

[6]   Cette lettre (P-2) comportait une réserve qui se lisait comme suit :

"Toutefois, nous nous réservons le droit de rouvrir ce dossier, si de nouveaux éléments étaient portés à notre attention. Soyez assuré que vous en seriez informé." (nos soulignements);

[7]   Le 28 janvier 2009, une deuxième lettre (P-3) parvenait aux intimés les informant de la réouverture du dossier et exigeant d’eux, certains documents et renseignements;

[8]   S’installe alors chez les intimés une certaine confusion, suivant leurs témoignages, le client à l’origine de la plainte du 28 juillet 2008, aurait réglé avec eux le différend qui les opposaient au courant du mois d’août;

[9]   Dans leur esprit, la deuxième lettre devait nécessairement viser un deuxième mandat qui leur avait été confié après le règlement du premier mandat;

[10]        Par contre, les deux lettres (P-3) adressées aux intimés sont particulièrement claires et ne laissent aucun doute sur la période de temps visé par l’enquête, ni sur l’objet de l’enquête, ni sur les documents et renseignements requis des intimés;

[11]        Prenons le cas de l’intimé Guertin, certains extraits sont très explicites quant à l’étendue de l’enquête soit :

"… dans le dossier impliquant l’assurée citée en référence à la suite du sinistre survenu le 11 novembre 2007 au commerce de celle-ci, couvert par la police d’assurance des entreprises Jevco no. 65123334 pour la période du 26 septembre 2007 au 26 septembre 2008"

" Votre version est donc nécessaire pour nous permettre de comprendre cette affaire dans sa totalité";

[12]        La lettre (P-3) précise ensuite les documents et les renseignements requis dans les termes suivants :

"Ainsi, afin d’avoir au dossier toute l’information nécessaire, auriez-vous l’obligeance de nous transmettre les documents et renseignements suivants :

1.    Une déclaration solennelle dûment signée faisant état, par ordre chronologique, de toutes vos interventions et actions dans ce dossier. (Joindre en annexe s.v.p.)

2.    Si vous avez d’autres renseignements et/ou documents pertinents qui nous permettraient de faire toute la lumière dans cette affaire, n’hésitez pas à nous les faire parvenir s.v.p."

[13]        Il est clair que la lettre (P-3) ne fait pas de distinction entre les différents mandats reçus par les intimés;

[14]        De plus, si réellement un doute subsistait dans l’esprit des intimés, il aurait suffit d’un simple appel au bureau du syndic pour obtenir des précisions, tel que d’ailleurs, la lettre (P-3) les invite à faire :

ʺSi vous désirez discuter plus amplement du contenu de la présente, n’hésitez pas à contacter la soussignée.ʺ

[15]        La lettre (P-3) adressée à l’intimé Mayer est encore plus explicite quant aux documents et renseignements requis :

Ainsi, afin d’avoir au dossier toute l’information nécessaire, auriez-vous l’obligeance de nous transmettre les documents et renseignements suivants :

1.       Copie complète de votre dossier de réclamations pour l’assuré 9160-0536 Québec inc. faisant affaire sous la raison sociale Restaurant Apollo de Louiseville, à la suite du sinistre survenu, le ou vers le 11 novembre 2007, s.v.p. (notamment avis de sinistre, rapports, notes au dossier, notes téléphoniques, mémos, courriels, correspondances, factures, opinions juridiques complètes, etc. Ceci est une énumération à titre indicatif seulement. Si vous avez d’autres documents, physiques ou informatiques, vous devez nous les transmettre s.v.p.)

2.       Copie de votre feuille de route manuscrite et dactylographiée s.v.p.

3.       Une déclaration solennelle dûment signée faisant état, par ordre chronologique, de toutes vos interventions et actions dans ce dossier. (Joindre en annexe s.v.p.)

4.       La déclaration relative aux documents remis dont vous trouverez copie ci-jointe que vous voudrez bien remplir, signer et nous retourner.

5.       Si vous avez d’autres renseignements et/ou documents pertinents qui nous permettraient de faire toute la lumière dans cette affaire, n’hésitez pas à nous les faire parvenir s.v.p."

Si vous désirez discuter plus amplement du contenu de la présente, n’hésitez pas à contacter la soussignée.

[16]        Le 20 février 2009, une première réponse (P-4) parvient à l’adjoint du syndic, deux jours après l’expiration des délais, indiquant qu’un avocat a été mandaté pour "vérifier" les correspondances reçues du syndic;

[17]        Il est intéressant de noter que M. Guertin lors de son témoignage a candidement admis, qu’il planifiait à l’époque des vacances et qu’il n’avait pas l’intention de s’occuper de ce dossier avant le retour de ses propres vacances;

[18]        Le 26 février 2009, une première lettre de rappel (P-5) est expédiée aux intimés leur accordant un nouveau délai jusqu’au 13 mars 2009;

[19]        Le 13 mars 2009, le procureur des intimés adresse une lettre (P-6) à l’adjoint du syndic, exigeant une copie des plaintes et des pièces et requérant une rencontre afin de discuter des plaintes;

