Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0825

 

DATE :

3 avril 2012

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Philippe Bouchard, Pl. Fin.

Membre

M. Normand Joly, Pl. Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

Me CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

M. PIERRE-PHILIPPE MORIN, conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective (no de certificat 124506, no de BDNI 1743941)

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 5 mai 2011, aux locaux de la Commission des lésions professionnelles sis au 500, boulevard René-Lévesque Ouest, 18e étage, Montréal, et les 6 mai et 23 août, au siège social de la Chambre de la sécurité financière sis au 300, rue Léo-Pariseau, bureau 2600, Montréal, le comité de discipline s'est réuni et a procédé à l'audition d'une plainte disciplinaire portée contre l'intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

« À L’ÉGARD DE M.D.

1.             À Sainte-Foy, le ou vers le 11 octobre 2007, l’intimé a recommandé et fait  souscrire M.D. à un prêt levier de 50 000 $ qui ne correspondait pas à son profil d’investisseur, contrevenant ainsi aux articles 16 et 51 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 2, 4 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.1.2);

2.             À Sainte-Foy, entre les mois de juin 2007 et août 2008, l’intimé a fait investir M.D. dans des parts d’organisme de placement collectif qui ne correspondaient pas à son profil d’investisseur pour un montant d’environ 236 280 $, contrevenant ainsi aux articles 16 et 51 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 2, 4 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.1.2);

À L’ÉGARD DE R.P.-D.

3.             À Sainte-Foy, le ou vers le 11 octobre 2007, l’intimé a recommandé et fait souscrire R.P.-D. à un prêt levier de 50 000 $ qui ne correspondait pas à son profil d’investisseur, contrevenant ainsi aux articles 16 et 51 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 2, 4 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.1.2);

4.             À Sainte-Foy, entre les mois de juin 2007 et août 2008, l’intimé a fait investir R.P.-D. dans des parts d’organisme de placement collectif qui ne correspondaient pas à son profil d’investisseur pour un montant d’environ 245 287 $, contrevenant ainsi aux articles 16 et 51 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 2, 4 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.1.2). »

[2]           D’entrée de jeu, la plaignante demanda au comité l’autorisation d’amender le chef d’accusation 2 de façon à ce que « pour un montant d’environ 236 280 $ » soit modifié et se lise « pour un montant d’environ 219 989,70 $ ».

[3]           La demande d’amendement n’ayant pas été contestée, le comité accorda celle-ci si bien que la plainte disciplinaire amendée portée contre l’intimé doit se lire comme suit :

LA PLAINTE AMENDÉE

« À L’ÉGARD DE M.D.

1.          À Sainte-Foy, le ou vers le 11 octobre 2007, l’intimé a recommandé et fait  souscrire M.D. à un prêt levier de 50 000 $ qui ne correspondait pas à son profil d’investisseur, contrevenant ainsi aux articles 16 et 51 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 2, 4 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.1.2);

2.          À Sainte-Foy, entre les mois de juin 2007 et août 2008, l’intimé a fait investir M.D. dans des parts d’organisme de placement collectif qui ne correspondaient pas à son profil d’investisseur pour un montant d’environ 219 989,70 $, contrevenant ainsi aux articles 16 et 51 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 2, 4 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.1.2);

À L’ÉGARD DE R.P.-D.

3.          À Sainte-Foy, le ou vers le 11 octobre 2007, l’intimé a recommandé et fait souscrire R.P.-D. à un prêt levier de 50 000 $ qui ne correspondait pas à son profil d’investisseur, contrevenant ainsi aux articles 16 et 51 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 2, 4 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.1.2);

4.          À Sainte-Foy, entre les mois de juin 2007 et août 2008, l’intimé a fait investir R.P.-D. dans des parts d’organisme de placement collectif qui ne correspondaient pas à son profil d’investisseur pour un montant d’environ 245 287 $, contrevenant ainsi aux articles 16 et 51 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 2, 4 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.1.2). »

OBJECTION À LA PREUVE

[4]           Au cours du témoignage de l’enquêteur du bureau de la plaignante, Me Brigitte Poirier (Me Poirier), le procureur de l’intimé a soulevé une objection à la preuve lorsque cette dernière a voulu déposer les notes sténographiques de sa rencontre avec le représentant avant la signification de la plainte.

[5]           Le comité a alors pris l’objection sous réserve et doit maintenant rendre une décision sur celle-ci.

[6]           L’objection formulée par le procureur de l’intimé prend appui notamment sur la décision rendue par le Tribunal des professions dans l’affaire Fernandez De Sierra[1] (De Serra).

[7]           En cette affaire le tribunal, après avoir noté que le droit disciplinaire, notamment en ce que « la prépondérance de la preuve détermine les conclusions devant être tirées des faits litigieux et établit les responsabilités » fait état (paragr. 34) de ce qu’il qualifie de la « distance certaine » qui à son avis sépare celui-ci du droit pénal et suggère qu’il aurait davantage de parenté avec le droit civil.

[8]           Le tribunal y mentionne ensuite que « sous réserve des adaptations que peuvent requérir les particularismes du droit disciplinaire, les règles de preuve et d’administration de la preuve applicables aux instances disciplinaires doivent donc être celles prévues au Code civil et au Code de procédure civile » (paragr. 35).

[9]           Le tribunal y indique enfin que si « L’on ne saurait affirmer de manière catégorique et absolue que le droit de la preuve interdit de déposer un document faisant état du contenu d’une entrevue ou d’un interrogatoire » (paragr. 40). « La règle applicable va « souvent » dépendre du but poursuivi par la partie qui présente la preuve ». (paragr. 41)

[10]        Ainsi, bien que la décision dans l’affaire De Sierra n’ait pas pour effet de rendre irrecevable toute preuve des propos échangés lors d’une rencontre avant le dépôt de la plainte entre le professionnel et le syndic, elle ajoute aux règles jusque-là en vigueur qui étaient habituellement de permettre, la plupart du temps sans trop de difficulté, la présentation d’une telle preuve.

[11]        En matière disciplinaire, il était en effet plutôt courant qu’au cours de son enquête le syndic rencontre le professionnel, obtienne sa version des faits, puis vienne ensuite relater devant le comité de discipline les réponses obtenues ou dépose en preuve les notes sténographiques de l’entrevue[2].

