Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0589

 

DATE :

11 mai 2011

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Yvon Fortin, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

 

______________________________________________________________________

 

Me MICHELINE RIOUX, en sa qualité de syndic de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

M. YVAN PRÉVOST, conseiller en sécurité financière et représentant en épargne collective

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION CORRIGÉE

Article 161.1 du Code des professions

______________________________________________________________________

 

[1]           Les 15 et 16 septembre 2010, au siège social de la Chambre de la sécurité financière sis au 300, rue Léo-Pariseau, bureau 2600, Montréal, les 18, 19, 20, 25, 26 et 27 octobre 2010, aux locaux de la Commission des lésions professionnelles sis au 500, boulevard René-Lévesque Ouest, Montréal, et les 24 et 29 novembre 2010, de nouveau au siège social de la Chambre, le comité de discipline s’est réuni et a procédé à l’audition d’une plainte disciplinaire amendée portée contre l’intimé ainsi libellée :

 

LA PLAINTE AMENDÉE

« Cliente Nathalie Nadeau

1.            À Fleurimont, le ou vers le 18 janvier 2000, l’intimé Yvan Prévost a conseillé à sa cliente Nathalie Nadeau de procéder au transfert de sommes détenues par ladite cliente ou détenues par elle à titre de tutrice de ses enfants Tomy Roy et Tania Roy auprès du Groupe Investors pour être transférées dans divers fonds par l’intermédiaire de Groupe Futur Inc. et ce, alors que tel transfert n’était pas dans l’intérêt de sa cliente et ne correspondait pas à la situation financière et aux objectifs de placements décrits par sa cliente et, ce faisant, l'intimé a contrevenu aux articles 16 et 51 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

2.            À Fleurimont, le ou vers le 11 juillet 2001, l’intimé Yvan Prévost a fait souscrire à sa cliente Nathalie Nadeau une proposition pour l’émission d’une police d’assurance-vie auprès de TransAmerica pour un capital d’un million de dollars comportant des primes de 3 000 $ par trimestre et ce, alors que la souscription d’une telle police n’était pas dans l’intérêt de la cliente qui détenait déjà une police d’un capital de 250 000 $, ladite transaction ayant été conclue d’abord dans l’intérêt de l’intimé et, ce faisant, l'intimé a contrevenu aux articles 19 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

3.            À Fleurimont, le ou vers le 11 juillet 2001, l’intimé Yvan Prévost, alors qu’il faisait souscrire à sa cliente Nathalie Nadeau une proposition pour l’émission d’une police d’assurance-vie auprès de TransAmerica, a fait défaut d’indiquer dans ladite proposition le fait qu’une police d’assurance-vie d’un capital de 250 000 $ couvrait déjà la vie de ladite cliente et, ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

4.            À Fleurimont, le ou vers le 14 août 2000, l’intimé Yvan Prévost a suggéré à sa cliente Nathalie Nadeau de souscrire un prêt levier de 250 000 $ dont le produit serait investi dans des fonds communs, laquelle transaction était inappropriée dans les circonstances financières et personnelles de la cliente et, ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 18, 19 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière et aux articles 16 et 51 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

Client Ghislain Gingras

5.            À Sherbrooke, le ou vers le 25 avril 2001, l’intimé Yvan Prévost, alors qu’il faisait souscrire à son client Ghislain Gingras une police d’assurance-vie d’un capital de deux millions de dollars portant le numéro 080214907 auprès de TransAmerica, a fait défaut de procéder à l’analyse des besoins financiers exigée par les articles 6 et 22(1) du Règlement sur l’exercice des activités des représentants et, ce faisant, l'intimé a contrevenu auxdits articles;

6.            À Sherbrooke, le ou vers le 25 avril 2001, l’intimé Yvan Prévost a fait signer à son client Ghislain Gingras une proposition pour l’émission d’une police d’assurance-vie  d’un capital de deux millions de dollars portant le numéro 080214907 auprès de TransAmerica sans avoir rempli avec ledit client le questionnaire d’assurabilité, lui ayant fait signer ladite proposition en blanc et, ce faisant, l'intimé a contrevenu à l’article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière et à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

