Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0962

 

DATE :

Le 17 juillet 2013

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LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

M. Marcel Cabana

Membre

M. Stéphane Côté, A.V.C.

Membre

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CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

YVAN PRÉVOST, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 127859)

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

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[1]          Le 24 avril 2013, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s'est réuni au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau,
26e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire suivante portée contre l'intimé.

LA PLAINTE

1.    À Disraeli, le ou vers le 11 mars 2009, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en concluant, par l’intermédiaire du cabinet Yvan Prévost & associés inc., une entente avec son client R.P. par laquelle le cabinet Yvan Prévost & associés inc. se porte seul responsable du remboursement du capital et des intérêts d’un prêt de 200 000 $ souscrit par R.P. pour investissement dans des fonds Helios auprès de Desjardins Sécurité financière et par laquelle 50 % de la plus-value dudit investissement appartient au cabinet Yvan Prévost & associés inc., contrevenant ainsi aux articles
16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et
18 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (c. D-9.2, r. 3).

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[2]          Dès le début de l’audience, le procureur de la plaignante a indiqué que l’intimé désirait enregistrer un plaidoyer de culpabilité à l’égard de l’unique chef d’accusation porté contre lui, et que les parties soumettraient des recommandations communes.

[3]          Le procureur de l’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité, suivant les instructions de son client qui, bien qu’absent physiquement, a confirmé au comité lors d’un échange téléphonique durant l’audience qu’il avait donné ces instructions à son procureur et qu’il comprenait que par ce plaidoyer, il reconnaissait les gestes reprochés à la plainte portée contre lui et que ceux-ci constituaient des infractions déontologiques.

[4]          L’intimé a également confirmé être au courant des recommandations communes et être conscient que, bien qu’il s’agissait de recommandations communes, il n’y avait aucune garantie que les recommandations soumises seraient suivies par le comité.

LES FAITS

[5]          Après avoir produit de consentement la preuve documentaire pertinente
(P-1 à P-18), le procureur de la plaignante a relaté le contexte entourant l’infraction commise.

[6]          L’intimé était président et seul actionnaire de la compagnie Yvan Prévost et associés Inc.

[7]          À ce titre et personnellement, désirant dédommager un bon client R.P. des pertes encourues à la suite de certains placements qu’il lui avait recommandé, l’intimé lui a proposé de procéder à un prêt levier de 200 000 $ et de le placer dans un compte de fonds distincts contracté par son entremise, signé le ou vers le 11 mars 2009.

[8]          Au moment de la transaction, R.P., propriétaire titulaire de ce contrat, était retraité et âgé d’environ 75 ans. Ainsi, il a souscrit à trois fonds distincts, à raison de 80 000 $, 60 000 $ et un dernier montant de 60 000 $, répartis respectivement de la façon suivante : 40 %, 30 % et 30 %.

[9]          Le 11 mars 2009, un contrat de prêt a été conclu avec M.R.S. Trust (M.R.S.) pour un prêt levier.

[10]       Le même jour, l’intimé a signé, en tant que président de Yvan Prévost et associés Inc. une entente avec le consommateur au sujet de ce prêt investissement avec M.R.S. (P-5).

[11]       Par cette entente il était convenu ce qui suit :

« - Yvan Prévost et Associés Inc. se rend responsable des versements de ce prêt;

- Le placement, moins la dette, appartient à 50 % Monsieur [R.P.] et 50 % Yvan Prévost et Associés Inc.;

- Yvan Prévost et Associés Inc. et Monsieur [R.P.] sont chacun responsable de 50 % des impôts et des frais générés par le placement;

- Le placement est conservé en garantie contre l’emprunt;

- Cette entente a priorité sur le testament de Monsieur [R.P.];

- Le placement est investi avec Desjardins Sécurité Financière;

- Advenant un décès, la valeur du placement, moins la dette, sera séparée à 50% à chacune des parties ».

[12]       De plus, il était indiqué de façon manuscrite que les versements seraient faits par l’intimé afin de compenser R.P. pour une perte sur des investissements antérieurs contractés suivant les recommandations de l’intimé. Ce dernier se déclarait ainsi seul responsable du remboursement de ce prêt contracté par R.P. de 200 000 $ et des intérêts y afférents.

[13]       Cette entente entre Yvan Prévost et associés Inc. et R.P. a été notariée
le 23 mars 2009 (P-6) à la demande de R.P. et devant son notaire.