[12]        Or dans la décision précitée, le tribunal indique qu’avant d’autoriser le dépôt en preuve du témoignage du professionnel par la plaignante, il faut que le comité vérifie l’objectif poursuivi par le dépôt.

[13]        Le tribunal mentionne que bien que la réforme du Code civil ait adouci les règles concernant les dépositions prises par écrit (art. 2870-2874 C.c.Q. et 294.1 C.p.c.), une déclaration extrajudiciaire ne peut être mise en preuve si elle n’est ni un aveu ni une exception à la règle prohibant le ouï-dire. Quant à la dérogation prévue à l’article 2871 C.c.Q., elle ne pourrait trouver application que si l’intimé a déjà été appelé à témoigner.

[14]        Or en l’instance, comme dans l’affaire De Sierra, au moment où l’objection a été formulée, l’intimé n’avait pas encore été appelé à témoigner si bien que s’il faut suivre l’enseignement du tribunal, l’article 2871 C.c.Q. ne pourrait trouver application.

[15]        Dans ces circonstances, aux fins de se prononcer sur l’admissibilité en preuve des notes sténographiques que la plaignante cherche à déposer, le comité doit examiner le but poursuivi par cette dernière.

[16]        À l’audience, la procureure de la plaignante a expliqué que l’objectif qu’elle poursuivait n’était pas de mettre l’intimé en contradiction avec une déclaration antérieure[3]. Elle a indiqué qu’elle voulait « mettre en preuve les propos tenus par l’intimé dans le cadre de l’enquête afin de prouver l’existence de ces propos et non la véracité de leur contenu » tout en ajoutant que dans un tel cas « il ne s’agit pas de ouï-dire et cette preuve est donc recevable »[4].

[17]        Elle a plaidé que la rencontre était « fort pertinente pour la compréhension du débat et du litige » et que le dépôt des notes sténographiques des propos échangés lors de la rencontre qu’a eue l’enquêteur avec l’intimé visait à « éclairer le tribunal », sans toutefois préciser davantage.

[18]        Compte tenu des objectifs recherchés décrits par la procureure de la plaignante et des représentations de cette dernière, le comité doit décider si la preuve de « la simple existence » des déclarations faites par l’intimé lors de sa rencontre avec Me Poirier dans le cadre de l’enquête de cette dernière est en l’instance pertinente.

[19]        Or comme l’a écrit M. Jean-Claude Royer : « La seule affirmation par un plaideur qu’il ne désire établir que l’existence d’une déclaration ne rend pas la preuve automatiquement recevable. »[5]

[20]        Si l’on peut imaginer des situations où la simple preuve de l’existence d’une déclaration pourrait avoir sa pertinence (sans que l’on veuille en établir la véracité), tel par exemple si la plaignante cherchait à démontrer, aux fins de miner la crédibilité de l’intimé, que la version des faits qu’il lui a donnée ne correspond aucunement à une ou des versions communiquées antérieurement à un employeur ou à quelque autre autorité[6], en l’espèce, la plaignante (qui a notamment admis que son intention n’était pas de mettre l’intimé en contradiction) n’est pas parvenue à démontrer à la satisfaction du comité que la preuve de la « simple existence » des déclarations faites par l’intimé lors de sa rencontre avec Me Poirier était pertinente au débat.

[21]        Le comité n’a pas été convaincu qu’il lui fallait admettre en preuve les déclarations faites par l’intimé lors de sa rencontre avec Me Poirier au seul motif de permettre à la plaignante d’établir l’existence desdites déclarations.

[22]        Pour ces motifs, le comité devant suivre l’enseignement du Tribunal des professions, accueille l’objection formulée par le procureur de l’intimé au dépôt des notes sténographiques de la rencontre entre son client et Me Poirier.

[23]        Maintenant qu’il a tranché l’objection « prise sous réserve » lors de l’audition, le comité doit se prononcer sur le mérite des chefs d’accusation contenus à la plainte.

LES FAITS

[24]        Le contexte factuel rattaché à la plainte portée contre l’intimé peut pour l’essentiel se résumer comme suit :

[25]        M.D., qui agissait à titre de consultant dans le domaine de l’assurance des entreprises manufacturières, était âgé de 72 ans tandis que R.P.-D. son épouse, qui était retraitée, avait 74 ans.

[26]        Ils bénéficiaient tous deux de sommes provenant des régimes de retraite des gouvernements fédéral et provincial et retiraient annuellement de leur FERR une somme d’environ 12 000 $, ce qui leur procurait environ 40 000 $ par année.

[27]        Ils avaient disposé de la résidence familiale et comme résultat ils détenaient une somme de 230 000 $.

[28]        Le couple habitait un appartement dont le coût du loyer se situait aux alentours de 1 800 $ par mois.

[29]        Alors qu’auprès d’une institution financière avec laquelle ils faisaient affaire, ils avaient l’opportunité de placer la somme provenant de la vente de leur maison de façon garantie à un taux d’intérêt annuel de 4,64 %, ils cherchaient à obtenir davantage.

[30]        À la suggestion de leur fille Dominique, ils rencontrèrent, d’abord en mai 2007, puis dans les mois qui suivirent, l’intimé. Ils faisaient pleinement confiance à ce dernier dont ils connaissaient les parents depuis plus de quarante (40) ans, ce qu’ils ont découvert lors de la première rencontre.

[31]        Lors de cette rencontre, l’intimé leur aurait laissé entendre qu’il pouvait obtenir plus et ainsi leur permettre de répondre plus aisément au besoin de revenus réguliers nécessaires à l’acquittement de leurs dépenses courantes, notamment leur loyer.

[32]        Il fut donc convenu que l’intimé verrait à investir le produit de la vente de leur propriété. Il fut également décidé que les placements FERR que le couple détenait auprès de la CIBC ainsi que les placements qu’il détenait dans les fonds Millénia et auprès de Desjardins seraient transférés pour être administrés, placés ou investis par l’intimé.

[33]        Dans une correspondance qu’il adressait à ce dernier le ou vers le 4 juin 2007 (pièce P-7), M.D. indiquait que lui et son épouse consentaient au transfert de leurs placements en autant que « ces organisations ne leur chargent pas des pénalités et que leurs rendements soient meilleurs ».

