Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0650

 

DATE :

 1er octobre 2008

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LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Alain Côté, AVC

Membre

M. Pierre Décarie

Membre

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Mme LÉNA THIBAULT, en sa qualité de syndic

Partie plaignante

c.

NORMAND BOUCHARD

Partie intimée

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DÉCISION SUR REQUÊTE EN RÉTRACTATION DE DÉCISION ET EN RÉOUVERTURE DES DÉBATS

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[1]           Le 4 septembre 2007, l'intimé a été déclaré coupable des deux (2) chefs d'accusation contenus à une plainte portée contre lui ainsi libellée :

LA PLAINTE

1.            « À St-Jean-sur-Richelieu, entre le ou vers le mois de mars et le ou vers le mois de mai 2000, l’intimé, Normand Bouchard, a conseillé à son client Réjean Viens de transférer de son REER la somme de 33 100,00 $ détenue dans des fonds chez Investors vers une compagnie privée, Eau-nécessaire inc., alors que l’intimé n’a pas fait les démarches raisonnables pour conseiller Monsieur Viens, qu’il n’a pas cherché à avoir une connaissance complète des faits entourant cet investissement et qu’il n’a pas expliqué à son client les risques présentés par cet investissement et ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 9, 11, 12, 14, 15, 16 du Code de déontologie de la Chambre de la Sécurité Financière et à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

2.            À St-Jean-sur-Richelieu, entre le ou vers le 17 mai 2000 et le ou vers le 31 mai 2000, l’intimé Normand Bouchard, alors qu’il avait déclaré à son client monsieur Réjean Viens qu’il verserait, à l’aide des chèques signés en blanc par ce dernier, des cotisations dans son REER souscrit auprès de la compagnie Nationale-Vie, a plutôt tiré ces chèques à son ordre personnel ou à l’ordre de tiers, soit sa conjointe, Madame Sylvie Denicourt et son frère, Monsieur Mario Bouchard, s’appropriant ainsi la somme de 14 894.12 $ à ses fins personnelles, et ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 11, 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la Sécurité Financière et à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers; »

[2]           La décision du comité faisait suite à une audition par défaut tenue le 13 juin 2007.

[3]           Par la suite, le 21 janvier 2008, alors que les parties sont convoquées pour les représentations sur sanction, l'intimé se présente et avise qu'il entend présenter une requête en rétractation de la décision sur culpabilité et en réouverture des débats.

[4]           Une remise lui est alors accordée afin de consulter un avocat et de présenter, le cas échéant, sa requête.

[5]           Alors que l'audition avait été reportée au 12 mars 2008, le ou vers le 5 mars 2008 l'intimé fait tenir une lettre manuscrite à l'attention du président du comité de discipline.

[6]           Dans ladite lettre celui-ci explique qu'il n'a pas financièrement les moyens de se faire représenter par un avocat. Il y expose néanmoins en ses mots les motifs de sa demande en rétractation de décision et en réouverture des débats.

[7]           Il soutient notamment ne pas avoir pu bénéficier d'une défense pleine et entière n'ayant pas été présent lors de l'audition sur culpabilité.  Il soumet que la plainte comme l’avis de convocation lui ayant été signifiés par la voie des journaux mais ne l'ayant pas rejoint, l’audition a eu lieu hors sa connaissance.

[8]           Relativement au premier chef, il indique notamment que lors de l'audition sur culpabilité le syndic de la Chambre aurait dû convoquer, sans toutefois préciser exactement à quelle fin, les « 487 clients investisseurs qui se sont fait (aussi) flouer » et les dix-neuf (19) agents qui auraient possiblement été mêlés à l'affaire.

[9]           Relativement au deuxième chef d'accusation, il soutient qu'il n'a pas utilisé les sommes en cause pour ses fins personnelles. Il allègue notamment que si le client en cause, M. Réjean Viens, « a perdu une somme d'argent » c'est que le bureau de PVM Capital a fermé ses portes.

[10]        Bien qu'il semble admettre qu'il a encaissé les chèques en cause, il laisse entendre qu'il aurait par la suite déposé les sommes obtenues en argent comptant dans le fonds GMF auprès de PVM Capital.

