Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0925

 

DATE :

6 août 2013

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

Mme Dyan Chevrier, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

M. Michel Gendron

Membre

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NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

FANNY HUEI-FEN CHEN, conseillère en sécurité financière et conseillère en assurance et rentes collectives (no de certificat 107 000)

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

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[1]           Le 10 juin 2013, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni au siège social de la Chambre sis au 300, Léo-Pariseau, 26e étage, Montréal, et a procédé à l'audition d'une plainte disciplinaire portée contre l'intimée ainsi libellée :

LA PLAINTE

« 1.      À Montréal, entre les ou vers les 1er mai 2008 et 12 novembre 2009, l’intimée a fait signer en blanc un formulaire d’ouverture de compte auprès de Banque Manuvie à C.C.L., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (c. D-9.2, r.3);

2.          À Montréal, le ou vers le 14 octobre 2008, l’intimée n’a pas agi avec professionnalisme en transmettant ou permettant que soit transmis à Investia Services Financiers un formulaire d’ouverture de compte au nom de sa cliente L.C.C.Y., sur lequel était indiqué l’adresse de son cabinet plutôt que l’adresse de sa cliente, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r.7.1);

3.          À Montréal, le ou vers le 24 octobre 2008, l’intimée a exercé ses activités de façon négligente en signant, puis en transmettant à Investia Services Financiers, le formulaire d’ouverture de compte no 208652, au nom de Q.N.Z., sans avoir vérifié les informations qui s’y trouvaient, ni communiqué préalablement avec sa cliente, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 3 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r.7.1);

4.          À Montréal, le ou vers le 18 décembre 2008, l’intimée n’a pas agi avec professionnalisme en transmettant ou permettant que soit transmis à Investia Services Financiers un formulaire d’ouverture de compte au nom de sa cliente M.C.L.C., sur lequel était indiqué l’adresse de son cabinet plutôt que l’adresse de sa cliente, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r. 7.1); 

5.          À Montréal, le ou vers le 7 avril 2009, l’intimée s’est placée dans une situation de conflit d’intérêts en prêtant 20 000$ à son client C.T.C., par l’entremise de Les services financière Chelee inc, dont elle était le premier actionnaire et la présidente, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et 18 du Code de déontologie de la sécurité financière (c. D-9.2, r.3).

6.          À Montréal, le ou vers le 11 janvier 2010, l’intimée n’a pas agi avec intégrité en affirmant faussement à Manulife Investment qu’elle était présente lorsque les bénéficiaires du contrat de fonds distincts numéro 300440883 au nom de M.C.C.L. ont apposé leur signature, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11 et 35 du Code de déontologie de la sécurité financière (c. D-9.2, r.3); »

[2]           D’entrée de jeu l’intimée, présente et accompagnée de son procureur, enregistra un plaidoyer de culpabilité à l’endroit de chacun des six (6) chefs d’accusation contenus à la plainte.

[3]           Les parties soumirent ensuite au comité leurs preuve et représentations sur sanction.

PREUVE DES PARTIES

[4]           Alors que la plaignante versa au dossier une importante preuve documentaire composée essentiellement d’éléments recueillis lors de son enquête, qui furent cotés P‑1 à P-28, elle ne fit entendre aucun témoin.

[5]           Quant à l’intimée, elle ne déposa aucun document mais choisit de témoigner.

[6]           Son témoignage, après la mention de ses débuts dans le domaine de la distribution de produits d’assurance ou financiers en 1989, consista essentiellement à résumer le contexte factuel rattaché aux infractions qui lui sont reprochées.

[7]           Les parties soumirent ensuite au comité leurs représentations respectives sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[8]           Après avoir évoqué, notamment au moyen de la preuve documentaire qu’elle venait de déposer, les circonstances entourant les infractions reprochées à l’intimée, la plaignante, par l’entremise de son procureur, indiqua que les parties s’étaient entendues pour soumettre au comité, sur sanction, des « recommandations communes ».

