Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0741

 

DATE :

15 septembre 2009

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Michel Gendron

Membre

M. Serge Bujold

Membre

______________________________________________________________________

 

Mme LÉNA THIBAULT, ès qualités de syndic de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

M. LARRY DAVIDSON, conseiller en sécurité financière, représentant en épargne collective, représentant en plans de bourses d'études et planificateur financier

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 18 juin 2009, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau, bureau 2600, Montréal, et a procédé à l'audition d'une plainte portée contre l'intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

« À L’ÉGARD DE SES CLIENTS

 

1,          À Montréal, le ou vers le 9 avril 2003, alors qu’il signait une convention d’achat d’actions avec Norbourg Groupe Financier Inc., l’intimé LARRY DAVIDSON s’est placé en situation de conflit d’intérêt et a fait défaut de sauvegarder son indépendance professionnelle en s’engageant à ce qu’au moins 25% des actifs sous gestion de ses clients soient transférés dans des produits financiers gérés par Norbourg Services Financiers inc. ou une société liée, contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et aux articles 2, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q. c. D-9.2, r. 1.1.2); »

LES FAITS

[2]           Le contexte factuel révélé par la preuve peut se résumer comme suit :

[3]           L'intimé était propriétaire de 24.76 % des actions du cabinet de Services Financiers Groupe Futur inc. (Groupe Futur).

[4]           La balance des actions était détenue par MM. Jules Dionne (M. Dionne), Robert Duval (M. Duval), René Joubert (M. Joubert) et M. Martial Lupien (M. Lupien).

[5]            Alors que M. Duval et M. Dionne songeaient ou envisageaient de vendre l'entreprise, les autres actionnaires, dont l'intimé, semblaient satisfaits du statu quo.

[6]           Au printemps 2003, M. Vincent Lacroix ou un représentant de son établissement, Norbourg Groupe Financier inc. (Norbourg) approcha le groupe d’actionnaires dans le but de procéder à l'acquisition de Groupe Futur.

[7]           S'en suivirent d’abord certains échanges entre M. Lacroix, ses représentants, et notamment les deux (2) actionnaires du cabinet particulièrement intéressés à disposer de l'entreprise, soit Messieurs Duval et Dionne.

[8]           Une convention d'achat d'actions sous forme de projet  « pour fins de discussion seulement » fut par la suite circulé pour commentaires auprès de l'ensemble des actionnaires du cabinet.

[9]           Ledit document contenait une clause d'incitation. En vertu de celle-ci, les actionnaires de Groupe Futur s'engageaient à transférer en partie (au moins 25 %) des actifs sous gestion de leurs clients dans des produits financiers gérés par Norbourg ou une société liée sous peine de subir autrement une diminution du prix de vente de leur entreprise.

[10]        Ladite clause d'incitation se lisait comme suit :

« 3. AJUSTEMENT DU PRIX D'ACHAT

3.1      Les Vendeurs s'engagent à ce qu'au moins 25 % des Actifs sous gestion soient transférés dans des produits financiers gérés par Norbourg Services Financiers inc. ou une société liée.

3.2      Dans l'éventualité où les Vendeurs ne respectent pas les objectifs mentionnés au paragraphe 3.1 ci-avant, les Versements subséquents seront ajustés de la façon suivante :

3.2.1       Versement 2 = Solde x actifs dans Fonds Norbourg (@ 6 mois)

                                        25 % des Actifs sous gestion

3.2.2       Versement 3 = Solde x actifs dans Fonds Norbourg (@ 12 mois) – Versement 2

                                                      25 % des Actifs sous gestion

3.2.3.    Versement 4 = Solde x actifs dans Fonds Norbourg (@ 18 mois) - £ Versements 2, 3

                                                        25 % des Actifs sous gestion

3.2.4.     Versement 5 = Solde x actifs dans Fonds Norbourg (@ 24 mois) - £ Versements 2, 3, 4

                                                        25 % des Actifs sous gestion

3.2.5.     Versement 6 = Solde x actifs dans Fonds Norbourg (@ 30 mois) - £ Versements 2, 3, 4, 5

                                                                 25 % des Actifs sous gestion

3.3     La valeur des actifs sous gestion transférés dans des produits financiers gérés par Norbourg Services Financiers inc. ou une société liée (le numérateur des formules prévues au paragraphe 3.2 ci-avant) servant à déterminer les montants des Versements subséquents ne comprendra pas la valeur des actifs sous gestion attribuables à un représentant ayant fait l'objet d'une transaction séparée de celle prévue aux présentes. »

[11]        Si l’on se fie à son témoignage, l'intimé révisa alors le projet de convention d'achat d'actions et, lorsqu'il prit connaissance de la clause d’incitation, biffa celle-ci d'un X afin d'indiquer qu'il la refusait.[1] Il retourna par la suite le document raturé à son co-actionnaire, M. Dionne.