[11]        Les sommes déposées devaient servir à « faire une cotisation au REER » du client mais le bureau de PVM Capital aurait entre-temps fermé ses portes.

[12]        Il allègue de plus avoir reçu à l'été 2007 du « Bureau des services financiers » (BSF) une correspondance recommandée. Le BSF lui aurait alors laissé entendre qu'après enquête celui-ci se trouvait dans l’impossibilité de démontrer une faute de l'intimé et que l'affaire allait en conséquence être abandonnée.

[13]        Ainsi, lors de l'audition du 12 mars 2008, l'intimé réclame la rétractation de la décision sur culpabilité ainsi qu'une réouverture des débats aux fins de lui permettre de produire une nouvelle preuve.

[14]        La procureure de la syndic s'oppose à la requête en rétraction de la décision et en réouverture des débats. Elle soumet que la signification effectuée par la voie des journaux était régulière. Elle invoque de plus que la requête de l'intimé n'est pas appuyée d'un affidavit de ce dernier.

[15]        Elle admet que la rétractation de décision serait possible en droit disciplinaire si le comité de discipline n'est pas « functus officio ».

[16]        Elle soutient cependant que les critères stipulés à l'article 482 du Code de procédure civile pour obtenir la rétractation d'une décision ne sont pas en l’espèce rencontrés.

[17]        Elle soumet que les moyens de défense invoqués par l'intimé sont insuffisants pour justifier une réouverture des débats.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[18]        Si l'article 161.1 du Code des professions précise qu'un comité de discipline peut rectifier une décision qu'il a rendue au motif qu'elle est entachée d'une erreur d'écriture de calcul ou de quelque autre erreur matérielle, il n'y a aucune disposition dans ledit Code des professions laissant spécifiquement entendre qu'un comité de discipline a le pouvoir de réviser sa propre décision.

[19]        Pour déterminer si un comité de discipline a le pouvoir ou non d'accorder une demande de rétractation, il faut se demander si, à la suite de sa décision, il est « functus officio ».

[20]        Dans l'affaire de Jacques Jérôme c. Sa Majesté la Reine, la Cour d'appel du Québec a statué qu'en matière de droit criminel « le juge du procès n'est pas functus officio tant qu'il n'a pas prononcé la peine ».[1]

[21]        Également dans l'affaire de R.V.P.E.L.[2], le juge Martin de la Cour d'appel de l'Ontario écrivait :

« I see no reason why a trial judge who has made a finding of guilt on disputed facts is not also empowered to vacate the adjudication of guilt at any time before the imposition of the sentence, although it is a power which, I cannot stress to strongly, should only be exercised in exceptional circumstances and where its exercise is clearly called for. »

[22]        L'honorable juge Martin citait ensuite une décision rapportée à [1970] 2 W.L.R. 21 :

« In S. (an Infant) By Parsons (his next friend) v. Recorder of Manchester and Others Lord Morris of Borth-y-Gest said :

The desire of any court must be to ensure, so far as possible, that only those are punished who are in fact guilty. »

[23]        Puisqu'en l'espèce le comité n'a ni procédé à l’audition ni rendu sa décision sur la sanction, il croit devoir conclure, en transposant au droit disciplinaire les principes précités émis en matière pénale, qu'il n'est pas « functus officio ». N'ayant pas épuisé sa juridiction, il a dans les circonstances le pouvoir de disposer de la requête en rétractation présentée par l'intimé.

[24]        Il lui faut donc examiner les motifs invoqués par ce dernier au soutien de sa requête. Ceux-ci doivent être analysés en fonction des règles applicables à la rétractation de jugement qui se retrouvent aux articles 482 et suivant du Code de procédure civile.

[25]        L'article 482 du Code de procédure civile se lit comme suit :

« 482. La partie condamnée par défaut de comparaître ou de plaider peut, si elle a été empêchée de produire sa défense, par surprise, par fraude ou par quelque autre cause jugée suffisante, demander que le jugement soit rétracté, et la poursuite rejetée. »

[26]        L'intimé soutient que la signification de la plainte ne l’a pas rejoint et qu’il a été en conséquence empêché de présenter une défense.