[9]           Ainsi elle déclara qu’elles s’étaient accordées pour proposer au comité d’imposer à l’intimée les sanctions suivantes :

Sous le chef d’accusation 1 :

-           le paiement d’une amende de 6 000 $;

Sous chacun des chefs d’accusation 2 et 4 :

-           le paiement d’une amende de 3 000 $ (total 6 000 $);

Sous le chef d’accusation 3 :

-           le paiement d’une amende de 4 000 $;

Sous chacun des chefs d’accusation 5 et 6 :

-           le paiement d’une amende de 5 000 $ (total 10 000 $).

[10]        Elle ajouta que les parties n’étaient toutefois pas parvenues à une entente relativement au paiement des déboursés, et qu’alors qu’elle recommandait au comité de condamner l’intimée à en défrayer la totalité des coûts, cette dernière s’y objectait.

[11]        Énumérant ensuite les facteurs atténuants, elle souligna les éléments suivants :

-           l’absence de preuve permettant d’établir que les actes de l’intimée auraient causé un quelconque préjudice à sa clientèle ou à des tiers;

-           son absence d’intention malhonnête;

-           son entière collaboration aux deux (2) enquêtes de la syndique à l’origine de la plainte;

-           l’absence d’avantages personnels tirés par cette dernière de ses fautes (sauf pour le chef 5 où elle a bénéficié des intérêts payés par le client);

-           l’aveu de ses fautes aux enquêteurs et l’enregistrement par cette dernière, à la première occasion, d’un plaidoyer de culpabilité à l’endroit de chacun des chefs d’accusation contenus à la plainte.

[12]        Au titre des facteurs aggravants, elle signala :

-           la longue expérience de l’intimée présente dans le domaine de la distribution de produits financiers ou d’assurance depuis 1989;

-           une conduite et/ou des gestes que l’intimée savait ou devait savoir prohibés;

-           la multiplicité des infractions commises, et ce, durant une relative courte période de temps;

-           enfin, les risques, à son avis, de récidive, l’intimée ayant, préalablement aux fautes qui lui sont reprochées, été avisée à plusieurs reprises d’une conduite jugée « défaillante », cette dernière ayant d’abord été convoquée par la syndique dès 1999 aux fins de discuter de certains éléments de sa pratique professionnelle puis ayant fait l’objet en 2006 d’un avis à l’effet qu’elle aurait commis des infractions déontologiques (mais qu’aucune plainte ne serait portée devant le comité de discipline); enfin l’expédition par la syndique adjointe d’une nouvelle correspondance, en octobre 2009 (pièce P-28), l’avisant qu’il y aurait lieu qu’elle « se familiarise » avec certaines règles, notamment celles de son Code de déontologie. Elle ajouta de plus que bien que lors de sa demande de renouvellement de certificat en avril 2010, l’AMF lui avait imposé des mesures d’encadrement[1], celles-ci « n’avaient rien donné » si bien que le 14 mars 2013 le Bureau de décision et de révision avait imposé à son cabinet une pénalité administrative et avait assorti son certificat d’une condition[2]. Elle affirma que ce qui précède lui apparaissait indicatif d’une réticence, malgré l’imposition de mesures contraignantes, à mener une pratique conforme à la loi et aux règlements.

[13]        Elle indiqua que pour la période de 1999 à 2010 il lui fallait faire le même constat et que la façon de tempérer les risques que l’intimée ne récidive « c’était par l’importance des sanctions qui lui seraient imposées ». Aussi, conclua-t-elle, les sanctions suggérées « se justifiaient tant en particulier que dans leur globalité ».

[14]        Elle termina en déposant, à l’appui de ses recommandations, un cahier de jurisprudence qu’elle commenta.[3]

[15]        Enfin, relativement au paiement des déboursés, elle affirma qu’elle ne voyait en l’espèce aucune circonstance particulière pouvant permettre au comité de déroger à la règle habituelle voulant que la partie qui succombe en défraie le coût.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉE

[16]        Le procureur de l’intimée débuta ses représentations en déclarant que si l’intimée avait posé les gestes qui lui sont reprochés, ce n’était strictement que dans un souci d’assister ou d’aider sa clientèle, soulignant que dans sa communauté l’entraide entre concitoyens de même origine était une valeur capitale.

