Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0457

 

DATE :

17 juin 2009

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot, avocat

Président

M. Felice Torre, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

Mme Yannik Hay, A.V.C.

Membre

______________________________________________________________________

 

Me MICHELINE RIOUX, en sa qualité de syndic

Partie plaignante

c.

M. CONRAD LAMADELEINE, conseiller en sécurité financière et conseiller en assurance et rentes collectives

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

[1]           Les 25 janvier 2007 et 26 mars 2009, à l'Hôtel Sheraton Four Points de Gatineau, Québec, ainsi que le 21 septembre 2007 à la Maison du Citoyen, à Gatineau, Québec, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni et a procédé à l'audition d'une plainte portée contre l'intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

« 1.       À Casselman, le ou vers le 23 août 2000, l’intimé Conrad Lamadeleine a fait souscrire à ses clients Gabriel Verlinde et Agnès Bruneel le contrat de fonds distincts portant le numéro 55336341 de La Maritime alors qu’il les a faussement ou erronément induits à croire que :

a)         le contrat comportait des taux d’intérêts garantis de 10.2 pour cent;

b)         il s’agissait d’un placement garanti de 5 ans de type CPG;

c)         ils pouvaient retirer les intérêts composés au rythme de 585.00 $ par mois sans entamer le capital;

et, ce faisant, l'intimé a contrevenu aux articles 11, 12, 13, 14 et 16 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

2.          À Casselman, le ou vers le 23 août 2000, l’intimé Conrad Lamadeleine a fait souscrire à ses clients Gabriel Verlinde et Agnès Bruneel un contrat de fonds distincts de La Maritime sans chercher à avoir une connaissance complète de leur situation et leur a ainsi vendu un produit ne correspondant pas à leur profil et, ce faisant, l’intimé a contrevenu à l’article 15 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière de même qu’à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers; »

[2]           Au terme de l'audition, le comité a convenu de prendre l'affaire en délibéré dès que les transcriptions des notes sténographiques de l'audition au mérite lui seraient parvenues.

[3]           Celles-ci lui ont été acheminées le 20 février 2007 et il a alors débuté son délibéré.

[4]           Au cours de celui-ci, l’intimé a signalé au comité son intention de présenter une requête en réouverture des débats.

[5]           Celle-ci fut entendue le 21 septembre 2007 et par décision en date du 19 février 2008, le comité accueillit en partie la requête et ordonna la réouverture des débats.

[6]           L'enquête et audition en réouverture des débats eut lieu le 26 mars 2009.

[7]           À l'issue de celle-ci, le comité réclama la transcription des témoignages entendus.

[8]           Celle-ci lui parvint le 29 avril 2009, date de la reprise du délibéré.

LES FAITS

[9]           Le contexte factuel auquel se rattachent les chefs d'accusation portés contre l'intimé est le suivant :

[10]        À la suite d'une publicité parue dans un dépliant distribué dans leur région, Mme Agnès Bruneel (Mme Bruneel) et son époux M. Gabriel Verlinde (M. Verlinde) souscrivaient, le ou vers le 23 août 2000, par l'entremise de l'intimé, un contrat de fonds distincts auprès de la compagnie La Maritime. Ils y contribuèrent d'abord une mise de fonds de 100 000 $. Puis ils y engagèrent quelques semaines plus tard une somme additionnelle de 55 000 $.

[11]        Lors de leur rencontre avec l'intimé le ou vers le 23 août 2000, les époux Bruneel-Verlinde étaient accompagnés de leur fille Nicole Calandre (Mme Calandre). À cette occasion, selon le témoignage de cette dernière, ils auraient mentionné à l'intimé qu'ils désiraient faire un placement garanti de 100 000 $ et qu'ils avaient comme objectif d'en utiliser le produit ou partie de celui-ci pour combler leurs besoins courants.

[12]        Ils auraient alors compris, d'après la publicité émanant de l'intimé (faisant état d'un tel pourcentage de rendement) que le « placement garanti » auquel ils souscrivaient comportait un taux de 10,2 %. Toujours selon leur compréhension des choses, ils envisageaient prélever mensuellement une partie des intérêts de leur placement, soit 585 $ pour satisfaire leurs dépenses usuelles et comptaient recevoir à chaque mois un chèque au montant précité.

