Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N°:

CD00-0729

 

DATE :

27 août 2009

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

M. Pierre Beaugrand, A.V.A.

Membre

M. Claude Trudel, A.V.A.

Membre

______________________________________________________________________

 

VENISE LÉVESQUE, en sa qualité de syndic adjoint par intérim de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

ROBERT FERLAND, conseiller en sécurité financière, conseiller en assurance et rentes collectives, représentant en épargne collective et planificateur financier

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

[1]   Le 15 juin 2009, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s’est réuni au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau, 26e étage, à Montréal, pour procéder à l’audition d’une plainte portée contre l’intimé qui contenait trois chefs d’accusation.

[2]   Bien que l’intimé fût absent à l’audience, il était représenté par procureur.

[3]   D’entrée de jeu, la plaignante demanda le retrait du troisième chef au motif de preuve insuffisante, ce qui fut accordé.

[4]   Les deux autres chefs de la plainte portée contre l’intimé sont les suivants :

Yolande Parent

1.             À St-Jean-sur-Richelieu, le ou vers le 7 ou 8 août 2006, l’intimé Robert Ferland, alors qu’il proposait à sa cliente Yolande Parent de souscrire une proposition d’assurance portant le numéro E608418, ayant donné lieu à l’émission de la police d’assurance vie universelle 04-4438324-1 par l’Industrielle-Alliance, en remplacement de la police vie universelle en vigueur auprès de ce même assureur portant le numéro 04-2012592-5, lui a fait des représentations incomplètes, fausses, trompeuses, ou susceptible d’induire en erreur, notamment à l’égard :

a)             des primes reliées à l’augmentation du montant du capital décès ainsi que de la protection supplémentaire «maladies graves»;

b)             des implications fiscales rattachées au transfert des valeurs accumulées de la police en vigueur;

c)             de la possibilité d’obtenir un congé de prime de manière permanente;

et, ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 12, 13, 14, 16 et 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière adopté en vertu de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2);

2.             À St-Jean-sur-Richelieu, le ou vers le 7 ou 8 août 2006 , l’intimé ROBERT FERLAND, alors qu’il faisait souscrire à sa cliente Yolande Parent une proposition d’assurance portant le numéro E608418, ayant donné lieu à l’émission de la police d’assurance vie universelle portant le numéro 04-4438324-1 par l’Industrielle-Alliance, en remplacement de la police vie universelle en vigueur auprès de ce même assureur, a fait défaut de favoriser le maintien en vigueur de la police numéro 04-2012592-5, alors que son remplacement n’était pas justifié dans l’intérêt du preneur ou de l’assurée et, ce faisant, l’intimé a contrevenu à l’article 20 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (c. D-9.2, r.1.3) adopté en vertu de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.RQ. c. D-9.2;

[5]   Le procureur de l’intimé enregistra pour son client un plaidoyer de culpabilité sur les chefs 1 et 2 et en déposa une copie signée par l’intimé (I-1).

[6]   La plaignante a produit avec le consentement de l’intimé la preuve documentaire (P-1, P-1 A, P-4 à P-23).  Quant aux pièces constituées du curriculum vitae et du rapport d’expertise de M. Alain Latulippe (P-2 et P-3), témoin expert retenu par la plaignante aux fins du chef 2, elles furent déposées sous réserve de l’objection du procureur de l’intimé quant à leur production.  Cette objection fut prise sous réserve par le comité qui en disposera ultérieurement à l’étape de l’analyse de la présente décision.  À l’appui de son objection, le procureur de l’intimé produisit le curriculum vitae de l’intimé et une lettre qu’il adressait, antérieurement au plaidoyer de culpabilité de son client, à l’avocate de la plaignante (I-2 et I-3) l’informant plus particulièrement de la production des documents auxquels il ne s’objectait pas moyennant la présence pour fins de contre-interrogatoire des auteurs ou signataires desdits documents comme la consommatrice Mme Yolande Parent et M. Alain Latulippe, expert retenu par la plaignante. 

LES FAITS

[7]   Compte tenu du plaidoyer de culpabilité, nous nous limiterons à résumer les faits les plus pertinents.

[8]   L’intimé est représentant en assurance de personnes depuis 1982 (P-1A). 

