Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0619

 

DATE :

21 août 2008

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Alain Côté, A.V.C.

Membre

M. Kaddis Sidaros, A.V.A.

Membre

______________________________________________________________________

 

Me MICHELINE RIOUX, ès qualités de syndic

Partie plaignante

c.

M. JACQUES FORTIER, conseiller en sécurité financière, conseiller en assurance et rentes collectives, planificateur financier et représentant en épargne collective

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

[1]           L'instruction de ce dossier a dû être reprise par une nouvelle formation du comité de discipline à la suite de la nomination de Me Guy Cournoyer à la Cour supérieure.

[2]           Celle-ci s'est réunie au siège social de la Chambre de la sécurité financière sis au 300, rue Léo-Pariseau, 26e étage, Montréal, le 11 octobre 2007, et a procédé à l'audition de la plainte portée contre l'intimé.

[3]           La plainte était ainsi libellée :

LA PLAINTE

« Compte REER no 4352322-4

1.             À Montréal, le ou vers le 17 juillet 2000, l’intimé Jacques Fortier a contrefait ou induit une tierce personne à contrefaire la signature de son client Mathieu Latreille sur un document intitulé « Lettre de direction », requérant de cette façon un prélèvement automatique de 500 $ et un transfert de fonds, à l’insu de son client et, ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière de même qu’à l’article 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers;

2.             À Montréal, le ou vers le 25 janvier 2001, l’intimé Jacques Fortier a contrefait ou induit une tierce personne à contrefaire la signature de son client Mathieu Latreille sur un document intitulé « Lettre de direction », diminuant le prélèvement automatique de 500 $ à 300 $ et, ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière de même qu’à l’article 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers;

3.             À Montréal, le ou vers le 18 septembre 2001, l’intimé Jacques Fortier a contrefait ou induit une tierce personne à contrefaire la signature de son client Mathieu Latreille sur un document intitulé « Lettre de direction » et, ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière de même qu’à l’article 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers;

Compte non-REER no 1

4.             À Montréal, le ou vers le 3 avril 2000, l’intimé Jacques Fortier a contrefait ou induit une tierce personne à contrefaire la signature de son client Mathieu Latreille sur un document intitulé « Lettre de direction », et ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière de même qu’à l’article 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers;

Compte non-REER no 2

5.             À Montréal, le ou vers le 9 mars 2000, l’intimé Jacques Fortier a contrefait ou induit une tierce personne à contrefaire la signature de son client Mathieu Latreille sur un document intitulé « Lettre de direction », et ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière de même qu’à l’article 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers;

6.             À Montréal, le ou vers le 17 mars 2000, l’intimé Jacques Fortier a contrefait ou induit une tierce personne à contrefaire la signature de son client Mathieu Latreille sur un document intitulé « Lettre de direction », et ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière de même qu’à l’article 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers;

7.             À Montréal, le ou vers le 17 juillet 2000, l’intimé Jacques Fortier a contrefait ou induit une tierce personne à contrefaire la signature de son client Mathieu Latreille sur un document intitulé « Lettre de direction », et ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière de même qu’à l’article 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers;

8.             À Montréal, le ou vers le 25 janvier 2001, l’intimé Jacques Fortier a contrefait ou induit une tierce personne à contrefaire la signature de son client Mathieu Latreille sur un document intitulé « Lettre de direction », et ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière de même qu’à l’article 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers;

9.             À Montréal, le ou vers le 6 mars 2001, l’intimé Jacques Fortier a contrefait ou induit une tierce personne à contrefaire la signature de son client Mathieu Latreille sur un document intitulé « Lettre de direction » afin de transférer, à l’insu de son client, la somme de 15 000 $ du compte non-REER no 2 vers le prêt levier qu’il lui avait fait souscrire et, ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière de même qu’à l’article 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers;

