Chambre de la sécurité financière (Québec)

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 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0834

 

DATE :

  6 juillet 2012

 

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

Mme Gisèle Balthazard, A.V.A.

Membre

 

Mme Ginette Racine, A.V.C.

Membre

 

 

 

NATHALIE  LELIÈVRE,  ès qualités de syndique  adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

MARIO BERNIER, conseiller en sécurité financière, conseiller en assurances et rentes collectives et planificateur financier (numéro de certificat 102826

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

 

[1]          Les 25 et 26 octobre 2011 ainsi que le 8 février 2012, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s’est réuni pour procéder à l’audition de la plainte suivante portée contre l’intimé :

LA PLAINTE

1.         Dans la région de Québec, le ou vers le 13 février 2006, l’intimé a transféré environ 28 217 $ provenant des différents fonds du compte no [no. 1] détenu par sa cliente D.D., auprès de Placements CI/Financière Sun Life, vers le Fonds marché monétaire CI (8553), sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de cette dernière, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.01);

 

2.         Dans la région de Québec, le ou vers le 14 février 2006, l’intimé a transféré environ 28 218 $ provenant du Fonds marché monétaire CI (8553) dans le compte no [no. 1] détenu par sa cliente D.D., auprès de Placements CI/Financière Sun Life, vers le Fonds Fidelity étoile du Nord (8665), sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de cette dernière, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.01);

 

3.         Dans la région de Québec, le ou vers le 13 février 2006, l’intimé a transféré environ 8 205 $ provenant des différents fonds du compte no [no. 2] détenu par sa cliente D.D., auprès de Placements CI/Financière Sun Life, vers le Fonds marché monétaire CI (8553), sans avoir obtenu au préalable l'autorisation de cette dernière, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.01);

 

4.         Dans la région de Québec, le ou vers 14 février 2006, l’intimé a transféré environ 8 206 $ provenant du Fonds marché monétaire CI (8553) dans le compte no [no. 2] détenu par sa cliente D.D., auprès de Placements CI/Financière Sun Life, vers le Fonds Fidelity étoile du nord (8665),sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de cette dernière, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.01);

 

5.         Dans la région de Québec, le ou vers le 1er février 2007, l'intimé a transféré environ 13 239 $ provenant des différents fonds du compte no [no. 1] détenu par sa cliente D.D., auprès de Placements CI/Financière Sun Life, vers le Fonds marché monétaire CI (8553), sans avoir obtenu au préalable l'autorisation de cette dernière, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.01);

 

6.         Dans la région de Québec, le ou vers le 5 février 2007, l’intimé a transféré environ 13 244 $ provenant du Fonds marché monétaire CI (8553) dans le compte no [no. 1] détenu par sa cliente D.D., auprès de Placements CI/Financière Sun Life, vers le Fonds de Catégorie de sociétés mondiales Synergy CI (8605), sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de cette dernière, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.01);

 

7.         Dans la région de Québec, le ou vers 8 octobre 2008, l’intimé a transféré environ        76 799 $ provenant de tous les fonds du compte no [no. 1] détenu par sa cliente D.D., auprès de Placements CI/Financière Sun Life, vers le Fonds marché monétaire CI (8653), sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de cette dernière, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.01);

 

8.         Dans la région de Québec, le ou vers le 13 février 2006, l’intimé n’a pas subordonné son intérêt personnel à celui de sa cliente, D.D. en procédant, dans le compte numéro [no. 1], auprès de Placement CI/Financière Sun Life, au transfert d’une somme d’environ 28 217 $ provenant des différents fonds à frais de vente reportés vers le Fonds marché monétaire CI avec frais d’acquisition puis, en transférant, le lendemain 14 février 2006, cette somme vers le Fonds Fidelity étoile du nord avec frais de vente reportés, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.01) ;

 

9.         Dans la région de Québec, le ou vers le 1er février 2007, l’intimé n’a pas subordonné son intérêt personnel à celui de sa cliente, D.D. en procédant, dans le compte numéro [no. 1], auprès de Placement CI/Financière Sun Life, au transfert d’une somme d’environ 13 239 $ provenant des différents fonds à frais de vente reportés vers le Fonds marché monétaire CI avec frais d’acquisition puis, en transférant quatre (4) jours plus tard, le ou vers le 5 février 2007, cette somme vers le Fonds Catégorie de sociétés mondiales Synergy CI avec frais de vente reportés, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.01).