[20]        Le 31 mars 2009, une autre lettre (P-7) du procureur des intimés est adressée à l’adjoint du syndic, ce dernier s’interrogeant alors sur les motivations du syndic et sur le fait que ses clients sont possiblement victimes d’une "partie de pêche" basée sur des plaintes sans fondement;

[21]        On notera que les demandes de renseignements (P-3) n’ont toujours pas été répondues, malgré le fait que deux mois se sont écoulés depuis l’envoi du 28 janvier 2009;

[22]        Le 9 avril 2009, l’adjoint du syndic écrit (P-8) au procureur des intimés afin de préciser le rôle du syndic et surtout afin de faire état du suivi des dossiers;

[23]        Cette lettre (P-8) confirme qu’une rencontre sera fixée après la réception des documents et renseignements requis;

[24]        Une nouvelle date butoir est également imposée aux intimés, soit le 8 mai 2009;

[25]        Une semaine plus tard, le 15 avril 2009, le ton monte d’un cran et le procureur des intimés adresse une lettre (P-9) à l’adjoint du syndic, l’informant :

         Qu’à cette étape du dossier votre demande de renseignements et de documents nous semble totalement incongrue.

         Notre mandat est de nous assurer que le syndic n’a pas outre passé ses pouvoirs et cette persistance quant à la possibilité des enquêtes nous semble être un abus de pouvoir.

         Nous maintenons notre position en ce qui à trait aux lettres questionnaires, il s’agit d’une  "partie de pêche" pour aller chercher de l’information qui vous permettra de rendre légitime les plaintes déposées à l’encontre de "Les expertises LMS". (nos soulignements);

[26]        Finalement, la lettre (P-9) exige encore une fois, une copie des plaintes et une rencontre avec la syndic;

[27]        Cette lettre est suivie, le jour même, d’une autre lettre (P-10) adressée au supérieur immédiat de l’adjoint, soit la syndic de la Chambre, Mme Chauvin, dans laquelle on critique le travail de l’adjoint, dans les termes suivants :

Nous considérons que le comportement et l’attitude de Madame Luce Raymond dénotent du harcèlement et de l’acharnement face à nos clients. (nos soulignements);

[28]        Finalement, le 13 mai 2009, le procureur des intimés confirme que ses clients feront parvenir les documents nécessaires d’ici deux semaines (P-11);

[29]        Deux semaines plus tard, les documents n’ont toujours pas été envoyés au bureau du syndic, une autre lettre de rappel (P-12) est adressée au procureur avec copie aux intimés;

[30]        Cette lettre fixe une nouvelle date butoir, soit le vendredi 5 juin 2009;

[31]        Le 5 juin 2009, le procureur des intimés confirme par télécopie (P-13) avoir en sa possession les documents requis et qu’il les fera parvenir par messager le 9 juin 2009;

[32]        Le 9 juin 2009, l’avocat des intimés fait parvenir certains documents (P-14) concernant d’autres dossiers que ceux visés par la demande de renseignement (P-3) du 28 janvier 2009;

[33]        Le 10 juin 2009, cette situation est signalée par lettre (P-15) au procureur des intimés et l’on exige encore une fois les documents requis depuis le 28 janvier 2009;

[34]        Cela étant dit, force nous est de constater que cinq mois après la demande de renseignements (P-3) celle-ci n’a toujours pas été répondue par les intimés;

[35]        Six jours plus tard, soit le 16 juin 2009, les documents (P-16) sont finalement acheminés au bureau du syndic, en soulignant toutefois "l’acharnement" du syndic à obtenir lesdits dossiers en l’absence de plainte;

[36]        Mais il y a plus, suivant le témoignage de la syndic les dossiers reçus le 16 juin 2009, seraient même incomplets;

[37]        En contre-interrogatoire, Mme Chauvin a précisé qu’elle a pu constater ce fait en procédant à des vérifications croisées, lui permettant ainsi de confirmer l’état incomplet des dossiers transmis;

[38]        Pour sa part, M. Mayer a témoigné pour préciser que la lettre du 28 août 2009 de l’assuré (page 20 de la pièce P-16) confirme que le dossier transmis ne concernait que le deuxième mandat octroyé aux intimés soit celui concernant la perte pour interruption des affaires;

[39]        Enfin, les deux intimés ont témoigné pour préciser que la lettre du 28 janvier 2009 (P-3) n’était pas claire et qu’il y avait confusion dans leur esprit, à savoir si celle-ci ne concernait que le deuxième mandat ou les deux mandats;

[40]        Cette confusion provient, d’après eux, du fait que le litige concernant le premier mandat avait fait l’objet d’un règlement hors cour, au mois d’août 2008, et qu’à leur avis il ne pouvait donc s’agir que du deuxième mandat;

[41]        Finalement, ce deuxième mandat fut abandonné faute de collaboration de l’assuré lequel n’a jamais fourni l’ensemble des documents financiers requis par l’expert-comptable spécialement mandaté par les intimés;

[42]        Si effectivement, les intimés considéraient la demande de renseignements (P-3) du 28 janvier 2009 n’était pas claire, le comité estime qu’un simple appel téléphonique logé auprès de l’enquêteur aurait permis d’éclaircir cette situation, tel que la lettre (P-3) les invitait à le faire dans les termes suivants :

Si vous désirez discuter plus amplement du contenu de la présente, n’hésitez pas à contacter la soussignée.

