Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0955

 

DATE :

20 août 2013

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

M. Pierre Masson, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

M. François Laporte

Membre

 

______________________________________________________________________

 

CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

DENIS LEMIRE, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 121218)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

[1]          Le 8 mai 2013, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière
(le comité) s'est réuni au Musée québécois de culture populaire, sis au 200, rue Laviolette, à Trois-Rivières, pour procéder à l'audition sur culpabilité de la plainte suivante portée contre l'intimé.

 

LA PLAINTE

1.         À Shawinigan-Sud, le ou vers le 2 mai 2000, l’intimé n’a pas cherché à avoir la connaissance et la compréhension adéquate des contrats de fonds distincts [...] et [...] avant de recommander à L.G. d’y souscrire, contrevenant ainsi aux articles  16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2),
15 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (c. D-9.2, r.3);

2.         À Shawinigan-Sud, à partir des environs de mai 2000, l’intimé a donné à L.G. des informations fausses, trompeuses ou susceptibles d’induire en erreur quant aux contrats de fonds distincts [...] et [...] auxquels il l’a fait souscrire et, plus particulièrement quant aux valeurs garanties à l’échéance, contrevenant ainsi aux articles 16 et 28 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D‑9.2), 12, 13, 14 et 16 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (c. D-9.2, r.3).

 

[2]          L’intimé était non représenté et a informé le comité qu’il contestait les chefs d’accusation portés contre lui.

[3]          Le comité a entendu la preuve offerte par les parties, a délibéré sur la culpabilité et a ensuite procédé, avec l’accord des parties, à l’audition sur sanction.

[4]          La procureure de la plaignante a produit, avec le consentement de l’intimé, sa preuve documentaire (P-1 à P-17), fait entendre M. Laurent Larivière, enquêteur au bureau de la syndique de la Chambre de la sécurité financière (CSF), ainsi que la consommatrice L.G. et son époux, tous deux impliqués dans la plainte.

[5]          Pour sa part, l’intimé, qui a été assermenté, a fait ses représentations tant sur la culpabilité que sur la sanction.

LA PREUVE

[6]          De la preuve tant documentaire que testimoniale, le comité a retenu principalement ce qui suit.

[7]          L’intimé a été admis à la profession en 1991 et détenait au moment des évènements un certificat en assurance de personnes et en assurance collective de personnes. Son certificat en assurance de personnes qui prenait fin en février 2013 n’a pas été renouvelé. 

[8]          Les 2 et 15 mai 2000, l’intimé a fait souscrire à L.G. deux contrats de fonds distincts pour un investissement de 10 000 $ chacun, comportant une garantie à l’échéance de dix ans ou en cas de décès.

[9]          En octobre 2001, sous les conseils de l’intimé, L.G. a opéré un premier retrait d’environ 1 500 $ dans chacun des comptes.

[10]       Le contrat de fonds distincts souscrit par L.G. comportait une garantie dont la valeur était réduite proportionnellement aux retraits effectués, le tout conformément aux dispositions du cahier de renseignements de la police (cahier), dont l’intimé a témoigné avoir pris connaissance. Les incidences de ces retraits sur la valeur d’un montant garanti sont décrites dans ce même cahier, sous le titre «Prestation à l’échéance du dépôt» (P-4).

[11]       Comme le Service de la conformité de Transamerica Vie Canada (Transamerica) l’a expliqué dans une lettre, adressée à L.G., le 16 décembre 2010, les valeurs garanties se fondent sur le montant des placements initiaux ou, si elle est plus élevée, sur la valeur de réinitialisation des placements au moment de celle-ci (P-18).

[12]       Pour le calcul des incidences d’un retrait sur le montant garanti, la valeur des unités au moment du rachat sert à déterminer les incidences et la réduction du montant garanti. Chaque retrait donne lieu à une réduction proportionnelle de la garantie. Au retrait, la valeur garantie fait l’objet d’une réduction selon la formule, décrite à la lettre du 16 décembre 2010[1] :

 

« Réduction de la valeur garantie après le retrait

=

Valeur garantie avant le retrait

X

Valeur marchande des parts retirées

Valeur marchande de toutes les parts au moment du retrait »

[13]       Dès la première année suivant le premier retrait, L.G., par l’entremise de son mari, a communiqué avec l’intimé pour lui faire part de son questionnement quant au fait que la garantie était diminuée d’un montant supérieur au retrait effectué. L’intimé lui a par ailleurs répondu de ne pas se préoccuper de la valeur marchande indiquée.