 

[2]          Les parties firent parvenir des notes supplémentaires eu égard à l’existence d’un mandat « carte blanche ». Les dernières furent reçues par le comité le 12 mars 2012, date à laquelle débuta le délibéré.

[3]          La plaignante fit entendre l’enquêteur du bureau de la syndique, la consommatrice D.D., ainsi que la représentante de la Financière Sunlife, Mme Gaudreault. 

[4]          En défense, seul l’intimé témoigna.  

[5]          La preuve documentaire est composée pour la plaignante des documents cotés P-1 à P-29 et celle de l’intimé de I-1 à I-12.


LA PREUVE

Témoignage de D.D.

[6]           D.D. était âgée de 51 ans quand elle a commencé sa relation d’affaires avec l’intimé. Elle était réalisatrice à Radio-Canada et détenait un régime de retraite auprès de cette société. Elle prévoyait prendre sa retraite à 60 ans et son portefeuille, composé de fonds communs, était réparti auprès notamment de la Fiducie Desjardins, la Caisse populaire, la Banque de Montréal ainsi qu’auprès d’AGF.

[7]          D.D. a rencontré l’intimé pour la première fois à l’automne 2003 à la suite de l’acquisition, l’année précédente, de la clientèle du bureau avec lequel celle-ci faisait jusqu’alors affaire.

[8]          L’intimé se rendit au domicile de D.D. à Rimouski. Au cours de cette rencontre, qui dura environ une heure trente, ils passèrent en revue son portefeuille. 

[9]           Au terme de cette rencontre, l’intimé lui conseilla de regrouper tous ses placements en un seul endroit et de les transférer dans des fonds distincts. 

[10]        En raison de la distance entre leurs deux domiciles[1], l’intimé lui suggéra de signer une procuration limitée en sa faveur.

[11]        Bien que sceptique au début, D.D. accepta et signa la procuration limitée puisque selon les termes de celle-ci, le conseiller pouvait effectuer des transactions dans les comptes du client sans obtenir sa signature, moyennant toutefois son autorisation préalable (P-3).

[12]        D.D. déclara avoir bien compris les explications de l’intimé au sujet des garanties dont était assorti le contrat individuel de rente variable SunWise. L’option de garantie de catégorie A choisie garantissait 100 % du capital à l’échéance ou au décès, sans pénalité (P-2).

[13]        Par contre, D.D. affirma que les frais d’entrée et de sortie « c’était du chinois » pour elle. Quant au choix des fonds inscrits à l’ouverture des comptes, celui-ci lui a été suggéré par l’intimé, car elle n’y connaissait rien.

[14]        L’intimé ne lui a jamais demandé son autorisation avant de procéder aux transactions en cause.

[15]        Elle ne rencontrait l’intimé qu’une ou deux fois par année durant la période des contributions aux REER, généralement au printemps. Ils faisaient ensemble la revue de certains relevés s’attardant surtout au rendement obtenu.  

[16]        Le 7 octobre 2008, étant donné la crise financière qui affectait le marché boursier, D.D. envoya un courriel à l’intimé à trois heures du matin dont l’objet était : « Informations sur mes fonds vu la crise » (P-15).

[17]        Comme elle prévoyait prendre sa retraite dans deux ans et demi, D.D. désirait connaître notamment :

a)    le montant du capital garanti à l’égard de chacun des trois fonds;

b)    les dates d’échéance;

c)    si ces dates d’échéance pouvaient être modifiées;

d)    son avis sur la stratégie à adopter à l’égard de ces fonds distincts et si l’or était une option à retenir.

[18]        Elle termina son courriel en suggérant à l’intimé un rendez-vous téléphonique le 10 ou le 14 octobre pour en discuter.

[19]        L’intimé lui a répondu par courriel le même jour et lui proposa une rente viagère garantissant un revenu de 5 % par année, proposition qu’elle avait refusée antérieurement.