7.            À Sherbrooke, le ou vers le 26 novembre 2001, l’intimé Yvan Prévost a contrefait ou induit une tierce personne à contrefaire la signature de son client Ghislain Gingras sur un document intitulé « Modification à la proposition » de TransAmerica, lequel document faisait état de l’émission de ladite police avec une surprime de 150 pour cent et, ce faisant, l'intimé a contrevenu aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière et à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

8.            À Sherbrooke, le ou vers le 26 novembre 2001, l’intimé Yvan Prévost a signé à la place de son client Ghislain Gingras sur un document intitulé « Demande de service » requérant un mode de changement de la prime de la police TransAmerica portant le numéro 080214907 ainsi qu’un changement de l’adresse de facturation (pour l’établir à son cabinet) sans obtenir l’autorisation de son client et, ce faisant, l'intimé a contrevenu aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière et à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

Client Guy Laporte

9.            À Sherbrooke, le ou vers le 6 mai 2002, l’intimé Yvan Prévost, alors qu’il faisait souscrire à son client Guy Laporte une police d’assurance-vie d’un capital d’un million de dollars portant le numéro 080298513 auprès de TransAmerica, a fait défaut de procéder à l’analyse des besoins financiers exigée par les articles 6 et 22(1) du Règlement sur l’exercice des activités des représentants et, ce faisant, l'intimé a contrevenu auxdits articles;

10.          À Sherbrooke, le ou vers le printemps 2002, l’intimé Yvan Prévost a représenté à son client Guy Laporte que la police d’assurance-vie universelle portant le numéro 080298513 de TransAmerica était alors une police temporaire que Monsieur Laporte pouvait transformer en police vie universelle lorsque le client serait prêt à investir, l’intimé sachant ses représentations fausses et inexactes et, ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière et à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

11.          À Sherbrooke, le ou vers le 20 juin 2002, l’intimé Yvan Prévost a, en utilisant un formulaire signé en blanc par son client Guy Laporte, retiré une somme de 50 000 $ du compte de placement Fidelity détenu par son client afin de payer la prime de la police TransAmerica qu’il lui avait fait souscrire et ce, sans autorisation et à l’insu de son client et, ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière et à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

Client Léandre Lachance

12.          À Sherbrooke, entre le ou vers le 6 juillet 2000 et le ou vers le 17 août 2000, l’intimé Yvan Prévost a ouvert des comptes pour son client Léandre Lachance auprès des compagnies RC, Mackenzie, AGF et Fidelity et y a transféré des placements REER dudit client et ce, sans chercher à avoir une connaissance complète de la situation de son client et alors que tels placements ne répondaient pas à la situation personnelle et financière de son client et aux objectifs de ce dernier et, ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 15 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière et aux articles 16 et 51 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

13.          À Sherbrooke, entre le ou vers le 16 août 2000 et le ou vers le 20 novembre 2000, l’intimé Yvan Prévost a signé ou induit une tierce personne à signer pour son client Léandre Lachance trois fiches de transaction de Groupe Futur sans obtenir l’autorisation de son client et, ce faisant, l'intimé a contrevenu aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière et à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

Clients Laurier Turgeon et David Turgeon

14.          À Victoriaville, entre le ou vers le 12 juillet 2002 et le ou vers le 1er octobre 2002, l’intimé Yvan Prévost a fait souscrire à son client Laurier Turgeon, à la compagnie de ce dernier, à savoir 2739-7595 Québec Inc., et à Fiducie David Turgeon  les quatre polices d’assurance suivantes :

Compagnie

Numéro

Assuré

Capital d’assurance

AIG

000027050

Laurier Turgeon

3 000 000 $

TransAmerica

080251329

Laurier Turgeon

3 000 000 $

TransAmerica

080251351

David Turgeon

4 500 000 $

Standard Life

L10817689

Laurier Turgeon

3 000 000 $

 

et ce, alors que lesdites transactions :

a)            n'étaient pas indiquées pour les clients; et

b)            ne correspondaient pas au mandat donné par lesdits clients;

et, ce faisant, l'intimé a contrevenu aux articles 12, 13, 14, 16, 20 et 24 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

