Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0927

 

DATE :

 21 novembre 2012

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LE COMITÉ :

Me Jean-Marc Clément

Président

M. Marc Gagnon, A.V.C., Pl. Fin.

Membre

M. Antonio Tiberio

Membre

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CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

DANIEL MESSIER, représentant de courtier en épargne collective, conseiller en assurances et rentes collectives et conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 123758 et numéro de BDNI 1757061)

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ

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[1]           Le 12 octobre 2012, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) s’est réuni au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo‑Pariseau, 26e étage, à Montréal afin de procéder à l'audition de la plainte disciplinaire libellée comme suit :

LA PLAINTE

1.   À Granby, entre les ou vers les 13 août 2008 et 19 septembre 2011, l’intimé, au moyen de fausses représentations, s’est approprié pour ses fins personnelles la somme d’environ 18 249,87 $ que lui avait confiée pour fins d’investissement son client A.P., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D‑9.2), 11, 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (c. D-9.2, r. 1.01), 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (c. V-1.1) ainsi que 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r.7.1.);

2.   À Granby, entre les ou vers les 1er janvier 2009 et 30 juin 2011, l’intimé a confectionné quatre faux relevés laissant faussement croire à son client A.P. qu’il détenait des placements dans un contrat de fonds distincts numéro 0040473I auprès d’Empire, Compagnie d’Assurance-Vie, alors qu’il s’était plutôt approprié l’argent qui devait y être investi, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D‑9.2), 16 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (c. D-9.2, r. 1.01), 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1) ainsi que 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, r.7.1.).

LA PREUVE

[2]           Les parties étaient toutes deux représentées par avocat.

[3]           La plaignante a produit les pièces P-1 à P-22. L’intimé a témoigné et a produit les pièces I-1 et I-2. Les pièces ont toutes été admises de consentement.

[4]           La pièce I-1 est une liste des admissions qui est reproduite ci-après.

ADMISSIONS

         « Du 23 septembre 2003 au 27 septembre 2009, Daniel Messier détenait un certificat dans la discipline du courtage en épargne collective pour le cabinet Investissement Excel inc. (no 505 077) et était inscrit en assurance de personne;

         Du 28 septembre 2009 au 12 juin 2002, Daniel Messier a été inscrit à titre de représentant de courtier (en épargne collective) pour le compte de Investissement Excel inc.;

         Au 7 août 2008, Monsieur A.P. avait deux placements :

        Un placement Élite non enregistré (P-2) débuté le ou vers le 1er mai 2005 dont le numéro de police était le 0040473371 (P-3);

        (…)

         (…)

         Le chèque découlant de ce rachat était au montant de 18 249.87$ (P-5 et P-6);

         Le chèque a été transmis à Daniel Messier à l’ordre de Monsieur A.P. par l’assureur Empire Vie (P-6);

         Le chèque a été endossé par Monsieur A.P. (P-6);

         Le 12 août 2008, Monsieur A.P. signe un profil d’investisseur (P-11);

         Le 12 août 2008, Daniel Messier complète la proposition de placements Élite (P-13);

         La proposition de placements Élite (P-13) ne sera jamais transmise à l’assureur Empire-Vie (P-14);

         Le chèque a été déposé le 13 août 2008 à la Banque de Montréal au compte 2137 1075-282 (P-6 et P-10);

         Ce compte était le compte affaires de Daniel Messier au 13 août 2008 (P-9);

         Daniel Messier a forgé de faux relevés semestriels (P-15, P-16, P-17, P‑18 et P-19);

         Entre les 13 août 2008 et 19 septembre 2011, la somme de 18 249.87$ de Monsieur A.P. est demeurée à la disposition de Daniel Messier;

         Le ou vers le 19 septembre 2011, Daniel Messier remboursera à Monsieur A.P. le capital et les intérêts sur la somme dont il a eu usage (P-20);

         Afin de faire émettre la traite bancaire à Monsieur A.P., Daniel Messier a déposé dans son compte affaires à la Banque TD la somme nécessaire (P-21); »

 

[5]           L’intimé a ensuite enregistré un plaidoyer de culpabilité sous le chef 2 de la plainte.