10.          À Montréal, le ou vers le 9 mars 2000, l’intimé Jacques Fortier a fait défaut de subordonner son intérêt personnel à celui de son client Mathieu Latreille en lui faisant souscrire une police d’assurance-vie universelle d’un capital de 300 000 $ auprès de la compagnie Union Vie alors qu’il savait notamment que son client était célibataire, sans enfant ni dette, et détenait déjà deux polices d’assurance d’un capital total de 85 000 $ et, ce faisant, l’intimé a contrevenu à l’article 19 du Code de la déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

11.          À Montréal, le ou vers le 9 mars 2000, l’intimé Jacques Fortier, alors qu’il faisait souscrire à son client Mathieu Latreille une police d’assurance-vie universelle d’un capital de 300 000 $ auprès de la compagnie Union Vie, a fait défaut de divulguer dans la proposition l’existence de la police d’assurance détenue par son client auprès de AXA portant le numéro 3 et, ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 34 et 35 du Code de la déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

12.          À Montréal, le ou vers le 9 mars 2000, l’intimé Jacques Fortier a fait défaut de fournir à son client Mathieu Latreille un produit correspondant à la situation financière et aux objectifs d’investissements de son client en lui faisant souscrire un prêt levier deux pour un pour lequel il empruntait auprès de B2B Trust la somme de 100 000 $ et mettait en gage 50 000 $ provenant du compte non-REER no 2 et, ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 16 et 51 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers;

13.          À Montréal, le ou vers le 28 août 2000, l’intimé Jacques Fortier a contrefait ou induit une tierce personne à contrefaire la signature de son client Mathieu Latreille sur un document intitulé « Lettre de direction » et, ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière de même qu’à l’article 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers; »

[4]           Lors de l'audition, le comité a convenu avec les parties qu’il prendrait connaissance des notes sténographiques de l'audition antérieure tenue les 23 et 24 novembre, 1er et 22 décembre 2006, ainsi que les 4 et 16 avril 2007 et des pièces alors produites puis verrait ensuite à prendre l'affaire en délibéré.

[5]           Le comité a complété la lecture desdites notes et son étude des pièces le 15 mai 2008, date de la prise en délibéré.

LES FAITS

[6]           En l'an 2000, M. Mathieu Latreille (M. Latreille) rencontre l'intimé, M. Jacques Fortier (M. Fortier). À la suite du décès de son père, il a reçu en héritage une somme de l'ordre de 135 000 $.

[7]           La rencontre se tient à la résidence de Mme Rachelle Trempe (Mme Trempe) et de son conjoint, M. Jean-Claude Rancourt (M. Rancourt). Ce dernier y assiste.

[8]           M. Latreille est alors âgé de 23 ans, vit seul en appartement et touche des revenus d'environ 35 000 $ par année de son emploi comme assembleur soudeur.

[9]           Il ne possède aucun actif outre une voiture qu’il qualifie de « minoune ». Si l'on se fie à son témoignage, il n'a aucune expérience en matière de placements.

[10]        Selon ce qu'il déclare, il insiste à plusieurs reprises auprès de l'intimé pour l'aviser que son objectif est de ne pas perdre un sou de son héritage.

[11]        Par la suite, suivant les recommandations et conseils de l'intimé, la somme de 135 000 $ est distribuée comme suit : 120 000 $ est placé dans un compte de placements non enregistrés, 11 287 $ dans un placement sur le marché monétaire pour payer les funérailles de son père et 3 713 $ dans un compte REER.

[12]        Enfin, le ou vers le 9 mars 2000, M. Latreille contracte un prêt levier de 100 000 $ auprès de la Banque Laurentienne du Canada. Une somme de 50 000 $ est alors retirée du compte de placements non enregistrés et placée en garantie du prêt levier.

[13]        Le même jour, M. Latreille signe les documents nécessaires et procède à la souscription par les soins de l'intimé d'une police d'assurance-vie universelle de 300 000 $ auprès de la compagnie Union Vie. La prime annuelle prévue est de 6 000 $.


MOTIFS ET DISPOSITIF

Chefs d'accusation 1 à 9 inclusivement et 13

[14]        Ces chefs d'accusation reprochent à l'intimé d'avoir contrefait ou d'avoir induit une tierce personne à contrefaire la signature de M. Latreille sur les documents y mentionnés.