[43]        Dans les faits, les intimés ont préféré, par procureur interposé, jouer au jeu de cache-cache avec la syndic en alléguant l’abus de pouvoir, l’acharnement et le harcèlement de l’enquêteur l’accusant même d’effectuer une "partie de pêche" basée sur des plaintes sans fondement;

[44]         Dans les circonstances, et pour les motifs ci-après élaborés, le comité n’a d’autre choix que de conclure que les intimés ont fait entrave au travail du syndic et de l’adjoint du syndic en refusant ou en négligeant de répondre aux demandes de renseignements, et ce à chaque date butoir qui leur était imposée par le bureau du syndic soit:

         Le 18 février 2009 (P-3)

         Le 13 mars 2009 (P-5)

         Le 8 mai 2009 (P-8)

         Le 5 juin 2009 (P-12)

         Le 16 juin 2009 (P-16) par l’envoi d’un dossier incomplet

[45]        Le comité tient à souligner que chaque nouvelle demande de renseignements constitue une infraction distincte[1];

 

II.          Analyse et décision

 

2.1       La législation

[46]        Les intimés sont accusés d’avoir enfreint l’article 342 de la L.D.P.S.F. et les articles 54 et 56 du Code de déontologie des experts en sinistre;

[47]        Ces dispositions se lisent comme suit:

Art. 342 L.D.P.S.F.:

Nul ne peut entraver le travail d’un enquêteur, notamment en l’induisant en erreur;

            Code de déontologie des experts en sinistre:

54. L’expert en sinistre doit répondre dans les plus brefs délais à toute correspondance du syndic, du cosyndic ou d’un adjoint du syndic de la Chambre dans l’exercice des fonctions qui leur sont dévolues par la Loi sur la distribution de produits et services financiers et ses règlements d’application.

56. L’expert en sinistre ne doit pas entraver, directement ou indirectement le travail de l’Autorité des marchés financiers, de la Chambre ou de l’un de ses comités, du syndic, du cosyndic, d’un adjoint du syndic ou d’un membre de leur personnel.

[48]        L’article 342 L.D.P.S.F. constitue une interdiction générale d’entraver le travail d’un enquêteur, l’utilisation de l’adverbe "notamment" ne sert qu’à illustrer un type d’entrave, soit celui consistant à "induire en erreur" sans pour autant restreindre la portée plus générale de l’interdiction d’entraver;

[49]        Pour sa part le Code de déontologie des experts en sinistre vise deux formes d’entrave plus spécifiques, soit:

                 Le retard à répondre à toute correspondance du bureau du syndic (art.54);    

                L’entrave directe ou indirecte au travail du syndic ou de son adjoint, ou du cosyndic ou d’un membre de leur personnel;

[50]        Le présent dossier révèle que les intimés ont commis plusieurs infractions d’entraves entre la réception de la première demande de l’adjoint du syndic, le 28 janvier 2009 (P-3) et l’envoi de leur réponse par l’entremise de leur procureur, le 16 juin 2009 (P-16);

[51]        D’ailleurs, ce n’est qu’après l’envoi d’une lettre de rappel, le 10 juin 2009 (P-15) avec menaces de mesures disciplinaires, que le bureau du syndic recevait finalement une réponse, par ailleurs, incomplète de la part du procureur des intimés;

[52]        Les différentes entraves commises par les intimés seront analysées à la lumière de la jurisprudence applicable en semblable matière;

2.2       Le droit

[53]        Toute forme d’entrave au travail du syndic cause un préjudice grave à la protection du public au point tel que le législateur a jugé opportun, en 2008, d’en faire un motif pour obtenir la radiation provisoire et immédiate de l’intimé[2];

[54]        Concernant l’importance de collaborer à l’enquête du syndic, il convient de citer de larges extraits de l’arrêt Coutu c. Pharmaciens[3]:

 [42]          Cette exigence s’inscrit dans la mission des ordres professionnels, dont la principale fonction est d’assurer la protection du public, entre autres, en contrôlant l’exercice de la profession par leurs membres[27].

[…]

 [45]            La personne qui décide de devenir membre d’un ordre professionnel s’oblige, d’une part, à reconnaître cette mission et, d’autre part, à y participer dans l’exercice de sa profession.  Dans ce contexte, il est sujet à l’inspection professionnelle et à une enquête du syndic.

[46]            Ce pouvoir accordé au syndic aux termes de l’article 122 C. prof. n’est pas limité.  Il y est précisé que dans les circonstances qui y sont mentionnées, le syndic peut « faire une enquête […] et exiger qu’on [lui] fournisse tout renseignement et tout document relatif à cette enquête ».

[…]

 [50]            Le but de l’enquête du syndic n’est pas d’établir la culpabilité du professionnel.  Elle vise avant tout à lui permettre de déterminer s’il y a matière à plainte après qu’il eût obtenu une connaissance complète des faits.