[12]        Peu après, tous les actionnaires de Groupe Futur se rendirent à Montréal dans le but de rencontrer M. Lacroix.

[13]        Le ou vers le 3 avril 2003, ils se réunirent dans un hôtel de la région métropolitaine (où ils séjournaient) et, d'un commun accord, résolurent de refuser de souscrire à la clause d'incitation proposée par M. Lacroix.

[14]        Le lendemain soir, soit le ou vers le 4 avril 2003, ils dînèrent tous ensemble en compagnie de M. Lacroix, de l'avocat de ce dernier ainsi que de son comptable. À cette occasion la transaction ou la convention d'achat d'actions n'aurait fait l'objet d'aucune discussion, les parties ayant plutôt convenu à ce sujet d'une rencontre le lendemain matin au bureau de M. Lacroix.

[15]        Une réunion eut ainsi lieu le samedi matin, 5 avril 2003, aux locaux de l'entreprise de M. Lacroix (Norbourg).

[16]        Selon le témoignage de l’intimé, dès le moment où le projet de convention d'achat d'actions qui leur avait été soumis précédemment, leur fut à nouveau présenté par M. Lacroix, les actionnaires de Groupe Futur manifestèrent leur désaccord à l’endroit de la clause d'incitation et, devant la désapprobation unanime du groupe à l’endroit de celle-ci, M. Lacroix aurait rapidement consenti à y renoncer.

[17]        Néanmoins, les parties auraient alors signé, sans y apporter aucune modification, correction, rature ou ajout, le document qui leur était soumis. Il s’agissait, au plan du contenu, presqu'en tous points du même document que celui qui leur avait antérieurement été soumis, sauf que l'entête « Pour fins de discussion seulement » n'y apparaissait plus. Ils auraient de plus pris le soin d'initialiser chacune des pages, même celle où se trouvait la clause d’incitation (page 3). Par ailleurs, pour une raison que le comité ignore, la date qui fut inscrite au document est celle du 9 avril 2003.

[18]        Si l'on se fie à la version des faits de l'intimé et de M. Joubert, son co-actionnaire qui a témoigné sensiblement dans le même sens que lui, la signature du document « tel quel » visait à confirmer qu'une entente était intervenue entre les parties pour la vente de l'entreprise et il aurait alors été convenu qu'à une date ultérieure un document modifié serait préparé et signé par les parties.

[19]        Par ailleurs l'intimé déclare qu’il n’aurait alors eu aucune inquiétude ou souci à voir la clause d'incitation figurer au document qu'il signait parce qu'il considérait une telle clause illégale et parce que, dans son esprit, dans un tel cas, le respect de celle-ci ne pourrait être exigé.

[20]        Par la suite, soit plus de cinq (5) mois plus tard, le ou vers le 17 septembre 2003, l'intimé reçut de M.  Dionne un courriel où il lui était indiqué que la page 3 de la « Convention d'achat d'actions » était modifiée (pièce D-5). La lettre se lisait comme suit :

« Vous trouverez incluse la modification à la page 3 de la « Convention d'achat d'actions » intervenue entre Norbourg et les actionnaires de Groupe Futur.

Veuillez s.v.p. l'insérer en lieu et place de la page 3 existante, prenant soin de détruire l'ancienne qui est erronée. »

Merci,

Jules »

[21]        À cette page 3 modifiée de la convention ne se retrouvait plus la clause d’incitation précédemment mentionnée.

[22]        Enfin, en octobre 2003, les parties apposèrent leur signature à une convention d'achat d'actions modifiée, datée comme le premier document qu'elles avaient signé, du 9 avril 2003 (D-4). La clause d'incitation notamment, ne s'y retrouvait plus.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[23]        À l’unique chef d’accusation porté contre l’intimé, il lui est reproché, alors qu’il signait une conventions d’achat d’actions, de s'être placé dans une situation de conflit d'intérêts et d’avoir fait défaut de sauvegarder son indépendance professionnelle en s’engageant à diriger un pourcentage défini des actifs sous gestion de ses clients, dans des produits financiers gérés par Norbourg ou une société liée.