[15]        Or mentionnons d'abord que M. Latreille ne reconnaît pas sa signature sur les documents en cause. De plus, quant aux transactions autorisées par ces documents, dans la plupart des cas M. Latreille témoigne à l'effet qu'il n'en a pas discuté avec M. Fortier.

[16]        Enfin les deux (2) experts en écriture entendus par le comité confirment que M. Latreille n'est pas l'auteur des signatures en cause.

[17]        Cependant, alors que l'experte en écriture, Mme Yolande Gervais (Mme Gervais), identifie l'intimé, M. Fortier, comme l'auteur de ces signatures, l'experte en écriture, Mme Johanne Bergeron (Mme Bergeron), déclare qu'elles ne peuvent pas être attribuées à M. Fortier.

[18]        Selon le rapport d'expertise de Mme Gervais, dans le cas d'une imitation de signature « Le faussaire va réussir certains traits caractéristiques de la signature qu'il tente d'imiter mais il va aussi laisser échapper des caractéristiques de sa propre écriture (l'écriture du faussaire) ». Cette dernière a donc cherché les ressemblances entre les signatures falsifiées et l'écriture de M. Fortier.

[19]        Elle y a trouvé nombre d’éléments de ressemblance qu'elle mentionne plus précisément à son rapport (la barre des t en coup de fouet, la tendance à aller en dessous de la ligne, le calibre de lettres plus petites, les caractéristiques des r et les finales).

[20]        À la suite de ce qui précède et de l'ensemble de son analyse, Mme Gervais déclare que l'intimé est fort probablement l'auteur des signatures contrefaites.

[21]         L’experte Bergeron quant à elle soumet que c’est plutôt par la recherche des différences que doit débuter l’exercice.  Elle cite à cet effet M. Alain Buquet, dans son traité : « L’expertise des écritures manuscrites », Paris, Edition Masson 1991.  Ce dernier y écrit : « En commençant par la recherche des différences, l’analyse est plus rapide et surtout l’expert se prémunit mieux contre les erreurs d’attribution possibles.  Si l’on trouve des différences qui sont absolument inexplicables, c’est que l’on n’est pas sur la bonne voie. »

[22]        Elle note donc dans son rapport les dissemblances entre les signatures en litige et l'écriture de M. Fortier.  Elle signale de nombreuses discordances entre les documents en litige et les signatures ou la dictée guidée exécutée par M. Fortier.

[23]        Elle conclut « qu’il y a une très forte probabilité » que les signatures sur les documents en litige n’émanent pas de la main de M. Fortier.

[24]        Relativement à la possibilité que l'intimé soit l'auteur des signatures, l'opinion des experts se contredit donc. Leur point de vue diamétralement opposé démontre la marge d'erreur considérable qui peut exister entre deux (2) experts en matière d'écriture, sincères et compétents.

[25]        Par ailleurs, si certaines expertises, telles celles liées aux empreintes digitales ou encore au DNA comportent une force considérable à cause de leur caractère objectif et scientifique, les tribunaux ont toujours considéré que les expertises d'écriture devaient être regardées avec circonspection étant donné l'important pourcentage d'appréciation subjective que l'on y retrouve.[1]

[26]        Dans l'affaire de Brassard & al. c. Truchon, 1946 C.S. p. 240, l'honorable juge Alfred Savard écrivait d'abord (p. 242) : « Il faut accepter avec beaucoup de réserve et beaucoup de prudence, les témoignages des experts en écriture. » et il ajoutait par la suite : « Les observations de ces experts sont des observations quelquefois excellentes, souvent subtiles, et parfois aussi très fragiles. »[2]

[27]        En l'espèce, il est difficile pour le comité d'accorder plus de valeur à l'expertise de l'un qu’à l’expertise de l’autre des experts. Aucune n'est plus compatible avec l'ensemble de la preuve au point de devoir emporter l’adhésion du comité.