15.          À Victoriaville, le ou vers le 12 juillet 2002, l’intimé Yvan Prévost, alors qu’il faisait souscrire à son client Laurier Turgeon une proposition pour l’émission de la police d’assurance-vie d’un capital de trois millions de dollars portant le numéro 000027050 auprès de AIG, a fait défaut de procéder à l’analyse des besoins financiers exigée par les articles 6 et 22(1) du Règlement sur l’exercice des activités des représentants et, ce faisant, l'intimé a contrevenu auxdits articles;

16.          À Victoriaville, le ou vers le 12 juillet 2002, l’intimé Yvan Prévost, alors qu’il faisait souscrire à son client Laurier Turgeon une proposition pour l’émission de la police d’assurance-vie d’un capital de trois millions de dollars portant le numéro L10817689 auprès de Standard Life, a fait défaut de procéder à l’analyse des besoins financiers exigée par les articles 6 et 22(1) du Règlement sur l’exercice des activités des représentants et, ce faisant, l'intimé a contrevenu auxdits articles;

17.          À Victoriaville, le ou vers le 12 juillet 2002, l’intimé Yvan Prévost, alors qu’il faisait souscrire à 2739-7595 Québec Inc, (compagnie de Laurier Turgeon) une proposition pour l’émission de la police d’assurance-vie d’un capital de trois millions de dollars portant le numéro 080251329 auprès de TransAmerica, a fait défaut de procéder à l’analyse des besoins financiers exigée par les articles 6 et 22(1) du Règlement sur l’exercice des activités des représentants et, ce faisant, l'intimé a contrevenu auxdits articles;

18.         À Victoriaville, le ou vers le 24 juillet 2002, l’intimé Yvan Prévost, alors qu’il faisait souscrire à Fiducie David Turgeon une proposition pour l’émission de la police d’assurance-vie d’un capital de 4.5 millions de dollars portant le numéro 080251351 auprès de TransAmerica sur la vie de David Turgeon, a fait défaut de procéder à l’analyse des besoins financiers exigée par les articles 6 et 22(1) du Règlement sur l’exercice des activités des représentants et, ce faisant, l'intimé a contrevenu auxdits articles; »

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[2]           Le 24 novembre 2010, alors que la plaignante poursuivait la présentation de sa preuve, les parties avisèrent le comité qu’après d’intenses négociations elles en étaient arrivées à une entente pour disposer du dossier.

[3]           Ainsi, alors que l’intimé indiqua qu’il avait l’intention d’enregistrer un plaidoyer de culpabilité sur chacun des chefs 2, 3, 4 et 7 de la plainte amendée, la plaignante demanda à être autorisée à retirer les chefs 1, 5, 6 et 8 à 18.

[4]           Après s’être assuré que l’intimé comprenait et réalisait bien qu’en enregistrant un plaidoyer de culpabilité sur les chefs 2, 3, 4 et 7, il admettait les éléments essentiels des infractions y mentionnées, le comité reçut le plaidoyer de ce dernier et le déclara coupable sous chacun desdits chefs.

[5]           La plaignante exposa ensuite les moyens justifiant sa demande de retrait des chefs 1, 5, 6 ainsi que 8 à 18 et le comité, pour les motifs évoqués par cette dernière, autorisa celui-ci.

[6]           Puis, à la demande des parties, il fut convenu de reporter l’audition sur sanction au lundi 29 novembre 2010.

[7]           À ladite date, le comité se réunit à nouveau et les parties lui soumirent alors leurs preuve et représentations sur sanction.

PREUVE DES PARTIES

[8]           Alors que la plaignante indiqua qu’elle n’avait aucune preuve additionnelle à offrir, l’intimé choisit de témoigner.

[9]           Les parties présentèrent ensuite au comité leurs suggestions relativement aux sanctions à être imposées à l’intimé.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[10]        Le procureur de la plaignante débuta ses représentations en avisant le comité que les parties avaient convenu de lui présenter des « suggestions communes » sur sanction.