[34]        M.D. déplaça donc les avoirs de l’ordre de 55 989,70 $ qu’il détenait dans son FERR vers des fonds recommandés par l’intimé. Il transmit également à l’intimé 114 000 $ représentant sa part du produit de la vente de la résidence familiale. Ladite somme fut investie à parts sensiblement égales dans trois (3) fonds suggérés par ce dernier (Fidelity Dividendes, AGF Revenu Dividendes et MacKenzie cat. Dividendes Maxxum).

[35]        Quant à R.P.-D., elle transféra les sommes qu’elle détenait dans un FERR conjoint (56 111,25 $) et dans un FERR individuel (24 176,22 $) afin qu’elles soient placées dans des fonds recommandés par l’intimé. De plus elle plaça, par l’entremise de ce dernier, une somme de 115 000 $ provenant de sa part du produit de la vente de la résidence familiale. Ladite somme fut répartie auprès de trois (3) fonds suggérés par l’intimé (Fidelity Dividendes, AGF Revenu de dividendes diversifiés, MacKenzie Maxxum Dividendes).

[36]        Le couple plaça ainsi, par l’entremise de l’intimé, une somme d’environ 136 000 $ provenant de leurs FERRs et d’environ 230 000 $ provenant de la vente de leur résidence, soit des actifs totaux de l’ordre de 366 000 $.

[37]        Par ailleurs, afin d’obtenir des rendements plus élevés, l’intimé suggéra au couple d’utiliser l’effet levier. C’est ainsi qu’en octobre 2007 il fit souscrire à M.D. ainsi qu’à R.P.-D. auprès de Manuvie un prêt éclair de 50 000 $ chacun portant intérêt au taux annuel de 6,25 %.

[38]        L’intimé procéda ensuite au placement des sommes provenant des prêts-leviers à parts égales dans le fonds dividendes Manuvie et dans le fonds d’occasions Chine Manuvie).

[39]        L’été suivant, alors que la valeur de leurs investissements avait sensiblement diminué et qu’ils devaient continuer d’effectuer le paiement des intérêts sur les prêts-leviers contractés, le couple M.D. et R.P.-D. ressentirent de l’inquiétude à l’égard de la stratégie de placement qui leur avait été suggérée par l’intimé.

[40]        Rejoint par ces derniers, l’intimé procéda à une rencontre avec eux le ou vers le 12 juin 2008. Il exécuta alors avec ces derniers un profil d’investisseur. Un questionnaire servant à évaluer la tolérance aux risques fut aussi complété. Par la suite, dans le but de sécuriser leur portefeuille, il convertit une partie de celui-ci en fonds de marché monétaire.

[41]        Néanmoins, quelques mois plus tard M.D. et R.P.-D. perdirent confiance en la stratégie de placement de l’intimé. Afin de réduire leurs pertes et de stabiliser leur portefeuille, ils convinrent alors avec ce dernier du transfert de tous leurs actifs dans des fonds du marché monétaire canadien (ou l’équivalent).

[42]        Alors que l’investissement du couple à l’origine avait été de l’ordre  de 366 000 $, la valeur totale de celui-ci au 31 août 2008, selon les informations contenues à la lettre qu’adresse alors M.D. à l’intimé et au directeur de Peak Investment Inc., n’était plus que de l’ordre d’un peu plus de 250 000 $.

MOTIFS ET DISPOSITIF

Chefs d’accusation 1 et 3

[43]        À ces chefs, il est reproché à l’intimé d’avoir recommandé et fait souscrire à M.D. (chef 1) et à R.P.-D. (chef 3) un prêt-levier de 50 000 $ qui ne correspondait pas à leur profil d’investisseur.

[44]        Or, selon la preuve présentée au comité, au moment des événements reprochés, M.D. et R.P.-D. étaient tous deux âgés de plus de 70 ans et recherchaient des placements généralement sûrs qui leur rapporteraient le supplément de revenus nécessaire au paiement de leur loyer et au maintien de leur train de vie.

[45]        M.D. avait relativement peu de connaissances dans le domaine de l’investissement, n’ayant jamais bénéficié de formation en matière de placement alors que son épouse R.P.-D. s’y connaissait moins et se fiait à son conjoint.

[46]        L’intimé, après leur avoir suggéré la souscription de fonds communs de placement, leur a recommandé, afin d’obtenir des rendements supérieurs, de souscrire chacun un prêt-levier de 50 000 $.

[47]        Or, de la preuve présentée au comité, il ressort clairement que la souscription de prêts-leviers ne pouvait convenir à la situation de M.D. et de R.P.-D., non plus qu’à leur condition.

[48]        Il faut souligner qu’au départ l’intimé a fait défaut de préparer un profil d’investisseur de ses clients M.D. et de R.P.-D.[7], ce qui rend moins étonnant qu’il n’ait pas été en mesure de saisir ou de réaliser que la stratégie de l’effet levier ne pouvait s’adresser à eux.

[49]        Une telle stratégie ne s’adresse en effet généralement qu’à des investisseurs ayant une bonne connaissance et expérience en matière de placement, qui sont en mesure de bien en apprécier les risques et qui possèdent les moyens nécessaires pour régler les coûts d’intérêts sur les emprunts contractés.

[50]        En l’espèce, compte tenu de l’âge des clients, de leurs objectifs, de leur situation financière et personnelle, de leur budget, de leur besoin à court terme de revenus réguliers et stables, de leur minime capacité à payer les intérêts des prêts ainsi que de leur profil et de leur faible tolérance aux risques[8], une stratégie de prêt-levier était très certainement à éviter, voire même à proscrire.

[51]        Bien que M.D. et R.P.-D. aient signé la feuille d’information qui leur a été présentée sur le risque inhérent à la stratégie de l’effet levier, le comité est d’avis qu’ils n’ont pas été en mesure de saisir ou n’ont tout simplement pas compris, malgré les explications qui ont pu leur être fournies par l’intimé, les risques réels d’une telle stratégie. Ils n’ont pas été en mesure de réaliser qu’elle ne pouvait s’appliquer à eux.

[52]        D’ailleurs, relativement aux risques associés à celle-ci, le comité s’interroge à savoir si l’intimé les maitrisait totalement. Il s’interroge de plus à savoir si ce dernier comprenait bien à qui elle pouvait s’adresser. Son témoignage n’a pas convaincu le comité :

« Q. O.k. À quel moment intervient le prêt levier, monsieur Morin?

