Chambre de la sécurité financière (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N°:

CD00-0926

 

DATE :

Le 14 mars 2013

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

Mme Johanne Allard

Membre

M. Serge Bélanger, A.V.C.

Membre

______________________________________________________________________

 

NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

ANDRÉ MOREAU, conseiller en sécurité financière (no de certificat 146327)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

[1]          Le 15 janvier 2013, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s’est réuni à la Cour fédérale sise au Palais de justice de Québec, au 300, boulevard Jean-Lesage, 5e étage, à Québec, pour procéder à l’audition de la plainte disciplinaire suivante portée contre l’intimé.

LA PLAINTE

1.            Dans la région de Québec, le ou vers le 24 octobre 2011, l’intimé n’a pas favorisé le maintien en vigueur de la police d’assurance-vie numéro [...] de l’Industrielle Alliance, contrevenant ainsi à l’article 20 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (c. D-9.2, r.10);

2.            Dans la région de Québec, le ou vers le 24 octobre 2011, l’intimé a signé à titre de conseiller les propositions d’assurance-vie numéro [...], [...] et [...] soumises à Union du Canada, et déclaré faussement avoir expliqué le contenu de celles-ci à P.G., alors qu’il ne l’a jamais rencontrée, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11, 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (c. D-9.2, r.3);

3.            Dans la région de Québec, le ou vers le 24 octobre 2011, l’intimé a signé à titre de témoin de la signature de P.G. sur les propositions d’assurance-vie numéro [...], [...] et [...] soumises à Union du Canada, hors la présence de P.G. et alors qu’il ne l’a jamais rencontrée, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11, 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (c. D-9.2, r.3).

[2]          L’intimé, qui se représentait seul, a enregistré un plaidoyer de culpabilité à l’égard de chacun des chefs d’accusation contenus à la plainte, confirmant ainsi celui transmis par lettre datée du 22 mai 2012.

[3]          Après s’être assuré que l’intimé comprenait que, par ce plaidoyer, il reconnaissait les gestes reprochés et que ceux-ci constituaient des infractions déontologiques, le comité a pris acte de son plaidoyer.

[4]          Ensuite, le comité a entendu la preuve et les représentations des parties sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[5]          Le procureur de la plaignante a débuté par le dépôt de l’attestation de pratique de l’intimé (P-1). Celui-ci a été admis dans le domaine de l’assurance de personnes au début de 2007 et exerçait donc depuis quatre ans au moment des événements. 

[6]          Il a poursuivi en relatant le contexte des infractions.

[7]          Au moment des événements, la consommatrice P.G., était mère de trois enfants âgés respectivement de dix, sept et deux ans. L’aîné, J.M., bénéficiait d’une assurance « Vision » auprès de Desjardins et la deuxième L.H., d’une assurance vie auprès de l’Industrielle Alliance (Industrielle) (SP-1 à SP-4).

[8]          La mère désirait souscrire une assurance vie pour sa troisième et plus jeune enfant. Suivant les conseils de son père et en sa compagnie, elle a rencontré
M. Pincemin (Pincemin), le 24 octobre 2011, mais l’intimé n’était pas présent.

[9]          Pincemin lui a recommandé d’assurer J.H., sa troisième enfant, avec la compagnie Union du Canada (Union), et de rapatrier les assurances des deux premiers avec cette compagnie.

[10]       Dans le cas de L.H., cette proposition était nettement désavantageuse. L’assurance vie contractée pour celle-ci auprès de l’Industrielle, comportait un capital assuré de 50 000 $ et était libérée après 20 ans.

[11]       À la date de la rencontre en octobre 2011, la mère avait déjà payé les primes pendant plus de six ans et demi. De plus, cette assurance détenait une garantie permettant de doubler le capital assuré sans autre preuve d’assurabilité, pourvu que l’assurée (L.H.) atteigne l’âge de 40 ans.

[12]       Pincemin a voulu la remplacer par une assurance de 25 000 $, ce qui faisait ainsi perdre à la consommatrice le bénéfice des primes déjà versées, ainsi que le bénéfice de la clause d’assurabilité, le tout pour une prime d’à peine 6,75 $ par mois de moins.

