Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0940

 

DATE :

6 février 2013

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Sylvain Généreux

Président

M. Pierre Décarie

Membre

M. John Ruggieri, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

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CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

SERGE LATREILLE, conseiller en sécurité financière et conseiller en assurance et rentes collectives (certificat numéro 119763)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

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LA PLAINTE ET L’AUDIENCE SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

[1]          Une plainte portant la date du 25 juillet 2012 a été portée contre l’intimé.

[2]          Les chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1 et 2 de cette plainte se lisent comme suit :

 

« 1.       À Joliette, le ou vers le 27 octobre 2010, l’intimé n’a pas cherché à avoir une connaissance complète des faits en n’effectuant pas une vérification des conditions du contrat numéro 00-4707023-6 auprès d’Industrielle Alliance avant de procéder à une demande de modification de ce contrat pour Y.R et R.T., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 12 et 15 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière  (c. D-9.2, r.3);

 

2.          À Joliette, le ou vers le 4 avril 2011, l’intimé, alors qu’il faisait souscrire à son client, Y.R., la police numéro [...] auprès d’Empire Vie n’a pas procédé à une analyse complète et conforme de ses besoins financiers, contrevenant ainsi aux articles 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 6 et 22(1) du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (c. D-9.2, r.10). »

[3]          Le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) a siégé à Montréal le 22 novembre 2012.

[4]          Me Julie Piché y représentait la plaignante et Me Pierre-Édouard Asselin, l’intimé.

[5]          L’intimé a déposé un plaidoyer de culpabilité écrit (I-1).

[6]          À l’audience, le comité a adressé des questions à l’intimé afin de s’assurer qu’il comprenait bien le sens et la portée d’un tel plaidoyer.

[7]          Vu les réponses de l’intimé, le comité l’a déclaré coupable des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1 et 2 de la plainte.

[8]          Afin d’éclairer le comité et d’appuyer leurs recommandations conjointes sur sanction, les parties ont mis en preuve certains faits relatifs à la façon dont les infractions avaient été commises ainsi que des éléments pertinents à la détermination des sanctions. Les procureurs ont ensuite plaidé.

[9]          En regard de l’un des éléments soumis à titre de recommandations conjointes, le comité a invité les procureurs à soumettre, par écrit, des observations additionnelles. La procureure de la plaignante a produit des notes le 7 décembre 2012 et le procureur de l’intimé, vu la nature de la question soulevée, a indiqué au comité qu’il ne se prévaudrait pas de l’option offerte.

[10]        Le comité a ensuite pris l’affaire en délibéré.

LA PREUVE SUR SANCTION

[11]        Les parties ont produit, de consentement, les pièces P-1 à P-10.

[12]        Aucun témoin n’a été entendu. Les procureurs des parties ont, d’un commun accord, relaté les faits pertinents.

[13]        Pour l’essentiel, la preuve révèle ce qui suit.

[14]        L’intimé agit à titre de représentant depuis 1998. Il détient actuellement une certification en assurance de dommages, en assurance de personnes et en assurance collective de personnes (P-1).

[15]        En mai 2009, Y.R. et R.T. ont souscrit, par l’entremise d’un autre représentant, R.C., une police d’assurance-vie (P-2) pour une période de 20 ans et dont le capital assuré était de 122 000 $; la police d’assurance prévoyait que le capital devait décroître jusqu’à 50 % du montant initial; la prime annuelle était fixée à 1 762,90 $.

[16]        L’assurance-vie souscrite devait, en cas de décès de l’un des conjoints, servir à rembourser l’emprunt hypothécaire qu’ils avaient contracté.

[17]        À l’automne 2010, le client Y.R. a communiqué avec l’intimé afin de lui indiquer qu’il considérait trop élevée la prime annuelle qu’il était appelé à payer en regard de la police d’assurance-vie (P-2).

[18]        L’intimé, dont le champ de compétences principal était l’assurance de dommages, avait déjà rendu des services professionnels à Y.R. en cette matière dans le passé.

[19]        Afin de satisfaire à la demande formulée par son client Y.R., l’intimé a procédé en octobre 2010 à une demande de modification du contrat d’assurance-vie (P-2). Il a cependant omis de vérifier les conditions prévues au contrat d’assurance avant de procéder à cette demande de modification (P-3) pour ses clients Y.R. et R.T.

[20]        Par cette modification, l’intimé, dans le but de réduire le montant de la prime annuelle, a demandé que le contrat soit modifié de façon à ce que le seul assuré soit Y.R.

[21]        L’intimé, peu habitué avec ce genre de produit, a rempli incorrectement le formulaire sur lequel il a d’ailleurs indiqué le nom de R.C. à titre de représentant.

[22]        Suite à la réception du formulaire, l’assureur a communiqué avec R.C., lequel a ensuite fait le nécessaire pour que le formulaire relatif à la demande de modification soit complété correctement (P-4).