[51]            Dans sa décision sur culpabilité, le Comité écrit ce qui suit à propos du syndic :

« [59]     Son mandat et ses pouvoirs sont élevés, mais ils sont à la hauteur de sa mission. »[30]

[52]            Le Comité aurait pu ajouter que le pouvoir d’enquête du syndic doit aussi être apprécié en tenant compte de ses responsabilités, entre autres, lorsqu’il décide de porter une plainte disciplinaire.  Une telle décision ne peut pas être prise à la légère.

[53]            Dans l’arrêt Pharmascience, le juge LeBel, au nom de la majorité, sous le titre « Nécessité d’une interprétation souple de leurs pouvoirs de surveillance pour l’exécution de leurs fonctions », écrit :

     « Dans ce contexte, on doit s’attendre à ce que les personnes dotées non seulement du pouvoir, mais aussi du devoir d’enquêter sur la conduite d’un professionnel disposent de moyens suffisamment efficaces pour leur permettre de recueillir toutes les informations pertinentes afin de déterminer si une plainte doit être portée.  Comme on l’a vu, le Code des professions attribue à un fonctionnaire indépendant, le syndic, la charge d’enquêter et de se prononcer sur la nécessité de déposer une plainte devant le comité de discipline.  Le juge Dalphond, alors à la Cour supérieure, décrivait clairement le rôle capital dévolu par le législateur à cet acteur dans Parizeau c. Barreau du Québec, [1997] R.J.Q. 1701, p. 1708 :

     La clé de voûte au niveau du contrôle de la profession est le syndic, qui joue un double rôle : celui  d’enquêteur  doté  de  pouvoirs  importants  (art. 122  du  code)  et  celui de dénonciateur  ou plaignant devant le comité de discipline (art. 128 du code). »[31]

[54]            En matière disciplinaire, où l’exercice d’une profession doit être vu comme un privilège[32], nier au syndic le pouvoir de contraindre le professionnel qui est l’objet d’une enquête de le rencontrer, aurait pour effet de permettre une brèche importante dans la finalité de la déontologie et de la discipline qui est la protection du public.

[55]            Le syndic a non seulement le pouvoir, mais, dans certains cas, il a le devoir de rencontrer le professionnel.  Même si celui-ci peut être contraint de témoigner devant le Comité de discipline (art. 147 C. prof.), il faut éviter que le syndic doive porter plainte pour connaître la version du professionnel.

[56]            Bien que dans plusieurs cas le seul échange de correspondance soit suffisant, il demeure que le pouvoir de communiquer verbalement avec le professionnel et éventuellement de le rencontrer sont des composantes essentielles du pouvoir d’enquête accordé au syndic, et ce, pour lui permettre d’exercer pleinement son rôle.

[57]            Le Tribunal s’est déjà penché sur les pouvoirs du syndic d’un ordre professionnel.  Ainsi, dans Roy c. Médecins (Ordre professionnel des)[33] le Tribunal écrit :

« Contrairement à l’accusé en droit pénal qui n’est jamais tenu de répondre aux questions de policiers et ne peut être contraint de témoigner à l’enquête préliminaire ou au procès, le professionnel a l’obligation de collaborer avec le syndic dans le cadre de son enquête (art. 122 du Code des professions), et il est un témoin contraignable devant le Comité de discipline (art. 149).  Le syndic a accès à ses dossiers et peut l’interroger relativement à l’objet de son enquête.  Il prend donc connaissance d’une bonne partie de la preuve grâce aux pouvoirs que lui confère le Code des professions.  Il peut également, lors de l’audition, forcer le professionnel à répondre à ses questions. […] »                                                                                         (Soulignement ajouté)

[58]            L’intimé a raison d’insister pour dire que ce n’est pas le professionnel qui doit définir les modalités de l’enquête d’un syndic.  Celui-ci doit demeurer libre de mener son enquête comme il l’entend.  S’il abuse ou s’il est négligent dans l’exercice de ce pouvoir, le professionnel ou d’autres intéressés ne sont pas privés de recours.

 

[55]        Quant à  la profession de courtier en assurance de dommages, il faut se référer à la décision Duclos[4] :

 

 [15]        L’infraction consistant à entraver la syndic dans le cadre des fonctions qui lui sont dévolues par la loi constitue une infraction dont la gravité objective ne fait plus aucun doute puisque le pouvoir d’enquête du syndic constitue la pierre d’assise du système professionnel[2];

[16]        D’ailleurs, la gravité objective particulièrement élevée de ce genre d’infraction a été reconnue à de nombreuses reprises par le Tribunal des professions[3];

[17]        Dans le même ordre d’idée, la jurisprudence produite par la syndic souligne très clairement la gravité d’un tel geste ;

[18]        À cet égard, qu’il nous soit permis d’en citer certains extraits, soit :

         Larosée, dossier no. 1999-05-02 (C) :

«Le défaut de répondre au syndic a toujours été considéré par notre comité comme étant une faute grave et le comité a rendu des sanctions plus sévères que celle qui nous est proposée. Toutefois, dans le cas qui nous est soumis, l’intimé a proposé, comme c’est son droit, une objection en droit quant au bien-fondé de la plainte. Évidemment, nous n’avons pas à lui en ternir rigueur.