[14]       Ce faisant, l’intimé s’était placé dans une situation de conflit d’intérêts en
ne préservant pas son indépendance.

[15]       La suite des évènements révèle que le 20 septembre 2009, l’intimé faisait défaut de payer les intérêts. La preuve est silencieuse quant à ce qui s’est passé entre le 20 septembre 2009 et le 14 septembre 2010. La preuve révèle toutefois que c’est à cette dernière date que R.P. a porté plainte auprès de S.F.L. Placements Cabinet de services financiers

[16]       Le 18 octobre 2010, R.P. a porté plainte à Desjardins Sécurité Financière.

[17]       Le 29 octobre 2010, R.P. a confirmé avoir pris connaissance, le 28 octobre 2010, des évènements rapportés par l’intimé sur leur relation et a dit être d’accord avec ce qui y était écrit (P-11, document de 5 pages).

[18]       Il ressort de ce dernier document que :

a)     R.P. faisait affaire avec l’intimé depuis 1995. Il y déclare connaître très bien la volatilité des placements, indiquant que cela fait plus de 40 ans qu’il possède des placements en actions sur le marché boursier;

b)     L’intimé et R.P. ont eu des rencontres avec le comptable de ce dernier puisque certaines des planifications de placement pouvaient affecter sa situation fiscale;

c)      R.P. avait contracté plusieurs prêts leviers aux fins d’investissement avec l’intimé par le passé;

d)     R.P. travaillait également avec un autre courtier de Thetford Mines;

e)     Entre 1998 et 2000, R.P. possédait environ 330 000 $ d’emprunts répartis entre les deux courtiers.

[19]       Au cours des années 2000 à 2003, les investissements performant moins bien,
la planification a été revue et modifiée et ils ont annulé les prêts leviers.

[20]       Il a toutefois conservé un contrat d’assurance vie universelle, dans lequel les profits des prêts leviers avaient été investis, R.P. a donc ainsi été assuré jusqu’en 2009.

[21]       Quand l’intimé a quitté le Groupe Investors pour celui du Groupe Futur, R.P. a continué de faire affaire avec l’intimé même s’il devait assumer des frais de transfert sur ses investissements.

[22]       R.P. a référé ses enfants et ses petits-enfants à l’intimé, lesquels sont devenus clients de ce dernier.

[23]       R.P. possède des terres à bois et a un style de vie modeste ne nécessitant, pour couvrir ses besoins, qu’environ 1 000 $ par mois.

[24]       Comme R.P. voulait récupérer les pertes encourues dans son contrat d’assurance vie universelle, l’intimé et lui-même, ont convenu de contracter un prêt levier et l’intimé s’engageait à effectuer les versements afin de le compenser pour les pertes subies.

[25]       R.P. a contracté ledit prêt et a conclu l’entente avec l’intimé en pleine connaissance de cause.

[26]       Enfin, une transaction et une quittance pour le règlement d’un différend est intervenue entre R.P. et SFL Placements, l’indemnisant pour les paiements et frais qu’il a encourus. Le prêt a été résilié sans frais et R.P. s’est déclaré satisfait du règlement.

[27]       Enfin, bien que l’intimé ait reçu des commissions et bonis de 9 900 $ à titre de représentant du contrat de fonds distincts pour la durée où le fond a été détenu, ceux-ci sont inférieurs au remboursement des intérêts payés par l’intimé sur ce prêt.

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES SUR SANCTION

Représentations de la plaignante

[28]       Le procureur de la plaignante a invoqué comme facteurs aggravants :

a)    l’expérience d’environ 20 ans de l’intimé au moment des évènements;

b)    l’existence de deux antécédents disciplinaires en date des 11 février et 11 mai 2011 concernant des infractions de nature toutefois différente de celles en l’espèce.

[29]       Il a ensuite invoqué les facteurs atténuants suivants :

a)     l’enregistrement du plaidoyer de culpabilité;

b)     le fait que R.P. n’a pas eu à témoigner;

c)      l’existence d’un acte isolé concernant un seul consommateur;

d)     l’absence de preuve d’intention malhonnête de la part de l’intimé;

e)     l’entière collaboration de l’intimé à l’enquête et le désir exprimé à l’enquêteur de vouloir corriger sa pratique.

[30]        Ensuite, il a passé en revue les décisions[1] fournies et fait part des similitudes et des distinctions qui s’imposaient avec le présent cas.