R. Bon. Là, bon, dès le début, je lui ai parlé de tout ce qui existait à l’époque pour le type d’investissement, j’ai dit : Qu’est-ce que c’est, un placement. Quand on parle d’un placement, souvent, on fait référence à quelque chose qui est hors RÉER, comme il avait, de l’argent « cash » de l’argent comptant. Puis, il avait les FERR. Puis, je lui ai parlé du prêt levier. Puis j’ai dit : C’est le genre de choses que les gens, des fois, peuvent investir. Puis, à l’époque, bien, il n’y avait pas de dire : Ça prend tant d’actif, tant de passif, ça prend une tolérance au risque moyen, ça prend ci, ça prend ça. Ça, c’est, il n’y a pas de règle, sauf qu’il y avait des, des explications, des, comme des, par rapport au levier, puis il fallait l’expliquer, il fallait qu’il signe, puis lui expliquer. »[9]

[53]        En conclusion, le comité, pour les motifs plus amplement décrits par celui-ci à son rapport d’expertise, souscrit entièrement aux conclusions de l’expert M. Jean-Marc Thuotte (M. Thuotte) à l’effet que dans le cas de M.D. et R.P.-D. la recommandation de la souscription de prêts-leviers de 50 000 $ chacun était « inappropriée et inacceptable compte tenu de la situation personnelle (âge) et financière (budget) et du profil des clients ».

[54]        L’intimé sera déclaré coupable sous ces chefs.

Chefs d’accusation 2 et 4

[55]        À ces chefs, il est reproché à l’intimé, entre les mois de juin 2007 et août 2008, d’avoir fait investir ses clients, M.D. et R.P.-D., dans des parts d’organismes de placements collectifs qui ne correspondaient pas à leur profil d’investisseur, dans le cas de M.D. pour un montant de 219 989,770 $ et dans le cas de R.P.-D. pour une somme de 245 287 $.

[56]        Or, au moment des événements reprochés, tel que précédemment mentionné, M.D. et R.P.-D. étaient tous deux âgés de plus de 70 ans et ne possédaient que peu de connaissances en matière de placement. Ils recherchaient des placements sûrs qui leur assureraient un revenu de retraite conforme à leurs besoins.

[57]        Le couple était d’avis que pour conserver son loyer il lui fallait recevoir sur une base annuelle une somme aux alentours de 12 000 $ de leur FERR et une somme entre 12 000 $ et 15 000 $ du placement de la somme de 230 000 $ provenant de la vente de leur résidence.

[58]        Bien que la Caisse populaire avec laquelle ils faisaient affaire leur ait offert un rendement de 4,64 %, ils firent le choix de faire affaire avec l’intimé dans l’espoir ou avec la croyance que ce dernier pouvait faire mieux.

[59]        Or la preuve présentée au comité a révélé que les placements que l’intimé a au départ suggérés à M.D. et R.P.-D. n’étaient pas appropriés à leur condition.

[60]        Le couple, peu sûr financièrement, possédait, tel que notamment la suite des événements l’a démontré, une faible tolérance aux risques. D’ailleurs, au moment où est complété le document d’ouverture de compte de M.D., le 29 mai 2007, l’intimé y indique que son client a des connaissances en placement ainsi qu’une tolérance aux risques « faible ».

[61]        L’intimé recommande néanmoins au couple M.D. et R.P.-D. d’investir leur patrimoine dans des fonds de dividendes comportant environ 85 % d’actions et 15 % de fiducies de revenus, un portefeuille inapproprié pour des gens ayant une tolérance aux risques « faible » parce que notamment abondamment sujet aux fluctuations du marché.

[62]        Tel que l’écrit l’expert M. Thuotte à son rapport d’expertise : « Ce type de fonds de dividendes représente une classe d’actifs reconnue comme faisant partie de la portion croissance d’un portefeuille de placement dans tous les cours reconnus pour obtenir son permis à titre de représentant ainsi que par les organismes indépendants tels Morningstar, Globefund, etc. Le risque associé à ce type de fonds est significatif et comporte le risque de taux d’intérêt, le risque de crédit, le risque de marché, etc., et correspond à des investisseurs qui ont une tolérance au risque MOYENNE et non faible, comme le couple D. »

[63]        Par la suite, l’intimé apporte des modifications aux portefeuilles de ses clients qui font en sorte que les risques associés à ceux-ci augmentent. Aussi, il convertit une part des fonds de dividendes en fonds spécialisés Chine, puis il en convertit une autre part en fonds mondiaux.

[64]        Pour ses recommandations l’intimé semble s’être appuyé sur un horizon de placement de plus de dix (10) ans sans par ailleurs s’astreindre à vérifier si les placements effectués (leurs composition et caractéristiques) pouvaient correspondre à la situation des clients ainsi qu’à leur niveau de tolérance aux risques.

[65]        Ce dernier n’a d’ailleurs pas été réellement en mesure d’expliquer à l’audience pourquoi, lorsqu’il complète le document d’ouverture de compte de ses clients, il identifie la tolérance aux risques et la connaissance en placements de ces derniers comme « faibles » tandis qu’il y décrit leur objectif de placement comme un objectif de « croissance » et que leur horizon de placement y est fixé à plus de dix (10) ans.

[66]        De l’avis du comité, l’intimé, qui ne semble pas avoir agi de mauvaise foi, n’a pas réalisé l’illogisme entre la volonté des clients, dans leur condition, de posséder des placements sûrs et stables qui leur procureraient des revenus à court terme et l’objectif stipulé dans les formulaires d’ouverture de compte de « croissance » dans un horizon de placement de dix (10) ans et plus.

[67]        Le comité souscrit entièrement à la conclusion de l’expert M. Thuotte lorsque celui-ci mentionne à son rapport d’expertise : « Les opérations dans les comptes des clients ne correspondaient pas à la tolérance aux risques indiquée sur le formulaire d’ouverture de compte, ni à celle inscrite dans leur profil d’investisseur. Bien au contraire, les opérations ont fait en sorte d’augmenter le risque de leur portefeuille jusqu’à un niveau inacceptable au vu de la situation des clients. »

[68]        En l’espèce, les clients n’étaient pas en mesure de prendre une forme de risque autre que minime avec les épargnes dont ils disposaient puisqu’ils avaient comme objectif d’en retirer un revenu stable et régulier afin de répondre à des besoins courants. De plus, ils démontraient une tolérance aux risques « faible ». L’intimé les a amenés à prendre des risques qu’ils n’étaient pas en mesure de supporter.