[11]        Il indiqua qu’elles s’étaient entendues pour recommander au comité d’imposer à l’intimé les sanctions suivantes :

            a)      sous chacun des chefs 4 et 7, une radiation temporaire de deux (2) mois à être purgée de façon concurrente;

            b)      sous chacun des chefs 2 et 3, l’imposition d’une amende de 15 000 $ (total 30 000 $).

[12]        Il ajouta qu’elles avaient également convenu de suggérer au comité de condamner l’intimé au paiement des déboursés et d’ordonner la publication de la décision.

[13]        Enfin il déclara qu’il laissait à l’entière discrétion du comité la décision d’accorder ou non à l’intimé, qui le réclamait, un délai pour le paiement tant des amendes que des déboursés.

[14]        Il indiqua ensuite, qu’à son avis, l’entente à laquelle en étaient arrivées les parties était raisonnable, notamment s’il était tenu compte de la preuve entendue à ce jour par le comité et du fardeau de la plaignante d’établir de façon prépondérante les éléments essentiels des infractions reprochées à l’intimé.

[15]        Il ajouta que dans leur globalité les sanctions proposées respectaient les sanctions habituellement rendues par le comité pour des infractions « en semblable matière ».

[16]        Relativement à la présentation par les parties de « suggestions communes », il évoqua l’enseignement de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Douglas[1] soulignant que celle-ci y avait clairement indiqué que lorsque des recommandations étaient conjointement présentées par les parties, celles-ci ne devaient être écartées que si le tribunal les jugeait inappropriées, déraisonnables, contraires à l’intérêt public ou était d’avis qu’elles seraient de nature à discréditer l’administration de la justice, motifs ne pouvant pas, à son avis, trouver application en l’espèce.

[17]        Commentant ensuite chacun des chefs d’accusation sous lesquels l’intimé s’est reconnu coupable, il débuta en rappelant que le chef numéro 4 faisait reproche à ce dernier d’avoir fait souscrire à sa cliente un prêt levier alors que la stratégie proposée était inappropriée, et qu’en ce faisant il avait fait défaut de respecter le devoir qui lui incombait de bien connaître la situation de cette dernière et de lui proposer des transactions adaptées à sa condition et à ses objectifs.

[18]        À l’appui de sa recommandation sur ce chef, il évoqua la décision du comité dans Patenaude[2] où le représentant, à qui il avait été reproché d’avoir à trois (3) reprises conseillé à sa cliente de contracter des prêts levier alors que la stratégie et les transactions qu’il lui conseillait ne correspondaient pas à sa situation financière ou à ses objectifs de placement, a été condamné à une radiation temporaire de six (6) mois.

[19]        Comparant cette affaire au cas en l’instance, il mentionna que sans vouloir minimiser la faute reprochée à l’intimé, celles du représentant Patenaude lui apparaissaient plus sérieuses que celle reprochée à l’intimé. Ainsi il lui semblait raisonnable qu’une sanction de radiation de deux (2) mois soit en l’espèce imposée à l’intimé sous ce chef.

[20]        Commentant ensuite le chef numéro 7 reprochant à l’intimé d’avoir contrefait ou induit une tierce personne à contrefaire la signature de son client, il insista sur la gravité objective de l’infraction reprochée.

[21]        Au soutien de sa recommandation sur ce chef, il déposa la décision de la Cour du Québec dans Brazeau[3] où le tribunal, après avoir statué qu’en l’absence d’intention frauduleuse ou de malhonnêteté prouvée, la sanction de radiation d’une année imposée à l’intimé pour une infraction de contrefaçon était trop sévère, a néanmoins substitué à celle-ci une sanction de radiation de deux (2) mois.

[22]        Il soumit également la décision du comité dans Da Costa[4] où le représentant, reconnu coupable d’avoir contrefait en deux (2) occasions la signature de sa cliente, a été condamné à une radiation temporaire concurrente de deux (2) mois sur chacun des deux (2) chefs de contrefaçon.