[31]        Enfin, il a fait part de la recommandation commune des parties qui consiste en la condamnation de l’intimé à une amende de 10 000 $ sur l’unique chef contenu dans la plainte lui reprochant de s’être placé en conflit d’intérêts.

Représentations de l’intimé

[32]        Le procureur de l’intimé a indiqué que les versements faits par l’intimé sur le prêt étaient supérieurs aux commissions et bonis reçus pendant la durée de ce prêt.

[33]        Il a souligné également que le notaire, ayant assermenté l’entente intervenue entre le consommateur et l’intimé, était celui du consommateur.

[34]        L’intimé avait, dès le début de l’enquête, reconnu les faits.

[35]        Il a également souligné qu’il n’y avait pas d’intention malhonnête, mais plutôt l’intention de rembourser R.P. pour les pertes subies suite à ses recommandations.

[36]        Il a déposé la décision rendue dans l’affaire Grecoff[2], soulignant qu’un chef d’appropriation qui était une infraction dont la gravité était, à son avis, beaucoup plus importante que celle en l’espèce avait fait l’objet d’une condamnation à une amende de 3 000 $[3].

[37]        Il a signalé que R.P. avait pris l’habitude de faire ce type de prêts et que l’intimé avait pris toutes les mesures raisonnables pour être transparent dans cette transaction.

[38]        Enfin, le consommateur avait déclaré à l’enquêteur d’être pleinement satisfait.


ANALYSE ET MOTIFS

[39]       Conformément à l’article 154 du Code des professions, le comité consigne par écrit la décision sur culpabilité rendue séance tenante contre l’intimé donnant ainsi acte à l’enregistrement de son plaidoyer de culpabilité et le déclarant coupable sous l’unique chef de la plainte portée contre lui.

[40]       La gravité objective de l’infraction reprochée à l’intimé ne fait aucun doute. Toutefois, la preuve n’a pas démontré d’intention malhonnête de la part de l’intimé, mais plutôt qu’il voulait dédommager son client pour les pertes subies à la suite des recommandations qu’il lui avait faites.

[41]       La relation entre le client et l’intimé a duré 15 ans et R.P. s’est dit pleinement satisfait du règlement intervenu.

[42]       Bien que le comité se soit inquiété de la recommandation suggérée eu égard au critère de dissuasion et d’exemplarité de la sanction, les procureurs ont apporté des nuances supplémentaires satisfaisantes de sorte que le comité donnera suite à leur recommandation commune, n’étant pas en présence d’une situation qui le justifierait de s’en écarter.

[43]       En conséquence, le comité condamnera l’intimé au paiement d’une amende de 10 000 $ et au paiement des débours.


PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sous l’unique chef contenu à la plainte;

DÉCLARE l’intimé coupable sous l’unique chef contenu à la plainte;

ET PROCÉDANT SUR SANCTION 

CONDAMNE l’intimé à une amende de 10 000 $ sous l’unique chef de la plainte;

CONDAMNE l’intimé au paiement des débours conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (L.R.Q., c. C-26).

 

 

(s) Janine Kean______________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

(s) Marcel Cabana   __________________

M. Marcel Cabana

Membre du comité de discipline

 

(s) Stéphane Côté____________________

M. Stéphane Côté, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

Me Mathieu Cardinal

BÉLANGER LONGTIN, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Pierre Éloi Talbot

LEGAULT, JOLY, THIFFAULT, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

Le 24 avril 2013

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Rioux c. Pierre Parent, CD00-0567, décision sur culpabilité et sanction du 24 novembre 2005 ; Thibault c. Krishna Gupta, CD00-0684, décision sur culpabilité et sanction du 19 février 2008 ; Champagne c. François Simard, CD00-0807 et CD00-0835, décision sur culpabilité du 16 février 2012 et décision sur sanction du 26 novembre 2012; Thibault c. Marc Beaudoin, CD00-0765, décision sur culpabilité du 18 mars 2011 et décision sur sanction du 3 février 2012.

[2] Champagne c. Alex Grecoff, CD00-0774, décision sur culpabilité et sanction du 1er juin 2010.

[3] Voir la décision 2011 QCCQ 6847 rendue par la Cour du Québec qui a accueilli l’appel, infirmé la décision du comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière relativement à l’amende de 3 000 $ imposée sur le chef 4 de la plainte reprochant de s’être approprié 50 000 $ pour des fins personnelles et lui a substitué une radiation pour une période de trois mois.

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