 

À la suite de notre décision sur la culpabilité, l’intimé a répondu.» (p. 1)

 

 

 

         Lambert, dossier no. 2000-01-04 (C) :

 

 

«Le défaut de répondre aux membres du comité de surveillance ou au syndic constitue une faute excessivement grave et est toujours considéré comme tel par les comités de discipline. En effet, le service de surveillance et le département du syndic sont essentiellement voués à la protection du public. Refuser de répondre à leurs demandes dans le délai imparti paralyse les fonctions de ces départements et empêche ces derniers d’exercer leur rôle de protection du public.» (p. 2)

 

 

 

         Angelone, dossier no. 2004-01-03 (C) :

 

 

«[2]   Notre comité a toujours été très sévère pour le défaut de répondre ou le fait de répondre dans un délai inacceptable aux demandes du syndic;

 

[3]   Il faut rappeler que le syndic est la personne la plus importante de l’organisation professionnelle car c’est elle qui, par son intervention, peut corriger les lacunes des membres et ainsi s’acquitter de la lourde tâche de la protection du public. Le défaut de répondre paralyse le syndic dans son action.» (p. 1)

 

 

[19]        À la lumière de ces décisions, de même que celles du Tribunal des professions[4], la gravité objective très élevée de cette infraction ne fait pas l’ombre d’un doute et, en conséquence, le Comité devra en tenir compte pour l’imposition de la sanction;

[20]        Enfin, la Cour suprême, dans l’affaire Pharmascience inc. c. Binet, 2006 C.S.C. 48, rappelait l’obligation pour les professionnels et même pour les tiers de collaborer à l’enquête du syndic, sous peine de sanction;

[56]        Sur l’importance de répondre au syndic, le Comité réfère les parties à l’arrêt Picard[5] :

 [38]            Dans son témoignage, l'intimé admet que dès les premières demandes du syndic, il a volontairement transmis une réponse incomplète, suite aux conseils de l'avocat de son assureur de ne pas signer la déclaration.

[39]            Contrairement à ce qu'écrit le Comité, il est inexact de parler de mésentente entre l'intimé et le syndic justifiant le refus de répondre de l'intimé, car il s'agit plutôt d'une décision délibérée et claire de sa part afin de protéger ses intérêts personnels au détriment de son obligation de collaborer avec le syndic.

 […]

 [49]            Ainsi, dans la cause de Pharmascience inc. c. Binet[23], la Cour suprême du Canada rappelle :

             « 33    Comme je l’ai souligné précédemment, le Code des professions représente la solution législative choisie par le législateur québécois afin de protéger le public par un encadrement approprié de tous les professionnels.  […]

 

[…]

 

36                 Notre Cour a d’ailleurs rappelé à maintes occasions le rôle crucial des ordres professionnels pour la protection de l’intérêt public.  Comme l’affirmait la juge McLachlin dans Rocket c. Collège royal des chirurgiens dentistes d’Ontario, 1990 CanLII 121 (C.S.C.), [1990] 2 R.C.S. 232, « [i]l est difficile d’exagérer l’importance dans notre société de la juste réglementation de nos professions» (p. 249).  L’importance de contrôler la compétence et de surveiller la conduite des professionnels s’explique par le niveau de confiance que leur accorde le public.  […]

 

37          Dans ce contexte, on doit s’attendre à ce que les personnes dotées non seulement du pouvoir, mais aussi du devoir d’enquêter sur la conduite d’un professionnel disposent de moyens suffisamment efficaces pour leur permettre de recueillir toutes les informations pertinentes afin de déterminer si une plainte doit être portée.  Comme on l’a vu, le Code des professions attribue à un fonctionnaire indépendant, le syndic, la charge d’enquêter et de se prononcer sur la nécessité de déposer une plainte devant le comité de discipline.  […]

 

[…]

 

42         […]  Il est dans l’intérêt de tous de s’assurer qu’un syndic qui dépose une plainte disciplinaire connaisse en détail les reproches adressés au professionnel et dispose d’une preuve complète.  […]  »

 

[50]        Bien que le Comité ait, en termes généraux, rappelé l'importance du rôle du syndic, il n'a pas, à mon avis, accordé à ce facteur le poids qu'il mérite. 

[51]      Le Tribunal rappelle ainsi l'importance pour le professionnel de donner suite aux demandes du syndic dans Lupien c. Avocats (Ordre professionnel du Barreau du Québec)[24] :

« [63]            L'ordre professionnel ne peut pas assurer sa mission de protection du public si le professionnel omet ou néglige de répondre avec diligence aux demandes que lui fait le syndic ou toute autre personne autorisée à exiger des informations. »

 

[52]            Sur le même sujet, le Tribunal écrit dans Marin c. Ingénieurs forestiers[25] :

« [36]            Cette obligation de répondre, imposée aux professionnels, est essentielle au fonctionnement du système disciplinaire.

 

[37]            En effet, en l’absence de réponse, le syndic ne peut prendre une décision éclairée sur l’opportunité de déposer une plainte, il ne peut informer convenablement le dénonciateur du progrès de l’enquête et l’enquête demeure incomplète.