[23]        Commentant ensuite les chefs d’accusation 2 et 3, il déclara que le montant des amendes suggérées par les parties à l’égard de chacun desdits chefs avait été « négocié » dans un contexte de règlement global du dossier.

[24]        Il indiqua que l’importance des amendes proposées avait été déterminée en tenant compte notamment des amendements législatifs intervenus en décembre 2009 par lesquels le législateur a substantiellement augmenté le montant des amendes minimales et maximales pouvant s’appliquer aux fautes des représentants. Dans ce contexte et dans le cadre d’un accord portant sur l’ensemble du dossier, il indiqua que les amendes proposées par les parties lui apparaissaient justifiées et appropriées.

[25]        Il ajouta enfin que bien que les infractions avaient été commises avant que les amendements législatifs ne prennent effet, le principe voulant que la loi ne doive pas être interprétée comme ayant une portée rétroactive (à moins que le texte de celle-ci ne le prévoit expressément ou n’oblige à lui donner une telle interprétation) ne devait néanmoins pas trouver application en l’espèce.

[26]        Au soutien de sa proposition, il invoqua la décision du comité dans l’affaire Burns[5] où, prenant appui sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Brosseau c. Alberta Sécurities Commission[6], le comité a clairement indiqué qu’il ne voyait aucun obstacle à l’application des nouvelles dispositions législatives à des infractions antérieures.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[27]        L’intimé, par l’entremise de son procureur, débuta en confirmant que les sanctions recommandées par la plaignante constituaient bien des « suggestions conjointes » des parties.

[28]        Au soutien desdites recommandations, il amorça sa présentation en déposant plusieurs décisions antérieures du comité où fut notamment invoqué le principe voulant que la sanction disciplinaire ne doive pas viser à « punir » le représentant fautif mais plutôt à corriger son comportement[7].

[29]        Discutant ensuite de l’infraction mentionnée au chef 4 (relative au prêt levier), sans pour autant remettre en question son plaidoyer de culpabilité, il déclara que la cliente ne pouvait ignorer totalement ce dans quoi elle s’était engagée puisqu’elle avait, sans contrainte, signé la formule de demande de prêt investissement (pièce D-27) nécessaire à la souscription du prêt levier.

[30]        Relativement au chef 7 lui reprochant d’avoir contrefait ou d’avoir induit une tierce personne à contrefaire la signature de son client, il évoqua à son tour la décision du comité dans l’affaire Da Costa[8] soulignant que comme dans le cas de ce représentant, il n’avait pas été animé d’une intention frauduleuse.

[31]        Il mentionna également la décision du comité dans l’affaire St-Gelais[9] où la représentante, condamnée sous deux (2) infractions de contrefaçon, s’est vu imposer une radiation temporaire d’un mois sur le premier chef et condamné à une amende de 1 500 $ sur le second chef.

[32]        Il référa enfin aux affaires Milot[10], Girard[11]et Beaudet[12] où, pour des infractions de contrefaçon, les représentants fautifs ont dans certains cas, par le passé, été condamnés à des amendes variant entre 1 000 $ et 3 500 $.

[33]        Il évoqua ensuite son absence d’antécédent disciplinaire et, mentionnant que les infractions qui lui étaient reprochées remontaient aux années 2000, 2001, il souligna qu’il n’avait, relativement à ses activités professionnelles, fait l’objet depuis, d’aucune autre plainte.

[34]        Il rappela que puisque la plainte disciplinaire avait été portée en 2006, il avait dû composer pendant plusieurs années avec « une épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête ».

[35]        Il signala enfin qu’en conséquence du dépôt de la plainte il a été privé de plusieurs mandats et a dû supporter des honoraires professionnels élevés (avocat et autres). Il conclut en déclarant qu’il avait déjà été fort puni pour ses fautes.

[36]        Puis, sans d’aucune façon contester, si le comité devait se ranger aux suggestions conjointes des parties, l’obligation qui lui serait imposée d’acquitter les déboursés prévus à l’article 151 du Code des professions, il déclara qu’il évaluait le montant qu’il serait alors appelé à payer à cet égard à environ 30 000 $.