[13]       Par la suite, Pincemin a approché l’intimé et lui a demandé, au motif qu’il ne détenait plus de contrat avec la compagnie Union[1], de lui rendre service en signant à titre de conseiller les trois propositions d’assurances ainsi que le préavis de remplacement de la police détenue pour L.H auprès de l’Industrielle.

[14]        Pincemin et l’intimé ont partagé la commission, dans une proportion de 60 % et 40 %, ayant touché 325 $ et 220 $ respectivement.

[15]       Il est ressorti de l’enquête que l’intimé a agi pour rendre service à Pincemin. Toutefois, ce faisant, il a permis à l’intimé d’exercer illégalement.

ET SUR SANCTION

[16]       Le procureur de la plaignante a fait les recommandations suivantes et a déposé, à leur soutien, un cahier de décisions[2] :

a)        Pour le 1er chef: une amende de 2 000 $;

b)        Pour le 2e chef: une amende de 5 000 $;

c)         Pour le 3e chef: une réprimande.

[17]        Il a également demandé la condamnation de l’intimé au paiement des débours.

[18]        Ensuite, il a invoqué la gravité objective des infractions ajoutant :

a)        Le manque d’intégrité de l’intimé qui, en signant les propositions, paraissait aux yeux de tous comme le conseiller de la cliente et comme témoin des signatures de la cliente, alors que c’était faux;

b)        Que l’intimé a signé un préavis de remplacement, alors qu’il n’a jamais vu ni la police d’assurance, objet du remplacement, ni la consommatrice;

 

c)         Le représentant doit être mû par le seul intérêt de la cliente. Or l’intimé s’est laissé berner par Pincemin, sous prétexte de lui rendre service;

d)        Malgré son peu d’expérience dans la profession au moment des événements, l’intimé avait acquis, étant donné son âge, une expérience de la vie qui aurait dû le prévenir de ces gestes;

e)        Que la confiance du consommateur envers le représentant va au-delà des connaissances de ce dernier à l’égard des produits.

[19]       Quant aux facteurs subjectifs, il a soulevé :

a)      L’absence d’antécédent disciplinaire;

b)      La collaboration de l’intimé à l’enquête;

c)       L’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité à la première occasion;

d)     L’absence de mauvaise foi de l’intimé dont le but était de rendre service à un collègue;

e)     Le faible risque de récidive étant donné les regrets exprimés par l’intimé qui a trouvé l’expérience difficile.

[20]       Le procureur de la plaignante a avancé que les sanctions proposées respectaient les principes de la protection du public, de la dissuasion, de l’exemplarité[3], un message devant être transmis à tous les autres représentants, et finalement le droit de l’intimé de continuer d’exercer sa profession[4]. De plus, il a signalé que ces critères se présentent en ordre décroissant d’importance[5]. Enfin, ces sanctions respectaient le principe de la parité pour des infractions de même nature.


REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[21]       L’intimé a déposé une lettre, datée du 14 janvier 2013, dans laquelle il reconnaît les faits reprochés et qu’il a fait preuve d’imprudence et de naïveté en faisant confiance à son collègue.

[22]       S’adressant au comité, il a déclaré « vous ne me reverrez plus ici », exprimant ainsi ses regrets et avoir compris la leçon à retenir de cette expérience.

[23]       Il a décrit sa dernière année comme une « année d’enfer », l’anxiété ayant eu des effets néfastes sur sa santé. De plus, les quatre dernières années ont été financièrement très difficiles n’ayant touché que des commissions annuelles d’environ 30 000 $.

[24]       Il a souligné l’absence de préjudice pour la consommatrice puisque son représentant, à la suite de l’avis de remplacement de la police de l’Industrielle, lui avait conseillé de ne pas donner suite à ce changement.

[25]       Il a témoigné avoir simplement voulu aider Pincemin. Tout en reconnaissant qu’il avait manqué de jugement, il ajouta qu’il ignorait que ce dernier n’avait plus de certificat.

[26]       Il a précisé qu’il était relativement nouveau dans le domaine, n’ayant commencé à travailler à temps plein que vers 2008, même si son certificat en assurance de personnes a été émis en 2007.

[27]       Il n’agit plus pour la compagnie Union. Cependant, depuis 2012, il bénéficie d’un meilleur encadrement, profite de réunions hebdomadaires et d’un suivi « à la lettre ».