[20]        Le 9 octobre 2008, l’intimé l’informait par courriel (P-15) qu’il avait transféré ses placements dans le compte à intérêt quotidien (Fonds du marché monétaire) (P-16).

[21]        La réception de ce dernier courriel rendit D.D. furieuse, car elle y apprenait que l’intimé avait procédé à ce transfert sans même la consulter et sans son autorisation préalable. Elle eut l’impression d’avoir été volée et trahie. Dès lors, elle a appelé l’intimé qui a répondu avoir procédé à ce transfert en attendant sa décision au sujet de sa proposition de rente viagère.

[22]        D.D. a communiqué avec plusieurs personnes, dont une représentante de la Banque Nationale qui lui a fait remarquer les frais d’entrée et de sortie apparaissant à ses relevés d’opérations. Elle prépara une révocation du droit de l’intimé de transiger que D.D. signa et télécopia à ce dernier (P-17).

[23]        D.D. a témoigné qu’après ces événements, son lien de confiance avec l’intimé était irrécupérable. Elle rapatria à Rimouski ses deux comptes de placements CI pour faire affaire avec un autre représentant, malgré les frais de plus de 3 000 $ qu’engendrait ce retrait.

[24]        En contre-interrogatoire, D.D. reconnut avoir reçu les avis d’opéré et les relevés annuels de ses trois comptes[2].

[25]        Elle déclara avoir porté plainte à l’Autorité des marchés financiers (AMF), parce que l’intimé avait transféré sans son autorisation ses avoirs dans le Fonds du marché monétaire lequel ne correspondait pas à son profil de croissance (P-4).

[26]        Elle indiqua qu’elle avait dû payer des frais de sortie pour trois de ses comptes en plus des frais d’entrée que ce transfert dans le Fonds du marché monétaire avait occasionnés. Elle réclama de l’intimé le remboursement des frais de rachat de plus de 3 000 $ occasionnés par le transfert à une autre institution (I-10).

Témoignage de l’intimé

[27]        L’intimé expliqua que lorsqu’il a rencontré D.D., celle-ci détenait un portefeuille REER d’environ 70 000 $. Elle n’avait pas besoin de cet argent à court terme, ses REER constituant un complément à son fonds de pension de Radio-Canada.

[28]        Il dit avoir convenu avec D.D. d’augmenter la part d’actions et de saisir les occasions qui se présentaient.

[29]        Au sujet de la procuration limitée, l’intimé opposa l’obtention d’un mandat de type « carte blanche » de la part de D.D., malgré les termes de la procuration limitée.  

[30]        Il affirma n’avoir jamais dit à D.D. qu’il obtiendrait son autorisation préalable pour chaque transaction. Il expliqua que la procuration limitée était une exigence des compagnies de fonds, mais qui ne changeait rien à l’entente verbale intervenue avec sa cliente.  

[31]        L’intimé reconnut ne pas avoir obtenu l’autorisation préalable de D.D. pour les transactions décrites à la plainte (P-9, P-10, P-12 à P-14 et P-16). Il l’informait toutefois par téléphone après y avoir procédé.

[32]        L’intimé a procédé à la cristallisation du compte de D.D. à deux ou trois reprises.

[33]        L’intimé a rencontré D.D. pour la dernière fois en 2007.

[34]        Questionné au sujet du courriel que D.D. lui a envoyé le 7 octobre 2008, à trois heures du matin et dont l’objet était : « Informations sur mes fonds vu la crise » (P-15), l’intimé expliqua qu’il a procédé le 8 octobre 2008 au transfert des placements de D.D. dans le compte à intérêt quotidien (Fonds du marché monétaire) parce qu’il voulait la rassurer, la croyant en état de panique. Il l’en informa après coup, par son courriel du 9 octobre 2008 (P-15, p. 0371).

[35]        Le courriel du 7 octobre 2008 était le premier courriel que l’intimé adressait à D.D., car généralement il communiquait avec celle-ci par téléphone.

