Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0960

 

DATE :

4 juillet 2013

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

M. Jacques Denis, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

M. Pierre Décarie

Membre

 

______________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

 

ROBERT SIGOUIN (certificat numéro 130 877)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

[1]          Le 6 mars 2013, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière
(le comité) s'est réuni au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau,
26e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire suivante portée contre l'intimé.

LA PLAINTE

1.         À Saint-Eustache, entre les ou vers les 30 juin et 15 juillet 2006, l’intimé s’est approprié pour ses fins personnelles la somme d’environ 15 000 $ que lui avait confié pour fins d’investissements ses clients M.G. et L.L., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11, 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (R.R.Q. c. D-9.2, r.3).

 

[2]          Le comité a accordé jusqu’au 6 avril 2013 à la plaignante pour produire des arguments supplémentaires à l’appui d’une de ses recommandations sur sanction. Ces arguments ont été reçus le 18 avril 2013, date à laquelle le comité a débuté son délibéré.

[3]          L’intimé, qui se représentait seul, a enregistré le plaidoyer de culpabilité, signé le
28 février 2013 (I-1), à l’égard de l’unique chef d’accusation contenu à la plainte.

[4]          Après s’être assuré que l’intimé comprenait que, par ce plaidoyer, il reconnaissait les gestes reprochés et que ceux-ci constituaient des infractions déontologiques, le comité a pris acte de son plaidoyer.

[5]          Ensuite, le comité a entendu la preuve et les représentations des parties sur sanction.

LA PREUVE

[6]          La procureure de la plaignante a déposé un cahier de pièces (P-1 à P-12), avec le consentement de l’intimé, qui s’est dit toutefois en désaccord avec certains points rapportés par la consommatrice dans sa version des faits (P-7) et s’est réservé le droit de fournir au moment opportun sa version desdits faits.

[7]          Elle a poursuivi en relatant le contexte des infractions.

[8]          Au moment des évènements, les consommateurs M.G. et L.L. et l’intimé se connaissaient depuis plus de 25 ans.

[9]          En 2006, suivant les faits rapportés par L.L., l’intimé lui a présenté un premier projet d’investissement, auquel il n’a pas été donné suite. Un peu plus tard, il lui a présenté un autre projet pour un investissement de 15 000 $, que le couple a accepté.

[10]       Pour investir ce montant, M.G. a dû retirer la valeur de rachat de 8 071,07 $ (P-2) d’une police d’assurance qui lui avait été vendue par l’intimé avec la compagnie Standard Life.

[11]       Quant à L.L., elle a retiré 10 681 $ (P-3), une fois les déductions fiscales effectuées, à même ses REER.

[12]       Les consommateurs ont remis à l’intimé trois chèques faits à son ordre et provenant de leur compte conjoint :

a)            Un premier de 3 000 $, en date du 30 juin 2006;

b)            Un deuxième de 10 000 $, en date du 13 juillet 2006;

c)            Un dernier de 2 000 $, en date du 15 juillet 2006.

[13]        Ces trois chèques ont été endossés par l’intimé et déposés dans son compte de banque personnel.

[14]       Le 13 juillet 2006, comme le couple se sentait inquiet à l’égard de l’investissement proposé par l’intimé, L.L. a obtenu en sa faveur une reconnaissance de dette de 15 000 $, signée par l’intimé et son épouse, à lui être remboursée dans un délai de trois ans moyennant un versement annuel de 1 200 $ représentant un taux d’intérêts de 8 %.

[15]       À l’exception d’un versement de 1 200 $ en juin 2007, l’intimé n’a pas remboursé les consommateurs.

[16]       La preuve démontre que ce versement a été fait à partir du compte personnel de l’intimé, soit le compte dans lequel il avait déposé les chèques des consommateurs.

[17]       Selon la version des faits de L.L., l’intimé leur a servi de nombreuses excuses pour expliquer son défaut de rembourser. En 2009, il n’y avait toujours pas eu de remboursement de la dette.

[18]       Le 18 janvier 2010, l’intimé déposait une proposition à ses créanciers indiquant un actif de 26 000 $ et un passif de 51 577 $, dont 18 600 $ dû à L.L. (P-7).