[23]        Comme conséquence de cette modification, le capital assuré a été réduit de moitié, élément que l’intimé ignorait car il n’avait pas lu les pages pertinentes du contrat d’assurance. Puisqu’il ignorait cet élément important, il n’a pu l’expliquer à ses clients Y.R. et R.T. L’intimé ne leur a donc pas expliqué que le capital assuré était maintenant égal à 50 % du capital assuré à l’origine.

[24]        En ce qui a trait au paragraphe 2 de la plainte, l’intimé a fait souscrire à son client Y.R. en avril 2011 une police d’assurance auprès d’Empire Vie sans toutefois avoir procédé à une analyse complète et conforme de ses besoins financiers.

[25]        En fait, l’intimé a posé un certain nombre de questions et obtenu certains renseignements de Y.R., éléments qu’il n’a cependant pas consignés sur le formulaire pertinent (P-6). Entre autres, il n’a pas indiqué le fait que Y.R. détenait la police d’assurance dont il est fait état au paragraphe 1 de la plainte ni une autre assurance dont la couverture était d’environ 85 000 $. De plus, il n’a procédé qu’à une analyse sommaire des besoins de son client en matière d’assurance.

[26]        Sans analyse suffisante, il a également été procédé à la résiliation de la police d’assurance mentionnée au paragraphe 1 de la plainte.

[27]        La demande d’enquête a été adressée à la syndique de la Chambre de la sécurité financière non pas par les clients Y.R. et R.T., mais par le représentant R.C.

[28]        Y.R. n’était pas un client à qui il était facile de rendre des services professionnels.

[29]        L’intimé n’a pas d’antécédents disciplinaires et il a collaboré, de façon exemplaire, à l’enquête de la syndique.

[30]        L’intimé a eu sa leçon : il sera plus prudent à l’avenir lorsqu’il rendra des services professionnels dans un domaine différent de son champ d’expertise principal.

[31]        L’intimé regrette ce qu’il a fait.

LES REPRÉSENTATIONS DES PARTIES

[32]        Les procureurs des parties ont formulé, de façon conjointe, les recommandations suivantes :

          en ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés au paragraphe 1 de la plainte : la condamnation de l’intimé à une amende de 2 000 $;

          en ce qui a trait aux chefs d’infraction énoncés au paragraphe 2 de la plainte : la condamnation de l’intimé au paiement d’une amende de 4 000 $;

          condamner l’intimé au paiement des déboursés;

          accorder à l’intimé un délai de six mois pour le paiement des amendes, celui-ci devant s’effectuer au moyen de six versements mensuels, égaux et consécutifs commençant le 31e jour de la signification de la présente décision, le défaut de respecter ces échéances entraînant la perte du bénéfice du terme et le non-renouvellement du certificat émis par l’Autorité des marchés financiers (AMF) dans toutes les disciplines où il est permis à l’intimé d’agir.

[33]        Les procureurs ont souligné que les infractions commises étaient objectivement graves. En effet, il est au cœur des obligations d’un représentant de vérifier la portée et les conséquences des contrats qu'il invite ses clients à conclure; il en est de même de l’analyse des besoins financiers à laquelle le représentant doit toujours procéder de façon complète. Ils ont cependant invité le comité à considérer les facteurs aggravants et atténuants mis en preuve dont l’analyse devrait l’amener à donner suite aux recommandations conjointes formulées.

[34]        En ce qui a trait au paragraphe 1 de la plainte, la procureure de la plaignante a soumis les décisions rendues par le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière dans les affaires Carrier et Lamadeleine[1] et, en ce qui a trait au paragraphe 2, aux décisions prononcées dans les affaires Levasseur, Pelletier et Beckers[2].

L’ANALYSE

[35]        Le comité est d’avis que les infractions dont l’intimé a été reconnu coupable sont objectivement graves.

[36]        En ce qui a trait au paragraphe 1, il est inacceptable que l’intimé n’ait pas lu l’ensemble du contrat d’assurance et n’ait pas, par conséquent, informé ses clients de façon adéquate avant qu’ils ne décident de procéder à une demande de modification relative à ce contrat.

[37]        Le représentant doit informer ses clients des conséquences des transactions qu’il leur propose.

[38]        Il est inadmissible qu’il leur prodigue des conseils sans avoir lu en entier le contrat relatif au produit qu’il leur propose

[39]        En ce qui a trait au paragraphe 2, l’intimé a agi de façon contraire aux règles les plus élémentaires applicables à sa profession en ne procédant pas à une analyse complète et conforme des besoins financiers de son client. Il s’est interrogé sur la capacité de celui-ci de payer les primes plutôt que sur ses besoins réels en matière d’assurance. L’analyse des besoins financiers constitue la pierre d’assise du travail du représentant en assurance.

[40]        De telles fautes déontologiques sont d’autant moins excusables lorsqu’elles sont commises par un représentant ayant une douzaine d’années d’expérience.