[69]        Le comité souscrit entièrement aux constatations de l’expert M. Thuotte à l’effet qu’en janvier 2008 le niveau de fonds à risques élevés correspondait à près de 70 % du portefeuille du couple, et que la baisse des marchés a eu un effet significatif sur leur portefeuille.

[70]        En conclusion, et pour les motifs plus amplement exprimés par ce dernier, le comité est comme lui d’avis que : a) le portefeuille ne correspondait pas au profil d’investisseur de M. et Mme D.; b) les opérations ont fait en sorte que leur portefeuille est devenu de plus en plus risqué; c) à la demande des clients, l’intimé a dû faire des ajustements au fonds et sécuriser davantage le portefeuille en juillet 2008, ce qui a occasionné des frais de sortie en pourcentage importants et d) le risque inhérent aux différentes opérations dans les comptes et celui des produits dans les comptes n’ont pas clairement été expliqués aux clients et compris par ceux-ci.

[71]        Pour ces raisons, l’intimé sera déclaré coupable sous ces chefs.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

DÉCLARE l’intimé coupable des chefs d’accusation 1, 2, 3 et 4;

CONVOQUE les parties avec l’aide de la secrétaire du comité de discipline à une audition sur sanction.

 

 

(s) François Folot

Me FRANÇOIS FOLOT, avocat

Président du comité de discipline

 

(s) Philippe Bouchard

M. PHILIPPE BOUCHARD, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(s) Normand Joly

M. NORMAND JOLY, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

Me Suzie Cloutier

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Martin Courville

DE CHANTAL, D’AMOUR, FORTIER, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie intimée

 

Dates d’audience :

5, 6 mai et 23 août 2011

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ


 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0825

 

DATE :

20 septembre 2012

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Philippe Bouchard, Pl. Fin.

Membre

 

 

______________________________________________________________________

 

Me CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

M. PIERRE-PHILIPPE MORIN, conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective (no de certificat 124506, no de BDNI 1743941)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

[1]           À la suite de sa décision sur culpabilité, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s’est réuni le 17 juillet 2012, au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau, bureau 2600, Montréal, et a procédé à l'audition sur sanction.

LA PREUVE

[2]           Alors que la plaignante déposa au dossier, cotée sous la cote SP-1, une attestation de pratique à jour de l’intimé, elle ne fit entendre aucun témoin.

[3]           Quant à l’intimé, celui-ci choisit de témoigner mais ne déposa aucune preuve documentaire.

[4]           Les parties soumirent ensuite au comité leurs représentations sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[5]           La procureure de la plaignante débuta ses représentations en résumant généralement les faits au dossier et en soulignant que le 3 avril 2012 l’intimé avait été reconnu coupable des quatre (4) chefs d’accusation portés contre lui.

[6]           Elle rappela que tandis que les chefs 1 et 3 reprochaient à l’intimé d’avoir fait souscrire à ses clients M. et Mme Dubois des prêts-leviers qui ne correspondaient pas à leur profil d’investisseur, les chefs 2 et 4 lui faisaient reproches d’avoir fait investir ses clients dans des parts d’organisme de placement qui ne correspondaient pas à leur profil d’investisseur.

[7]           Elle souligna enfin qu’au moment des événements M. Dubois et son épouse étaient tous deux âgés de plus de 70 ans (72 et 74 ans en 2007), qu’ils étaient à la recherche de placements sûrs et possédaient une faible tolérance aux risques. Elle ajouta qu’ils détenaient peu de connaissances en matière de placement et cherchaient à s’assurer un revenu de retraite.

Chefs d’accusation 1 et 3

[8]           Discutant ensuite des chefs 1 et 3, elle indiqua qu’à ces chefs l’intimé avait été reconnu coupable d’avoir fait souscrire à ses clients des prêts-leviers alors qu’ils n’avaient « ni une situation financière, ni une situation personnelle pouvant justifier la souscription de prêts-leviers ». Elle rappela que le comité avait jugé que la stratégie adoptée était inappropriée et inacceptable compte tenu de leur profil d’investisseur.

[9]           Elle déclara que relativement à chacun desdits chefs elle réclamait l’imposition d’une radiation temporaire de cinq (5) mois â être purgée de façon concurrente.

[10]        À l’appui de sa recommandation, elle identifia les facteurs aggravants suivants :

-       la gravité objective des fautes commises;

-       des infractions qui vont au cœur de l’exercice de la profession;

-       le peu de connaissances des clients en matière de placement;

-       l’âge de ces derniers et leur « vulnérabilité »;

-       l’expérience de l’intimé qui, exerçant depuis 1997, n’en était pas à ses premières armes dans la profession;

-       les sommes en cause, relativement importantes pour les clients âgés respectivement de 72 et 74 ans;

-       le risque de récidive représenté, à son avis, par l’intimé.

Chefs d’accusation 2 et 4

[11]        Discutant des chefs 2 et 4, la plaignante signala qu’à ces chefs l’intimé avait été reconnu coupable d’avoir fait souscrire à ses clients, entre les mois de juin 2007 et août 2008, des parts d’organisme de placement collectif qui ne correspondaient pas à leur profil d’investisseur.

[12]        Elle mentionna que dans le cas de M. Dubois un montant de 219 989,70 $ était en cause alors que dans le cas de Mme Dubois un montant de 245 287 $ était impliqué.

[13]        Elle rappela qu’alors qu’ils étaient tous deux âgés de plus de 70 ans, qu’ils possédaient une faible tolérance aux risques et qu’ils étaient à la recherche de placements sûrs visant à leur assurer un revenu de retraite, l’intimé leur avait recommandé d’investir dans des fonds de dividendes comportant environ 85 % d’actions et 15 % de fiducies de revenus.

[14]        Elle signala que ce dernier avait de plus fait défaut de leur transmettre l’information adéquate qui leur aurait permis de comprendre ce dans quoi ils investissaient.