[24]        Or, si l'on s'en tient au texte du document intitulé « Convention d’achat d’actions » que l'intimé a signé le 5 avril 2003 (bien que daté du 9 avril 2003) et dont il a initialisé chacune des pages (P-2), il contractait alors l’engagement de procéder au transfert de 25 % des actifs sous gestion de ses clients à Norbourg ou à une société liée.

[25]        Par ailleurs, puisque de façon contemporaine à la signature dudit document une exécution partielle de la contrepartie aurait été effectuée par l’acheteur[2], une entente translative de propriété est alors intervenue entre les parties.

[26]        La seule documentation, cependant, qui constate dès ce moment l'aliénation de l'entreprise et les conditions de l'accord entre les parties est ce même document (P-2).

[27]        Les prétentions de l'intimé sont toutefois à l'effet qu'il (P-2) ne reflète pas la réelle entente intervenue entre les parties. Selon ses prétentions, seul le document subséquent intervenu en octobre 2003 (D‑4) (portant la date du 9 avril 2003) représenterait fidèlement celle-ci.

[28]        Ainsi si l'on se fie au témoignage de l'intimé, le 5 avril 2003 les parties auraient convenu de réserver à un acte postérieur les termes parfaits de leur entente.

[29]        Or, dans une telle situation, il est plutôt étonnant, pour ne pas dire invraisemblable, que l'on ne retrouve aucune réserve ou indication à cet effet au document qu'elles ont signé et dont elles ont initialisé chacune des pages.

[30]        Aussi, le comité ne peut se résoudre à croire que les actionnaires qui étaient vraisemblablement, au moins pour certains sinon pour la plupart, des hommes non dénués d'expérience des affaires aient consenti à signer et initialiser un document qui leur imposait des obligations d'importance auxquelles ils ne souscrivaient pas sans même songer à se ménager un moyen de preuve écrit quelconque à l'encontre de celui-ci.

[31]        Le comité n'arrive pas à souscrire à l'idée que dans l'hypothèse où le document (P-2), signé le 5 avril 2003, ne contenait pas la réelle ou complète entente entre les parties et qu'il devait être modifié par un contrat subséquent, (dont elles s'étaient alors entendues sur les termes) elles ne l'aient nulle part indiqué.

[32]        En somme le comité n'adhère pas à la thèse voulant que l'ensemble des actionnaires de Groupe Futur auraient signé, telle quelle, la convention du 5 avril 2003 (P-2) que leur a présentée M. Lacroix et en auraient initialisé chacune des pages alors qu'elle ne représentait pas l’expression fidèle de leur entente et leur imposait des obligations qu'ils avaient unanimement convenu de refuser.

[33]        Il est vrai que les actionnaires concernés de Groupe Futur ont présenté, à l’égard des événements du 5 avril 2003, sensiblement la même version des faits, mais ce sont toutes des personnes ayant, à l'égard du document en cause, essentiellement les mêmes intérêts et dont le faible degré d'impartialité porte atteinte à la fiabilité du témoignage.

[34]        Ainsi, aux fins de corroborer son témoignage, l'intimé a produit les notes sténographiques de la déposition de M. Dionne intervenue le 6 mai 2008 à Amos[3] dans un dossier concernant l'un des co-actionnaires.

[35]        Lors de son témoignage, ce dernier y déclare que seul le document D-4 signé au mois d'octobre 2003 renferme l'intention des parties lors de la transaction intervenue le 5 avril 2003.

[36]        Son témoignage porte toutefois à caution. En effet, s'il y fait mention du document intitulé : « Projet pour fins de discussion seulement » (P-3) ou (D-2) et du document signé par les parties au mois d'octobre 2005 (D-4), en aucun temps ne fait-il état, n'évoque-t-il ou ne mentionne-t-il le document P-2 que lui-même et chacune des parties ont signé et initialisé le 5 avril 2003.

[37]        Comme il est plutôt difficile de croire qu'il ait pu se souvenir alors des documents P-3 et D-4 sans se remémorer ou songer au document P-2, force est pour le comité de constater chez lui, sinon une volonté de cacher l'existence du document P-2, à tout le moins une absence calculée de précision dans le témoignage.