[19]       Or, à peine trois jours avant la proposition déposée par l’intimé, une mise en demeure datée du 15 janvier 2010, était adressée à ce dernier ainsi qu’à son épouse par les procureurs de L.L., leur réclamant 17 400 $ en capital et intérêts pour les deux dernières années (P-8).

[20]       Le 28 avril 2010, au moment du vote sur la proposition et à la suite d’une intervention surprise d’un nouveau créancier, celle-ci a été acceptée (P-9) malgré la contestation de L.L.

[21]       Suivant un bordereau de dividendes daté du 7 février 2013 et déposé par l’intimé (I-2 en liasse), L.L. aurait reçu une somme de 502,75 $ à la suite de cette proposition.

[22]       En octobre 2012, l’épouse de l’intimé a également déposé une proposition de consommateur. Le créancier qui était intervenu lors du vote de la proposition de l’intimé s’est de nouveau présenté et a fait une intervention de dernière minute, mais cette fois la contestation de L.L. a porté des fruits et le registraire a refusé la proposition de l’épouse de l’intimé (P-12).

[23]       L’intimé a fait faillite à deux reprises auparavant (P-11 en liasse). Une première en 1990 déclarant un passif de 81 324 $, dont il a été libéré en 1991. Une deuxième faillite en 1999, avec un passif de 48 624 $, dont il a été libéré en 2000. 

[24]       En juin 2010, l’intimé a vendu sa clientèle à un autre représentant pour une somme de 25 700 $. Dans une lettre à ses clients, l’intimé a indiqué qu’il prenait alors sa retraite.

[25]       Jointe à l’argumentation supplémentaire transmise par lettre datée du 16 avril 2013 par la procureure de la plaignante, la preuve démontre que la dette s’élève au moment de l’audition à 16 947,25 $, étant donné les 502,75 $ perçus par la consommatrice à titre de dividendes par le syndic de la faillite.

[26]       L’intimé, pour sa part, a contesté quelques-uns des faits avancés par L.L.

[27]       Il a nié s’être présenté à L.L. comme planificateur financier lors de leur rencontre en 2006. Il a également nié avoir suggéré au couple d’investir dans un projet particulier et avoir été au courant des placements REER de L.L. dans AGF.

[28]       Selon son témoignage, L.L. lui aurait plutôt proposé de lui prêter l’argent qu’il disait vouloir emprunter à la banque pour s’acheter une nouvelle voiture, ce qui lui procurerait un meilleur rendement que celui obtenu sur ses placements.

[29]       L’intimé a témoigné que L.L. lui avait causé beaucoup de torts en appelant l’assureur et même chez Vidéotron, où il avait par la suite trouvé un emploi.

[30]       En raison de la proposition de faillite déposée en 2010, l’intimé a dit devoir verser 150 $ par mois pendant 5 ans et ne pas avoir les moyens de payer une amende.

[31]       L’intimé n’a pas non plus l’intention de reprendre la profession.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE SUR SANCTION

[32]        La procureure de la plaignante a fait les recommandations suivantes et a déposé à leur soutien un cahier de décisions[1] :

a)        Ordonner la radiation permanente de l’intimé;

b)        Condamner l’intimé au paiement des déboursés;

c)         Ordonner le remboursement de la somme de 15 000 $ aux consommateurs;

d)        Advenant le cas où le comité imposerait une sanction de plus courte durée, elle a demandé la publication de la décision.

[33]       Comme facteurs aggravants, elle a invoqué :

a)       La faute objective de l’infraction commise ajoutant que c’était une des plus sérieuses qu’un représentant pouvait commettre;

b)       Le degré de préméditation élevé de la part de l’intimé, invoquant l’antécédent de l’intimé. Dans ce dernier cas, bien que le chef soit libellé différemment, les faits étaient similaires, insistant sur la faillite de l’intimé dans les deux cas, d’où son opinion qu’il s’agit non seulement d’un antécédent, mais d’une récidive de la part de l’intimé;

c)       La grande confiance des consommateurs en l’intimé, puisqu’ils se connaissaient depuis 25 ans, aux dires mêmes de l’intimé;

d)       Les omissions de l’intimé dans sa proposition aux consommateurs au sujet de ses actifs et passifs;

e)       L’arrivée à la dernière minute d’un même créancier prioritaire, tant dans la proposition faite aux consommateurs par l’intimé que celle faite par son épouse plus d’un an plus tard;