[17]        Référant ensuite au témoignage de cette dernière, il rappela les circonstances particulières rattachées à chacune des infractions. Ainsi, relativement au chef 6, il souligna que l’intimée avait bien vu sur son écran d’ordinateur les bénéficiaires du contrat de Fonds Distincts y apposer leur signature (au moyen du logiciel « Skype ») mais avait néanmoins enregistré un plaidoyer de culpabilité à l’endroit dudit chef, sa faute consistant à affirmer avoir été présente lors des signatures alors qu’elle n’était pas sur place puisque les documents avaient été signés à Taïwan alors qu’elle était dans la région de Montréal.

[18]        Il rappela aussi les circonstances particulières entourant le prêt par l’intimée (mentionné au chef 5) d’une somme de 20 000 $ à son client. Il raconta que des amis (et clients) de l’intimée s’étaient retrouvés en difficulté et que cette dernière avait choisi ce moyen pour les aider à se sortir d’une impasse.

[19]        Puis, après avoir commenté la jurisprudence citée par la plaignante, il indiqua qu’il était d’accord avec les suggestions présentées par cette dernière même si les sanctions recommandées se situaient à son avis dans le haut de la fourchette applicable et lui apparaissaient, eu égard à la gravité objective des infractions, quelque peu sévères. Il ajouta que cela lui apparaissait particulièrement vrai s’il était tenu compte de la « pénalité administrative » de 10 000 $ qu’a imposée à son cabinet le 14 mars 2013 le Bureau de décision et de révision. Il réclama donc au nom de sa cliente un délai d’une année pour le paiement des amendes.

[20]        Enfin, relativement aux déboursés, il affirma qu’à son avis l’intimée ne devrait être appelée à payer ceux-ci que dans une proportion de 50 % puisqu’en enregistrant un plaidoyer de culpabilité aux six (6) chefs d’accusation portés contre elle, elle avait évité à la plaignante les frais et le coût d’un procès de trois (3) jours.

[21]        Il termina en signalant qu’au plan des risques de récidive, il était en total désaccord avec le point de vue de la plaignante, soulignant que les fautes reprochées à l’intimée remontaient à plus de trois (3) ou quatre (4) ans et qu’aucune nouvelle demande d’enquête ou plainte n’avait été formulée contre cette dernière depuis.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[22]        L'intimée a débuté dans le domaine de la distribution de produits d’assurance et/ou financiers en 1989.

[23]        Elle n’exerce plus que dans le domaine de la distribution de produits d’assurance ayant « vendu » une partie de sa clientèle et cessé d’agir dans le domaine de la distribution de produits financiers en 2013.

[24]        Bien qu’elle ait fait l’objet de « mises en garde » de la part du bureau de la syndique à trois (3) reprises, soit en 1999, 2006 et en 2009, elle n’a aucun antécédent disciplinaire.

[25]        Elle a pleinement collaboré aux deux (2) enquêtes de la syndique ayant mené au dépôt de la plainte. C’est sans réserve qu’elle lui a admis les faits qui lui sont reprochés.

[26]        À la première occasion, elle a enregistré un plaidoyer de culpabilité à l’endroit de chacun des six (6) chefs d’accusation contenus à la plainte.

[27]        Selon ses explications, ses manquements n’avaient pas pour objet l’obtention de bénéfices personnels mais visaient simplement à lui permettre de mieux servir ou satisfaire sa clientèle.

[28]        Son cabinet a écopé, le ou vers le 14 mars 2013, d’une amende de 10 000 $ à la suite d’une décision du Bureau de décision et de révision de l’AMF en lien avec sa façon d’exercer la profession.

[29]        Devant le comité, elle a affirmé regretter ses fautes et a paru sincère.

[30]        Rien n’indique qu’elle ait été animée d’intentions malveillantes et ses manquements n’ont causé aucun préjudice à sa clientèle.

[31]        Néanmoins les fautes qu’elle a commises sont sérieuses. Elles vont au cœur de l’exercice de la profession.