[38]        Par ailleurs, pour accorder foi à la version des faits de l'intimé, le comité devrait croire qu'alors que ce dernier a pris la peine d'indiquer clairement sur le document intitulé « Projet pour fins de discussion » qui lui a d'abord été présenté, sa désapprobation à l'endroit de la clause d'incitation en la biffant complètement d'un grand X[4], il aurait par la suite résolu lorsque le même document (à peu de choses près)[5] lui a été présenté non plus en simple projet mais comme un instrument qui risquait fort d'être interprété comme un contrat formel, de le signer tel quel et d'initialiser chaque page.

[39]        Ajoutons enfin que le délai relativement prolongé entre la signature de la première convention d'achat d'actions (P-2) et la deuxième (D-4) laisse davantage croire à une modification subséquente (bien que rétroactive) d'une entente intervenue préalablement entre les parties qu'à la concrétisation en D-4 d'une entente originale.

[40]        D'ailleurs le courriel de M. Dionne en date du 17 septembre 2009 adressé à l'intimé fait état d'une « modification (à la page 3) de la « Convention d'achat d'actions » intervenue entre Norbourg et les actionnaires de Groupe Futur. »

[41]        Soulignons en terminant que l'affirmation de l'intimé à l'effet que sachant que la clause d'incitation qui le plaçait en situation de conflit d'intérêts ou d'apparence de conflit d'intérêts était illégale il n'avait éprouvé aucune difficulté à y souscrire, n’ayant aucune crainte de devoir la respecter, alors qu'il avait trouvé nécessaire de la biffer sur le projet « pour fins de discussion », a laissé le comité sceptique. De plus, si tous s'entendaient à l'effet qu'une telle clause était illégale, pourquoi ne l'ont-ils pas alors simplement rayée ou raturée?

[42]        À tout événement, que l’intimé ait eu ou non l'intention de respecter son obligation lorsqu’il a contracté la convention d'achat d'actions le 5 avril 2003 (P-2), en y apposant sa signature, il souscrivait alors un engagement écrit qui le plaçait en situation de conflit d'intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts.

[43]        Le comité accorde peu de crédibilité au témoignage de l'intimé et de ses co-actionnaires lorsqu'ils déclarent qu'ils ont signé sans exiger aucune modification au document P-2 le 5 avril 2003, simplement pour démontrer qu'ils allaient de l'avant avec la transaction de vente alors que celui-ci faisait état d’obligations auxquelles ils avaient unanimement convenu de refuser de souscrire. De l'avis du comité, lorsqu'il s'agit de déterminer la volonté des parties lors de l'entente intervenue le 5 avril 2003, l’écrit (P-2) lui apparaît plus fiable que le témoignage de l’intimé et de ses co-actionnaires.

[44]        Leur version des faits apparaît peu compatible avec celle qui, selon la prépondérance des probabilités, doit d'emblée être reconnue comme raisonnable dans le contexte et les circonstances du cas en l’espèce.

[45]        Le comité conclut donc que l'intimé, le ou vers le 5 avril 2003, a contracté un engagement qui le plaçait en situation de conflit d'intérêts (pièce P-2).

[46]        L'intimé sera déclaré coupable du chef d'accusation porté contre lui.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

DÉCLARE l'intimé coupable du chef d'accusation porté contre lui;

CONVOQUE les parties avec l'assistance de la secrétaire du comité de discipline à une audition sur sanction.

 

 

 

 

 

 

(s) François Folot

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

(s) Michel Gendron

M. MICHEL GENDRON

Membre du comité de discipline

 

(s) Serge Bujold

M. SERGE BUJOLD

Membre du comité de discipline

 

 

Me Éric Cantin

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Martin Courville

LA ROCHE ROULEAU & ASSOCIÉS

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

18 juin 2009

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ


 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0741

 

DATE :

18 février 2010

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Michel Gendron

Membre

M. Serge Bujold, Pl. Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

Mme LÉNA THIBAULT, ès qualités de syndic de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

M. LARRY DAVIDSON, conseiller en sécurité financière, représentant en épargne collective, représentant en plans de bourses d'études et planificateur financier

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

[1]        À la suite de sa décision sur culpabilité, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni le 2 décembre 2009 au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau, bureau 2600, Montréal, et a procédé à l'audition sur sanction.

[2]        Alors que la plaignante déclara n'avoir aucune preuve à offrir, l'intimé procéda au dépôt d'une preuve documentaire sous les cotes SI-1, SI-2 et SI-3.