[27]        L'intimé a-t-il été ainsi empêché de produire une défense « par quelque cause jugée suffisante »?

[28]        Nous le croyons. Même si la signification de la plainte apparaît pleinement valide et respecter les dispositions pertinentes du Code de procédure civile, il n'en demeure pas moins que n'ayant été signifié que par la voie des journaux et n'ayant pas eu connaissance de la publication, l'intimé n'a pas été informé efficacement de celle-ci et il n'a pu présenter sa défense.[3]

[29]        Voyons maintenant les moyens de défense invoqués par l'intimé. Relativement au premier chef d'accusation, ce dernier allègue essentiellement que plusieurs autres clients investisseurs se seraient retrouvés dans la même situation que M. Viens ainsi que le fait que plusieurs représentants auraient possiblement agi de la même façon qu'il l'a fait notamment en ayant traité avec le bureau de PVM Capital.

[30]        Relativement au deuxième chef d'accusation, l'intimé soutient qu'il n'a pas détourné les montants des chèques en cause à ses fins personnelles.

[31]        Bien que l'intimé admette avoir touché les fonds, il soumet avoir déposé les sommes provenant de ceux-ci dans le fonds GMF auprès de PVM Capital. Il soutient que lesdites sommes devaient servir à « faire une cotisation » au REER du client.

[32]        Enfin, à l'endroit de l'ensemble de la plainte, il soumet en ses termes que les autorités (le BSF) lui avait signifié un abandon des procédures.

[33]        Bien que l'intimé n'ait produit aucune preuve documentaire à l'appui de ses affirmations qui sont par ailleurs à ce stade-ci loin d'être établies, les motifs de défense soulevés par ce dernier dans sa requête, s'ils étaient prouvés, pourraient être suffisamment déterminants pour amener le comité à penser qu'il devrait modifier sa décision.

[34]        Si le principe de la sécurité juridique des décisions doit en empêcher la révocabilité, il ne faut pas pour autant que les principes de justice fondamentaux soient écartés.

[35]        Dans de telles circonstances, puisque le droit de l'intimé à une défense pleine et entière ainsi que le principe de justice naturelle relié à la règle « audi alteram portem » est en cause, le comité croit, s'il doit errer, qu'il lui est préférable d'errer du côté de la prudence.

[36]        En terminant, relativement à l'argument présenté par la plaignante relatif à l'absence d'affidavit au soutien de la requête de l'intimé, il faut mentionner que celui-ci est surtout nécessaire à l'égard des motifs soutenant le rescindant. (Voir Gilles Bureau ltée c. Montmartre Construction inc., [1976] C.S. 1136.) De plus, nous ne croyons pas qu'il y ait lieu dans les circonstances du cas en l'espèce à l'application d'un formalisme trop rigoureux.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

ACCORDE la requête en rétractation de la décision sur culpabilité rendue par le comité le 13 juin 2007;

RÉTRACTE la décision sur culpabilité rendue le 13 juin 2007.

ORDONNE la réouverture des débats dans le présent dossier afin de permettre à l'intimé de présenter une défense aux deux (2) chefs d'accusation contenus à la plainte;

 

 

 

(s) François Folot  ___________________

Me FRANÇOIS FOLOT, avocat

Président du comité de discipline

 

(s) Alain Côté_______________________

M. ALAIN CÔTÉ, AVC

Membre du comité de discipline

 

(s) Pierre Décarie____________________

M. PIERRE DÉCARIE

Membre du comité de discipline

 

Me Marie-Claude Sarrazin

BORDEN LADNER GERVAIS

Procureurs de la partie plaignante

 

L'intimé se représentait lui-même.

 

Date d’audience :

12 mars 2008

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Jacques Jérôme c. Sa Majesté la Reine, C.A.M. 500-10-000247-922 (550-01-006860-012).

[2]     R.V.P.E.L. 30 C.c.C. (2d) 70.

[3]     Si l'on se fie à ce qu'a affirmé l'intimé, un envoi par la poste aurait permis de le rejoindre puisqu'il avait, au moment de son déménagement, effectué auprès des postes canadiennes une demande de suivi de courrier à sa nouvelle adresse.

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