[9]   En 1988, Mme Yolande Parent avait contracté, par l’entremise d’un autre représentant, une police d’assurance-vie universelle de 50 000 $ (P-4).  À l’émission de cette police, la mère de Madame Parent fut inscrite comme bénéficiaire.  En 1993, Mme Parent changea la bénéficiaire pour choisir sa fille, Marie-Michèle, née le 3 mars 1991. 

[10]       Ayant repris la clientèle du précédent représentant, l’intimé qui serait devenu le représentant de Mme Parent en 2005, ne communiqua pour la première fois avec cette dernière qu’en avril 2006 (P-6).

[11]       Une rencontre s’en est suivie en août 2006 où une proposition d’assurance-vie universelle de 100 000 $ avec l’Industrielle-Alliance, à laquelle était greffée une assurance pour maladie grave de 25 000 $, fut complétée et signée par la cliente (P-7). 

[12]       Au préalable, l’intimé avait procédé à une analyse de besoins au décès (P-11) indiquant un besoin d’assurance supplémentaire de 58 502 $ basé, entre autres, sur la prémisse que Mme Parent détenait déjà 100 000 $ d’assurance sur sa vie bien qu’elle n’était propriétaire que d’un montant d’assurance de 50 000 $ puisque l’autre 50 000 $ était une assurance détenue sur sa vie par son conjoint et dont il était seul bénéficiaire. 

[13]       Le montant de la proposition prévoyait une couverture d’assurance jusqu’à ce que la fille de Madame Parent ait atteint 31 ans.  Le prix cible mensuel de cette nouvelle police d’assurance-vie universelle de l’Industrielle-Alliance de 100 000 $ avec une assurance maladie grave de 25 000 $ était fixé à 108,31 $ (P-12) comparativement à un prix cible mensuel de 60 $ pour l’assurance précédente.  Le taux d’intérêt minimum garanti dans ce nouveau contrat était de 1% alors qu’il était de 4% dans le premier.  L’intimé procéda à un préavis de remplacement (P-8). 

[14]       L’intimé procéda au remplacement de la précédente assurance qui fit l’objet d’un rachat par Madame Parent sur les conseils de l’intimé. 

[15]       Au moment de la proposition et souscription de cette nouvelle police, Mme Parent et son époux, M. Serge Piquette, étaient en processus de séparation.  Jusqu’alors, Mme Parent travaillait pour l’entreprise de son mari.  En raison de la séparation, sa situation financière devenait précaire se retrouvant sans emploi.  Elle aurait indiqué à l’intimé qu’il était important pour elle de ne pas payer une prime mensuelle supérieure à 60 $ et même d’en être libérée grâce aux argents déposés qui proviendraient du rachat de la précédente.  Elle désirait aussi que le tout soit à l’abri de l’impôt. 

[16]       Suite à cette souscription et sur les conseils de l’intimé, les argents accumulés sur la première police ont été déposés dans le nouveau contrat, occasionnant des impôts à payer vu le rachat de la première police d’une part (P-18, p.123), et la surcapitalisation du compte transitoire du nouveau contrat d’autre part (P-18, p.122) sans négliger les taxes afférentes et autres frais, ce que l’intimé avoua ignorer (P-22 et P-23).

REPRÉSENTATIONS SUR SANCTION

[17]       La plaignante releva les facteurs aggravants suivants :

         Le nombre d’années d’expérience de l’intimé soit environ 24 ans;

         L’absence de remise en état de la première police;

         Le préjudice financier subi par la cliente dont les impôts et l’augmentation de la prime;

         L’absence de repentir.

[18]       Toutefois, elle retint comme facteurs atténuants :

      Le fait qu’il s’agisse d’un acte isolé et à l’égard d’un seul consommateur;

      L’absence d’antécédent disciplinaire;

      L’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité;

      Aucun élément ne laissant présager un risque de récidive.

[19]       La plaignante, s’appuyant sur des décisions rendues sur des infractions semblables, fit part au comité des recommandations communes quant aux sanctions :

         Pour le chef 1, une amende de 2 000 $;

         Pour le chef 2, une amende de 1 500 $;

         La condamnation aux déboursés et frais d’enregistrement.