[32]        Relativement aux sanctions qui doivent lui être imposées, les parties ont soumis au comité ce qu’il est convenu d’appeler des « suggestions communes ».

[33]        Or dans l’arrêt Douglas[4], la Cour d’appel du Québec a clairement indiqué que lorsque les parties, représentées par des avocats compétents qui maîtrisent leur dossier, s’entendent pour transmettre au tribunal des « recommandations communes », celles-ci ne devraient être écartées que si ce dernier les juge inappropriées, déraisonnables, contraires à l’intérêt public ou est d’avis qu’elles sont de nature à discréditer l’administration de la justice.

[34]        Ce principe a, à maintes reprises, été retenu en matière disciplinaire[5].

[35]        Or, de l’avis du comité, les recommandations des parties respectent les paramètres jurisprudentiels applicables et tiennent compte des circonstances propres à l’affaire. Elles lui apparaissent raisonnables et appropriées. Il n’y a donc aucun motif pour le comité de s’en écarter et il y donnera suite.

[36]        Enfin, relativement au paiement des déboursés, le comité ne croit pas être en présence de motifs suffisamment importants qui lui permettraient de déroger à la règle habituelle voulant que la partie qui succombe en défraie généralement le coût. L’intimée sera donc condamnée à en assumer le paiement.

[37]        Par ailleurs, compte tenu des circonstances et des arguments qui lui ont été exposés par le procureur de l’intimée, le comité se rendra à la demande de ce dernier et accordera à l’intimée un délai d’une année pour le paiement tant des amendes que des déboursés.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimée à l’égard de tous et chacun des chefs d’accusation 1 à 6 contenus à la plainte;

DÉCLARE l’intimée coupable sous chacun des chefs d’accusation 1 à 6 contenus à la plainte;

ET PROCÉDANT SUR SANCTION :

Sous le chef d’accusation numéro 1 :

CONDAMNE l’intimée au paiement d’une amende de 6 000 $;

Sous chacun des chefs d’accusation numéros 2 et 4 :

CONDAMNE l’intimée au paiement d’une amende de 3 000 $ (total 6 000 $);

Sous le chef d’accusation numéro 3 :

CONDAMNE l’intimée au paiement d’une amende de 4 000 $;

Sous chacun des chefs d’accusation numéros 5 et 6 :

CONDAMNE l’intimée au paiement d’une amende de 5 000 $ (total 10 000 $);

CONDAMNE l’intimée au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, L.R.Q. chap. C-26;

ACCORDE à l’intimée un délai d’une année de la date des présentes tant pour le paiement des amendes que des déboursés.

 

 

 

(s) François Folot

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

(s) Dyan Chevrier

Mme DYAN CHEVRIER, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(s) Michel Gendron

M. MICHEL GENDRON

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Mathieu Cardinal

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Jean Trottier

Procureur de la partie intimée

 

Date d’audience :

 10 juin 2013

 

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Voir pièce P-24.

[2]     Voir pièce P-25.

[3]     Lelièvre c. Côté, 7 avril 2011, CD00-0841 (CDCSF); Champagne c. Pitre, 3 août 2012, CD00-0904 (CDCSF); Champagne c. Marcoux, 6 juillet 2011, CD00-0839 (CDCSF); Rioux c. Rivard, 31 juillet 2007, CD00-0635 (CDCSF); Thibault c. Tremblay, 8 mai 2007, CD00-0618 (CDCSF); Champagne c. Di Maio, 15 mai 2012, CD00-0885 (CDCSF); Thibault c. Beaudoin, 18 mars 2011, CD00-0765 (CDCSF); Rioux c. Belvin, 17 octobre 2002, CD00-0413 (CDCSF).

[4]     R. c. Douglas, 2002, 162 CCC 3rd (37).

[5]     Voir notamment la décision du Tribunal des professions dans Maurice Malouin c. Maryse Laliberté, dossier 760-07-000001-010, décision en date du 7 mars 2002 et dans Mathieu c. Dentistes, 2004 QCTP 027.

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