[15]        Elle indiqua ensuite que relativement à chacun desdits chefs, elle réclamait l’imposition d’une radiation temporaire de cinq (5) mois à être purgée de façon concurrente.

[16]        À l’appui de sa recommandation, reprenant pour large part ceux qu’elle avait précédemment mentionnés, elle identifia les facteurs aggravants suivants :

-       la gravité objective des fautes commises par l’intimé;

-       des infractions qui sont au cœur de l’exercice de la profession;

-       le peu de connaissances des clients en matière de placement;

-       l’âge de ces derniers ainsi que leur « vulnérabilité »;

-       leur faible capacité financière;

-       la perte financière subie par ces derniers;

-       l’expérience de l’intimé en exercice depuis plus de quinze (15) ans;

-       la confiance que lui portaient les clients;

-       le préjudice causé à la profession et les risques à son avis de récidive.

[17]        Elle déposa ensuite un cahier d’autorités qu’elle commenta[10] et termina ses représentations en demandant au comité d’ordonner la publication de la décision et de condamner l’intimé au paiement des déboursés.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[18]        Le procureur de l’intimé débuta ses représentations en affirmant que les recommandations de la syndique étaient à son avis « démesurées ».

[19]        Il affirma que cette dernière avait, à son avis, en toute vraisemblance omis d’évaluer les « critères juridiques » habituellement applicables à l’imposition de sanctions disciplinaires.

[20]        Il indiqua qu’il proposait plutôt au comité d’imposer à l’intimé les sanctions suivantes :

-       sous chacun des chefs 1 et 3 : une réprimande;

-       sous chacun des chefs 2 et 4 : le paiement d’une amende de 2 000 $ (total 4 000 $).

[21]        À l’appui de sa recommandation, il identifia notamment les facteurs atténuants suivants :

-       l’absence d’antécédents disciplinaires de l’intimé;

-       son témoignage « crédible et honnête » devant le comité et l’expression par ce dernier de remords et de regrets sincères à l’endroit des fautes qu’il a commises;

-       la manifestation de sa part « d’une compréhension de l’impact de ses agissements » sur le couple Dubois;

-       son âge et sa maturité;

-       une « situation nouvelle », l’intimé exerçant dorénavant dans un cabinet où la conformité est plus resserrée qu’à l’endroit où il œuvrait au moment où les infractions qui lui sont reprochées ont été commises;

-       la supervision de ses actes professionnels, l’intimé ayant témoigné à l’effet que l’AMF l’avait autorisé à continuer à exercer mais sous la supervision d’un membre du cabinet où il pratique. (Il rappela que l’intimé avait indiqué lors de son témoignage que le contrôle de sa pratique s’exerçait non seulement à posteriori mais également à priori, et ce, au moyen d’un examen au préalable de ses dossiers par son superviseur.);

-       un risque de récidive à son avis nul ou grandement mitigé;

-       le fait qu’il ne se trouvait pas en présence de clients totalement démunis et que des explications avaient été transmises à ces derniers au moment où ils ont souscrit au prêt-levier. Il rappela de plus que M. Dubois avait témoigné qu’il « voulait faire de l’argent »;

-       l’absence de malhonnêteté chez l’intimé;

-       la conclusion du comité à l’effet que ce dernier ne semblait pas avoir agi de mauvaise foi (paragraphe 66 de la décision sur culpabilité);

-       l’absence de quelque forme de malversation, l’intimé ayant commis une « simple erreur » dans l’appréciation de la situation de ses clients;

-       la confection d’un profil d’investisseur (pièce D-7) par l’intimé.

[22]        Il déposa ensuite, au soutien de ses suggestions, une série d’autorités qu’il commenta dont la décision rendue par la Cour du Québec dans l’affaire Martel[11] ainsi que les décisions du comité dans les affaires Gignac[12], Camplone[13], Turgeon et Lemieux[14] et Letendre[15].

[23]        Il termina ses représentations en parcourant et analysant les décisions citées par la procureure de la plaignante indiquant essentiellement que dans chacun des cas soumis les faits pouvaient, à son avis, difficilement se comparer aux faits en l’espèce.

INTERVENTION DU COMITÉ

[24]        Après que les parties eurent terminé leurs représentations, le comité avisa ces dernières qu’il s’interrogeait sérieusement relativement au degré de connaissances de l’intimé et interrogea celles-ci sur l’à-propos d’une éventuelle ordonnance qui recommanderait au conseil d’administration de la Chambre de lui imposer de suivre un cours de formation sur les fonds d’investissement au Canada.

[25]        Alors que la plaignante mentionna son d’accord à une telle ordonnance, elle répéta qu’elle était néanmoins d’avis qu’une période de radiation de cinq (5) mois, tel qu’elle l’avait suggéré, devait aussi être imposée à l’intimé pour les infractions qu’il a commises.

[26]        Elle ajouta que la suggestion du comité pourrait s’avérer une sage décision pour la protection du public.

[27]        Quant à l’intimé, par l’entremise de son procureur, il déclara au comité que « l’idée était bonne ».

MOTIFS ET DISPOSITIF

[28]        L’intimé n’a aucun antécédent disciplinaire.

[29]        Il exerce dans le domaine de la distribution de produits financiers ou d’assurance depuis 1997.

[30]        Aucune preuve à l’effet que ses clients auraient en bout de ligne subi une perte financière n’a été administrée, la réclamation de ces derniers s’étant soldée par un règlement dont les termes n’ont pas été exposés au comité.

[31]        Tel que le comité l’indiquait au paragraphe 66 de sa décision sur culpabilité, bien que fautif l’intimé ne semble pas avoir agi de mauvaise foi non plus qu’avec une intention malhonnête ou frauduleuse.

[32]        Le comité impute en partie à un manque ou un défaut de connaissances de sa part les fautes qui lui sont attribuées.

[33]        L’intimé a clairement démontré, de l’avis du comité, des lacunes à cet égard.

[34]        Par ailleurs il exerce dorénavant auprès d’un nouveau cabinet où la conformité semble être plus « resserrée ». Il est maintenant astreint à une supervision constante et, selon son témoignage, celle-ci s’exercerait non seulement à posteriori mais également à priori par l’étude au préalable des dossiers avec son superviseur.

