Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0815

 

DATE :

4 novembre 2010

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Patrick Haussmann, A.V.C.

Membre

M. Bruno Therrien, Pl. Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

Me CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

M. ROBERT MORIN, conseiller en sécurité financière, conseiller en assurance et rentes collectives, planificateur financier et représentant de courtier en épargne collective (numéro de certificat 124512 et numéro BDNI 1600621)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR REQUÊTE EN ARRÊT DES PROCÉDURES

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 13 octobre 2010, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni aux locaux de la Commission des lésions professionnelles située au 500, boulevard René-Lévesque Ouest, Montréal, et a procédé à l'audition d'une requête en arrêt des procédures et ou subsidiairement en exclusion de la preuve présentée par l’intimé ainsi libellée :

LA REQUÊTE

 

 

 

 

 

REQUÊTE EN ARRÊT DES PROCÉDURES ET OU SUBSIDIAIREMENT EN EXCLUSION DE LA PREUVE

(Articles 35 ET 49 DE LA CHARTE)

 

 

 

AU PRÉSIDENT DU COMITÉ DE DISCIPLINE DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE, LE DÉFENDEUR-REQUÉRANT EXPOSE REPSECTUEUSEMENT CE QUI SUIT:

 

 

1.                 En date du 10 mai 2010, l’intimé-REQUÉRANT était sommé de répondre aux accusations suivantes, à savoir :

 

 

CONFLITS D’INTÉRÊTS

 

À Laval, entre vers le 24 janvier 2000 et le 19 février 2001, l’intimé ROBERT MORIN s’est placé en situation de conflit d’intérêts et a fait défaut de subordonner son intérêt personnel à celui de 31 de ses clients en leur vendant des actions de Newtech International que lui-même détenait et dont il avait lui-même déterminé le prix, en contravention des articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et 11, 18 et 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q. c. D-9.2, r. 1.01);

 

À Laval, le ou vers le 18 décembre 2001, l’intimé ROBERT MORIN s’est placé en situation de conflit d’intérêts et a fait défaut de subordonner son intérêt personnel à celui de sa cliente Danielle Carrier, en lui vendant 217 actions de Newtech International que lui-même détenait, sans l’informer qu’il en était le propriétaire et qu’il en avait lui-même déterminé le prix à environ 23$, en contravention des articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11, 12, 13, 14, 16, 18 et 19 du Code de déontologique de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q. c. D09.2, r. 1.01) et 2, 7, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q. c. D-9.2, r. 1.1.2);

 

 

ACTIVITÉS SANS DROIT D’EXERCICE

 

À Laval, entre vers le 24 janvier 2000 et le 18 décembre 2001, l’intimé ROBERT MORIN a fait souscrire à 32 de ses clients 10 589 actions de Newtech International pour une somme totale de 222 437$, alors qu’il n’était pas autorisé à offrir un tel placement en vertu de sa certification, contrevenant ainsi aux articles 9, 12, 13 et 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et aux articles 12 et 16 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q. c. D-9.2, r. 1.1.2);

 

APPROPRIATION

 

À Laval, entre vers le 24 janvier 2000 et le 18 décembre 2001, l’intimé ROBERT MORIN s’est approprié la somme approximative de 110 667$ d’environ 37 personnes dont 32 de ses clients, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11, 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière  (L.R.Q. c. D-9.2, r. 1.01) et aux articles 6 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q. c. D-9.2, r. 1.1.2).

 

2.                 Tel qu’il sera démontré lors de l’audition sur la présente requête, les faits reprochés à l’intimé-REQUÉRANT se seraient déroulés en partie en 1995 et en 2001, tel qu’il appert de la plainte de Danielle Carrier, communiquée par la plaignante-INTIMÉE;

 

3.                 Les faits à l’origine des plaintes dirigées contre l’intimé-REQUÉRANT ont pour origine la vente des actions d’une entreprise connue et désignée sous le nom de Newtech, tel qu’il appert de la divulgation de la preuve communiquée par la plaignant-INTIMÉE;

 

4.                 Or, tel qu’il appert du libellé des accusations dirigées contre l’intimé-REQUÉRANT, l’ensemble des faits qui lui sont reprochés concerne la vente des actions que détenaient ce dernier au sein de l’entreprise Newtech, en 1999, 2000 et 2001, tel qu’il appert de la divulgation de la preuve communiquée par la plaignante;

 

5.                 L’intimé-REQUÉRANT sera dans l’impossibilité de présenter une défense pleine et entière à l’endroit des accusations dirigées contre lui, puisque par l’écoulement du temps, ce dernier sera dans l’impossibilité de présenter plusieurs éléments essentiels à sa défense;

 

6.                 En effet, il est à craindre que plusieurs témoins, clients de l’intimé-REQUÉRANT à l’époque, ne seront pas en mesure de témoigner des circonstances les ayant mené à faire l’acquisition desdites actions;

 

7.                 Par ailleurs, il sera impossible pour l’intimé-REQUÉRANT de recréer et par le fait même, de faire la preuve du climat euphorique qui régnait quant aux actions de Newtech, préalable à la vente de celles-ci par l’intimé-REQUÉRANT;