LES FAITS

[6]           La trame factuelle de cette affaire ressort des admissions produites de sorte que le comité n’ajoutera que certaines précisions.

[7]           Le compte d’affaires dans lequel la somme de 18 249,87 $ a été déposée appartenait à la compagnie Daniel Messier Courtier d’assurance et services financiers inc. (pièce P-9).

[8]           Seuls l’intimé et son épouse pouvaient débiter ce compte.

[9]           Les débits qui y étaient faits servaient à payer autant les dépenses personnelles que d’affaires du couple (pièce P-10).

[10]        Madame Ghislaine Lemieux (Madame Lemieux) était l’assistante de l’intimé. Elle est décédée le 12 mai 2009.

TÉMOIGNAGE ET PRÉTENTIONS DE L’INTIMÉ

[11]        Madame Lemieux voyait à la préparation de toute la documentation du cabinet. L’intimé ne faisait que de la vente.

[12]        C’est elle qui a déposé le chèque (pièce P-6) dans le compte de la compagnie.

[13]        Il n’a eu connaissance de ce dépôt que quelques mois plus tard lors d’une vérification de ses commissions (pièce P-13).

[14]        Puisque c’est Madame Lemieux qui a déposé par erreur le chèque dans le compte courant de la compagnie, l’appropriation, si appropriation il y a eu, n’a pas été commise par lui.

[15]        Il a fait preuve de diligence raisonnable car il a consulté certaines personnes dès qu’il s’est aperçu de l’erreur. L’information qu’il a reçue était qu’il avait déjà commis une faute irréparable.

[16]         Aux fins d’éviter de prendre l’argent, il l’a transféré à sa fille à Edmonton.

PRÉTENTIONS DE LA PLAIGNANTE

[17]        L’appropriation est une infraction de responsabilité stricte contre laquelle seule une défense de diligence raisonnable peut être opposée. L’intimé n’a fait aucune preuve de diligence raisonnable.

[18]        Si l’intimé avait constaté que son assistante faisait des erreurs liées à son état de santé, il avait l’obligation de la superviser davantage.

[19]        Dès que l’intimé a eu connaissance de l’erreur qu’aurait faite son assistante, il aurait dû chercher à la corriger plutôt que de la camoufler en confectionnant de faux relevés qui étaient envoyés au client (pièces P-15 à P-18).

[20]        Le client n’a ainsi appris qu’en 2011 qu’aucun placement n’avait été fait en son nom et ce, lorsque l’institution financière auprès de laquelle il contractait un emprunt l’en a informé.

[21]        L’appropriation est essentiellement fondée sur l’absence d’autorisation du client à une détention de son argent. La plaignante cite à cet effet l’auteur Patrick de Niverville[1].

ANALYSE

[22]        Comme on le constate à la lecture de la doctrine soumise, le terme appropriation a une signification beaucoup plus large en matières disciplinaires que pénales. Ainsi, il y a appropriation dès que le client n’a pas donné son autorisation à l’utilisation de l’argent.

[23]        En l’instance, le client n’a jamais autorisé l’intimé à déposer cet argent dans son compte courant de société, encore moins dans un compte à découvert dans lequel on constate que la banque se remboursait à même les dépôts (pièce P-10). Les relevés bancaires montrent en effet que le compte de la société était à découvert d’une somme de 51 492,31 $ au moment du dépôt du chèque de 18 249,87 $ (pièce P-6). Suite au dépôt du chèque, il passe à la somme de - 34 242,44 $. Sept (7) jours plus tard, le compte est à découvert d’une somme de 49 393 $. Les relevés bancaires montrent également que cette somme a servi à payer des factures courantes comme l’électricité, les cartes de crédit, etc.