[36]        Quant au bien-fondé de cette transaction, l’intimé répondit qu’il s’agissait d’une transaction réversible puisqu’il aurait pu transférer de nouveau les actions de D.D. dans les fonds détenus auparavant.  


ANALYSE ET MOTIFS

CHEFS D’ACCUSATION 1 À 7

[37]        Les chefs 1 à 7 reprochent à l’intimé d’avoir transféré des fonds sans l’autorisation préalable de sa cliente. Les infractions se seraient échelonnées du 13 février 2006 au 8 octobre 2008.

[38]        Les extraits pertinents de la procuration limitée (P-3), signée par D.D. et par l’intimé, indiquent ce qui suit :

Partie B : Catégorie d’opérations et identification de la compagnie d’assurance

En signant... SunWise. Toutefois, la présente autorisation ne confère nullement au représentant un pouvoir discrétionnaire, c’est-à-dire le pouvoir de transmettre en votre nom à la Compagnie des instructions sur les opérations à effectuer sans avoir obtenu au préalable, dans chaque cas, votre autorisation expresse. Vous devez lire... signée.

 

Partie C : Autorisation

6. Jusqu’à sa révocation, la présente autorisation pourra être utilisée relativement à tous les contrats liés à des fonds distincts que je détiens ou que je pourrai détenir ultérieurement auprès de la Compagnie

 

Partie D : Déclaration du représentant

Je soussigné(e) (s) Mario Bernier, certifie que j’ai passé en revue avec le titulaire de la police la présente autorisation et les Conditions générales de celle-ci et que le titulaire de la police a apposé sa signature ci-dessus et ci-dessous en ma présence. Il est entendu que seules les opérations autorisées par le titulaire de la police en vertu de la présente peuvent être effectuées en son nom.

 

J’accepte d’agir conformément aux conditions de la présente autorisation. Je m’engage à indemniser intégralement la Compagnie et à la libérer de toute responsabilité dans le cas où je dérogerais à ces conditions.

 

Partie E. : Conditions générales

2. En vertu de la présente autorisation, le représentant peut transmettre en votre nom des instructions à la Compagnie relativement aux opérations autorisées. Le représentant ne peut effectuer que les opérations que vous lui indiquez expressément et il est tenu de conserver les instructions reçues pour chaque opération. La Compagnie peut agir sur la foi de la présente autorisation et présumer que le représentant désigné dans la présente agit en votre nom et qu’il a le droit de la faire. 

 

(Nos soulignés)

[39]        Cette procuration limitée ne laisse aucune place à interprétation. Selon celle-ci, l’autorisation préalable et expresse de la cliente devait être obtenue par le représentant qui était tenu de conserver pour chaque opération les instructions ainsi reçues avant d’y procéder.

[40]        D.D. a témoigné qu’en aucun temps l’intimé n’avait obtenu au préalable son autorisation pour les transactions[3] effectuées dans ses comptes ce que l’intimé ne conteste pas, mais précise qu’il l’informait toutefois par téléphone après y avoir procédé.

[41]        L’intimé opposa au cours de son témoignage l’existence d’un mandat de type « carte blanche ». Selon ce dernier, ce mandat « carte blanche » aurait été convenu verbalement avec D.D. lors de leur première rencontre, et ce malgré la signature de la procuration limitée (P-3). L’intimé explique que ce dernier document était exigé par la Compagnie pour pouvoir effectuer des opérations.

[42]        Or, le témoignage de D.D. est à l’effet contraire. Questionnée sur la stratégie établie entre elle et l’intimé pour les années futures, il ressort qu’il avait été convenu que l’intimé devait obtenir son autorisation :  

« R. Bien moi, ce que je voulais c’est que mon argent fructifie, mais en même temps c’est que je voulais une relation transparente et de confiance, c’est-à-dire qu’il m’informe quand même, c’est quand même mon argent, qu’il m’informe des transactions qui touchent mes avoirs. (…)