[28]        Par ailleurs, la preuve autrement présentée par les parties est aussi contradictoire. Même si les documents en cause ont été confectionnés par M. Fortier, si l'on se fie à son témoignage, ils auraient transité par la mère de M. Latreille, Mme Trempe.

[29]        Selon l'intimé, il avait été convenu, compte tenu de la courte distance qui existait entre son lieu de travail et celui de Mme Trempe de même que celui de la résidence personnelle de cette dernière, qu'il allait laisser les documents à être signés par M. Latreille à cette dernière. Celle-ci devait voir à faire signer son fils lorsqu'elle le verrait et par la suite les documents devaient être remis à M. Fortier.

[30]        Il est vrai que son témoignage est contredit par l'affirmation de M. Latreille qui déclare que les documents qu'il a signés ne lui ont été acheminés qu’en de rares occasions par l'intermédiaire de sa mère.

[31]        Les déclarations de ce dernier et de sa mère ne permettent toutefois pas d'écarter les affirmations de l'intimé. Leurs témoignages comportent des éléments de fragilité.

[32]        Alors que M. Latreille débute son témoignage en niant qu'il y ait eu des échanges de documents par l'entremise de sa mère Mme Trempe, il finit par reconnaître qu'il y en a eus quelques-uns.

[33]        Par ailleurs, si M. Latreille témoigne à l'effet qu'il n'ouvrait pas son courrier, il semble bien l'avoir ouvert dans le cas de chèques à recevoir et à déposer.

[34]        Quant à Mme Trempe qui déclare qu'en aucun cas elle n'aurait signé des documents à la place de son fils, si son témoignage est d'abord à l'effet qu'il est arrivé à deux (2) reprises qu’elle rencontre M. Fortier et que celui-ci lui remette des documents à être signés par M. Latreille, elle finit par admettre que cela se serait produit à au moins quatre (4) reprises. Selon la preuve documentaire au dossier, elle aurait aussi assuré le transport de documents à la Chambre de la sécurité financière pour le compte de son fils même en 2005 (voir P-27).

[35]        En l’instance, c'est la prépondérance de la preuve qui doit déterminer l'issue sur ces chefs.

[36]        Or, les témoignages de M. Latreille et de sa mère Mme Trempe ne comportent pas ce caractère de prépondérance qui permettrait au comité d'écarter le témoignage logique et plausible de l'intimé. Par ailleurs, aucune des opinions d'expert n'est plus compatible que l’autre avec l'ensemble de la preuve au point de permettre l'adhésion du comité.

[37]        Face aux contradictions des témoignages et aux opinions divergentes des experts, le comité doit déclarer que la plaignante, à qui incombait le fardeau de la preuve relativement à la confection des fausses signatures de M. Latreille, ne s'est pas déchargée de celui-ci.

[38]        L'ensemble de la preuve ne révèle pas de façon prépondérante que l'intimé soit l'auteur des fausses signatures de M. Latreille.

[39]        Ces chefs d'accusation seront rejetés.

Chefs d'accusation 10 et 12

[40]        À ces chefs d'accusation, il est reproché à l'intimé d'une part d'avoir fait souscrire à son client, M. Latreille, une police d'assurance-vie universelle d'un capital de 300 000 $ auprès de la compagnie Union Vie et, d'autre part, à la même date, soit le ou vers le 9 mars 2000, d'avoir fait souscrire à ce dernier un prêt levier « deux pour un ».  Les deux (2) démarches s'inscrivaient dans le cadre d’une même stratégie suggérée par l'intimé.

[41]        En l'espèce, ce dernier s'est d'abord assuré que son client contribue un montant maximum à ses REER. Il lui a ensuite conseillé de souscrire une police d'assurance-vie universelle au montant de 300 000 $ avec comme objectif qu'il puisse ainsi bénéficier d'une forme d'abri fiscal lui permettant de capitaliser à l'abri de l'impôt.  Enfin il lui a suggéré l'utilisation d'un prêt levier dans le but d'accroître son patrimoine investi.  Si la prime annuelle de la police d'assurance-vie universelle était de 6 000 $, il était prévu que celle-ci se paierait à même les bénéfices générés par le prêt levier.