 

8.                 Le droit à une défense pleine et entière est un droit fondamental appartenant à l’intimé-REQUÉRANT et, ce dernier est en droit d’offrir une défense pleine et entière à l’encontre des accusations sérieuses dirigées contre lui;

 

9.                 La garantie fondamentale du droit à une défense pleine et entière est une garantie qui vise à assurer aux parties un droit inaliénable de présenter tous les éléments de preuve qu’ils estiment pertinents aux fins de faire échec aux accusations dirigées contre ces derniers;

 

10.               Compte tenu de la violation de ce droit fondamental de l’intimé-REQUÉRANT, il est évident que ce dernier ne sera pas en mesure de se défendre pleinement à l’endroit des accusations portées contre lui, puisqu’il est de l’essence même de ces accusations d’établir la valeur des actions Newtech au moment où l’intimé-REQUÉRANT est accusé de les avoir vendues à ses clients;

 

11.               Il est peu réaliste d’exiger de l’intimé-REQUÉRANT, plus de dix (10) ans après les faits, la démonstration de l’engouement du public pour les actions Newtech et du désir du public en général d’en faire l’acquisition à tout prix;

 

12.               Pour l’ensemble de ces raisons, considérant que l’intimé-REQUÉRANT sera dans l’impossibilité de présenter une défense pleine et entière aux accusations dirigées contre lui, il est dans l’intérêt de l’intimé-REQUÉRANT et l’intérêt ultime de la justice à ce qu’il soit ordonné un arrêt des procédures, compte tenu de l’atteinte aux droits de l’intimé-REQUÉRANT à une défense pleine et entière;

 

13.               La présente requête est bien fondée en faits et en droit.

 

 

POUR CES MOTIFS, PLAISE AU TRIBUNAL :

 

ACCUEILLIR la requête de l’intimé-REQUÉRANT en arrêt des procédures;

 

ORDONNER l’arrêt des procédures comme remède approprié eu égard à la violation des droits constitutionnels de l’intimé-REQUÉRANT;

 

LE TOUT avec dépens.

 

                                     Laval, ce 31ième  jour d’août 2010

 

 

                                    

                                     ______________________________

                                     HOWARD & ASSOCIÉS

                                     Procureurs de l’intimé-REQUÉRANT

 

[2]           L’intimé allègue à sa requête que la plainte déposée contre lui par la syndique, Me Caroline Champagne, en date du 10 mai 2010, réfère à des événements survenus en partie en 1995 et en 2001.

[3]           Il allègue de plus qu’il appert du libellé des accusations dirigées contre lui que « l’ensemble des faits qui lui sont reprochés concerne la vente d’actions » qu’il détenait au sein de l’entreprise Newtech en 1999, 2000 et 2001.

[4]           Il soutient qu’à cause de « l’écoulement du temps » il lui sera impossible de présenter plusieurs éléments essentiels à sa défense.

[5]           Il indique notamment qu’il est à craindre que plusieurs témoins, ses clients à l’époque concernée, ne soient aptes à témoigner des circonstances entourant leur acquisition des actions de l’entreprise précitée.

[6]           Il invoque de plus qu’il lui sera impossible de « recréer et par le fait même de faire la preuve du climat euphorique » qui régnait quant aux actions de Newtech préalablement à la vente de celles-ci.

[7]           Ainsi il soutient que le délai entre les événements reprochés et le dépôt de la plainte l’empêchera de bénéficier d’une défense pleine et entière puisque « la garantie fondamentale du droit à une défense pleine et entière est une garantie qui vise à assurer aux parties un droit inaliénable de présenter tous les éléments de preuve qu’ils estiment pertinents aux fins de faire échec aux accusations dirigées contre ces derniers ».

[8]           Compte tenu de ce qu’il qualifie de violation de son droit fondamental, il plaide qu’il ne sera pas en mesure de se défendre pleinement à l’endroit des accusations portées contre lui.

[9]           Pour ces motifs, compte tenu de l’atteinte à ses droits à une défense pleine et entière, il soumet, qu’en l’instance, il est dans l’intérêt de la justice que soit ordonné l’arrêt des procédures.

[10]        Ajoutons que lors de l’audition sur sa requête, l’intimé a présenté un amendement à celle-ci pour y ajouter la conclusion suivante : « ou subsidiairement écarter tous les éléments de preuve concernant les faits allégués aux paragraphes 1, 3 et 4 de la plainte ».

[11]        Au soutien de cette conclusion subsidiaire, l’intimé a invoqué que, comme le libellé de la plainte, à ces paragraphes, était à son avis vague et imprécis puisqu’il ne faisait aucunement état du nom des clients visés, le comité devait écarter une preuve pour laquelle il ne serait ainsi pas en mesure de présenter une défense.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[12]        Dans l’arrêt Blencoe[1], la Cour suprême du Canada a décrété que les principes de justice naturelle, notamment celui qui se rapporte au droit d’être jugé dans un délai raisonnable devait recevoir application en matière de droit administratif.