[37]        Il indiqua qu’à ce montant allaient vraisemblablement s’ajouter des amendes de 30 000 $, pour un total de 60 000 $, et que dans de telles circonstances il lui apparaissait « impensable » que le comité lui impose de défrayer une telle somme sans qu’un délai important ne lui soit accordé pour ce faire.

[38]        Il suggéra donc que le comité l’autorise à effectuer le paiement tant des amendes que des déboursés au moyen de trente-six (36) versements mensuels, égaux et consécutifs.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[39]        Selon la preuve présentée au comité, l’intimé a débuté à titre de représentant dans la distribution de produits financiers en 1994 et dans la distribution de produits d’assurance de personnes en février 2001.

[40]        Il n’a aucun antécédent disciplinaire.

[41]        En cours d’instruction de la plainte, il a volontairement décidé d’enregistrer un plaidoyer de culpabilité sous les chefs d’accusation 2, 3, 4 et 7 et ainsi permis qu’il soit disposé d’un dossier remontant à l’année 2006, et pour lequel plusieurs journées d’audition avaient été réservées et nombre de témoins ou experts assignés.

[42]        En raison des multiples procédures antérieures et de la complexité de certains aspects du dossier, il a dû supporter à ce jour des frais et honoraires (d’avocats ou autres) d’importance (tout comme la plaignante d’ailleurs).

[43]        Selon son témoignage, la publicité défavorable que lui a valu dans les médias le dépôt de la plainte l’a privé de nombreux mandats et a conduit à une diminution substantielle de ses revenus.

[44]        Les événements en cause ont eu de graves conséquences tant sur sa vie personnelle que sur sa vie professionnelle.

[45]        Devant le comité, il a témoigné clairement et donné l’impression d’avoir été profondément marqué par les gestes reprochables qu’il a posés. Il a paru sincèrement regretter ceux-ci.

[46]        Néanmoins les infractions dont il s’est rendu coupable sont très sérieuses.

Chef d’accusation numéro 4

[47]        À ce chef l’intimé s’est reconnu coupable d’avoir suggéré à sa cliente, Nathalie Nadeau, de souscrire un prêt levier de 250 000 $ dont le produit a été investi dans des fonds communs, alors que la transaction « était inappropriée dans les circonstances financières et personnelles » de celle-ci.

[48]        Il s’agit d’une infraction dont la gravité objective est indéniable.

[49]        Elle va au cœur de l’exercice de la profession et est de nature à porter atteinte à l’image de celle-ci.

[50]        L’intimé a engagé une cliente vulnérable, ayant peu de connaissances en matière de placement, qui lui faisait entièrement confiance, dans une manœuvre (prêt levier) qui ne s’adresse généralement qu’à des investisseurs ayant une tolérance au risque au-delà de la moyenne, et qui était inappropriée à sa situation et à sa condition.

[51]        En l’espèce, il a fait défaut de subordonner son intérêt personnel à celui de sa cliente. Il a suggéré à cette dernière une stratégie ne correspondant pas à ses besoins mais qui allait vraisemblablement lui permettre de toucher une ou des commissions appréciables.

[52]        Quant à la cliente, les conséquences pour cette dernière ont été non négligeables pour dire le moins. À la suite des agissements de l’intimé, elle a souffert d’une perte financière importante.

Chef numéro 7

[53]        À ce chef l’intimé s’est reconnu coupable d’avoir contrefait ou induit une tierce personne à contrefaire la signature de son client sur un document intitulé « Modification à la proposition ».

[54]        Selon les représentations des parties, l’intimé n’aurait tiré aucun bénéfice matériel de sa faute et son client n’en aurait subi aucun préjudice.

[55]        La preuve présentée au comité n’a pas révélé que l’intimé ait été animé d’une intention frauduleuse.

[56]        Néanmoins, la gravité objective de l’infraction dont il s’est rendu coupable ne fait aucun doute.