OBJECTION DE L’INTIMÉ QUANT AUX FRAIS D’EXPERTISE

[20]       Les parties ont respectivement soumis leurs arguments quant à la condamnation aux frais d’expertise.

[21]       Le procureur de l’intimé soumit que son client devrait être dispensé d’acquitter les frais d’expertise (P-3).  Essentiellement, il allégua que les pièces produites par la plaignante démontraient les éléments essentiels de l’infraction de sorte que l’expertise n’était pas nécessaire pour faire la preuve du deuxième chef d’accusation lui reprochant d’avoir fait défaut de favoriser le maintien en vigueur d’une police existante.  Il dit avoir aussi noté, dès la première lecture du rapport, des erreurs de faits et de droit.  Il en fournit quelques exemples comme le fait de dire que Mme n’avait pas de dépendant alors que le couple avait une fille mineure et qu’aucun fait ne permettait de dire qu’elle n’en avait pas la charge.

[22]       De même, au chapitre de la description des faits du rapport, le procureur de l’intimé souligna, entre autres, l’utilisation de l’expression «sous prétexte»[1], y voyant là une manifestation de partialité de l’expert et ajouta que ce dernier, s’appuyant souvent sur les faits rapportés par la consommatrice, les tenait pour avérés. 

[23]       Au chapitre de l’analyse et opinion, il lui reprocha de se prononcer sur le droit alors qu’il déclare que l’intimé a priorisé ses intérêts en plus d’affirmer que «sa motivation étant de toucher une commission»[2] . Enfin, il conclut que tout cela l’amenait à douter de l’impartialité de l’expert et demanda au comité de rejeter l’expertise et la demande de condamnation de l’intimé aux frais en découlant. 

[24]       Le ou vers 22 juin 2009, donnant suite à la demande du comité, le procureur de la plaignante lui transmit, ainsi qu’au procureur de l’intimé, les documents dont l’expert avait pris connaissance pour les fins de son expertise et qui étaient absents du cahier de pièces produites par la plaignante avec le consentement de l’intimé. 

[25]       Dans cet envoi, le procureur de l’intimé, par lettre adressée au procureur de la plaignante le 18 juin 2009, confirmait qu’il avait reçu les pièces mentionnées mais l’informait qu’il s’objectait : «à ce que les éléments et le contenu de ces documents, en particulier les propos rapportés lors des échanges entre Mme Brien (sic)[3] et Mme Parent entre autres, soient considérés comme avérés. Nous n’acceptons pas que ces documents soient déposés à ce titre».

[26]       Pour sa part, la plaignante représenta que cette expertise était nécessaire pour instituer la plainte eu égard au deuxième chef car il y avait un risque que les faits ne puissent permettre au comité, sans l’opinion d’un expert, de conclure à la culpabilité de l’intimé sur ledit chef.  Elle soumit que l’enregistrement, par la suite, d’un plaidoyer de culpabilité par l’intimé ne pouvait le soustraire aux frais d’expertise encourus dans les circonstances.  Elle réitéra que : «l’expertise et les documents consultés pour sa préparation doivent être pris en compte par le Comité pour juger du chef # 2 (défaut de favoriser le maintien en vigueur d’une police existante)»[4].

ANALYSE ET CONCLUSIONS

[27]       Le comité prend acte du plaidoyer de culpabilité par lequel l’intimé reconnaît les gestes reprochés et que ceux-ci constituent des infractions déontologiques.  En conséquence, l’intimé sera déclaré coupable sur chacun des chefs 1 et 2 de la plainte.

[28]       Après étude des décisions soumises au soutien des sanctions, le comité estime que les amendes proposées sont conformes à la norme pour des infractions de même nature et donnera suite aux recommandations communes.

[29]       Relativement à l’objection quant aux frais d’expertise, le procureur de l’intimé soumit que par sa lettre du 5 juin 2009 (I-3) il avait indiqué ne pas s’objecter au dépôt du rapport (P-3) de M. Latulippe en autant que ce dernier soit disponible pour être contre-interrogé.  Or, M. Latulippe n’était pas présent à l’audience.  Cet argument doit être rejeté.  Cette lettre a été adressée dans un contexte de contestation de la plainte.  Il va de soi que face à un plaidoyer de culpabilité, la situation devenait toute autre et la plaignante n’avait plus besoin de la présence de l’expert à l’audience sans pour autant renoncer à la preuve que constituait son rapport.