[42]        Or si cette stratégie, bien que complexe et discutable, n'était pas en elle-même mauvaise, elle était sinon inopportune à tout le moins hâtive, précoce et prématurée lorsque appliquée au cas de M. Latreille.

[43]        Ce dernier était en effet célibataire, sans enfants. Il gagnait un revenu de moins de 35 000 $ par année. Ses connaissances en matière de placements étaient limitées. Il ne possédait aucune résidence en son nom et détenait des contrats d'assurance-vie couvrant les besoins de liquidité dans le cas de son décès.

[44]        À sa faible connaissance en matière de placements s'ajoutait une faible tolérance aux risques.  Son comportement et ses agissements à la suite de la chute des marchés l'ont démontré.

[45]        Le prêt levier a alors été appelé avec les problèmes de liquidité que de telles circonstances souvent pour ne pas dire habituellement comportent. L'intimé ne pouvait plus compter sur les revenus de placements pour payer les frais d'emprunt exigibles et la prime de la police d’assurance-vie universelle. Ces événements ont exercé sur lui une pression psychologique qui l'a amené à vendre ses placements à la baisse. Ses pertes ont été amplifiées par l'effet de levier.

[46]        Bien qu’il soit possible de penser qu'avec le temps et un accroissement de ses connaissances dans le fonctionnement des marchés financiers, M. Latreille aurait pu développer une tolérance aux risques suffisante pour supporter les scénarios envisageables dans le cas de l'utilisation d'un prêt levier, son profil au moment des événements qui nous concernent ne s’y prêtait pas.

[47]        Le prêt levier est en effet un type d'investissement qui s'adresse à des personnes ayant une bonne tolérance aux risques et jouissant d'une situation financière stable. S'il amplifie les résultats à la hausse, il le fait aussi à la baisse.  Le représentant doit donc faire preuve de prudence lorsqu'il choisit de suggérer à son client une telle stratégie.

[48]        Puisqu'il s'agit d'un mode de placement « agressif » exigeant une planification financière rigoureuse et un horizon d'investissement à long terme permettant de réduire les fluctuations du marché, il ne s'applique qu'à un investisseur bien en mesure de comprendre le fonctionnement des marchés financiers et possédant tel, que précédemment mentionné, une bonne tolérance aux risques. M. Latreille ne correspondait pas à ce profil.

[49]        En terminant, le comité considère cependant important d'ajouter qu'après avoir scruté les transactions en cause et révisé l’ensemble du dossier, il en arrive à la conclusion que dans tous les cas où l'intimé aurait pu être tenté de s'enrichir aux dépens de son client, il n'a pas cédé à la tentation. Ainsi, bien que l'intimé ait été fautif, la preuve n’a pas révélé qu’il ait agi en l’espèce avec une intention malveillante.

[50]        L'intimé sera déclaré coupable sur les chefs d'accusation 10 et 12.

Chef d'accusation numéro 11

[51]        À ce chef, il est reproché à l'intimé, alors qu'il faisait souscrire à M. Latreille la police d'assurance-vie universelle précitée, d'avoir fait défaut de divulguer dans la proposition l'existence d'une police d'assurance détenue par ce dernier auprès d'AXA.

[52]         Or, si l'on examine attentivement la pièce P-6, soit ladite proposition d'assurance, l'on se rend compte que ladite police auprès d'AXA y est bien indiquée.

[53]        L'on peut penser que la plaignante souhaitait en réalité reprocher à l'intimé de ne pas avoir indiqué une autre police sur sa vie que sa mère détenait auprès de l'assureur Provinces-Unies mais le chef d'accusation n'est pas ainsi rédigé. De plus, ni M. Latreille ni Mme Trempe, n’aurait indiqué à M. Fortier l'existence de cette deuxième police.