[57]        Dans l’affaire Brazeau[13] citée par la plaignante, la Cour du Québec a indiqué : « Le fait d’imiter des signatures et de les utiliser est en soi un geste grave qui justifie une période de radiation. Cette période de radiation sera plus ou moins longue toutefois selon que la personne concernée ait posé ce geste avec une intention frauduleuse ou non. »

[58]        Ajoutons enfin que l’infraction reprochée va au cœur de la profession et est de nature à porter atteinte à la confiance du public à son endroit.

Chef numéro 2

[59]        À ce chef l’intimé s’est reconnu coupable d’avoir fait souscrire à sa cliente, qui détenait déjà une police d’un capital de 250 000 $, une proposition pour l’émission d’une police d’assurance-vie pour un capital d’un million de dollars, et ce, alors que la souscription d’une telle police n’était pas dans l’intérêt de cette dernière.

[60]        L’intimé a privilégié son intérêt personnel au détriment de sa cliente.

[61]        Une telle faute de la part d’un conseiller en sécurité financière en qui les clients mettent généralement leur confiance est fort reprochable.

[62]        Elle touche directement à l’exercice de la profession et est de nature à porter atteinte à la réputation de celle-ci.

Chef numéro 3

[63]        À ce chef l’intimé s’est reconnu coupable, alors qu’il faisait souscrire à sa cliente une proposition pour l’émission d’une police d’assurance-vie, du défaut d’indiquer dans ladite proposition le fait qu’une police d’assurance-vie d’un capital de 250 000 $ couvrait déjà la vie de cette dernière.

[64]        Ce chef comporte un lien de connexité avec le chef précédemment mentionné en ce qu’ils se rattachent tous deux au même événement : la souscription par la cliente d’une police d’assurance-vie d’un million auprès de TransAmerica, le ou vers le 11 juillet 2001.

[65]        Les remarques à l’égard de la faute reprochée à l’intimé au chef précédent s’appliquent donc généralement au présent chef et il est inutile de les répéter.

Recommandations conjointes des parties

[66]        Au plan des sanctions, les parties ont présenté au comité des recommandations « communes ».

[67]        Le comité doit faire preuve d’une grande prudence avant de se dissocier de celles-ci.

[68]        Les principes émis par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Douglas[14], évoqués par la plaignante, ont à maintes reprises été retenus en droit disciplinaire[15]. Le comité ne devrait s’écarter de telles recommandations que s’il les juge inappropriées, déraisonnables, contraires à l’intérêt public ou est d’avis qu’elles sont de nature à discréditer l’administration de la justice.

[69]        En regard de ces principes et gardant à l’esprit que l’objectif de la sanction disciplinaire n’est pas de châtier mais de redresser une pratique ou une conduite fautive, le comité ne croit pas qu’il serait en l’espèce justifié de refuser de souscrire aux recommandations conjointes des parties.

[70]        Les sanctions de radiation suggérées par celles-ci à l’égard des chefs 4 et 7, compte tenu des actes reprochés et des circonstances entourant les infractions, apparaissent justes et appropriées ainsi que conformes au degré de responsabilité de l’intimé.

[71]        Le comité ordonnera donc la radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux (2) mois à être purgée de façon concurrente sur chacun des chefs 4 et 7.

[72]        Quant aux amendes suggérées par les parties à l’égard des chefs 2 et 3, celles-ci tiennent compte des nouvelles dispositions législatives entrées en vigueur en décembre 2009 et, dans les circonstances particulières de cette affaire, lorsqu’est prise en considération la globalité des sanctions imposées à l’intimé, elles apparaissent adéquates et appropriées.

[73]        Le comité condamnera donc l’intimé sur chacun des chefs 2 et 3 au paiement d’une amende de 15 000 $ (total de 30 000 $).

[74]        De plus, conformément à la suggestion des parties, le comité ordonnera la publication de la décision et condamnera l’intimé au paiement des déboursés.