[13]        Quelque temps après la transaction, bien qu'ils aient reçu le ou les premiers chèques prévus, les époux Bruneel-Verlinde auraient toutefois constaté, à la lecture de leur premier état de compte provenant de la Maritime, que celui-ci semblait indiquer que le montant capital de leur placement avait diminué.

[14]        Ils auraient immédiatement communiqué avec l'intimé à ce sujet. Celui-ci les aurait alors rassurés. Il serait parvenu à faire cesser leurs inquiétudes en leur mentionnant que c'était « normal », qu'il ne s'agissait que d'un « procédé » fiscal et que tout finirait par tomber dans l'ordre.

[15]        Ce scénario se serait répété à quelques reprises par la suite lors de la réception par le couple de relevés subséquents, et ce, jusqu'à l'été 2001 lorsque les époux auraient décidé de se rendre au Centre Métro de l'Outaouais (Centre Métro) auquel était rattaché l'intimé. Ils y auraient rencontré M. Réjean Huppé (M. Huppé) et ils auraient alors été informés que ce qu'ils croyaient être un placement à intérêt garanti tel un « CPG »[1] était en fait un placement dans des « fonds distincts » dont la valeur était appelée à fluctuer selon les lois du marché.

[16]        Suivant les conseils de M. Huppé, ils auraient demandé que cesse immédiatement l'envoi des chèques qui leur étaient mensuellement destinés, ayant été prévenus qu'ils recevaient alors non pas des intérêts, mais plutôt des versements de capital.

[17]        La version des faits de l'intimé est différente. Selon son témoignage, ses clients, Mme Bruneel et M. Verlinde, auraient choisi d'investir dans les fonds distincts « Synchronie » qui sont les fonds en cause parce qu'ils ne voulaient pas de « dépôt à terme » dont les rendements leur paraissaient trop anémiques.

[18]        L'intimé a déclaré qu'il leur avait d'abord suggéré l'achat de « CPG » puis l'achat de rentes et que ce ne serait qu'en bout de ligne, ces derniers ne voulant ni de l'un ni de l'autre, qu'il leur aurait proposé d'investir dans les fonds « Synchronie » offerts par l'assureur, La Maritime.

[19]        Selon son témoignage, il leur aurait bien expliqué et ces derniers auraient bien compris la nature du placement qu'ils effectuaient. Ils y auraient consenti en toute connaissance de cause et il n’aurait donc rien à se reprocher.

MOTIFS ET DISPOSITIF

Chef d'accusation numéro 1

[20]        À ce chef, il est reproché à l'intimé d'avoir fait souscrire à ses clients M. Verlinde et Mme Bruneel un contrat de fonds distincts auprès de La Maritime alors qu'il les aurait faussement ou erronément induits à croire que :

a)            le contrat comportait des taux d'intérêts garantis de 10,2 %;

b)            il s'agissait d'un placement garanti de cinq (5) ans de type CPG;

c)            ils pouvaient retirer les intérêts composés au rythme de 585 $ par mois sans entamer le capital.

[21]        Or, de la preuve qui nous a été présentée, il nous faut d'abord conclure que bien qu'ils aient signé l'ensemble de la documentation nécessaire à la souscription d'un contrat de fonds distincts, M. Verlinde et Mme Bruneel n'ont réellement compris que l'année suivante, lors de leur rencontre avec M. Huppé au Centre Métro, ce dans quoi ils s'étaient engagés.

[22]        Ces derniers, âgés respectivement de 77 et de 76 ans au moment de la souscription des contrats en cause, n'avaient jamais investi dans des véhicules de placement dont la valeur pouvait être appelée à fluctuer au gré des marchés.

[23]        Selon le témoignage de M. Verlinde, il n'avait, toute sa vie durant, jamais consenti à placer « un centime à la bourse ». Ses économies n'auraient toujours été investies que dans des placements garantis au rendement assuré.

[24]        Selon la version des faits de Mme Nicole Calandre, la fille de M. Verlinde et de Mme Bruneel, lors de la rencontre avec l'intimé à laquelle elle a assisté, ses parents auraient cru, tout comme elle-même d'ailleurs, que le type de placement qui leur était proposé par ce dernier était de la nature d'un certificat de placement garanti rapportant mensuellement des intérêts.