[3]        Les parties soumirent ensuite au comité leurs représentations respectives sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[4]        La plaignante débuta en avisant qu'elle allait, à titre de sanction, suggérer au comité l'imposition d'une radiation temporaire de six (6) mois et réclamer la publication de la décision ainsi que la condamnation de l'intimé au paiement des déboursés.

[5]        Après avoir évoqué certains paragraphes de la décision sur culpabilité, elle référa à la pièce SI-1 produite par l'intimé. Elle y souligna notamment les affirmations de M. Vincent Lacroix (M. Lacroix) confirmant que deux (2) contrats pour l'achat des actions de Groupe Futur avaient été signés par les parties et que dans le premier contrat les actionnaires, au moyen d'une clause incitative, s'étaient engagés à transférer 25 % des actifs de leurs clients dans les fonds Norbourg.

[6]        Invoquant ensuite que selon M. Lacroix la clause incitative convenue avec les actionnaires l'avait déterminé à conclure la transaction, elle suggéra que ladite clause était au centre de la transaction et en avait été une considération principale.

[7]        Elle insista ensuite sur la gravité objective de l'infraction reprochée à l'intimé soulignant que ce dernier était à l'époque président de Groupe Futur et possédait près de 25 % des actions de l'entreprise.

[8]        À titre de facteur atténuant, elle concéda qu'aucune preuve n'avait été présentée tendant à établir que les clients de l'intimé auraient subi un préjudice. Elle mentionna que s'il y avait eu transfert de certains des actifs des clients de l'intimé au Groupe Norbourg ce n'était pas à la hauteur du 25 % mentionné au contrat.

[9]        Elle reconnut de plus que l'intimé n'avait aucun antécédent disciplinaire alors qu'il était actif dans l'exercice de la profession depuis plusieurs années.

[10]      Elle termina en soulignant qu'à son avis un message clair devait parvenir à l'industrie à l'effet que « le genre de pratique » en cause n'était pas acceptable, et en suggérant que la sanction devrait donc comporter un élément d’« exemplarité ».

[11]      À l'appui de sa suggestion d'une radiation temporaire de six (6) mois, elle référa à la décision du comité dans l'affaire Léna Thibault c. Edouard Ronald Greeley (CD00-0675), décision du 27 mars 2008 où le représentant reconnu coupable de s'être placé en situation de conflit d'intérêts a été condamné à une telle période de radiation.

REPRÉSENTATIONS DE L'INTIMÉ

[12]      Le procureur de l'intimé débuta ses représentations en confirmant que son client n'avait aucun antécédent disciplinaire alors qu'il exerçait dans le milieu des services financiers à tout le moins depuis 1989. Il mentionna que celui-ci avait depuis ses débuts toujours bien servi sa clientèle.

[13]      Il rappela que l'intimé ne voulait pas vendre l'entreprise Groupe Futur mais qu'à cause de certaines circonstances particulières, hors de son contrôle, il avait dû « prendre le train de ses co-actionnaires ».

[14]      Il indiqua que malgré les événements liés aux fonds Norbourg, aucune plainte dont l'origine aurait émané d'un client n'avait été portée contre l'intimé et qu'aucune preuve n'avait été présentée au comité à l'effet que les clients de ce dernier auraient subi un quelconque préjudice en lien avec la clause incitative.

[15]      Il mentionna que la faute de l'intimé n'était pas rattachée à l'exercice de la profession, mais plutôt à une transaction commerciale. Il indiqua que compte tenu des circonstances, les risques de récidive dans son cas lui paraissaient nuls.

[16]      Référant ensuite à la déposition de M. Lacroix (pièce SI-1), le procureur cita des passages où ce dernier indique que la clause incitative n'a pas été appliquée et que le premier contrat a été modifié parce que « les anciens actionnaires du Groupe Futur mentionnaient que le contrat n'avait pas été fait en fonction de la réglementation ».

[17]      Puis, il insista sur le fait que son client avait été grandement affecté tant professionnellement que personnellement par les événements entourant l'affaire Norbourg.

[18]      Il déclara que ce dernier avait été amplement puni par le « battage médiatique » autour de celle-ci et indiqua qu'il était impliqué contre son gré dans plusieurs procédures judiciaires de nature civile liées à ladite affaire (dont une réclamation de la part de The Northern Trust Company, Canada, produite sous la cote SI-2 et une autre impliquant l'Autorité des marchés financiers).

