Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0833

 

DATE :

 11 juillet 2011

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LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

M. Benoît Bergeron, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

M. Éric Bolduc

Membre

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CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualité de syndique de la Chambre de la sécurité financière

 

Partie plaignante

 

c.

JEAN-PIERRE FOURNIER (certificat 112820)

 

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

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[1]           Le 22 octobre 2010, la plaignante porta une plainte contre l’intimé assortie d’une requête en radiation provisoire. Le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) saisi de cette requête, non contestée par l’intimé, rendit le 29 octobre suivant une ordonnance de radiation provisoire contre celui-ci.

[2]           Le 30 mars 2011, ce même comité procéda à l’audition de la plainte portée contre l’intimé qui se lit comme suit : 

LA PLAINTE

1.         À Dorval, entre les ou vers les 22 février 2007 et 5 mai 2008, l’intimé s’est approprié, pour ses fins personnelles, la somme approximative de 237 326,04 $ de ses clients J.D. et M.D., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11, 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.01), 6 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (R.R.Q., c. D-9.2, 1.1.2);

 

2.         À Dorval, entre les ou vers les 22 février 2007 et 5 mai 2008, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en empruntant de ses clients J.D. et M.D. la somme approximative de 242 326,04 $, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 18 et 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.01), 2, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (R.R.Q., c. D-9.2, 1.1.2).

[3]           À cette audience, les deux parties étaient représentées par procureur, mais l’intimé était absent.

[4]           Le procureur de l’intimé enregistra pour son client un plaidoyer de culpabilité à l’égard de chacun des deux (2) chefs d’accusation contenus à la plainte (I-1).  De plus, il confirma que l’intimé consentait aux sanctions suggérées par la procureure de la plaignante.

[5]           Après l’enregistrement de ce plaidoyer, la plaignante entreprit sa preuve.  En plus de la preuve documentaire produite (R-1 à R-37) au soutien de la requête pour radiation provisoire, elle déposa les documents suivants : 

  L’attestation de droit de pratique datée du 12 janvier 2011 (P-1);

  Une liste des faits admis, signée par l’intimé le 17 mars 2011 (P-2);

  L’attestation de la Chambre de la sécurité financière datée du 18 octobre 2010 (P-3).

LES FAITS

[6]           Au moment des événements, l’intimé était membre de la Chambre de la sécurité financière, et ce depuis le 22 novembre 1989. L’attestation du droit de pratique de l’intimé (P-1) indique qu’il détenait au moment des actes reprochés des certificats dans les disciplines suivantes :

  Assurance de personnes du 1er octobre 1991 au 30 avril 2009.

  Assurance collective de personnes du 1er avril 1998 au 30 avril 2008.

  Courtage en épargne collective du 1er octobre 1999 au 31 décembre 2006.

[7]           L’intimé est inactif depuis le 1er mai 2009 et le cabinet Groupe financier Summum inc. auquel il était rattaché a été radié en date du 14 mai 2010 par la décision 2010-PDIS-2295 rendue par l’Autorité des marchés financiers (R-34).

[8]           L’intimé connaît depuis les années 2002-2003 le couple de consommateurs M.D. et J.D. âgés, en date des audiences, respectivement de 84 et 83 ans.

[9]           Entre 2003 et 2005, M.D. et J.D ont contracté, par l’entremise de l’intimé, quatre polices d’assurance-vie universelle auprès de l’Industrielle-Alliance (R-2).

[10]           Du mois de février 2007 au mois de mai 2008, l’intimé a emprunté de ses clients, de façon répétitive et à ses fins personnelles, une somme approximative de 242 326,04 $ (R-3).

[11]           Ces prêts ont été consentis sur la foi de représentations fausses de la part de l’intimé notamment quant au motif des emprunts et la promesse de rendements élevés.

[12]           L’intimé a fait croire aux clients qu’il était en attente d’un héritage important provenant de l’étranger dont les sommes devaient d’abord transiger par une institution financière américaine.

[13]           Une part des sommes empruntées devait couvrir, entre autres, les frais encourus pour toucher cet héritage.

[14]           Les emprunts de 54 232,44 $, 15 000 $, 43 093,60 $ et 5 025 $ provenaient de plusieurs rachats d’investissements effectués par les clients à même leur police d’assurance-vie universelle jusqu’à épuisement des valeurs et de la déchéance de ces polices (R-4 à R-7, R-14, R-15, R-20, R-21, R-27, R-28 et R-32).

[15]           De mars 2007 à septembre 2009, l’intimé a signé plusieurs reconnaissances de dette ainsi que deux engagements de remboursement en faveur de ses clients, mais n’y a jamais donné suite (R-8, R-11, R-16, R-23, R-29 et R-30).

[16]           Du montant total des emprunts, seuls 5 000 $ ont été remboursés par l’intimé le 2 octobre 2007, laissant un solde impayé de 237 326,04 $ en date du 30 mars 2011.