[14]       L’intimé a expliqué au comité qu’il croyait qu’au moment de l’échéance le montant minimum de la garantie équivalait au montant investi au départ moins les retraits effectués au cours des années. Étant donné que le contrat prévoyait la possibilité de faire des retraits annuels de 10 %, sans frais, dans les différents fonds, il croyait que ces retraits n’avaient aucune incidence sur la garantie.

[15]       En 2010, à l’échéance de la garantie, L.G. a retiré le solde de son placement, et a subi une perte équivalant à la proportion de la valeur marchande au moment des retraits. Par exemple, dans le compte non enregistré, le retrait de 1 449,46 $ fait le
25 octobre 2001 a eu pour effet de réduire proportionnellement la valeur de la garantie de la police de 2 590,32 $, portant ainsi sa valeur à 8 176,19 $.

[16]       Étant donné la valeur marchande de la police au moment du deuxième retrait de 1 500 $, fait le 21 février 2003, celui-ci a eu pour effet de réduire proportionnellement la valeur de la garantie de 3 354,03 $, portant cette valeur à 4 822,16 $. Le retrait de
1 500 $ effectué le 24 février 2004, étant donné la valeur marchande de la police de
2 592,67 $ au moment de ce retrait, a fait subir une réduction proportionnelle de la valeur de la garantie de 2 789,88 $, la portant à 2 032,28
$.

[17]       Le même principe s’applique au compte enregistré, dont la valeur de la garantie a été réduite proportionnellement à 2 114,85 $, en date du 24 février 2004.

[18]       L.G. évalue la perte subie sur les deux contrats à 7 764,18 $, étant donné les mauvaises informations que l’intimé lui a fournies.

[19]       L.G. ainsi que son mari ont témoigné que l’intimé leur avait indiqué que les retraits n’affectaient pas la garantie du contrat sauf pour une valeur équivalente aux retraits effectués pendant la durée du contrat, ce que l’intimé a confirmé leur avoir dit et avoir lui-même compris.

[20]       Les sommes investies par l’entremise de l’intimé provenaient d’une compensation reçue par L.G. de son employeur, le gouvernement fédéral, pour équité salariale. Le couple de consommateurs a investi, en prévision de leur retraite dans quelques années, l’argent ainsi obtenu.

[21]       En défense, l’intimé a indiqué qu’il exerçait depuis près de trente ans et qu’il avait fait souscrire environ une trentaine de contrats de ce type. Il a témoigné avoir agi ainsi de bonne foi, n’avoir jamais voulu tromper ses clients et n’avoir jamais eu de plainte disciplinaire portée contre lui auparavant.

[22]       Comme allégué au premier chef de la plainte, l’intimé a admis ne pas avoir cherché à posséder une compréhension adéquate des contrats avant de recommander ces produits à la consommatrice. Toutefois, quant au deuxième chef, il a témoigné, qu’en aucun moment, il n’avait consciemment fourni ou donné, à L.G. ou à son mari, des informations fausses ou avec l’intention de les induire en erreur. Néanmoins, il avait lui-même mal saisi la garantie affectant ces contrats.

[23]       L’intimé a dit qu’il avait rapporté ce litige à son assureur en responsabilité professionnelle et s’est dit désolé pour ses clients qui avaient investi pour leur retraite.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE SUR SANCTION

[24]       Sous le premier chef, la procureure de la plaignante a recommandé de condamner l’intimé au paiement d’une amende de 3 000 $.

[25]       De plus, au cas où l’intimé décidait de renouveler son certificat, elle a suggéré de recommander au conseil d’administration de la CSF que ce renouvellement soit conditionnel à la preuve de suivi par l’intimé des deux formations suivantes données à distance par la CSF :

a)    Avantages et inconvénients des fonds distincts avec ou sans garantie de retraits (20202) (durée de trois heures)

b)    Conformité et confiance du client (20406) (durée de dix heures)

[26]       Quant au chef 2, elle a recommandé la condamnation de l’intimé au paiement d’une amende de 4 000 $.