 

[38]            En conséquence, si le professionnel ne répond pas, le syndic ne peut remplir ses propres obligations énoncées au Code des professions.  (arts. 122, 123, 123.1, L.R.Q., c. C-26)  Une telle situation paralyse le processus et transmet au public l’impression que ni le professionnel, ni le syndic ne sont en mesure de le protéger. »

 

[53]            Le Comité conclut erronément que le refus de collaborer de l'intimé est lié à un malentendu, alors qu'il résulte d'une décision délibérée de privilégier ses propres intérêts aux dépens de ses obligations déontologiques.

 

[57]        Il ressort de l’ensemble de cette jurisprudence, elle-même fondée sur les enseignements de la Cour suprême, que l’obligation de répondre aux demandes de renseignements est impérative et qu’elle ne souffre d’aucune exception;

[58]        Plus récemment, le Tribunal des professions dans l’affaire Lauzière[6] écrivait:

[48]            De plus, l'intimé s'ingère dans le processus d'enquête lorsqu'il allègue, aux fins de justifier son refus, que le syndic n'avait aucune raison valable d'être présent sur les lieux de son travail.

[49]            Le Comité ne pouvait légalement considérer cette excuse comme un moyen de défense.

[50]            Dans Simoni c. Podiatres[14], l'appelant prétendait que le Comité de discipline n'avait pas tenu compte de sa bonne foi alors qu'il invoquait l'existence d'un conflit d'intérêts pour ne pas répondre à une demande verbale du syndic concernant le dossier d'une patiente.

[51]            Le Tribunal estime au contraire dans ce jugement qu'il y a entrave :

[28]      En refusant de fournir lesdits documents, l'appelant a entravé le syndic dans l'exercice de ses fonctions. Il a bloqué le processus d'enquête. Tous les éléments constitutifs de l'infraction ont été prouvés.

[29]      La défense de bonne foi n'est pas pertinente au stade de la déclaration de culpabilité et elle est irrecevable. En vertu des articles 114 et 122 du Code des professions, le syndic n'a pas le fardeau de prouver la mauvaise foi du professionnel. D'ailleurs, l'appelant n'a soumis aucune autorité pour justifier le bien fondé (sic) de sa prétention.

[52]            Traitant des pouvoirs du syndic, l'honorable Pierre J. Dalphond, alors juge à la Cour supérieure, écrivait :

63         Nulle part cependant ne leur est-il fait obligation d'être impartiaux face à la requérante. D'ailleurs, comment pourrait-il en être ainsi? En effet, à partir du moment où une personne, qu'elle soit policier ou syndic, reçoit une information concernant une personne et qu'elle décide de faire enquête, elle prend position par rapport à la personne qui fait l'objet de son enquête. Elle la soupçonne d'un manquement et de là, exerce ses pouvoirs d'enquête, souvent à l'insu de la personne objet d'enquête. Contrairement au comité de discipline qui a le pouvoir de sanctionner et qui doit agir de manière indépendante et impartiale, le syndic et ses assistants ne sont tenus d'exercer leurs pouvoirs d'enquête qu'indépendamment de toute pression externe (art. 121 du Code) et de bonne foi (art. 193 du Code).

64         L'indépendance et l'apparence d'indépendance est essentielle à la fonction de syndic ou de syndic adjoint. En effet, ceux-ci doivent être en mesure de mener leur enquête selon leur intuition, soupçon et information, sans être influencés par les dirigeants de l'Ordre, la personne enquêtée, la personne qui a demandé l'enquête, s'il en est, ou les amis ou parents des uns ou des autres.  […][15]

[53]            Au même effet, le Tribunal s'exprime comme suit dans Choinière c. Avocats (Ordre professionnel du Barreau du Québec)[16] :

[49]      Les pouvoirs du syndic sont larges18.  À la condition d'agir équitablement, le syndic, qui constate une infraction ou à qui est dévoilée une infraction, n'a pas à être impartial.  Il doit appliquer la loi.

[50]      L'auteure Marie Paré écrit :

« Le syndic, qu'il exerce son rôle d'enquêteur ou assume celui de partie devant le Comité de discipline, n'a pas à faire preuve d'impartialité vis-à-vis du professionnel intimé.

[…]

Enfin, la Cour d'appel a affirmé, dans l'arrêt Sylvestre c. Parizeau, que le professionnel est informé de la plainte par la signification qui en est faite, et que le syndic n'a pas l'obligation de l'aviser préalablement qu'une procédure disciplinaire sera intentée contre lui.

À la lumière de ce qui précède, on doit constater qu'au stade «pré-inculpatoire» le professionnel a en fait plus d'obligations que de droits.  Cette situation est redevable au contexte particulier du droit disciplinaire qui, comme il a été maintes fois répété, «n'est ni le droit civil ni le droit criminel mais plutôt une branche du droit administratif qui puise sous certains rapports au premier et pour d'autres, au second».  Les ordres professionnels visent la protection du public, par le biais du contrôle non pas de l'ensemble des citoyens mais bien uniquement de leurs membres, lesquels se voient reconnaître le droit d'exercer une profession d'exercice exclusif ou à titre réservé.  Or ce droit n'existe pas dans l'absolu: les professionnels sont légalement tenus de respecter les règles édictées par le législateur et par l'ordre auquel ils appartiennent.

[…]

Le syndic a donc, dans l'exercice de ses pouvoirs d'enquête, une très large marge de manœuvre.