[30]       Quant à l’argument du procureur alléguant l’inadmissibilité du rapport basé sur le fait que M. Latulippe y formulerait des opinions qui excèdent son domaine d’expertise plus particulièrement en s’arrogeant le rôle du comité de discipline, il est aussi rejeté.  Comme la Cour Suprême statuait dans l’arrêt Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374:

«(…) le témoignage d’un expert ne lie pas quant à la question de droit précise que le juge est appelé à trancher. Cette question relève du domaine du juge».[5]

[31]       Aussi, dans R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223 se prononçant quant à la règle applicable en matière de qualification d’expert, la Cour déclare:

« La seule condition à l’admission d’une opinion d’expert est que "le témoin expert possède des connaissances et une expérience spéciales qui dépassent celles du juge des faits": R. c. Béland, [1987] 2 R.C.S. 398, à la p. 415.  Les failles dans l'expertise concernent la valeur du témoignage et non son admissibilité. »

[32]       En tant qu’expert, le rôle de M. Latulippe se limite à fournir une opinion sur les normes de pratique généralement reconnues dans la profession ou l’industrie eu égard aux faits énoncés dans la plainte afin d’éclairer le comité qui est celui qui aura à déterminer en analysant l’ensemble de la preuve si l’intimé a enfreint ces normes déontologiques. 

[33]       Il importe de rappeler le commentaire du Tribunal des professions dans Gourgi c. Dentistes[6] où il déclare quant au rejet d’une expertise en droit disciplinaire:

« [c]ette règle de prudence est d'autant plus importante en matière disciplinaire puisque les membres ne peuvent palier ou suppléer à la preuve pour déterminer si le professionnel a enfreint «les normes scientifiques généralement reconnues en médecine dentaire».»[7] 

[34]       Il est certain qu’en présence d’un plaidoyer de culpabilité de l’intimé, comme en l’espèce, l’expertise n’a plus la même utilité mais la plaignante ne pouvait présumer de ce plaidoyer lors de l’institution de la plainte.  Ainsi, vu le fardeau de preuve incombant à la plaignante, le comité ne peut conclure que l’expertise n’était pas utile. Aussi, il en découle que les documents consultés par l’expert pour procéder à son rapport, devaient aussi être transmis au comité afin d’apprécier le bien fondé de son opinion. Dans les circonstances, le comité rejette les objections de l’intimé eu égard aux frais de l’expertise et à la production des documents ayant servi à celle-ci. 

[35]       En conséquence, le comité estime qu’il n’y a pas lieu de déroger au principe voulant que la partie qui succombe assume les frais incluant ceux de l’expertise.

POUR CES MOTIFS, le comité de discipline

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sur les chefs d’accusation 1 et 2 contenus à la plainte, le retrait du chef 3 ayant été accordé;

DÉCLARE l’intimé coupable des infractions reprochées aux chefs d’accusation 1 et 2;

ET STATUANT SUR LA SANCTION 

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 2 000 $ sur le chef 1 et d’une amende de 1500 $ sur le chef 2, le tout totalisant 3 500 $;

CONDAMNE l’intimé aux déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (L.R.Q. c. C-26) ainsi que les frais d’expertise.

 

 

(s) Janine Kean

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(s) Pierre Beaugrand

M. Pierre Beaugrand, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Claude Trudel

M. Claude Trudel, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Clément Groleau

TRUDEL NADEAU

Procureurs de la partie intimée

 

 

Date d’audience :

15 juin  2009

 

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ



[1] P-4, p. 356 de la divulgation de la preuve, ligne 4. 

[2] P-4, p. 358 de la divulgation de la preuve, ligne 1-2 et la dernière de la page.

[3] Lire Mme Blouin, enquêteur pour le bureau du syndic de la Chambre de la sécurité financière.

[4] Lettre de Me Julie Piché en date du 22 juin 2009 transmise au comité par le secrétariat du comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière.

[5] Version AZ-91111033, p. 94 de 122.

[6] Gourgi c. Dentistes, 2003 QCTP 121.

[7] Voir note précédente, par. 31.

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