Q. [49] Quand vous dites je voulais qu’il m’informe, qu’est-ce que vous entendez par «je voulais qu’il m’informe» ?

R. Bien, qu’il me tienne au courant de, s’il y avait des modifications, qu’importe, et les arguments aussi qu’il pouvait apporter pour si, à un moment donné, il y a des changements, on devrait peut-être aller dans cette direction-là et pourquoi. Ça, c’est des choses, à un moment donné, qui sont quand même importantes, même si tu ne connais pas grand-chose, à un moment donné, tu es capable quand même de dire un plus un égale deux là, mais il faut que les gens t’informent, te donnent de l’information. Si tu ne l’as pas cette information-là, et bien là, je veux dire, tu es tenu dans l’ignorance. Et, quand tu es tenu dans l’ignorance, et bien, je veux dire, ça donne ce que ça donne. »

(N.S., 26 octobre 2011, pp. 28-29)

[43]        Toujours en cours d’interrogatoire principal, elle témoigna au sujet de la procuration limitée :

« Q. [58] Donc, pourquoi avez-vous, quelles explications vous ont été fournies par rapport à cette autorisation-là ?

R. Bien, c’est que… Monsieur B. était à Québec, moi je suis à Rimouski. Il me dit : «Ce serait bien que vous signiez cette formule-là. Comme ça, ça nous éviterait, du fait de la distance.» Puis là, j’étais un peu sceptique, j’étais même beaucoup sceptique, mais il dit : «De toute façon, j’ai besoin de votre autorisation pour faire un changement.» Ça fait que là, avec cette clause-là, j’ai dit : «Parfait, o.k., c’est correct.» Alors, c’est vraiment là-dessus, sur le fait qu’il doit demander mon autorisation, s’il y a des changements dans mes comptes, tout ça je dois m’informer et m’autoriser, mais il faut aussi qu’il m’informe et là je décide. C’est comme ça que je le vois. C’est quand même mon portefeuille. »

(N.S., 26 octobre 2011, p.31)

[44]        Lorsque contre interrogée au sujet de l’autorisation, D.D. tient le même discours : 

« Ça, c’est un papier que j’ai lu, au niveau de mes droits, et à savoir que, avant que, avant qu’il y ait des transactions, il devait avoir mon autorisation, et c’est marqué noir sur blanc, et je l’ai lu. »

(N.S., 26 octobre 2011, p.270)

[45]        D.D., loin de confirmer un mandat de type « carte blanche », a plutôt déploré le fait que l’intimé avait agi comme si « c’était son argent »[4].

[46]        L’argument du procureur de l’intimé voulant que le fait pour D.D. de recevoir les avis d’opéré et les relevés de compte CI et de ne pas avoir réagi aux transactions faites avant celle du 8 octobre 2008, supporterait l’existence d’un mandat « carte blanche » malgré la signature de la procuration limitée ne peut être retenu.  

[47]        L’intimé n’a présenté aucune preuve documentaire ou note corroborant ce mandat « carte blanche ». Une étude attentive des réponses de l’intimé aux questions de l’enquêteur en plus des fiches de communications qu’il a fournies à ce dernier ne permet pas de conclure en ce sens[5]. Aucun de ces documents ou informations fournies en cours d’enquête ne soulève l’existence d’un mandat « carte blanche ».

[48]        Tout au plus, un passage du courriel adressé le 18 février 2010 par l’intimé à l’enquêteur démontre son interprétation de la procuration limitée que son procureur a habilement tenté de faire valoir comme un mandat de type « carte blanche » :  « ...elle a reçu des confirmation (sic) de toutes ces transactions sur lesquelles la compagnie indique que s’il y a erreur de biens (sic) vouloir communiquer avec le service à la clientèle, se (sic) qu’elle n’as (sic) jamais fait, car elle était d’accord avec cette méthode depuis le début comme je lui avait (sic) expliquer (sic). Mais je n’ai jamais demander (sic) d’autorisations écrites à la cliente pour ces transactions soit le transfert du 13 février 2006 et celle du 5 février 2007. Vous pouvez retrouver ces infos sur mes notes. J’ai reçu une commission sur chacune de ces transactions. »[6] 

[49]        Pour le comité, la preuve, prise dans son ensemble, contredit l’affirmation de l’intimé qu’il détenait un mandat de type « carte blanche ».