[17]           Au cours de l’été 2010, l’intimé a émis un chèque non daté à l’ordre de J.D. aux fins de remboursement final de 275 000 $ (R-31). Cependant, comme les clients de l’intimé demeuraient dans l’attente du jour où l’intimé prendrait possession de son héritage, ce chèque n’a jamais été encaissé.

[18]           Le 14 octobre 2010, comme rapporté dans la décision sur la requête pour une radiation provisoire, l’intimé a déclaré qu’il avait régularisé son dossier de formation continue et qu’il était en voie de revenir à la profession. 

LES REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[19]           La procureure de la plaignante recommanda pour le chef d’appropriation de 237 326,04 $ (chef 1) la radiation permanente de l’intimé ainsi qu’une ordonnance de remboursement, la publication de la décision ainsi qu’une condamnation aux déboursés.

[20]           Pour le chef lui reprochant de s’être placé en situation de conflit d’intérêts pour un montant de 242 306 $ (chef 2), elle demanda aussi la radiation permanente de l’intimé ainsi que la publication de la décision.

[21]           La procureure de la plaignante rappela les principes généraux qui doivent guider le comité en matière de sanction disciplinaire, dont la dissuasion du représentant concerné, en plus de satisfaire au critère d’exemplarité à l’égard des autres représentants. Cette sanction doit être juste, appropriée et proportionnelle à la faute reprochée.

[22]           En l’espèce, la plaignante souligna que les infractions s’étaient échelonnées sur une période de plus de quinze mois, l’intimé ayant persisté dans son comportement jusqu’en septembre 2010 en continuant de faire croire à ses clients qu’il les rembourserait.

[23]           Les sommes empruntées sont le résultat de treize transactions, dont au moins cinq rachats faits par J.D. et M.D, sous les conseils de l’intimé, des montants investis dans les polices d’assurance-vie universelle souscrites par son intermédiaire.

[24]           La procureure de la plaignante mentionna comme facteurs atténuants:

  L’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité;

  La collaboration de l’intimé à l’enquête étant donné la non-contestation tant de la requête en radiation provisoire que de la plainte ainsi que sa non-contestation des recommandations sur sanction de la plaignante.

[25]           Quant aux facteurs aggravants, elle invoqua :

  La préméditation des actes reprochés puisque l’intimé avait orchestré tout un scénario faisant état d’un héritage à l’étranger;

  Le côté répétitif des infractions qui ne permet nullement de conclure à un égarement de sa part;

  La radiation en 2010 du cabinet Summum par l’Autorité des marchés financiers, dont l’intimé était en plus actionnaire majoritaire;

  La vulnérabilité des victimes qui avaient 80 et 81 ans lors des premiers gestes reprochés;

  L’intention malhonnête et indéniable de l’intimé qui a fait appel à la supercherie et à des mensonges pour commettre ces infractions;

  Le préjudice économique résultant de la perte de capital de 235 000 $ et de la perte de protection des quatre polices d’assurance-vie contractées;

  Le non-remboursement par les compagnies d’assurance ou le Fonds d’indemnisation des services financiers;

  L’avantage tiré par l’intimé par l’encaissement des 237 000 $;

  L’impact sur la vie financière des victimes qui formaient un couple;

  L’expérience de plus de 18 ans de l’intimé au moment des évènements;

  L’antécédent disciplinaire dont la décision rendue le 28 février 2006 dans le dossier CD00-0566 où l’intimé a été trouvé coupable d’avoir priorisé ses intérêts personnels et d’avoir fourni de fausses informations sur les revenus de sa cliente. La procureure indiqua que même si ces infractions sont de nature différente, un lien certain peut être fait avec la présente affaire où la probité est en cause. 

[26]        Elle termina en citant à l’appui de ses recommandations une dizaine de décisions antérieures du comité en comparant notamment les faits avec ceux en l’espèce.

[27]           À l’égard de chefs d’appropriation de fonds, ces décisions ont conclu à une radiation permanente en plus, pour quelques-unes d’entre elles, à des ordonnances de remboursement. 

[28]           Quant aux chefs portant sur les conflits d’intérêts, les intimés ont été condamnés à des radiations temporaires pour des périodes variant de cinq à dix ans. La procureure de la plaignante signala toutefois que les circonstances particulières en l’espèce justifiaient la radiation permanente de l’intimé, ajoutant que ce dernier y avait également consenti.

[29]           Elle conclut donc à ce que le comité suive ses recommandations et ordonne la radiation permanente de l’intimé sur chacun des deux chefs portés contre lui en plus d’ordonner le remboursement des sommes décrites au premier chef. Elle demanda également la publication de la décision et la condamnation aux déboursés.

ANALYSE ET DÉCISION

[30]        Le premier chef reproche à l’intimé de s’être approprié pour ses fins personnelles la somme approximative de 237 326,04 $ que lui avaient prêtée ses clients.

[31]        Le deuxième chef reproche à l’intimé de s’être placé en situation de conflit d’intérêts en empruntant de ses clients la somme approximative de 242 326,04 $.