[75]        Enfin, relativement à la demande de l’intimé pour qu’un délai lui soit accordé pour le paiement tant des amendes que des déboursés, compte tenu de l’absence de contestation de la plaignante et considérant les montants substantiels qu’il sera au total appelé à défrayer, le comité accordera à ce dernier un délai de trente-six (36) mois pour le paiement tant des amendes que des déboursés à la condition que celui-ci soit effectué au moyen de versements mensuels, égaux et consécutifs (36) débutant le trentième jour de la date de la présente décision, sous peine de déchéance du bénéfice du terme.

[76]        Madame Michèle Barbier qui avait participé à la décision signée le 26 janvier 2011 ayant depuis cessé d’être membre de la Chambre de la sécurité financière n’est pas, pour cette raison, intervenue à la présente décision corrigée.

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ :

 

Sous chacun des chefs 4 et 7 :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux (2) mois à être purgée de façon concurrente;

Sous chacun des chefs 2 et 3 :

COMDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 15 000 $ (total 30 000 $);

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé et conformément aux dispositions de l’article 156(5) du Code des professions (L.R.Q. chap. C-26), un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où l’intimé a exercé ou pourrait exercer sa profession;

CONDAMNE l'intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l'article 151 du Code des professions (L.R.Q. chap. C-26);

ACCORDE à l’intimé un délai de trente-six (36) mois pour le paiement tant des amendes que des déboursés à la condition que celui-ci soit effectué au moyen de versements mensuels, égaux et consécutifs débutant le trentième (30e) jour de la présente décision sous peine de déchéance du terme accordé et sous peine de non-renouvellement des certificats émis à son bénéfice par l’Autorité des marchés financiers dans toutes les disciplines où il lui est permis d’agir.

 

 

(s) François Folot

Me FRANÇOIS FOLOT, avocat

Président du comité de discipline

 

 

(s) Yvon Fortin

M. YVON FORTIN, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Éric Cantin

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Marie-Claude Riou

VAILLANCOURT RIOU

Procureurs de la partie intimée

 

Dates d’audience :

15 et 16 septembre, 18, 19, 20, 25, 26 et 27 octobre et 24 et 29 novembre 2010.

 

 

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ

 



[1]     Douglas c. Sa Majesté la Reine, [2002] Can LII 32492 (QC C.A.).

[2]     Me Micheline Rioux c.Yves Patenaude, [2004] Can LII 59872 (QC C.D.C.S.F.).

[3]     Maurice Brazeau c. Me Micheline Rioux, [2006] QC C.P. 11715 (Can LII).

[4]     Me Françoise Bureau c. Marc Da Costa, [2003] Can LII 57173 (QC C.D.C.S.F.).

[5]     Me Venise Levesque c. M. Norman Burns, CD00-0731, décision en date du 1er mars 2010.

[6]     Brosseau c. Alberta Sécurities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301.

[7]     Micheline Rioux c. Claude Lamontagne, CD00-0291 Soquij AZ-50233043, Micheline Rioux c. Nathalie St-Gelais, CD00-0282 Soquij AZ-50233034, Micheline Rioux c. Hai Thach, CD00-0274 Soquij AZ-50233025 et Micheline Rioux c. Francine Dorais, CD00-0306 Soquij AZ-50233058.

[8]     Voir note 4.

[9]     Micheline Rioux c. Nathalie St-Gelais, CD00-0282 Soquij AZ-50233034.

[10]    Françoise Bureau c. Paul Milot, CD00-0482 Soquij AZ-50233224.

[11]    Françoise Bureau c. Jean-François Girard, CD00-0485 Soquij AZ-50233225.

[12]    Micheline Rioux c. Patrick Beaudet, CD00-0323 Soquij AZ-50233077.

[13]    Maurice Brazeau c. Me Micheline Rioux, [2006] QC C.Q. 11715 (Can LII).

[14]    Douglas c. Sa Majesté la Reine, [2002] Can LII 32492 (QC C.A.).

[15]    Voir notamment Tremblay c. Arpenteurs-géomètres (Ordre professionnel des), [2001] D.D.O.P. 245 (T.P.), Malouin c. Notaires, D.D.E. 2002 D-23 (T.P.), Stebenne c. Médecins (Ordre professionnel des), ]2002] D.D.O.P. 280 (T.P.).

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