[…]

Ce n'est qu'après l'éventuel dépôt d'une plainte disciplinaire que prend naissance le droit du professionnel à une défense pleine et entière et au respect des principes de justice naturelle que celle-ci sous-tend. »19

[51]      L'auteure Véronique Morin écrit :

« Au cours de l'enquête du syndic, le professionnel concerné n'a pas le droit d'être informé de la tenue d'une enquête à son sujet ou du contenu de l'enquête du syndic avant qu'une plainte ne soit déposée.  Les tribunaux reconnaissent généralement que le professionnel pourra obtenir toute information nécessaire à sa défense en temps opportun par le biais d'une requête pour précisions à l'encontre d'une plainte ou à l'époque de la divulgation de la preuve.

En soi, le comité de discipline ou le Tribunal des professions ne peut exercer aucun pouvoir de surveillance ou de contrôle sur l'exercice par le syndic de ses pouvoirs d'enquête.  Toutefois, le comité de discipline ou le Tribunal des professions peut se pencher sur la recevabilité d'une preuve obtenue à l'occasion de l'enquête du syndic en déterminant si l'obtention de cette preuve est abusive suivant les circonstances.

Le professionnel faisant l'objet d'une enquête ne saurait en outre empêcher celle-ci à moins d'être en mesure de démontrer devant une cour de justice que le syndic agit de mauvaise foi et en abusant de ses pouvoirs dans le cadre de l'enquête. »20

(Références omises)

[54]            En 2004[17], le Tribunal se prononçait également en ces termes sur les pouvoirs du syndic en matière d'enquête relativement à l'envoi au professionnel d'un avis de convocation :

[37]      Comme le Tribunal des professions le soulignait très récemment dans l'affaire Bell c. Chimistes17:

«Au même titre qu'il n'est pas tenu de divulguer l'information qu'il détient et qu'il n'a pas à démontrer qu'une infraction a été commise pour justifier la tenue d'une enquête, la syndic n'a pas à envoyer un avis de convocation. D'ailleurs, il existe des cas où il est préférable que le professionnel ne soit pas informé de la visite d'un syndic.

            […]

[40]      Le Tribunal des professions a rappelé à maintes occasions que ni le Tribunal ni le Comité de discipline ne détiennent de pouvoir de contrôle sur la façon d'agir du syndic d'un ordre professionnel. Le rôle du Tribunal n'est pas d'apporter des correctifs à la tenue des enquêtes menées par un syndic, mais il se limite à disposer des appels logés à l'encontre des décisions des comités de discipline20 (nos soulignements).

(Références omises)

 

[59]        En résumé, ce type d’infraction a été analysé à plusieurs reprises et il a été décortiqué sous toutes ses coutures, faisant en sorte que tous les moyens de défense proposés par les intimés ont déjà fait l’objet de plusieurs jugements par les tribunaux supérieurs;

2.3       Les moyens de défense des intimés

 

[60]        Tout au long de l’audition, les intimés ont invoqué divers moyens de défense pour justifier leur retard ou refus de répondre aux demandes de renseignements qui leur étaient adressées par le bureau du syndic ;

[61]        Ces moyens de défense seront rejetés pour les motifs ci-après élaborés ;

[62]        Par contre, certains des moyens invoqués par les intimés pourront être considérés comme des circonstances atténuantes au moment de l’imposition de la sanction ;

 

A)        La bonne foi

[63]        Comme premier moyen de défense, les intimés ont invoqué leur bonne foi et leur absence d’intention malveillante quant aux demandes de renseignements exigés par la syndic;

[64]         Ce moyen de défense a été rejeté par le Tribunal des professions, dans l’affaire Simoni[7] dans les termes suivant :

[29]            La défense de bonne foi n'est pas pertinente au stade de la déclaration de culpabilité et elle est irrecevable.  En vertu des articles 114 et 122 du Code des professions, le syndic n'a pas le fardeau de prouver la mauvaise foi du professionnel.  D'ailleurs, l'appelant n'a soumis aucune autorité pour justifier le bien fondé de sa prétention (nos soulignements).

[65]        Plus précisément, l’accusation d’entrave n’exige pas la preuve d’une intention malhonnête. Le syndic n’a pas à prouver la mauvaise foi[8];

 

B)        Le droit d’être informé des actes reprochés

[66]        À plusieurs occasions, au cours de l’audition, les intimés ont allégué "leur droit d’être informés des actes reprochés" pour expliquer leur retard à répondre aux demandes de la syndic;

[67]        D’ailleurs, dans une lettre du 13 mars 2009 (P-6) leur avocat allègue :

"… nos clients ont le droit d’obtenir les motifs de la plainte et copie de ces dites pièces" (page 1 P-6);

[68]        Cette demande d’obtenir copie des plaintes fut réitérée le 15 avril 2009 à deux reprises (P-9 et P-10);

[69]        Par contre, dès 1998, la Cour d’appel du Québec rejetait ce moyen de défense dans les termes suivants :