[19]      Ayant fait état de ce qui précède, il déclara se questionner sur l'objectif de la plaignante d'exiger la radiation de l'intimé pour une période de six (6) mois et suggéra au comité que la sanction appropriée, s'il était convenablement tenu compte de l'ensemble du dossier, serait plutôt à son avis l'imposition d'une réprimande.

[20]      À l'égard des critères d'imposition de la sanction disciplinaire, il cita l'arrêt de la Cour d'appel du Québec dans l'affaire François Pigeon c. Stéphane Daigneault et le Comité de discipline de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec[6], faisant référence notamment aux motifs du juge Chamberland où ce dernier écrivait (page 12) :

« [37] La sanction imposée par le Comité de discipline doit coller aux faits du dossier. Chaque cas est un cas d'espèce.

[38] La sanction disciplinaire doit permettre d'atteindre les objectifs suivants : au premier chef la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession (Latulippe c. Léveillé (Ordre professionnel des médecins), [1998] D.D.O.P. 311; Dr J. c. Paquette c. Comité de discipline de la Corporation professionnelle des médecins du Québec et al, [1995] R.D.J. 301 (C.A.); et R. c. Burns, [1994] 1 R.C.S. 656).

[39] Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier. Parmi les facteurs objectifs, il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l'infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l'exercice de la profession, si le geste posé constitue un acte isolé ou un geste répétitif, … Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de l'expérience, du passé disciplinaire et de l'âge du professionnel, de même que sa volonté de corriger son comportement. La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à décider d'une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l'affaire. »

[21]      Puis, mettant le comité en garde contre une insistance injustifiée sur la dissuasion, il référa à la décision du Tribunal des professions rendue le 21 mai 2009 dans l'affaire Jacques Racine c. Francine Côté[7] où celui-ci reprocha au comité de discipline en cause d'avoir alloué, dans l'imposition de la sanction, trop d'importance au facteur « exemplarité » occultant sinon conférant ainsi insuffisamment de poids aux éléments contextuels et individuels de nature à pondérer les éléments de gravité de la faute commise par le professionnel.

[22]      Après avoir référé notamment aux paragraphes 153, 163 et 164 de ladite décision, il souligna que le tribunal avait substitué aux périodes de radiation imposées par le comité (3 mois sur chacun des 8 chefs d'accusation à être purgée de façon concurrente) des réprimandes.

[23]      Enfin, il invoqua l'affaire Louise Deschênes c. Daniel Flynn[8] où le Comité de discipline de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, après avoir mentionné qu'il lui faillait garder à l'esprit que la sanction ne devait pas avoir pour objectif de punir le professionnel mais bien de modifier son comportement pour l'avenir, et ce, afin d'assurer la protection du public, lui a imposé une simple réprimande sur trois (3) chefs d'accusation dont deux (2) lui reprochaient de s'être placé dans une situation de conflit d'intérêts en acceptant un ou des cadeaux d'un patient.

[24]      En terminant, il réitéra sa suggestion pour l'imposition d'une réprimande tout en indiquant que dans l'éventualité où le comité devait choisir de ne pas suivre sa recommandation et devait plutôt ordonner une radiation temporaire, compte tenu du « battage médiatique » qui avait entouré l'affaire Norbourg et dont avait été victime son client, il n'y aurait pas lieu à ce que celui-ci ordonne la publication de la décision.

[25]      Il conclut en déclarant que son client avait été suffisamment « pénalisé » à ce jour pour des événements dont il n'était pas le responsable.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[26]      L'intimé n'a aucun antécédent disciplinaire alors qu'il exerce dans le milieu des produits et services financiers depuis au moins vingt (20) ans.

[27]      La plainte portée contre lui n'origine pas d'un client insatisfait.

[28]      Aucune preuve n'a été présentée au comité d'un préjudice quelconque subi par un client en lien avec la « clause incitative » qu'il a signée.

[29]      Bien qu'il se soit clairement placé dans une situation de conflit d'intérêts en signant un contrat comportant une telle clause, il n'a pas été démontré, au moyen d'une preuve prépondérante, qu'il aurait par la suite fait fi de l'intérêt de ses clients, et ce, bien qu'il ait déplacé les capitaux de certains d'entre eux vers le groupe Norbourg. Il faut souligner à cet égard que selon la preuve soumise, les fonds Norbourg donnaient en apparence, au moment des événements, de bons rendements.