[35]        Il a exprimé des regrets sentis et sincères quant aux conséquences de ses fautes sur le couple Dubois.

[36]        Il a indiqué qu’il regrettait de ne pas avoir fait son travail comme il comprend maintenant que celui-ci aurait dû être fait.

[37]        Il a affirmé qu’il avait révisé sa façon de faire, qu’il était maintenant beaucoup plus sensible à la possible faible tolérance aux risques ou à la tolérance réduite des personnes âgées et que, lorsqu’il est confronté à de telles personnes, il insiste dorénavant pour que des membres de leur famille ou de leur entourage immédiat soient présents pour les assister. Il a ajouté qu’il était maintenant beaucoup plus prudent dans sa façon de se comporter avec eux.

[38]        Il a de plus laissé entendre qu’il avait changé de cabinet, et ce, de façon à être rattaché à un cabinet « avec des normes de conformité plus strictes ».

[39]        Il a rappelé que l’AMF l’avait autorisé à continuer à exercer la profession mais sous supervision. Il affirma que devant produire un rapport mensuel de ses activités, il était maintenant bien encadré.

[40]        Il a indiqué qu’il était fort désolé pour le couple Dubois et qu’il en était arrivé à un règlement satisfaisant avec eux (auquel avait participé le cabinet Peak et les assureurs en cause).

Chefs d’accusation 1 et 3

[41]        À ces chefs l’intimé a été reconnu coupable d’avoir fait souscrire à chacun de ses clients, M. et Mme Dubois, un prêt-levier de 50 000 $, une stratégie qui ne correspondait pas à leur profil d’investisseur et qui ne pouvait convenir à leurs situation et condition.

[42]        La gravité objective des infractions commises par l’intimé ne fait aucun doute. Elles vont au cœur de l’exercice de la profession.

[43]        Au moment des événements reprochés, M. et Mme Dubois étaient tous deux âgés de plus de 70 ans et recherchaient des placements généralement sûrs qui leur rapporteraient le supplément de revenu nécessaire au paiement de leur loyer et au maintien de leur train de vie (tel que l’a mentionné le comité au paragraphe 44 de sa décision sur culpabilité).

[44]        Compte tenu de leur âge, de leurs objectifs, de leur situation financière et personnelle, de leur budget, de leur besoin à court terme de revenus réguliers et stables, de leur minime capacité à payer les intérêts des prêts ainsi que de leur profil et de leur faible tolérance aux risques, une stratégie de prêt-levier ne pouvait être appropriée et était même à déconseiller[16].

[45]        Tel que le comité l’a indiqué à sa décision sur culpabilité, une stratégie de prêt-levier ne s’adresse généralement qu’à des investisseurs ayant une bonne connaissance et expérience en matière de placement, qui sont en mesure de bien en apprécier les risques et qui possèdent les moyens nécessaires pour régler les coûts d’intérêts sur les emprunts contractés.

[46]        Considérant ce qui précède et après révision tant des facteurs objectifs que des facteurs subjectifs, tant aggravants qu’atténuants, qui lui ont été présentés, le comité est d’avis que la condamnation de l’intimé à une radiation temporaire de deux (2) mois sous chacun de ces chefs, à être purgée de façon concurrente, serait en l’espèce une sanction juste, appropriée, adaptée aux infractions et respectueuse des principes d’exemplarité et de dissuasion dont il doit être tenu compte.

[47]        Bien qu’il soit toujours difficile de comparer les sanctions imposées dans un contexte particulier à celles qui devront être imposées dans un contexte différent dans l’affaire Delisle[17] citée par la plaignante, les faits se rapprochent quelque peu des faits en l’instance. Un seul couple semble avoir été impliqué, ce dernier a été indemnisé, le représentant a contracté l’engagement de suivre une formation et une mesure administrative de supervision lui avait été imposée par l’AMF. Le représentant y a toutefois été déclaré coupable de quinze (15) chefs d’accusation et a été condamné à une radiation temporaire de trois (3) mois alors qu’en l’espèce l’intimé a été reconnu coupable d’un nombre moindre de chefs d’accusation.

[48]        L’intimé sera donc condamné sous chacun de ces chefs à une radiation temporaire de deux (2) mois à être purgée de façon concurrente.

Chefs d’accusation 2 et 4

[49]        À ces chefs l’intimé a été reconnu coupable d’avoir fait investir ses clients, M. et Mme Dubois, dans des parts d’organisme de placement collectif qui ne correspondaient pas à leur profil d’investisseur, et ce, entre les mois de juin 2007 et août 2008.

[50]        La gravité objective desdites infractions, qui vont au cœur de l’exercice de la profession, est indéniable.

[51]        Tel que précédemment mentionné, au moment des événements reprochés, M. et Mme Dubois étaient tous deux âgés de plus de 70 ans et ne possédaient que peu de connaissances en matière de placement.

[52]        Ils n’étaient pas en mesure de prendre une forme de risque autre que minime avec les épargnes dont ils disposaient.

[53]        Or, tel qu’il l’a mentionné au paragraphe 67 de sa décision sur culpabilité, le comité souscrit aux propos de l’expert M. Thuotte à son rapport d’expertise lorsqu’il déclare : « Les opérations dans les comptes des clients ne correspondaient pas à la tolérance aux risques indiquée sur le formulaire d’ouverture de compte, ni à celle inscrite dans leur profil d’investisseur. Les opérations initiées par l’intimé ont fait en sorte d’augmenter le risque de leur portefeuille jusqu’à un niveau inacceptable au vu de leur situation. »

[54]        En l’espèce, au paragraphe 70 de sa décision le comité a conclu que :

a)      le portefeuille ne correspondait pas au profil d’investisseur de M. et Mme Dubois;

b)      les opérations ont fait en sorte que leur portefeuille est devenu de plus en plus risqué;

c)      à la demande des clients, l’intimé a dû faire des ajustements au fonds et sécuriser davantage le portefeuille en juillet 2008, ce qui a occasionné des frais de sortie en pourcentage importants; et

d)      le risque inhérent aux différentes opérations dans les comptes et celui des produits dans les comptes n’ont pas clairement été expliqués aux clients et compris par ceux-ci.