[54]        Ce chef d'accusation sera rejeté.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

DÉCLARE l'intimé coupable des chefs d'accusation 10 et 12;

REJETTE les chefs d'accusation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 11 et 13;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de fixer une date et une heure pour l'audition de la preuve et des représentations des parties sur sanction.

 

 

(s) François Folot

Me FRANÇOIS FOLOT, avocat

Président du comité de discipline

 

(s) Alain Côté

M. ALAIN CÔTÉ, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

(s) Kaddis Sidaros

M. KADDIS SIDAROS, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Marie-Claude Sarrazin

BORDEN LADNER GERVAIS

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Caroline Mathieu

Procureure de la partie intimée

 

Date d’audience : 11 octobre 2007

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ


 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0619

 

DATE :

30 avril 2009

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Alain Côté, A.V.C.

Membre

M. Kaddis Sidaros, A.V.A.

Membre

______________________________________________________________________

 

Me MICHELINE RIOUX, ès qualités de syndic  de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

M. JACQUES FORTIER, conseiller en sécurité financière, conseiller en assurance et rentes collectives, planificateur financier et représentant en épargne collective

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

[1]        À la suite de sa décision sur culpabilité, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni le 26 janvier 2009 au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau, 26e étage, Montréal, pour entendre la preuve et les représentations des parties sur sanction.

[2]        Alors que la plaignante déclara n'avoir aucune preuve à offrir, l'intimé fit entendre M. Richard Desfosses, M. René Guertin, M. Richard Charette, son épouse Mme Denise Fortier et choisit de témoigner lui-même.

[3]        Il produisit également une preuve documentaire sous les cotes SI-1 à SI-6.

[4]        Par la suite, les parties soumirent au comité leurs représentations sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[5]        Après avoir évoqué succinctement les événements à l'origine de la plainte et souligné certains passages de la décision sur culpabilité, la plaignante soumit un cahier d'autorités qu'elle commenta puis recommanda au comité d'imposer sur les chefs d'accusation 10 et 12 les sanctions suivantes :

Chef d'accusation numéro 10

[6]        La radiation temporaire de l'intimé pour une période de trois (3) mois.

Chef d'accusation numéro 12

[7]        La condamnation de ce dernier au paiement d'une amende de 1 000 $.

[8]        Elle réclama enfin sa condamnation au paiement des déboursés ainsi qu'une ordonnance de publication de la décision.

[9]        Elle mentionna ensuite son absence d'antécédents disciplinaires ainsi que, référant au paragraphe 49 de la décision sur culpabilité, son absence d'intention malveillante. Elle invoqua cependant à l'appui de ses suggestions que, lors de son témoignage devant le comité, ce dernier avait manifesté peu de repentir.

[10]      Elle nota à cet effet qu'il avait, alors, plutôt que d'exprimer une forme réelle de contrition, semblé remettre en question les conclusions du comité.

[11]      Elle indiqua qu'en matière du défaut par un représentant, comme en l'espèce, de subordonner son intérêt personnel à celui de son client, une sanction de radiation s'imposait habituellement.

[12]      Elle signala que les fautes reprochées à l'intimé allaient au cœur même de l'exercice de la profession, ce dernier ayant agi à l'encontre des principes qui doivent être respectés par les représentants et que le comité a le devoir de sauvegarder.

[13]      En terminant, elle mentionna que c'est notamment par respect pour le principe de la globalité des sanctions que, relativement au chef numéro 12, elle réclamait l'amende minimale.

REPRÉSENTATIONS DE L'INTIMÉ

[14]      Après avoir suggéré au comité qu'il lui fallait distinguer les décisions citées par la plaignante du cas en l'espèce, la procureure de l'intimé invoqua que ce dernier n'avait agi que selon ce qui lui avait été « enseigné » et ne s'était comporté que selon ce qui lui avait été « appris » tel qu'il l'avait déclaré lors de sa déposition.

[15]      Elle rappela ensuite les événements liés à la plainte tout en mentionnant que l'intimé avait été acquitté de onze (11) des treize (13) chefs d'accusation portés contre lui.