[50]        Le comité préfère le témoignage de D.D. à celui de l’intimé. Celle-ci a expliqué sa compréhension de la procuration limitée et a même insisté sur le fait qu’elle était sceptique jusqu’à ce qu’elle ait pris connaissance notamment des extraits de la procuration rapportés au début de l’analyse.  

[51]        Le comité conclut que l’intimé n’a pas démontré de façon prépondérante l’existence d’un mandat « carte blanche ».

[52]        En conséquence, ce moyen de défense sera rejeté.

[53]        Ce faisant, l’intimé a contrevenu ainsi à ses obligations déontologiques découlant des articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF), 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[54]        En conséquence, le comité déclarera l’intimé coupable sous chacun des chefs 1 à 7.

CHEFS D’ACCUSATION 8 ET 9

[55]        Les chefs 8 et 9 reprochent à l’intimé de ne pas avoir subordonné son intérêt personnel à celui de sa cliente en procédant au transfert des unités gratuites (10 % rachetable annuellement sans frais) provenant de fonds à frais de vente différé (FVR) (aussi appelé avec frais de sortie) vers le fonds de marché monétaire CI avec frais d’acquisition (aussi appelé frais d’entrée) puis le lendemain dans le cas du chef 8 et quatre jours plus tard dans celui du chef 9, vers un autre fonds avec frais de vente différé.

[56]        En transférant ainsi les unités gratuites (10 % par année) dans un fonds avec frais de sortie, plutôt que dans un fonds avec frais d’entrée fixés à 0 %, le représentant prive sa cliente de son droit de retrait ou de transfert sans pénalité. Elle se voit imposer une nouvelle période de sept ans pour chacun de ces transferts d’unités gratuites. Au surplus, les frais de transfert dans une autre institution s’en trouvaient augmentés.

[57]        Les transactions ainsi opérées par l’intimé lui généraient des commissions. Rien ne justifiait l’intimé de procéder de la sorte sauf son intérêt personnel.

[58]        En conséquence, l’intimé sera déclaré coupable sous chacun des chefs 8 et 9.

Par ces motifs, le comité de discipline :

DÉCLARE l’intimé coupable sous chacun des chefs 1 à 9 de la plainte portée contre lui;

CONVOQUE les parties, avec l’assistance de la secrétaire du comité de discipline, à une audition sur sanction.

 

(s) Janine Kean______________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

(s) Gisèle Balthazard_________________

Mme Gisèle Balthazard, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

(s) Ginette Racine____________________

Mme Ginette Racine, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Eric Oliver

LA ROCHE ROULEAU & ASSOCIÉS

Procureurs de la partie intimée

 

Dates d’audience :

25 et 26 octobre 2011 et 8 février 2012

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ


 

 
 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0834

 

DATE :

Le 12 décembre 2012

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

 

Mme Gisèle Balthazard, A.V.A.

Membre

 

Mme Ginette Racine, A.V.C.

Membre

 

______________________________________________________________________

 

NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

 

MARIO BERNIER, conseiller en sécurité financière, conseiller en assurances et rentes collectives et planificateur financier (numéro de certificat 102826)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

[1]          Le 29 octobre 2012, à la suite de sa décision sur culpabilité, rendue le 6 juillet 2012, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière [le comité] s'est réuni au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau, 26e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition sur sanction.

[2]          À l’exception de la production de l’attestation du droit de pratique de l’intimé, datée du 1er février 2012, la procureure de la plaignante déclara ne pas avoir d’autre preuve à offrir.

[3]          Pour sa part, le procureur de l’intimé indiqua qu’il ferait référence à certaines pièces déjà produites sur la culpabilité aux fins de la sanction.

[4]          Les parties avisèrent le comité qu’elles s’étaient entendues sur des recommandations communes, mais qu’elles feraient chacune des représentations.

[5]          Les parties proposèrent les sanctions suivantes :

5.1.      Pour chacun des chefs 1 à 7[7] [reprochant d’avoir procédé à des transactions dans le compte de la cliente sans avoir obtenu au préalable son autorisation] :

             une radiation temporaire de l’intimé, pour une période de deux ans;

5.2.      Pour le chef 8[8] [défaut d’avoir subordonné son intérêt personnel à celui de sa cliente] :

             une radiation temporaire de l’intimé, pour une période d’une année, à purger de façon concurrente

et

             une amende de 2 000 $.