[30]      Relativement à la transaction avec M. Lacroix, la preuve a révélé que l'intimé ne voulait pas que l'entreprise Groupe Futur soit vendue mais, à cause de circonstances particulières qu'il ne contrôlait pas, il a dû se plier à la décision de certains de ses co-associés ou co-actionnaires.

[31]      Il a été profondément affecté, tant personnellement que professionnellement, par les « événements Norbourg ». Comme conséquence de ceux-ci et de la transaction en cause, il est maintenant impliqué dans des recours civils importants.

[32]      Néanmoins, le comité ne peut ignorer que la « clause d'incitation » était un élément non négligeable de la transaction avec M. Lacroix et que l'intimé était, à tout le moins légalement, le président de Groupe Futur.

[33]      En souscrivant une clause par laquelle il s'engageait à transférer les fonds de ses clients chez Norbourg, l'intimé s'est placé en situation évidente de conflit d'intérêts et a posé un geste de nature à discréditer sa profession.

[34]      La gravité objective de la faute qu'il a commise est indéniable.

[35]      L'intégrité de la profession exige que soient maintenues des normes professionnelles exigeantes en regard des situations de conflit d'intérêts. Elles sont nécessaires à la préservation de la confiance du public.

[36]      Les clients sont en droit d'exiger et de recevoir les conseils d'un représentant qui soit en fait, comme en apparence, impartial et indépendant. La faute de l'intimé touche directement à l'exercice de la profession.

[37]      Aussi, bien que le comité doive s'efforcer de ne pas ignorer les circonstances propres au dossier ainsi que les répercussions importantes que les événements liés à la plainte disciplinaire ont pu avoir non seulement sur la vie professionnelle mais aussi sur la vie personnelle de l'intimé, il est d'avis que s'il devait se plier à la suggestion de son procureur et lui imposer une simple réprimande, il négligerait ses responsabilités.

[38]      Après avoir soupesé l'ensemble des éléments objectifs et subjectifs propres au dossier, le comité en arrive à la conclusion qu'une sanction de radiation de deux (2) mois serait en l'espèce une sanction juste et appropriée, adaptée à l'infraction et respectueuse des principes de dissuasion et de protection du public dont il doit être tenu compte.

[39]      Quant à l'argument de l'intimé voulant qu'étant donné la publicité qui a entouré le cas Norbourg dans les médias, il n'y aurait pas lieu d'ordonner la publication de la décision, le comité ne croit pas devoir y souscrire.

[40]      Dans l'affaire Wells c. Notaires, 1993 D.C.C.P. 240 (TP), le Tribunal des professions déclarait :

« L'objectif poursuivi par la loi étant la protection du public, il est essentiel que toute mesure disciplinaire grave soit connue du public. Ce n'est que pour des raisons exceptionnelles que le comité émettra une dispense de publication. »

[41]      Le comité ne croit pas en l'espèce être en présence de motifs exceptionnels qui pourraient le dispenser d'émettre une ordonnance de publication.

[42]      Par ailleurs, conformément à la règle qui veut que la partie qui succombe absorbe les frais, le comité condamnera l'intimé au paiement des déboursés.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

Sur l'unique chef d'accusation contenu à la plainte :

ORDONNE la radiation temporaire de l'intimé pour une période de deux (2) mois;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l'intimé un avis de la présente décision dans un journal où l'intimé a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément à l'article 156(5) du Code des professions;

CONDAMNE l'intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d'enregistrement conformément aux dispositions de l'article 151 du Code des professions.

 

 

 

 

 

 

(s) François Folot __________________________________

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

(s) Michel Gendron __________________________________

M. MICHEL GENDRON

Membre du comité de discipline

 

(s) Serge Bujold __________________________________

M. SERGE BUJOLD, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Éric Cantin

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Martin Courville

LA ROCHE ROULEAU & ASSOCIÉS

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

2 décembre 2009

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Voir pièce P-2.

[2]     Voir notamment la dernière page de la pièce D-4.

[3]     Dossier Léna Thibaut c. Robert Duval, CD00-0658.

[4]     Voir pièce D-2.

[5]     Voir pièce P-2.

[6]     Pigeon c. Daigneault et le Comité de discipline de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec, 15 avril 2003, C.A. no 500-09-012513-024.

[7]     Racine c. Pharmaciens (Ordre professionnel des), 2009 QCTP 42.

[8]     Louise Deschênes c. Danièle Flynn, dossier 20-2005-00339, décision en date du 23 mai 2007.

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