f)        Le préjudice subi par la consommatrice, puisque ce prêt a été fait à même un retrait dans son compte REER, ce qui lui a occasionné une perte d’environ 4 000 $ en raison des déductions fiscales;

g)       L’infraction n’a profité qu’à l’intimé;

h)       Aucun remboursement en capital n’a été fait, seul un versement d’intérêts de 1 200 $ en 2007;

i)         L’expérience de 17 ans de pratique de l’intimé, au moment des évènements;

j)         Un antécédent qui, étant donné la similitude entre les faits reprochés, constitue une récidive;

k)       L’absence de regrets, étant donné le témoignage de l’intimé qui ne semble pas faire acte de contrition malgré l’enregistrement de son plaidoyer de culpabilité.

[34]        Quant aux facteurs atténuants, elle a mentionné :

a)        L’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité;

b)        La présence d’un acte isolé;

c)         La non-activité de l’intimé depuis octobre 2010;

d)        Le témoignage de l’intimé indiquant qu’il n’avait pas l’intention d’exercer de nouveau la profession.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ SUR SANCTION

[35]        L’intimé a expliqué contester la demande de radiation permanente non pas pour lui-même, mais au bénéfice des autres représentants à qui une semblable infraction pourrait être reprochée.

[36]        Comme il n’a pas l’intention d’exercer de nouveau, l’imposition d’une radiation permanente ne l’affectait pas.

[37]        L’intimé s’est dit d’avis que le présent cas ne constituait pas une récidive de sa part puisque dans l’affaire alléguée comme antécédent disciplinaire le consommateur impliqué n’était pas son client.

[38]        Comme facteur atténuant, il a fait valoir que le prêt avait été proposé par L.L., la consommatrice et non par lui.

[39]        De plus, quant à la demande de remboursement proposée par la plaignante, il a signalé que L.L. avait scindé la dette entre son épouse et lui. Par conséquent le montant réclamé s’en trouvait réduit de moitié.

[40]        À son avis, la réclamation de L.L., ayant déjà été enregistrée dans la faillite, il ne pouvait y avoir ordonnance de remboursement par le comité.  À cet égard, l’intimé a conclu comme suit : « Ça ne rentre plus dans la faillite. (…) Fait que en fait, que vous me condamniez ou pas à la rembourser, ça ne change rien en ce qui me concerne

[41]        Bien que le comité ait offert à l’intimé de lui accorder un délai pour répondre à l’argumentation à venir de la part de la plaignante eu égard à sa demande d’ordonnance de remboursement, l’intimé l’a déclinée et a laissé le tout à la discrétion du comité le référant par ailleurs à certains articles de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

ANALYSE ET MOTIFS

[42]       Le comité prend acte du plaidoyer de culpabilité enregistré par l’intimé sous le chef d’accusation de la plainte portée contre lui et l’en déclarera coupable.

[43]       Après étude de la preuve documentaire, incluant la version des faits de L.L. et du témoignage de l’intimé, le comité est d’avis que la version de L.L. est clairement plus vraisemblable que celle de l’intimé qui est «cousue de fils blancs».

[44]       Non seulement L.L. rapporte le contexte de l’infraction, mais elle y relate les nombreux mensonges que l’intimé lui a racontés pour justifier le retard dans le remboursement de sa dette envers elle. Le comité ne croit pas que L.L. ait inventé tous ces mensonges.

[45]       En réponse à la version des faits de L.L., l’intimé s’est essentiellement limité à nier avoir prétendu agir comme planificateur financier et avoir été au courant des placements REER de L.L. chez AGF. Toutefois, il n’a pas contesté la balance des faits relatés par L.L. notamment tous les prétextes servis pour ne pas la rembourser. Il n’a pas nié non plus avoir accompagné les consommateurs dans leurs démarches pour obtenir l’argent nécessaire à ce prêt. Aussi, la note signée par l’intimé et jointe à la demande faite le 29 juin 2006 à la compagnie Standard Life pour le rachat de la police d’assurance de M.G. est révélatrice du contexte de l’infraction: «S.V.P. Faire le MAX afin que le client reçoive son argent au plus tôt. Merci».