5.3.      Pour le chef 9 [reprochant la même infraction que le précédent] :

             une radiation temporaire de l’intimé, pour une période d’une année, à purger de façon concurrente.

5.4.      La publication de la décision sur sanction;

5.5.      La condamnation de l’intimé au paiement des déboursés.

[6]          Au titre des facteurs aggravants, la procureure de la plaignante mentionna :

6.1.        La gravité objective des infractions commises;

6.2.        L’expérience de l’intimé, variant entre 14 et 16 ans, au moment des faits reprochés;

6.3.        Un degré important de préméditation; l’intimé a même rassuré sa cliente en lui disant que la procuration limitée ne le dispensait pas de la consulter avant de procéder à quelque transaction que ce soit;

6.4.        La durée des infractions qui se sont échelonnées sur une période d’environ deux ans et demi [février 2006 à octobre 2008];

6.5.        Que les opérations reprochées n’ont profité qu’à l’intimé qui a touché des commissions totalisant 2 483,46 $ [P-20];

6.6.        La consommatrice a subi une perte financière d’environ 3 468,11 $, correspondant aux frais qu’elle a dû payer pour le rachat de ses placements à la suite de sa décision de ne plus faire affaire avec l’intimé et cette institution;

6.7.        L’existence de deux plaintes postérieures[9] dont l’une d’elles comporte plusieurs infractions de même nature qu’en l’espèce, indiquant qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé[10];

6.8.        L’intimé n’a, en aucun moment, exprimé de remords ou une volonté de s’amender.

[7]          Quant aux facteurs atténuants, la plaignante énuméra :

7.1.        L’absence d’antécédent disciplinaire;

7.2.        Le fait que la plainte implique une seule consommatrice;

7.3.        Le préjudice pécuniaire peu élevé subi par la consommatrice est le résultat de sa décision de procéder au transfert de ses placements à une autre institution financière.

[8]          Pour sa part, le procureur de l’intimé confirma que son client avait accepté les sanctions proposées, mais désirait nuancer certains facteurs soulevés par la plaignante.

[9]          Il rappela que son client avait, dès la première occasion, informé sa cliente de la dernière transaction, lorsque celle-ci s’était plainte en 2008 de la baisse du marché.

[10]       Les commissions indues touchées par l’intimé s’élevaient tout au plus à 500 $ annuellement sur une période de cinq ans.

[11]       Quant aux frais de rachat encourus par la consommatrice, ceux-ci auraient pu être évités si elle avait décidé de laisser ses placements auprès de la même institution, tout en changeant de représentant. Il fit valoir qu’elle avait pris cette décision à la suite des conseils de la représentante œuvrant pour une banque.

[12]       Il a indiqué qu’étant donné que l’intimé était âgé de 55 ans, la reprise de l’exercice des activités de représentant par ce dernier semblait peu probable.

[13]       Il précisa que l’intimé avait accepté les sanctions proposées et leur sévérité étant donné le contexte des deux autres plaintes, sur lesquelles il a plaidé coupable, et qui feront aussi l’objet de recommandations communes.

[14]       L’intimé n’a jamais tenté de cacher les faits ayant toujours témoigné qu’il croyait avoir obtenu un mandat « carte blanche » qui avait préséance sur l’autorisation limitée signée par la consommatrice.

[15]       La radiation temporaire pour une période de deux ans entraîne des conséquences économiques importantes sur la vie financière et personnelle de l’intimé.

[16]       Enfin, il souligna que les pertes subies par les consommateurs dans les décisions citées par la plaignante au soutien des sanctions recommandées étaient beaucoup plus importantes. Contrairement au cas en l’espèce, la sécurité financière des consommateurs avait été gravement atteinte et leurs actifs avaient été mis en danger par les transactions opérées. Dans la présente affaire, l’intimé avait cristallisé les avoirs de la cliente, ce qui avait augmenté son capital de façon significative.