[13]        Elle y a aussi indiqué que pour conclure à un manquement à l’obligation d’agir équitablement il fallait que le délai invoqué soit « manifestement inacceptable et avoir directement causé un préjudice important »[2].

[14]        Ainsi le simple constat d’un délai entre les infractions reprochées et le dépôt de la plainte ne peut suffire à autoriser une ordonnance en arrêt des procédures[3].

[15]        En l’espèce l’intimé indique à sa requête qu’à cause de l’écoulement du temps, il sera dans l’impossibilité de présenter « plusieurs éléments essentiels à sa défense ».

[16]        Toutefois, outre ce qu’il mentionne aux paragraphes 6, 7, 10 et 11 de sa requête, il ne précise pas quels sont les éléments essentiels auxquels il fait allusion et ne précise aucunement comment l’absence desdits éléments le privera de son droit à présenter sa défense.

[17]        À ces paragraphes, l’intimé allègue qu’à cause de l’écoulement du temps, il est à craindre que plusieurs témoins ne puissent être en mesure de témoigner des circonstances liées aux événements en cause.

[18]        Au soutien de cette prétention, l’intimé ne mentionne toutefois aucun élément précis et n’invoque aucun préjudice particulier sérieux et réel si ce n’est généralement l’incapacité à présenter une défense pleine et entière.

[19]        De la même façon, ses affirmations voulant qu’il ne soit pas en mesure de faire la preuve du « climat euphorique qui régnait » quant aux actions en cause, de « l’engouement du public » pour leur acquisition ou de leur « valeur au moment où il est accusé de les avoir vendues » ne nous ont pas été démontrées. (Pas plus que la pertinence de ces faits en regard de la présentation d’une défense aux infractions qui lui sont reprochées.)

[20]        Il est vrai qu’il ne peut être exclu que les délais invoqués puissent comporter certaines difficultés de preuve pour l’intimé (comme pour la plaignante d’ailleurs) mais cela n’est pas suffisant pour que le comité puisse ordonner un arrêt des procédures.

[21]        Pour réussir sur sa requête l’intimé devait faire la démonstration d’un empêchement spécifique portant significativement atteinte à sa capacité de présenter une défense pleine et entière aux chefs d’accusation portés contre lui. La simple preuve d’obstacles ou d’inconvénients ne pouvait suffire car le droit à une défense pleine et entière ne doit pas être interprété comme signifiant le droit à une défense parfaite ou idéale[4].

[22]        Les tribunaux supérieurs ont depuis toujours reconnu qu’une requête en arrêt des procédures ne devrait être accordée qu’exceptionnellement et que dans les cas les plus manifestes.

[23]        L’honorable juge Charles D. Gonthier (alors à la Cour supérieure) écrivait à cet effet dans l’affaire Neiss c. Durand citée dans Psychologues (Corporation professionnelle des) c. Blanchette, 1994 D.D.C.P. 161, 165 : « …. L’arrêt définitif des procédures est une sanction ultime et de dernier ressort en ce qu’il empêche que le bien-fondé des plaintes soit décidé et que le respect de la loi soit assuré. Or, le maintien de la discipline professionnelle est de première importance dans la société (…). Un indice de cette importance est le fait qu’en matière de discipline professionnelle il n’y a pas de prescription ».

[24]        La preuve présentée par l’intimé n’a pas démontré que le délai invoqué par ce dernier portera atteinte à l’intégrité de l’audition ou que nous soyons en présence d’un de ces cas manifestes qui nous justifierait d’ordonner l’arrêt des procédures.

[25]        À ce stade-ci l’intimé n’a aucunement établi la preuve d’un préjudice précis et réel.

[26]        Ce n’est qu’au fur et à mesure que la preuve sera présentée devant le comité que celui-ci pourra décider si les délais qui se sont écoulés entre les événements en cause et le dépôt de la plainte ont privé l’intimé de la présentation d’une défense pleine et entière et lui ont réellement causé un préjudice.

[27]        Par ailleurs, relativement aux conclusions amendées de sa requête par lesquelles l’intimé requiert de façon subsidiaire l’exclusion de la preuve ou de certains éléments de preuve à l’égard des chefs 1, 3 et 4, le comité estime que les représentations du procureur de l’intimé pourraient peut-être valoir au soutien d’une requête pour particularités mais ne donnent pas ouverture à une requête en exclusion de preuve ou en arrêt des procédures.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

REJETTE la requête en arrêt des procédures et/ou subsidiairement en exclusion de la preuve.

 

 

 

(s) François Folot

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

(s) Patrick Haussmann

M. PATRICK HAUSSMANN, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

(s) Bruno Therrien

M. BRUNO THERRIEN, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Sylvie Poirier

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Nina V. Fernandez

HOWARD & ASSOCIÉS

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

13 octobre 2010

 

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S., p. 307.

[2]     Voir l’analyse du juge Bastarache au par. 115 de l’arrêt précité.

[3]     Voir Terjanian c. Dentistes, 2008 Q.C.T.P. 97.

[4]     Voir Notaires c. Legault, 2000 D.D.O.P. 187.

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