[27]        Pour appuyer les amendes suggérées, elle a soumis sept décisions[2].

[28]        Au titre des facteurs atténuants, elle a indiqué :

a)     La période d’environ 13 ans écoulée depuis les infractions;

b)     L’absence de préméditation;

c)      La reconnaissance par l’intimé de ses fautes au cours de l’audition;

d)     Le fait qu’il s’agisse d’un cas isolé, concernant un seul couple, et bien qu’il y ait eu deux contrats, il s’agissait en quelque sorte d’une seule souscription, quoique le vice d’informations inadéquates a persisté au cours de tout le terme des contrats, soit dix ans;

e)     Le préjudice limité subi par les consommateurs;

f)       L’absence de malhonnêteté de la part de l’intimé, les infractions découlant davantage de négligence ou d’un manque de compétence, et non d’intentions malicieuses;

g)     L’absence d’antécédents disciplinaires;

h)     Le fait que l’intimé est inactif, en raison de sa décision, sans aucune obligation de le faire, de ne pas renouveler son certificat, notant toutefois que ce dernier pouvait décider de le renouveler quand bon lui semble.

[29]        Quant aux facteurs aggravants, elle a invoqué :

a)     La longue expérience de l’intimé qui aurait dû l’inciter à bien s’informer et connaître le contrat;

b)     Que l’intimé n’a pas, jusqu’à l’audition, reconnu sa faute, mais a plutôt reporté la responsabilité sur la compagnie Transamerica, ainsi que sur ses clients qui ont effectué des retraits, occultant ainsi que ces retraits ont été faits suivant ses conseils;

c)      Un risque de récidive non négligeable advenant le cas où l’intimé décidait d’exercer de nouveau puisqu’il ressort de la preuve que l’intimé ne comprenait pas le produit qu’il a vendu et n’a pas cherché davantage à le comprendre pendant les dix ans de la durée de ce contrat; et qu’en octobre 2012, l’intimé a indiqué à l’enquêteur qu’il avait l’intention de vendre des assurances de maladies graves (P-17). Ainsi, la protection du public pourrait être en danger, si ce dernier ne se renseigne pas bien sur ces produits qui présentent une certaine complexité, risquant de les induire en erreur.

[30]        Enfin, la procureure de la plaignante a demandé la condamnation de l’intimé au paiement des débours.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ SUR SANCTION

[31]        L’intimé a réitéré que les clients avaient reçu des relevés et qu’ils auraient toujours pu s’informer auprès de la compagnie Transamerica en cas d’incompréhension, mais qu’il s’en remettait à la décision du comité et qu’il en assumerait les conséquences.

ANALYSE ET MOTIFS

[32]       Conformément à l’article 154 du Code des professions, le comité consigne par écrit la décision sur culpabilité rendue séance tenante contre l’intimé le déclarant coupable sous chacun des chefs d’infraction portés contre lui. 

[33]       La preuve a démontré de façon prépondérante que l’intimé n’a pas cherché à avoir une connaissance et une compréhension adéquate des contrats de fonds distincts avant de les recommander à L.G. Il ressort d’ailleurs de son témoignage qu’il ne comprenait toujours pas, au moment de l’audience devant le comité, les incidences des retraits sur la valeur de garantie de la police.

[34]       L’intimé ne comprenait pas les caractéristiques de ces contrats et plus particulièrement des paramètres de la garantie laquelle se trouvait affectée proportionnellement par tout retrait effectué durant le terme du contrat. L’intimé confondait les rachats annuels de 10 % des fonds permis sans frais et la valeur de garantie à échéance.

[35]       Quant au deuxième chef, la défense de bonne foi alléguée par l’intimé ne peut le disculper. L’intimé a donné de fausses informations à ses clients parce qu’il ne s’était pas assuré ou même inquiété de bien comprendre le produit et plus particulièrement les incidences des retraits sur la valeur de la garantie. Au surplus, quand ses clients, dès réception du premier relevé, lui ont fait part que le solde de la garantie était inférieur au retrait effectué, il n’a pas davantage cherché à comprendre.