[16]      Elle mentionna les conséquences « malheureuses » pour ce dernier tant de la plainte disciplinaire que des procédures civiles rattachées aux événements et souligna notamment les frais considérables qui lui avaient été occasionnés.

[17]      Elle signala qu'il exerçait sa profession depuis trente-trois (33) ans et qu'il n'avait antérieurement fait l'objet d'aucune plainte disciplinaire.

[18]      Elle mentionna qu'il donnait régulièrement de son temps à des activités bénévoles et était fort bien vu dans sa communauté tel que l'avaient déclaré la plupart des témoins entendus sur sanction.

[19]      Commentant les décisions citées par la plaignante, elle indiqua notamment qu'à son avis, au plan de la sanction, le comité se devait d'éviter d'appliquer sans distinction les mêmes règles à un planificateur financier et à un représentant.

[20]      Elle conclut en suggérant au comité l'imposition d'une réprimande sur chacun des chefs.

[21]      Par ailleurs, elle déclara s'opposer à la publication d'un avis de la décision, signalant qu'une telle publication risquait de produire un effet néfaste sur la carrière de l'intimé puisque ce dernier agissait à titre « d'agent général ».

[22]      Pour ce qui est des déboursés, elle suggéra au comité de rendre une décision « chaque partie payant ses frais » et, à tout événement, de refuser d'accorder les déboursés liés aux frais d'expertise de Mme Josée Poissant (Mme Poissant), l'experte retenue par la plaignante.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[23]      L'intimé a été reconnu coupable d'avoir fait souscrire à son client une police d'assurance-vie universelle d'un capital de 300 000 $ ainsi que de lui avoir fait souscrire à la même date un prêt levier deux pour un.

[24]      Il s'agit d'infractions ayant un lien direct avec l'exercice de la profession qui ont occasionné des pertes non négligeables au consommateur en cause.

[25]      Néanmoins, au paragraphe 49 de sa décision sur culpabilité, le comité a conclu que : « Bien que l'intimé ait été fautif, la preuve n'a pas révélé qu'il ait agi en l'espèce avec une intention malveillante. ».

[26]      Les deux (2) opérations s'inscrivaient dans le cadre d'une même stratégie. Et, tel que mentionné à la décision sur culpabilité, bien que celle-ci n'était pas en elle-même mauvaise, elle était inopportune et prématurée lorsqu’appliquée à la situation du client.

[27]      De plus, tel qu'également mentionné à ladite décision, après avoir révisé l'ensemble du dossier le comité en est arrivé à la conclusion que dans tous les cas où l'intimé « aurait pu être tenté de s'enrichir aux dépens de son client il n'a pas cédé à la tentation ».

[28]      Enfin, l'intimé n'a aucun antécédent disciplinaire et semble avoir eu un parcours professionnel exemplaire pendant trente-trois (33) ans.

[29]      Durant ce temps, il s'est impliqué au sein de son ordre professionnel (la Chambre de la sécurité financière) ayant agi à titre de président de sa section (Lanaudière).

[30]      Il a également été très engagé socialement et a consacré beaucoup de son temps à différentes formes de bénévolat.

[31]      Selon la preuve entendue sur sanction, il semble jouir dans son entourage d'une excellente réputation.

[32]      Par ailleurs à la suite de la plainte disciplinaire, des poursuites civiles rattachées aux événements, ainsi que du refus de couverture de son assureur en responsabilité professionnelle, il a dû supporter des frais importants pour se défendre et faire valoir ses droits.

[33]      Enfin, alors que les événements reprochés remontent à l'année 2000, il ne semble pas avoir fait l'objet de reproche additionnel depuis.

[34]      Le comité est donc en présence d'une erreur de parcours isolée en plus de trente-trois (33) ans d'exercice de la profession, l'intimé ayant alors, par négligence ou ignorance mais en l'absence de mauvaise foi, suggéré à son client une stratégie inappropriée, ce qu'il aurait dû savoir.