[25]        En appui à son témoignage, fut déposée en preuve une copie de la proposition (pièce P-7, 7-12) où se retrouvent les mentions manuscrites « intérêt payé 1er octobre et le 1er de chaque mois ». Les mentions susdites ont fait l'objet d'une preuve d'expertise contestée présentée lors de la réouverture des débats. Les deux experts en écriture interrogés se sont entendus pour déclarer alors que le document en cause était de qualité médiocre et qu'il leur était difficile de tirer des conclusions quant à l'auteur des mentions, du moins avec un niveau de certitude élevé. Dans de telles circonstances, le comité a décidé d'accorder peu de force probante au document et n'en a pas tenu compte dans l'exercice menant à sa décision.

[26]        Fut également déposé en preuve un document sous entête indiquant qu'il provient du bureau de l'intimé où il y est clairement mentionné, au sujet du couple Bruneel-Verlinde, qu'il reçoit « ses intérêts » et que son « chèque d'intérêts » lui sera versé le premier du mois.

[27]        Ce document supporte le témoignage de Mme Calandre à l'effet que, durant l'entrevue avec l'intimé, ce dernier aurait fait état des « intérêts » que devait rapporter l'investissement suggéré et qu'elle-même et ses parents auraient été erronément induits à croire qu'il s'agissait d'un placement, tel un CPG qui devait rapporter mensuellement des « intérêts ».

[28]        Il est vrai que l'intimé a témoigné à l'effet que le document en cause n'était pas destiné au couple Bruneel-Verlinde et qu'il s'interrogeait sur la façon dont celui-ci en serait venu à se retrouver en leur possession. Il a néanmoins nullement contredit le fait que la note était inscrite sur du papier provenant de son bureau et identifié à son nom.

[29]        Quoi qu'il en soit, il y a plus. La preuve présentée au comité a révélé de façon prépondérante que le montant de 585 $ que le couple devait recevoir mensuellement avait été déterminé en calculant un rendement d’environ 7 % sur la somme de 100 000 $ qu’avaient initialement choisi d'investir M. Verlinde et Mme Bruneel. Or une telle façon de procéder était de nature à affermir la conviction du couple que leur investissement, tel un CPG, allait leur rapporter des intérêts fixes à intervalles réguliers. Aussi il n'est guère étonnant que M. Verlinde et Mme Calandre aient témoigné que, puisque le placement devait rapporter 10,2 %, « il ne devait y avoir aucun problème » à retirer 7 %.

[30]        De plus, il faut penser que si le couple Bruneel-Verlinde a choisi d'investir à peu près tous ses avoirs dans le véhicule de placement suggéré par l'intimé, tel que la preuve l'a révélé, c'est que dans leur esprit il devait s'agir d'un placement à valeur fixe rapportant des intérêts. L'on peut en effet douter qu'à leur âge relativement avancé ils aient voulu modifier leur façon habituelle de faire, et ce, à l'égard de l'ensemble de leurs placements. Il est peu probable que soudainement ils auraient choisi de supporter des risques auxquels ils n'avaient jamais été confrontés dans le passé et qu’ils avaient jusqu’alors toujours refusé d’assumer. Tout au long de leur vie, ils n'avaient investi que dans des certificats de placements garantis auprès d'institutions financières reconnues et avaient fuit les formes d'investissement volatil. Les sommes placées par le couple dans les fonds distincts proposés par l'intimé provenaient d'ailleurs de l'encaissement de certificats de placements garantis émis par une caisse populaire.

[31]        En défense l'intimé allègue que ses clients ont apposé leur signature à la documentation nécessaire à la souscription des fonds distincts en cause et qu'un examen le moindrement attentif de celle-ci leur aurait permis de réaliser dans quel genre de placements ils investissaient. Ce dernier souligne notamment que dans lesdits documents rien n'indique un rendement d'intérêt. Il soutient qu'à la face même de ladite documentation il était clair que le « placement » devait produire un « rendement » en fonction des marchés et non pas engendrer des « intérêts » à intervalles réguliers. Il ajoute de plus que Mme Calandre, dans son témoignage, a mentionné qu'avant la signature des documents en cause l'intimé a passé ceux-ci page par page avec ses clients.