[46]        Le comité estime que témoignage de l’intimé est particulièrement peu crédible notamment quand il rapporte les échanges intervenus au sujet de l’investissement proposé. Selon ce dernier, ce serait L.L. qui lui a offert de lui prêter plutôt que d’emprunter à une institution financière comme il se proposait de faire pour acheter une automobile. Il lui aurait de plus déclaré que les intérêts payés sur cet emprunt ne pouvaient faire l’objet de déductions fiscales. Or, il ne pouvait ignorer que ces dépenses liées à l’usage d’un véhicule pour son travail pouvaient en faire l’objet.

[47]        Par son plaidoyer de culpabilité, l’intimé a admis s’être approprié pour ses fins personnelles environ 15 000 $ que lui avaient confié aux fins d’investissement ses clients M.G. et L.L.

[48]        Comme l’intimé a déclaré comprendre que par ce plaidoyer, il reconnaissait les faits reprochés et que ceux-ci constituaient une infraction déontologique[2], le comité ne tiendra pas compte de la partie de son témoignage voulant qu’il s’agisse d’un prêt consenti par la consommatrice pour l’achat d’une automobile.

[49]        Non seulement l’intimé n’a exprimé aucun regret, mais il s’est évertué à faire savoir qu’il n’avait aucune intention de rembourser les consommateurs comme le démontre notamment l’extrait suivant de son témoignage : «Le remboursement, je pourrais dire que je m’en fous comme de l'an quarante, parce qu’il n’aura pas de remboursement, puisque ça l’a embarqué dans la proposition qui est commune de faillite. Puis j’ai la preuve ici du syndic.»

[50]       Le comité fait siens de façon générale les facteurs atténuants et aggravants identifiés par la plaignante aux fins de la sanction et retient plus particulièrement la préméditation et l’antécédent disciplinaire de l’intimé qui, pour les motifs soulevés par la plaignante, peut être considéré comme une récidive. L’argument de l’intimé voulant que dans cette autre affaire le consommateur n’était pas son client ne change rien au comportement reproché qui est de même nature qu’en l’espèce.

[51]       Le comité donnera suite à la recommandation de la plaignante en ordonnant la radiation permanente de l’intimé et le condamnant au paiement des déboursés.

[52]       Quant à la demande de remboursement de 16 947,25 $ en faveur de M.G. et de L.L., comme le comité n’a pas à tenir compte des effets possibles de la proposition de faillite[3] et étant donné que le montant est quantifié et que l’identité des bénéficiaires est clairement établie, le comité condamnera l’intimé à rembourser 16 947,25 $ à M.G. et à L.L.

 

Pour ces motifs, le comité de discipline :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sur l’unique chef d’accusation contenu à la plainte;

DÉCLARE l’intimé coupable du seul chef d’accusation contenu à la plainte;

ORDONNE la radiation permanente de l’intimé;

ORDONNE à l’intimé conformément à l’article 156(d) du Code des professions de rembourser 16 947,25 $ à M.G. et à L.L. dans un délai de 30 jours, calculé à partir de la publication de la présente décision;

CONDAMNE l’intimé au paiement des débours conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (L.R.Q., c. C-26).

 

 

(s) Janine Kean  _____________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(s) Jacques Denis____________________

M. Jacques Denis, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Pierre Décarie____________________

M. Pierre Décarie

Membre du comité de discipline

 

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représente seul

 

Date d’audience :

Le 6 mars 2013

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Comité de surveillance de l’Association des intermédiaires en assurance de personnes du Québec c. Robert Sigouin, CD00-0251, décision sur culpabilité et sanction du 19 septembre 2000; Thibault c. Jean-Eudes Arsenault, CD00-0735, décision sur culpabilité et sanction du 26 janvier 2009; Thibault c. Normand Bouchard, CD00-0650, décision sur culpabilité du 5 octobre 2009 et décision sur sanction du 8 juillet 2010; Champagne c. Michel Laliberté, CD00-0801, décision sur culpabilité et sanction du 22 février 2011; Champagne c. Alain Trempe, CD00-0789, décision sur culpabilité du 20 juillet 2010 et décision sur sanction du 15 mars 2011.

[2] Pivin c. Inhalothérapeutes, 2002 QCTP 032, par. 13.

[3] Thomas c. Avocats, 2005 QCTP 10 (CanLII), par. 36 et ss.

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