[36]       La preuve a démontré que si les consommateurs avaient su qu’ils affectaient ainsi la garantie, ils n’auraient pas effectué de retraits puisqu’ils n’avaient pas besoin d’argent pendant le terme de ces contrats.  

[37]       Même s’il n’a pas agi de mauvaise foi, l’intimé a démontré un manque de compétence flagrant et a fait preuve de négligence importante en ne cherchant pas à  mieux connaître le produit avant de le recommander. De plus, pendant les dix années du contrat, il a servi à ses clients la même explication, alors que ceux-ci l’ont questionné au sujet de la garantie à plusieurs reprises.  

[38]       Quant à la sanction, le comité considère que la plaignante a bien identifié les facteurs aggravants et atténuants en l’espèce et que ses recommandations respectent les sanctions habituellement imposées pour des infractions de même nature étant donné les faits propres au cas présent.

[39]       Par conséquent, le comité condamnera l’intimé au paiement d’une amende de 3 000 $ sous le premier chef et de 4 000 $ sous le second. Il le condamnera également au paiement des débours.

[40]       Par ailleurs, le comité estime, à la lumière du témoignage de l’intimé et de ses représentations, qu’il n’a pas encore compris son erreur. Par conséquent, il paraît essentiel qu’il suive une formation adéquate pour améliorer ses compétences avant de pouvoir faire souscrire quelque produit que ce soit au public.

[41]       Le comité donnera suite à la recommandation de la plaignante en ce sens et recommandera au conseil d’administration de la CSF d’imposer à l’intimé comme condition au renouvellement de son certificat de démontrer préalablement avoir suivi avec succès les formations suggérées par la plaignante et ajoutera d’avoir réussi l’examen administré par l’Autorité des marchés financiers intitulé : Élaborer un programme individuel d'assurance invalidité adapté aux besoins d'un client en fonction notamment de l'analyse de sa situation financière et de sa capacité de payer la prime (01-302).

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

DÉCLARE l’intimé coupable sous chacun des chefs 1 et 2 de la plainte portée contre lui;

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 3 000 $ sous le chef 1;

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 4 000 $ sous le chef 2;

RECOMMANDE au conseil d'administration de la Chambre de la sécurité financière d'imposer à l'intimé de suivre les cours de formation intitulés : « Avantages et inconvénients des fonds distincts avec ou sans garantie de retraits » (numéro de la formation 20202) et « Conformité et confiance du client » (numéro de la formation 20406) offerts par la Chambre de la sécurité financière et de réussir l’examen intitulé « Élaborer un programme individuel d’assurance invalidité adapté aux besoins d’un client en fonction notamment de l’analyse de sa situation financière et de sa capacité de payer la prime » (numéro de l’examen 01-302) administré par l’Autorité des marchés financiers, l'intimé devant produire au conseil d'administration de la Chambre, préalablement au renouvellement de son certificat par l’autorité compétente, une attestation à l'effet qu’il a suivi avec succès lesdits cours et réussi l’examen mentionné.

CONDAMNE l’intimé au paiement des débours conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (L.R.Q., c. C-26).

 

 

(s) Janine Kean

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(s) Pierre Masson

M. Pierre Masson, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) François Laporte

M. François Laporte

Membre du comité de discipline

 

 

Me Sylvie Poirier

BÉLANGER LONGTIN, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représente seul.

 

 

Date d’audience :

Le 8 mai 2013

 

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ



[1] P-18, lettre du 16 décembre 2010, page 2.

[2] Champagne c. Réal Fortin, CD00-0796, décision sur culpabilité et sanction du 15 décembre 2010; Thibault c. Raynald Boily, CD00-0645, décision sur culpabilité du 29 février 2008 et décision sur sanction du 7 mai 2008; Champagne c. Serge Latreille, CD00-0940, décision sur culpabilité et sanction du 6 février 2013; Thibault c. Marcel Vigneault, CD00-0698, décision sur culpabilité et sanction du 24 mars 2009; Thibault c. Lawrence Shaw, CD00-0670, décision sur culpabilité du 5 octobre 2009 et décision sur sanction du 11 mai 2010; Champagne c. Réjean Ross, CD00-0896, décision sur culpabilité et sanction du 15 mai 2012; Thibault c. Christian Gignac, CD00-0693, décision sur culpabilité et sanction du 4 juin 2008.

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