À l’étape préliminaire, l’application au syndic de la règle ʺaudi alteram partemʺ veut dire que le syndic doit faire une enquête complète et que si cette obligation implique qu’ils doivent obtenir des informations du professionnel, il doit les obtenir dans les limites prévues par le Code des professions et celles prévues par la jurisprudence. Ceci ne veut pas dire qu’ils doivent lui divulguer le contenu de son enquête, ni sa décision[9];

[70]        Il est bien connu que la divulgation de la preuve ne s’applique qu’à l’étape du dépôt des procédures disciplinaires[10] ;

 

C)        L’absence de plainte

[71]        Le dépôt formel d’une plainte n’est pas nécessaire pour enclencher le processus d’enquête. Il suffit que le syndic possède une information selon laquelle le professionnel aurait commis une infraction[11] ;

[72]        Or, dès le 28 juillet 2008, la syndic était informée d’une situation problématique tel qu’en fait foi sa première lettre (P-2) du 8 décembre 2008 ;

[73]        De plus, le professionnel ne peut justifier son refus de donner accès aux documents en critiquant la pertinence de l’enquête[12] ;

[74]        En conséquence, ce moyen de défense sera rejeté ;

 

D)        Les méthodes d’enquête du syndic

[75]        Tel que le soulignait le Tribunal des professions dans l’affaire Coutu[13], il n’appartient pas au professionnel de définir les modalités de l’enquête du syndic ;

[76]        Encore récemment, la Cour supérieure rappelait dans l’affaire Richard c. Tribunal des professions[14] que ni le comité de discipline, ni le Tribunal des professions ne peuvent exercer aucun pouvoir de surveillance ou de contrôle sur l’exercice par le syndic de ses pouvoirs d’enquête ;

[77]        En conséquence, ce moyen de défense sera également rejeté ;

 

E)        L’absence de rencontre

[78]        À plusieurs reprises (P-6, P-7, P-9 et P-10), les intimés ont prétexté qu’ils désiraient rencontrer la syndic afin d’être en mesure de répondre à ses demandes ;

[79]        À cet égard, dès le 9 avril 2009, la syndic indiquait aux intimés son intention de les rencontrer mais après la réception des documents ;

[80]        Tel que déjà mentionné, il n’appartient pas aux intimés de dicter au syndic les modalités de son enquête[15], d’où le rejet de ce moyen de défense ;

 

III.           Conclusions

 

[81]        En dernier lieu, rappelons que l’annonce faite par un professionnel qu’il a l’intention de donner suite à la correspondance du syndic n’est pas une réponse, mais une façon déguisée de refuser ou de négliger de répondre[16] ;

[82]        Pour l’ensemble de ces motifs, les intimés seront reconnus coupables d’avoir entravé le travail du syndic et de son adjoint ;

Par ces motifs, le Comité de discipline :

 

DÉCLARE les intimés coupables d’avoir entravé, directement ou indirectement, le travail du syndic et de l’adjoint du syndic à cinq reprises, soit les 18 février 2009, 13 mars 2009, 8 mai 2009, 5 juin 2009 et 16 juin 2009, le tout contrairement à l’article 56 du Code de déontologie des experts en sinistre;

ORDONNE un arrêt conditionnel des procédures sur l’article 342 L.D.P.S.F. et sur l’article 54 du Code de déontologie des experts en sinistre;

DEMANDE à la secrétaire du Comité de discipline de convoquer les parties pour l’audition sur sanction;

LE TOUT, frais à suivre.

 

 

__________________________________

Me Patrick de Niverville, avocat

Président du comité de discipline

 

 

__________________________________

M. Yvon Clément, expert en sinistre

Membre du comité de discipline

 

 

__________________________________

M. Jules Lapierre, expert en sinistre

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Claude G. Leduc

Procureur de la partie plaignante

 

 

Me Jean-Yves Therrien

Procureur de la partie intimée

 

 

Date d’audience :

8 décembre 2009

 



[1] R c. Grimwood [1987] 2 R.C.S. 755

[2] Art. 130 C.P. tel qu’amendé par L.Q 2008, c. 11, a. 100

[3] Coutu c. Pharmaciens [2009] CQTP 17 (CanLII)

[4] Chambre de l’assurance de dommages c. Duclos, 2006 CanLII 53736 (QC C.D.C.H.A.D.)

[5] Denturologistes c. Picard [2008] QCTP 144

[6] Denturologistes c. Lauzière [2009] QC.T.P. 126 CanLII

[7] Simoni c. Podiatres [2002] QCTP 91

[8] Ouimet c. Denturologistes [2004] QCTP 90

[9]     Sylvestre c. Parizeau [1998] CanLII 13291 (QC.C.A.)

[10]    Solunac c. Médecins-vétérinaires [1996] D.D.O.P. 278 (T.P.)

[11]    Pharmascience c. Binet [2006] 2 R.C.S. 513, par. 27

[12]    Denturologistes c. Lauzière [2009] QCTP 126, par. 48

[13]    Coutu c. Pharmaciens [2009] QCTP 17 (CanLII), par. 58

[14]    Richard c. Tribunal des professions [2009] QC.C.S. 5532

[15]    Coutu c. Pharmaciens [2009] QCTP 17

[16]    Lepage c. Psychologues [1994] D.D.C.P. 336 (T.P.), aux pp. 338 et 339

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