[28]       Il a qualifié d’exagérées les amendes recommandées par la plaignante totalisant 7 000 $ et a indiqué qu’il ne pouvait payer de telles amendes.

[29]       Il a plutôt recommandé pour le chef 2 une amende de 4 000 $ et déposé au soutien la décision rendue dans Bellerose[6].

[30]       L’intimé a demandé un délai d’au moins 12 mois pour le paiement des amendes. 

RÉPLIQUE DE LA PLAIGNANTE

[31]        Le procureur de la plaignante a rétorqué qu’une distinction s’imposait avec l’affaire Bellerose[7] soulevée par l’intimé. Dans cette affaire, la représentante avait rencontré sa cliente, mais s’était laissée manipulée par celle-ci quant à la volonté et la signature de son mari sans autres vérifications avant de signer comme témoin.

[32]        Au sujet de la demande de délai pour le paiement des amendes, il s’en est remis à la décision du comité.

ANALYSE ET MOTIFS

[33]        Le comité prend acte du plaidoyer de culpabilité enregistré par l’intimé sous chacun des trois chefs d’accusation de la plainte portée contre lui et l’en déclare coupable.

[34]        Malgré son âge, l’intimé avait peu d’expérience au moment des actes reprochés.  Le comité retient les facteurs aggravants et atténuants tant subjectifs qu’objectifs soulevés par les parties sans négliger les faits propres à cette affaire.

[35]        Le risque de récidive paraît peu probable, l’intimé ayant compris la leçon.

[36]        Les infractions commises sont toutefois objectivement graves.

[37]        Les gestes reprochés vont au cœur du travail du représentant. Celui-ci doit rencontrer le client et cueillir toutes les informations pertinentes afin de procéder à l’analyse de ses besoins. Ce n’est qu’une fois ces informations colligées et analysées qu’il pourra le conseiller et lui faire une recommandation.

[38]        Or, l’intimé n’est pas celui qui a rencontré la consommatrice, ni celui qui a procédé à son analyse de besoins, ni celui qui l’a conseillée ou qui a fait les recommandations en cause. Il a pourtant signé à ce titre. Ce faisant, il a fait une fausse déclaration, n’a pas répondu aux intérêts de la consommatrice et a induit en erreur l’assureur.

[39]        Les décisions soumises par la partie plaignante à l’appui des sanctions proposées en l’espèce, ont toutes été rendues à la suite de recommandations communes, à l’exception de l’affaire Grenier, et pour lesquelles les intimés étaient représentés par avocats. Ces décisions sont souvent, dans de telles circonstances,  laconiques quant au contexte des infractions et ainsi ne permettent pas une comparaison adéquate. Elles ne constituent pas non plus des précédents.

[40]        Ceci dit, pour le premier chef d’accusation reprochant d’avoir fait défaut de favoriser le maintien en vigueur de la première police, la plaignante a cité les affaires Breton[8] et Grenier[9], rendues respectivement en 2011 et 2009, dans lesquelles des amendes de 4 000 $ et 2 000 $ ont été imposées. Toutefois, les représentations sur sanction dans la deuxième affaire ont été présentées en septembre 2009 et précédaient l’adoption en décembre 2009 de l’amendement à l’article 376 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (LDPSF) qui a porté, notamment, l’amende minimale de 1 000 $ à 2 000 $.

[41]        Par ailleurs, la consommatrice n’a subi aucun préjudice à la suite de l’avis de remplacement, visé par ce chef d’accusation, grâce au représentant précédent qui est intervenu auprès d’elle de sorte qu’elle a conservé la police initiale.

[42]        L’intimé, en signant cet avis de remplacement, n’a pas été motivé par l’appât du gain, mais plutôt par le désir de rendre service à un collègue. Malheureusement, il n’a pas comparé les polices en cause comme il l’avait fait pour l’autre avis de remplacement que son collègue lui a également soumis mais qu’il a refusé de signer. La commission de cette infraction est aussi intimement liée aux infractions décrites au deuxième paragraphe de la plainte.

[43]        Le comité estime toutefois que cette infraction réclame une amende plus importante afin de tenir compte notamment de la volonté clairement exprimée par le législateur en 2009 de majorer les amendes. Par conséquent, en tenant compte, entre autres, de l’effet global des sanctions, le comité imposera à l’intimé une amende de
2 500 $ pour le chef 1.