[35]      Dans l'arrêt Béchard c. Roy[3], la Cour d'appel du Québec rappelait que : « Les mesures disciplinaires n'ont pas comme but d'infliger une peine aux membres de l'Ordre mais de parer au danger que représente pour le public un membre dont la conduite n'est pas conforme à l'éthique professionnelle. »

[36]      Lors de l'imposition de sanctions disciplinaires, l'un des objectifs à atteindre est la protection du public. Le comité doit donc notamment apprécier si celle-ci risque d'être affectée par le comportement futur de l'intimé.

[37]      À cet égard, les éléments objectifs du dossier doivent être évalués en conjonction avec les éléments subjectifs tels l'expérience professionnelle, le passé disciplinaire et l'âge du représentant.

[38]      En l'espèce, après analyse du dossier, le comité est d'avis que l'intimé représente peu de danger pour le public et que les risques de récidive dans son cas sont faibles.

[39]      Aussi, même si habituellement, tel que l'a souligné la procureure de la plaignante, une infraction de la nature de celle reprochée à l'intimé au chef numéro 10 appelle une sanction de radiation, le comité est d'opinion qu'en l'espèce il n'y a pas lieu à l'imposition d'une telle sanction.

[40]      Le comité croit plutôt, et cela bien qu'il soit conscient que les sanctions retenues sont à l'extérieur de l'échelle des sanctions généralement imposées pour des infractions de semblable nature, que l'imposition d'une amende de 2 000 $ sur le chef numéro 10 juxtaposée à l'imposition d'une amende de 1 000 $ sur le chef numéro 12 seraient en l'espèce des sanctions justes et appropriées qui tiendraient compte tant des éléments objectifs que subjectifs du dossier, des fautes commises par l'intimé et des circonstances entourant celle-ci.

[41]      Par ailleurs, relativement aux déboursés, le comité, estimant qu'il ne peut conclure que la plaignante était manifestement mal fondée de présenter une expertise au soutien de son point de vue, doit convenir qu'il n'y a pas lieu d'exclure de ceux-ci les frais d'expertise de Mme Poissant. Le comité est toutefois d'avis qu'il lui faut tenir compte du fait que l'intimé a été acquitté sur onze (11) des treize (13) chefs d'accusation portés contre lui et que dans de telles circonstances il ne devrait être appelé à les supporter qu'en partie.

[42]      Ainsi, compte tenu de l'importance des chefs 10 et 12 en regard de l'ensemble du dossier ainsi que du temps du comité qu'ils ont accaparé, celui-ci est d'avis qu'il y a lieu de condamner l'intimé à assumer le paiement de 20 % des déboursés. Le comité tient aussi compte de cette façon que l'audition en cette affaire a dû être reprise sans aucune faute de sa part et qu'il a ainsi été amené à supporter des frais supplémentaires dont il n'est aucunement responsable.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

Sur le chef numéro 10 :

CONDAMNE l'intimé au paiement d'une amende de 2 000 $;

Sur le chef numéro 12 :

CONDAMNE l'intimé au paiement d'une amende de 1 000 $;

CONDAMNE l'intimé au paiement de 20 % des déboursés, y compris les frais d'enregistrement conformément aux dispositions de l'article 151 du Code des professions.

 

 

(s) François Folot

Me FRANÇOIS FOLOT, avocat

Président du comité de discipline

 

(s) Alain Côté

M. ALAIN CÔTÉ, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

(s) Kaddis Sidaros

M. KADDIS SIDAROS, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Marie-Claude Sarrazin

BORDEN LADNER GERVAIS

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Carolyne Mathieu

Procureure de la partie intimée

 

Date d’audience : 26 janvier 2009

 

 

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Voir Brossard & al. c. Truchon, 1946 C.S. 240, Grivna c. Banque Canadienne Nationale, 1954 C.S. 168, Dame B. c. Banque Royale du Canada, 1970 C.S. 227, Dame Tremblay c. Audet, 1973 C.S. 693.

[2]     Voir aussi Major c. Rodrigue, 1932 53 B.R. p. 277.

[3]     Béchard c. Roy, (1975) C.A. p. 509.

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