[32]        L’intimé ayant enregistré un plaidoyer de culpabilité sur les deux chefs d’accusation portés contre lui, le comité le déclarera en conséquence coupable sous chacun de ces chefs d’accusation. 

[33]        L'intimé s'est approprié sans droit des sommes d'argent appartenant à ses clients. Ces infractions sont parmi les plus sérieuses que puisse commettre un représentant. Il est exigé du représentant la plus haute intégrité, étant appelé quotidiennement à conseiller ses clients dans la gestion de leurs avoirs ou de leur patrimoine.

[34]        L’intimé a abusé de la confiance de ses clients, un couple âgé au moment des événements respectivement de 74 et 73 ans, en leur empruntant 242 326,04 $ se plaçant alors nettement en situation de conflit d’intérêts. 

[35]        Ces emprunts ont fait l’objet de treize transactions entre le 16 février 2007 et le 5 mai 2008. De plus, certains d’entre eux auraient été faits après que l’intimé ait conseillé à ses clients de procéder au rachat d’investissement de police d’assurance vie qu’il leur avait fait souscrire. Ceci démontre clairement la préméditation de l’intimé. 

[36]        Les polices d’assurance ont été subséquemment résiliées par épuisement des valeurs. Ainsi les clients ont perdu non seulement les valeurs accumulées d’environ 375 000 $, mais aussi la protection de ces contrats pour un capital assuré total d’environ 675 000 $.

[37]        L’intimé a fait défaut de rembourser les prêts contractés et les consommateurs n’ont, malgré leurs démarches, récupérer que 5 000 $ des sommes ainsi prêtées.

[38]           Le comité a tenu compte des facteurs tant aggravants qu’atténuants soulevés par la procureure de la plaignante.

[39]           Au moment des événements, l’intimé exerçait depuis plus de dix-huit ans. L’intimé a de plus fait l’objet d’une décision disciplinaire l’ayant trouvé coupable d’avoir priorisé ses intérêts et fournit de fausses informations aux assureurs sur les revenus de sa cliente.

[40]        Le comité tient également compte que l’intimé avait l’intention de reprendre la profession comme il l’a confié à l’enquêteur à l’automne 2010 ce qui dénote, de l’avis du comité, une inconscience de ses fautes qui laisse présager un risque de récidive important.

[41]        La probité et l’honnêteté sont essentielles à toutes relations entre le représentant en assurances et ses clients. Un message clair doit être transmis à tous les représentants que ces comportements allant au cœur même de la profession ne sauraient être tolérés.

[42]        L’intégrité de cette profession requiert que des normes professionnelles exigeantes soient maintenues afin de préserver la confiance du public.

[43]           En conséquence, le comité donnera suite à la recommandation de la procureure de la plaignante et ordonnera à l’égard du chef 1 la radiation permanente de l’intimé ainsi que le remboursement des sommes subtilisées à ses clients. 

[44]           Pour le chef 2, il ordonnera la radiation permanente de l’intimé considérant d’une part que ce dernier y a consenti et considérant que la présente affaire se distingue des décisions où une radiation de cinq ans[1] ou de dix ans[2] a été ordonnée. 

[45]           En effet, dans la première affaire, le caractère malhonnête de l’intimé n’était pas mis en cause, il n’avait aucun antécédent disciplinaire et avait fait des efforts pour rembourser ses clients. Dans le deuxième cas l’intimé avait peu d’expérience et sa malhonnêteté n’avait pas non plus été soulevée.

[46]           Le comité estime qu’il n’a pas à donner suite à la demande de la procureure de la plaignante d’ordonner la publication de la décision ordonnant la radiation permanente étant donné l’obligation légale de la secrétaire du comité de discipline d’y procéder. Toutefois, l’intimé sera condamné aux déboursés.

POUR CES MOTIFS, le comité de discipline :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sous chacun des deux chefs d’accusation contenus à la plainte;

DÉCLARE l'intimé coupable à l’égard de chacun des deux chefs portés contre lui;

ET STATUANT SUR LA SANCTION :

À l’égard du chef d'accusation 1

ORDONNE la radiation permanente de l’intimé comme membre de la Chambre de la sécurité financière;

ORDONNE à l’intimé à rembourser à J.D. et M.D. la somme de 237 326,04 $ avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision;

À l’égard du chef d'accusation 2

ORDONNE la radiation permanente de l’intimé comme membre de la Chambre de la sécurité financière;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (L.R.Q., chap. C-26).

 

 

 

 

(s) Janine Kean

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(s) Benoît Bergeron

M. Benoît Bergeron, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Éric Bolduc

M. Éric Bolduc

Membre du comité de discipline

 

Me Véronique Poirier

THERRIEN COUTURE

 

Procureurs de la partie plaignante

 

 

 

Me Guy Matte

MALO DANSEREAU

Procureurs de la partie intimée

 

 

 

Date d’audience :

30 mars 2011

 

 

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ



[1] Thibault c. Luc Perrier, CD00-0761, décision rendue le 27 juillet 2010.

[2] Thibault c. José Fortin, CD00-0719.

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