[44]        Pour le chef 2, la plaignante suggéra une amende de 5 000 $ citant à l’appui les affaires Proteau, Plamondon et Ardouin[10]. Or, seule l’affaire Ardouin a conclu à cette amende. Cependant, cette décision ne révèle pas le contexte de l’infraction ni les facteurs aggravants et atténuants qui ont été considérés. Des amendes de 4 000 $ ont été ordonnées dans les deux autres affaires.

[45]        Quant à l’affaire Bellerose soumise par l’intimé à l’appui d’une amende de
3 000 $, des distinctions s’imposent. La représentante dans ce dernier cas a été manipulée par la cliente elle-même et son geste a été qualifié « d’erreur de compassion et de générosité ». Elle n’a reçu aucune compensation pour son travail et a agi en toute bonne foi.  Aucun préjudice n’en a résulté pour l’époux de la cliente.

[46]        En conséquence, tenant compte des faits propres au présent dossier, et considérant les facteurs aggravants et atténuants avancés par les parties, le comité condamnera l’intimé au paiement d’une amende de 4 000 $.  Celle-ci lui paraît une sanction juste et appropriée dans les circonstances et tenir compte des critères de dissuasion, d’exemplarité, de l’effet global ainsi que de la parité des sanctions pour une infraction de même nature. 

[47]        En ce qui concerne le chef 3, même si deux chefs ont été portés contre l’intimé, ils découlent d’un seul et même événement. Considérant l’effet global des sanctions et estimant qu’une amende supplémentaire accablerait l’intimé, le comité lui imposera une réprimande.

[48]        Enfin, le comité condamnera l’intimé au paiement des débours et lui accordera un délai de 18 mois pour le paiement des débours et des amendes. 


Pour ces motifs, le comité de discipline :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sur chacun des trois chefs d’accusation portés contre lui;

DÉCLARE l’intimé coupable sous chacun des trois chefs d’accusation mentionnés à la plainte ;

 

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 2 500 $ sous le premier chef d’accusation;

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 4 000 $ sous le deuxième chef d’accusation;

IMPOSE à l’intimé une réprimande sous le troisième chef d’accusation;

CONDAMNE l’intimé au paiement des débours conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (L.R.Q., c. C-26);

ACCORDE à l’intimé un délai de 18 mois pour le versement desdits débours et amendes, lequel devra s’effectuer au moyen de versements mensuels égaux, sous peine de déchéance du terme.

 

(s) Janine Kean______________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(s) Johanne Allard____________________

Mme Johanne Allard

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Serge Bélanger___________________

M. Serge Bélanger, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT, CARON, PRÉVOST, BÉLISLE, GALARNEAU

Procureurs de la partie plaignante

 

Intimé se représente seul.

 

Date d’audience :

Le 15 janvier 2013

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Ce fait était faux, son certificat n’étant pas en vigueur, Pincemin ne pouvait plus exercer.

[2] Champagne c. Martin Proteau, CD00-0880, décision sur culpabilité et sanction du 12 avril 2012; Champagne c. Yvan Ardouin, CD00-0864, décision sur culpabilité et sanction du 14 février 2012; Lévesque c. Pierre Plamondon, CD00-0767, décision sur culpabilité et sanction du 24 novembre 2010; Champagne c. Réal Breton, CD00-0808, décision sur culpabilité et sanction du 11 juillet 2011; Thibault c. Henri-Paul Grenier, CD00-0727, décision sur culpabilité du 30 avril 2009 et décision sur sanction du 14 décembre 2009.

[3] Cartaway Resources Corp., 2004 1 R.C.S. 672.

[4] Michael Lloyd, 500-07-000023-899, décision du Tribunal des professions du 1er octobre 1990.

[5] Chevalier c. Ordre professionnel des infirmiers(ères), 2005 QCTP 137.

[6] Lelièvre c. Nicole Bellerose, CD00-0889, décision sur culpabilité et sanction du 27 février 2012.

[7] Lelièvre c. Nicole Bellerose, préc. note 6.

[8] Champagne c. Réal Breton, préc. note 2

[9] Thibault c. Henri-Paul Grenier, préc. note 2.

[10] Champagne c. Martin Proteau; Lévesque c. Pierre Plamondon; Champagne c. Yvan Ardouin, préc. note 2.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.