[32]        Or, soulignons d'abord que s'il est vrai que lors de son témoignage Mme Calandre a indiqué que l'intimé a révisé avec ses clients la proposition qu'ils ont signée, la preuve est loin d’avoir révélé que chacune des dispositions aurait alors été minutieusement et scrupuleusement examinée. Mme Calandre a plutôt fait état d'un examen des rubriques « pour remplir ce qu'il y avait à remplir »[2].

[33]        Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que le couple Bruneel-Verlinde n'avait aucune connaissance du domaine financier ou du placement et n'était certes pas en mesure de comprendre véritablement les documents qu'ils ont signés. Ils se sont fiés entièrement à l'intimé en qui ils avaient, selon leur témoignage, pleinement confiance.

[34]        Aussi, la preuve présentée au comité a clairement établi qu'ils ont été erronément induits à croire ou maintenus dans la croyance qu'ils souscrivaient, par l'entremise de l'intimé, à un placement de la nature d'un CPG comportant des intérêts garantis de 10,2 % qu'ils pouvaient retirer au rythme de 585 $ par mois sans entamer le capital.

[35]        En l'espèce, qu'il ait été animé d'une intention malveillante ou non, l'intimé savait ou aurait dû savoir que ses clients se méprenaient sur la nature du placement qu'il leur proposait.

[36]        En conséquence de ce qui précède, il sera déclaré coupable sur ce chef.

Chef d'accusation numéro 2

[37]        À ce chef, il est reproché à l'intimé d’avoir fait souscrire ses clients à un contrat de fonds distincts sans chercher à avoir une connaissance complète de leur situation et de leur avoir ainsi vendu un produit ne correspondant pas à leur profil d'investisseur.

[38]        Or, la prépondérance de la preuve est clairement à l'effet que le type de « placement » souscrit par le couple Bruneel-Verlinde ne correspondait ni à leurs besoins, ni à leurs attentes, ni à leur profil d'investisseur.

[39]        Soulignons d'abord que si la préparation d’un « profil d’investisseur » du client est la pierre d’assise du travail du représentant, la preuve qui nous a été présentée a démontré que l'intimé a fait défaut de procéder à un tel exercice.

[40]        Lorsque interrogé par l'enquêteur du bureau du syndic à savoir s'il avait procédé à un « profil d'investisseur » avec ses clients, l'intimé a répondu oui. À l'appui de ses prétentions, il lui a expédié une copie de son analyse. La difficulté c'est que le document transmis à l'enquêteur par l'intimé semble avoir été rédigé sur une formule datant du mois de novembre 2001 alors que la souscription des fonds distincts en cause avait eu lieu en août 2000![3]

[41]        Par ailleurs, le fonds Synchronie est décrit dans le prospectus (P-5, p. 4.87) comme un fonds de croissance à long terme du capital alors que l'intimé était en présence de gens âgés de 76 et 77 ans respectivement. De plus, ces derniers ne possédaient véritablement comme seuls actifs que les sommes qu'ils entendaient investir. Ils comptaient sur les revenus provenant de leur investissement pour supplémenter leur pension de retraite et subvenir à leurs besoins courants. Ils étaient à la recherche d'un rendement constant et prévisible de la forme d'un intérêt et ils ne voulaient exposer leurs placements à aucune volatilité. L'investissement proposé par l'intimé ne répondait ni à leurs besoins ni à leurs attentes.

[42]        Il ressort donc de la preuve qui a été présentée au comité que l'intimé a fait défaut de véritablement s'assurer d'obtenir une connaissance complète de la situation, de la volonté, des intentions, des exigences et des besoins de ses clients.

[43]        L'intimé aurait dû savoir que ceux-ci recherchaient et ne voulaient investir que dans des titres sans risque offrant un rendement périodique. Son devoir de conseil lui imposait de bien les connaître et de s'assurer que le produit recommandé puis vendu réponde à leurs besoins et à leurs attentes.

[44]        L'intensité de cette obligation était d'autant plus élevée que ces derniers étaient plus vulnérables, à cause de leur âge, des profanes en matière d'investissement et que le mandat qu'ils lui avaient confié était important.

[45]        La preuve présentée au comité a clairement démontré qu'au moment de la formation du contrat, l'intimé a manqué à son devoir de bien connaître ses clients. Il a manqué à son obligation d'agir en conseiller consciencieux et prudent.

[46]        Les placements recommandés par l'intimé ne correspondaient ni au profil d'investisseur du couple Bruneel-Verlinde, ni à leurs attentes ni à leurs besoins, ni à leur situation.