[24]        Pour le comité, il est clair qu’il y a eu là une appropriation d’argent.

[25]        Même s’il pouvait être soutenu qu’il n’y a pas d’appropriation au moment d’un dépôt fait par erreur, il ne peut certainement plus l’être au moment où l’intimé découvre ce dépôt, qu’il transfère le montant à sa fille à Edmonton et qu’il confectionne de faux relevés pour cacher le tout au client. L’intimé a d’ailleurs admis les avoir confectionnés en plaidant coupable sous le chef 2.

[26]        Selon le comité, dès lors que l’intimé a réalisé qu’une erreur avait été commise par l’employée dont il était responsable, il devait immédiatement en aviser le client. Il devait ensuite prendre toutes les mesures nécessaires pour corriger l’erreur, soit en lui retournant immédiatement l’argent ou soit en l’investissant conformément à ses instructions.

[27]        L’intimé a affirmé qu’il avait consulté l’Autorité des marchés financiers et un formateur de la Chambre de la sécurité financière concernant cette situation et qu’on lui aurait répondu qu’il n’y avait rien qui pouvait être fait. Le comité considère qu’il ne s’agit pas d’une preuve probante ou convaincante. Il aurait été facile pour l’intimé de fournir les noms des personnes qu’il avait consultées et les dates de consultation, le sérieux de l’infraction reprochée requérait certainement ce genre de précisions. Ensuite, il est invraisemblable qu’il ait reçu une telle réponse.

[28]        L’intimé a prétendu que pour éviter de prendre l’argent, il l’a transféré à sa fille. L’intimé n’a pas jugé utile de faire témoigner sa fille. Encore là, le sérieux de l’infraction reprochée requérait qu’elle le confirme.

[29]        L’intimé a produit le certificat de décès de Madame Lemieux (I-2), décédée des suites d’un cancer. Il explique que c’est la maladie qui lui a fait commettre l’erreur, mais du même souffle, il affirme qu’elle a pu travailler jusqu’à quelques semaines avant son décès. Le comité croit peu vraisemblable la prétention de l’intimé que la maladie ait fait commettre l’erreur à Madame Lemieux neuf (9) mois avant son décès, alors qu’elle était toujours en mesure d’occuper son emploi.

[30]        D’ailleurs, l’intimé s’est contredit en ce qui concerne l’existence d’un compte en fidéicommis. D’une part, il affirme que son assistante a fait une erreur en déposant le chèque dans le mauvais compte pour ensuite dire qu’il ne détient pas de compte en fidéicommis mais seulement un compte ordinaire.

[31]        L’intimé a prétendu qu’il avait l’intention de rembourser le client à l’échéance du placement, le 12 septembre 2010 (pièce P-13). Or, l’intimé a confectionné deux (2) faux relevés subséquents à cette date (pièce P-15 et P-16).

[32]        Le comité en conclut que la version des faits de l’intimé est invraisemblable et non crédible et que sur la foi de la preuve soumise, il y a bel et bien eu appropriation par l’intimé de la somme de 18 249,87 $ pour ses fins personnelles au moyen de fausses représentations. Le comité déclarera donc l’intimé coupable sous le chef 1.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ :

DÉCLARE l’intimé coupable des chefs 1 et 2;

CONVOQUE les parties, avec l’aide de la secrétaire du comité, à une audition sur sanction.

 

 

 

(s) Jean-Marc Clément

Me Jean-Marc Clément

Président du comité de discipline

 

 

(s) Marc Gagnon

M. Marc Gagnon, A.V.C., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Antonio Tiberio

M. Antonio Tiberio

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Sylvie Poirier

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Carl Dessaints

DESSAINTS & CLOUTIER

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience : 12 octobre 2012 

 

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ



[1] Patrick DE NINERVILLE, « La sentence en- matière disciplinaire (une revue approfondie de la jurisprudence) » dans Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire (2000), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 154 et 155.

 

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