[41]        Cependant, les deux procureurs ont insisté, avec justesse, sur les nombreux facteurs atténuants révélés par la preuve :

          l’intimé n’a pas agi par malice ni dans le but de s’enrichir (bien qu’il ait touché une commission d’environ 1 500 $ en ce qui a trait à la souscription de la police d’assurance-vie mentionnée au paragraphe 2 de la plainte);

          il n’a pas d’antécédents disciplinaires;

          il a collaboré, de façon exemplaire, à l’enquête de la syndique;

          il a reconnu ses fautes;

          il a plaidé coupable à la première occasion;

          il a eu sa leçon et entend être beaucoup plus prudent et rigoureux à l’avenir;

          son client était quelqu’un qui collaborait peu et auprès de qui il fallait beaucoup insister pour l’amener à procéder à une analyse de ses besoins financiers;

          les infractions commises l’ont été à l’égard d’un seul couple de consommateurs;

          Y.R. continue à faire affaire avec l’intimé;

          le risque de récidive est négligeable.

[42]        Les recommandations conjointes formulées par les parties ne doivent être écartées que si le comité les juge inappropriées, déraisonnables, contraires à l’intérêt public ou s’il est d’avis qu’elles sont de nature à discréditer l’administration de la justice[3].

[43]        Après avoir considéré les faits mis en preuve, les éléments et les autorités soumis par les procureurs, le comité est d’avis que les recommandations proposées sont raisonnables et appropriées et satisfont aux impératifs de dissuasion et d’exemplarité nécessaires à la protection du public.

[44]        Qu’en est-il cependant des modalités proposées ?

[45]        Le comité peut-il donner suite à la modalité proposée aux termes de laquelle l’intimé ne verrait pas son certificat renouvelé s’il faisait défaut de payer les amendes imposées dans les délais impartis.

[46]        Le 4e alinéa de l’article 156 du Code des professions (CP) prévoit ce qui suit : « La décision du conseil de discipline imposant une ou plusieurs de ces sanctions peut comporter des conditions et modalités. »[4]

[47]        L’article 156 CP énumère de façon exhaustive les sanctions pouvant être imposées.

[48]        Le comité peut donc imposer comme sanction le paiement d’une amende et prévoir, à titre de condition et de modalité, que celle-ci devra être payée en six mois par versements égaux et consécutifs et que le montant total encore dû deviendra exigible à défaut par l’intimé de payer chacune des mensualités à la date prévue.

[49]        Cependant, le non-renouvellement du certificat ne fait pas partie des sanctions prévues à l’article 156 CP;  le comité ne peut donc s’autoriser du pouvoir qu’il a d’assortir les sanctions qu’il est en droit d’imposer de « conditions et modalités » pour s’attribuer une compétence qu’il n’a pas.

[50]        En d’autres termes, ordonner que le certificat de l’intimé ne sera pas renouvelé s’il fait défaut de payer l’amende dans le délai prévu équivaut à imposer une sanction pour laquelle le comité n’a pas compétence.[5]

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

DÉCLARE l’intimé coupable des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 1 et 2 de la plainte;

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 2 000 $ en regard des chefs d’infraction énoncés au paragraphe 1 de la plainte;

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 4 000 $ en regard des chefs d’infraction énoncés au paragraphe 2 de la plainte;

ACCORDE à l’intimé un délai de six mois pour le paiement des amendes, lequel devra être fait au moyen de six versements mensuels, égaux et consécutifs à compter du 31e jour de la signification de la présente décision, le montant total encore dû devenant exigible à défaut par l’intimé de payer chacune des mensualités à la date prévue;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément à l’article 151 du Code des professions.

 

 

 

(s) Sylvain Généreux_________________

Me Sylvain Généreux

Président du comité de discipline

 

(s) Pierre Décarie____________________

M. Pierre Décarie

Membre du comité de discipline

 

(s) John Ruggieri_____________________

M. John Ruggieri, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Julie Piché

Therrien Couture avocats, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Pierre-Édouard Asselin

Asselin Sabourin & Germain

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

22 novembre 2012

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Rioux. c. Carrier, CD00-0573, 5 décembre 2006; Rioux c. Lamadeleine, CD00-0457, 17 juin 2009 et 19 janvier 2010.

 

[2] Champagne c. Levasseur, CD00-0813, 17 janvier 2011 et 9 août 2011; Rioux c. Pelletier, CD00-0651, 19 août 2011 et 8 février 2012; Champagne c. Beckers, CD00-0862, 17 août 2012.

 

[3] R. c. Douglas, 2002 162 CCC (3rd) 37; Malouin c. Notaires, 2002 QCTP 015; Champagne c. Lessard, CD00-0888, 10 juillet 2012.

[4] L’article 156 CP s’applique tel que cela est prévu à l’article 376 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

[5] Soulignons que l’article 56 du Règlement relatif à la délivrance et au renouvellement du certificat de représentant (R.R.Q. c. D-9.2, r.7) prévoit notamment que pour pouvoir obtenir son certificat, le postulant ne doit pas être en défaut d’acquitter les amendes en suspens qui ont pu lui être imposées par le comité de discipline.

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