[47]        L'intimé sera déclaré coupable sur ce chef.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

DÉCLARE l'intimé coupable des chefs d'accusation 1 et 2 de la plainte;

CONVOQUE les parties avec l’assistance de la secrétaire du comité à une audition sur sanction.

 

 

 

(s) François Folot

Me FRANÇOIS FOLOT, avocat

Président du comité de discipline

 

(s) Felice Torre

M. FELICE TORRE, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(s) Yannik Hay

Mme YANNIK HAY, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Marie-Claude Sarrazin

BORDEN LADNER GERVAIS

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Steve Guénard

BEAUDRY BERTRAND

Procureurs de la partie intimée

 

Dates d’audience :

25 janvier 2007, 21 septembre 2007 et 26 mars 2009

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ


 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0457

 

DATE :

19 janvier 2010

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Felice Torre, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

Mme Yannik Hay, A.V.C.

Membre

______________________________________________________________________

 

Me MICHELINE RIOUX, ès qualités de syndic de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

M. CONRAD LAMADELEINE, conseiller en sécurité financière et conseiller en assurance et rentes collectives

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

[1]        Le 2 octobre 2009, à la suite de sa décision sur culpabilité, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni au palais de justice de Hull, chambre II, Hull, Québec, et a procédé à l'audition sur sanction.

[2]        L'intimé était accompagné de son avocat, Me Pierre McMartin.

[3]        La plaignante ainsi que son procureur étaient absents.

[4]        Après quelque temps d'attente, le procureur de la plaignante fut rejoint au téléphone et s'excusa de son absence évoquant un malentendu.

[5]        Après certains échanges, les parties convinrent que dans les circonstances l'audition sur sanction se poursuivrait de la façon suivante : l’intimé qui était présent, interrogé par son procureur, témoignerait en l'absence de la plaignante et de son procureur. L'audition serait ensuite suspendue, les notes sténographiques du témoignage de M. Lamadeleine commandées et acheminées aux parties, la plaignante se réservant le droit de contre-interroger celui-ci aux moyens de questions écrites consignées dans une correspondance adressée à son procureur. Les réponses de M. Lamadeleine aux questions de la plaignante seraient ensuite, le cas échéant, déposées au dossier sous la forme d'un affidavit de ce dernier.

[6]        Par la suite, la plaignante ayant indiqué qu'elle n'avait pas de preuve à offrir, les parties soumettraient par écrit au comité leurs représentations respectives sur sanction.

[7]        Ainsi il fut convenu que la plaignante déposerait ses représentations dans un délai de dix (10) jours de la réception d'une copie des notes sténographiques de la déposition de M. Lamadeleine et du dépôt au dossier, le cas échéant, d'un affidavit de ce dernier. Quant à l'intimé, il fut convenu qu'il aurait ensuite un délai de dix (10) jours pour soumettre à son tour ses représentations et autorités. Par la suite, la plaignante serait autorisée à produire une réplique dans un délai de trois (3) jours, le comité convenant de prendre sur réception de celle-ci l'affaire en délibéré.

[8]        Les parties ayant procédé tel que convenu et la réplique de la plaignante ayant été acheminée au comité le 26 octobre 2009, le comité débuta à ladite date son délibéré.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[9]        Dans ses représentations écrites, la plaignante réclama sur le chef 1 la radiation temporaire de l'intimé pour une période de six (6) mois.

[10]      Sur le chef 2 elle réclama l'imposition d'une amende de 6 500 $.

[11]      Elle suggéra de plus la condamnation de l'intimé au paiement des déboursés et réclama la publication de la décision.

[12]      Au plan des facteurs aggravants, elle invoqua d'abord la gravité objective des infractions reprochées ainsi que le préjudice causé aux clients.

[13]      Elle poursuivit en mentionnant que l'intimé persistait à refuser « d'accepter sa responsabilité, de reconnaître ses fautes ou d'exprimer des remords » et invoqua qu'à son avis l'historique du dossier laissait voir le recours à de procédures dilatoires de sa part.

[14]      Elle indiqua ensuite que la faute de l'intimé était à son avis préméditée « puisqu'elle s'inscrivait comme une suite logique à la publicité (P-3) qu'il avait fait publier et sur laquelle ses clients se sont fondés ».