ANALYSE ET MOTIFS

[17]       Les actes reprochés se sont déroulés pendant une période de deux ans et demi et impliquent une seule consommatrice.

[18]       L’attestation du droit de pratique de l’intimé confirme qu’il détenait un certificat de représentant de courtier en épargne collective au moment des événements reprochés [SP-1]. Ce dernier exerçait depuis 1992.

[19]       Bien que les sanctions recommandées puissent paraître à première vue plutôt sévères, les parties ayant informé le comité de l’existence et du sort des deux autres plaintes pendantes, le comité y donnera suite.

[20]       Les principes émis par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Douglas[11], évoqués par la plaignante, ont à maintes reprises été retenus en droit disciplinaire[12]. Le comité ne devrait s’écarter de ces recommandations que s’il les juge inappropriées, déraisonnables, contraires à l’intérêt public ou est d’avis qu’elles sont de nature à discréditer l’administration de la justice.

[21]        Or, les sanctions suggérées par les parties, notamment lorsqu’elles sont examinées dans leur globalité, apparaissent justes et appropriées. Le comité n’est pas en présence d’une situation qui justifierait de s’écarter des recommandations conjointes des parties.

[22]        Enfin, le comité ordonnera la publication de la décision et condamnera l’intimé au paiement des débours.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux ans, à l’égard de chacun des chefs 1 à 7 contenus à la plainte;

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période d’une année, à être purgée de façon concurrente, et le CONDAMNE au paiement d’une amende de 2 000 $, à l’égard du chef 8;

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période d’une année, à être purgée de façon concurrente, à l’égard du chef 9;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a eu son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’alinéa 5 de l’article 156 du Code des professions [L.R.Q., c. C-26];

CONDAMNE l’intimé au paiement des débours conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions [L.R.Q., c. C-26].

 

 

(s) Janine Kean______________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

(s) Gisèle Balthazard_________________

Mme Gisèle Balthazard, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

(s) Ginette Racine____________________

Mme Ginette Racine, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Éric Oliver

MUNICONSEIL AVOCATS

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

Le 29 octobre 2012

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 



[1] Le domicile de la consommatrice est à Rimouski, alors que celui de l’intimé était à Québec.

[2] Le 26 octobre 2011, D.D. s’est engagée à faire parvenir les copies de ses avis d’opéré et relevés de compte remis à la représentante de BNC. Ces documents ont été transmis au comité le 9 novembre 2011.

[3] P-9, P-10, P-12 à P-14 et P-16.

[4] Notes sténographiques du 26 octobre 2011, p. 65.

[5] P-25 à P-29.

[6] P-29 courriel du 28 février 2010 à l’enquêteur.

[7] Champagne c. Kader Hanahem, CD00-0811, décision sur culpabilité du 30 novembre 2010 et décision sur sanction du 26 mai 2011; Thibault c. Chris Ochiai, CD00-0656, décision sur culpabilité du 16 décembre 2009 et décision sur sanction du 15 novembre 2010.

 

[8] Thibault c. Carole Morinville, CD00-0724, décision sur culpabilité et sanction du 31 décembre 2009; Thibault c. Louis Faribault, CD00-0721, décision sur culpabilité et sanction du 2 février 2009; Thibault c. Michel Petit, CD00-0692, décision sur culpabilité et sanction du 30 juillet 2008; Thibault c. Michel L’Italien, CD00-0679, décision sur culpabilité et sanction du 10 octobre 2007; Thibault c. Denis Dionne, CD00-0603, décision sur culpabilité et sanction du 29 septembre 2006.

[9] CD00-0910 et CD00-0935.

[10] Les infractions reprochées à ces deux plaintes supplémentaires se sont produites entre 2007 et 2009.

[11]     Douglas c. Sa Majesté la Reine, [2002] Can LII 32492 [QC C.A.].

 

[12]     Voir notamment Tremblay c. Arpenteurs-géomètres [Ordre professionnel des) [2001] D.D.O.P. 245 [T.P.]; Malouin c. Notaires, D.D.E. 2002 D-23 [T.P.]; Stebenne c. Médecins (Ordre professionnel des) [2002] D.D.O.P. 280 [T.P.].

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