[55]        Après révision des éléments tant objectifs que subjectifs, aggravants et atténuants, qui lui ont été soumis, le comité est d’avis que l’imposition d’une radiation temporaire de deux (2) mois sous chacun de ces chefs à être purgée de façon concurrente constituerait une sanction juste et appropriée.

[56]        Le comité est d’avis que de telles sanctions, tout en étant adaptées aux infractions commises, respecteraient les principes d’exemplarité et de dissuasion dont il doit tenir compte.

[57]        L’intimé sera donc condamné sous chacun de ces chefs à une radiation temporaire de deux (2) mois à être purgée de façon concurrente.

[58]        Par ailleurs, compte tenu que le comité est d’avis, tel qu’il l’a exprimé dans sa décision sur culpabilité, que l’intimé semble présenter des lacunes au plan des connaissances des fonds d’investissement, il recommandera au conseil d’administration de la Chambre de lui imposer d’approfondir ses connaissances en suivant un cours de formation sur les fonds d’investissement au Canada, soit le cours de fonds d’investissement au Canada dispensé par CSI Global Education Inc. ou l’équivalent, l’intimé devant produire au conseil d’administration de la Chambre une attestation à l’effet que ledit cours a été suivi avec succès dans les douze (12) mois de la résolution du conseil d’administration, le défaut de s’y conformer résultant en la suspension de son droit d’exercice par l’autorité compétente jusqu’à la production d’une telle attestation.

[59]        Enfin, puisqu’aucun motif sérieux ne lui a été présenté qui le justifierait de se dispenser d’ordonner la publication de la décision ou d’éviter de condamner l’intimé au paiement des déboursés, le comité ordonnera la publication de la décision et condamnera l’intimé au paiement des déboursés.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

Sous les chefs 1 et 3 :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux (2) mois;

Sous les chefs 2 et 4 :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux (2) mois;

ORDONNE que toutes les sanctions de radiation temporaire soient purgées de façon concurrente;

RECOMMANDE au conseil d’administration de la Chambre de la sécurité financière d’imposer à l’intimé de suivre à ses frais le cours de formation dispensé par CSI Global Education Inc. intitulé : « Fonds d’investissement au Canada » ou l’équivalent, l’intimé devant produire au conseil d’administration une attestation à l’effet que ledit cours a été suivi avec succès dans les douze (12) mois de la résolution du conseil d’administration, le défaut de s’y conformer résultant en la suspension de son droit d’exercice par l’autorité compétente jusqu’à la production d’une telle attestation;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l’intimé un avis de la présente décision dans un journal où l’intimé a son domicile professionnel ou dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément à l’article 156(5) du Code des professions, L.R.Q. chap. C-26;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, L.R.Q. chap. C-26.

 

 

(s) François Folot

Me FRANÇOIS FOLOT, avocat

Président du comité de discipline

 

(s) Philippe Bouchard

M. PHILIPPE BOUCHARD, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Suzie Cloutier

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Martin Courville

DE CHANTAL, D’AMOUR, FORTIER

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

17 juillet 2012

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Psychologues (Ordre professionnel des) c. Fernandez De Sierra, 2005 QCTP 134.

[2]     Il était permis au syndic de rapporter les paroles du professionnel, même celles non constitutives d’un aveu extrajudiciaire notamment parce que ce dernier, présent à l’audience, avait la possibilité d’y apporter par son témoignage subséquent les correctifs ou nuances nécessaires.

[3]     Voir p. 30 et 31 des notes sténographiques de l’audition du 5 mai 2011.

[4]     Voir p. 61 des notes sténographiques de l’audition du 23 août 2011.

[5]     M. Jean-Claude Royer, La preuve civile, 3e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais 2003, p. 483.

[6]     Tel un représentant de l’Autorité des marchés financiers par exemple.

[7]     Ce n’est que le ou vers le 12 juin 2008 que l’intimé se serait véritablement enquit de la situation personnelle et financière de ses clients et aurait préparé à l’aide d’informations obtenues de ces derniers la pièce P-3. Et encore-là, il n’a alors préparé qu’un seul profil d’investisseur pour les deux (2) conjoints tandis qu’une saine pratique aurait exigé qu’il effectue un profil distinct pour chacun d’eux.

[8]     La nature des investissements qu’ils possédaient au moment de leur première rencontre avec l’intimé ainsi que leur comportement lorsque la valeur de leurs placements a diminué témoignent, bien qu’imparfaitement, de leur profil et de leur faible tolérance au risque.

[9]     Notes sténographiques de l’audition du 6 mai 2011, p. 153.

[10]     Celui-ci comprenait quatre (4) décisions antérieures de notre comité, soit les décisions rendues dans les affaires suivantes : Léna Thibault c. Michel L’Italien, CD00-0679, décision sur culpabilité et sanction en date du 10 octobre 2007; Léna Thibault c. Robert Pollender, CD00-0676, décisions sur culpabilité en date du 12 mars 2009 et sur sanction en date du 25 août 2009; Micheline Rioux c. Roger Biduk, CD00-0565, décision sur culpabilité en date du 6 juin 2006; Caroline Champagne c. Danny Delisle, CD00-0874, décision sur culpabilité et sanction en date du 16 décembre 2011.

[11]     Claude Martel c. Léna Thibault et Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière, Cour du Québec numéro 500-80-018263-112, 2012 QCCQ 90, décision en date du 16 janvier 2012.

[12]     Léna Thibault c. Christian Gignac, CD00-0693, décision sur culpabilité et sanction en date du 4 juin 2008.

[13]     Léna Thibault c. Diane Camplone, CD00-0615, décision sur culpabilité en date du 12 avril 2007 et sur sanction en date du 9 avril 2007.

[14]     Léna Thibault c. Jean R. Turgeon et Léna Thibault c. Denis Lemieux, CD00-0608 (Jean R. Turgeon), CD00-0606 (Denis Lemieux), décision sur culpabilité en date du 29 mai 2008 et décision sur sanction en date du 30 avril 2009.

[15]     Caroline Champagne c. Julie Letendre, CD00-0787, décision sur culpabilité en date du 17 décembre 2010 et sur sanction en date du 27 juillet 2011.

[16]     Voir paragraphes 49 et 50 de la décision sur culpabilité.

[17]     Caroline Champagne c. Danny Delisle, CD00-0874, décision sur culpabilité et sanction en date du 16 décembre 2011.

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