[15]      Elle mentionna enfin que bien que les fautes reprochées à l'intimé ne concernaient qu'une seule transaction, il fallait se souvenir que les « victimes » étaient des personnes âgées et vulnérables. Elle ajouta que l'intimé les avait maintenues dans l'ignorance pendant près d'un an après les transactions malgré des questionnements répétés de leur part.

[16]      Au soutien de sa recommandation sur le premier chef, la plaignante soumit les décisions du comité dans les affaires Petit, CD00-0692, 30 juillet 2008, Parent, CD00-0567, novembre 2005 et Fortas, CD00-0647, 10 août 2007.

[17]      Au soutien de sa recommandation sur le deuxième chef, elle soumit les décisions du comité dans les affaires Gignac, CD00-0693, 4 juin 2008, Lavoie, CD00-0574, 18 mai 2004 et Casaubon, CD00-0521, 2 novembre 2004.

REPRÉSENTATIONS DE L'INTIMÉ

[18]      Le procureur de l'intimé débuta ses représentations en invoquant le principe à l'effet que dans tous les cas la sanction imposée « doit coller aux faits du dossier ».

[19]      Il rappela ensuite, en mentionnant certaines autorités, que « la délicate tâche du comité de discipline consiste à décider d'une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière disciplinaire et de toutes les circonstances aggravantes et atténuantes, de l'affaire ».

[20]      Puis, s'en rapportant au cas en l'espèce, il suggéra que de nombreuses circonstances atténuantes devaient être prises en compte par le comité.

[21]      Ainsi il mentionna que l'intimé, âgé de 68 ans, était un « homme d'affaires reconnu et estimé dans sa communauté ».

[22]      Il indiqua ensuite que bien qu'ayant exercé la profession pendant trente-sept (37) ans, ce dernier n'avait jamais commis de faute professionnelle, la plainte déposée contre lui en 2002 étant la seule « tache » à son dossier.

[23]      Il souligna que la plainte ne concernant qu'un seul couple de clients, le comité était en présence d'un comportement fautif isolé.

[24]      Il rappela ensuite les circonstances entourant les événements en cause précisant notamment que la fille du couple avait participé, en compagnie de l'intimé, à remplir les « formulaires de placement ».

[25]      Il indiqua que depuis le dépôt de la plainte en 2002 l'intimé avait cessé d'exercer en tant que représentant se consacrant à ses occupations de maire de la municipalité où il demeurait et qu'il n'avait pas l'intention de « récupérer » ses certificats « ayant mis de côté depuis longtemps cette profession ». Il signala qu'il n'y avait donc dans son cas aucun risque de récidive.

[26]      Il évoqua que la sanction de radiation de six (6) mois recommandée par la plaignante sur le premier chef lui apparaissait peu logique et que l'amende proposée sur le second chef n'était pas « proportionnelle aux événements reprochés à l'intimé ».

MOTIFS ET DISPOSITIF

Chef numéro 1

[27]      À ce chef l'intimé a été reconnu coupable d'avoir faussement ou erronément induit ses clients à croire notamment que le contrat de fonds distincts qu'il leur faisait souscrire était un placement de la nature d'un CPG, comportait des taux d'intérêts de 10.2 %, et qu'ils pourraient en retirer mensuellement les intérêts obtenus sans entamer leur capital.

[28]      La gravité objective de l'infraction reprochée est indéniable. Elle touche au cœur de l'exercice de la profession et est de nature à discréditer celle-ci aux yeux du public.

[29]      L'intimé a causé à ses clients un préjudice non négligeable. Ces derniers étaient âgés, vulnérables, possédaient peu de connaissances dans le domaine du placement et lui faisaient entièrement confiance. Bien qu'interrogé par ces derniers à quelques reprises après coup au sujet des transactions, il les a maintenus dans l'ignorance.

[30]      D'autre part, l'intimé est aujourd'hui âgé de 68 ans. Il n'a aucun antécédent disciplinaire durant le cours d'une longue carrière dans la profession.

[31]      Il paraît bien estimé et reconnu dans son milieu puisqu'il a été élu et est toujours maire de sa municipalité.

[32]      Ayant volontairement choisi en 2002 d'abandonner la carrière de représentant et n'ayant, si l'on se fie à son témoignage, aucune velléité d'y retourner, il semblerait peu ou pas représenter un risque de récidive.

[33]      Enfin, le comité est confronté à une seule réelle transaction fautive de sa part.

[34]      Aussi, bien qu'il soit toujours difficile de comparer les sanctions imposées dans un contexte particulier à celles qui devront être imposées dans un contexte différent, dans l'affaire Christian Masse c. Micheline Rioux (CD00-0621), l'intimé qui a été reconnu coupable du défaut de s'acquitter du mandat que lui avait confié ses clients en leur faisant souscrire un produit qui ne leur convenait pas ou qui ne correspondait pas à ce qu'ils recherchaient, a été condamné par le comité à une radiation temporaire d'un mois.

[35]      En l'espèce, le comité est d'avis qu'une sanction de radiation pour une durée semblable d'un mois serait en l'espèce une sanction juste et appropriée qui tiendrait compte tant des éléments objectifs et subjectifs du dossier que du volet dissuasif nécessaire auprès de l'ensemble de la profession.

[36]      Enfin pour terminer sur ce chef, puisque le procureur de l'intimé a mentionné dans ses plaidoiries écrites qu'il lui paraissait inapproprié d'imposer à l'intimé une radiation temporaire alors que son client n'exerce plus la profession depuis déjà quelques années, le comité croit devoir souligner que, tel que l'a mentionné le procureur de la plaignante dans son argumentation, l'article 156 b) du Code des professions prévoit spécifiquement qu'une sanction de radiation peut être imposée au professionnel « même si depuis la date de l'infraction qui lui est reprochée il a cessé d'être inscrit au tableau de l'ordre ».

Chef numéro 2

[37]      À ce chef l'intimé a été reconnu coupable d'avoir fait souscrire à ses clients un contrat de fonds distincts sans chercher à avoir une connaissance complète de leur situation et de leur avoir ainsi vendu un produit ne correspondant pas à leur profil d'investisseur.

[38]      Ladite infraction est intimement liée à celle mentionnée au chef numéro 1 et concerne la même transaction.

[39]      La plaignante a suggéré sur ce chef l'imposition d'une amende de 6 500 $.

[40]      À l'appui de sa suggestion, elle a invoqué les décisions du comité dans les affaires Gignac (CD00-0693), 4 juin 2008, Lavoie (CD00-0574), 18 mai 2004, Casaubon (CD00-0521), 2 novembre 2004 où les représentants, pour des infractions de nature comparable, ont été condamnés au paiement d'amendes de 3 000 $, 3 500 $ et 2 000 $.

[41]      Bien que la plaignante ait invoqué que le législateur a majoré le montant maximum des amendes imposables en vertu du Code des professions pour justifier l'imposition d'une amende de 6 500 $, en l'espèce, le comité est d'avis que l'imposition d'une amende de 3 000 $ sur ce chef serait une sanction juste et appropriée qui tiendrait compte des éléments objectifs et subjectifs du dossier ainsi que du principe de la globalité des sanctions.

[42]      Enfin, puisque le préjudice sérieux causé aux clients par l'intimé requiert une dénonciation non équivoque et ne voyant aucun motif qui le justifierait d'agir autrement, le comité ordonnera la publication de la décision.

[43]      L'intimé sera également condamné au paiement des déboursés.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

Sur le chef numéro 1 de la plainte :

ORDONNE la radiation temporaire de l'intimé pour une période d'un (1) mois;

Sur le chef numéro 2 de la plainte :

CONDAMNE l'intimé au paiement d'une amende de 3 000 $;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l'intimé un avis de la présente décision dans un journal où l'intimé a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément à l'article 156(5) du Code des professions;

CONDAMNE l'intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d'enregistrement conformément aux dispositions de l'article 151 du Code des professions.

 

 

 

(s) François Folot __________________________________

Me FRANÇOIS FOLOT, avocat

Président du comité de discipline

 

(s) Felice Torre __________________________________

M. FELICE TORRE, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(s) Yannick Hay __________________________________

Mme YANNIK HAY, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

 

Me François Longpré

BORDEN LADNER GERVAIS

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Pierre McMartin

BEAUDRY BERTRAND

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

2 octobre 2009

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Certificat de placement garanti.

[2]     Cf. notes sténographiques de l'audition du 25 janvier 2007, p. 55, ligne 18.

[3]     Cf. pièce P-6, document 5.25.

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