Chambre de la sécurité financière (Québec)

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 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N°:

CD00-0683

 

DATE :

22 avril 2009

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LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

M. Robert Chamberland

Membre

M. Marc Binette

Membre

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LÉNA THIBAULT, en qualité de syndic de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

CLAUDE MARTEL, représentant en assurance de personnes et en assurance collective de personnes

Partie intimée

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DÉCISION SUR REQUÊTE POUR REJET DE RAPPORT D’EXPERT

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[1]           À l’audition du 21 avril 2009, bien que le procureur de l’intimé ne s’objecte pas à la qualification de M. Daniel Bissonnette en tant que témoin expert en planification financière, retenu par le procureur du syndic, il demande le rejet de son rapport.

[2]           Il soumet, s’appuyant sur divers passages, que ce rapport est inadmissible, que M. Bissonnette y formule des opinions qui excèdent son domaine d’expertise plus particulièrement en s’arrogeant le rôle du comité de discipline.

[3]           À l’appui de ses prétentions, le procureur de l’intimé cite, entre autres, l’arrêt Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S.374 où il est confirmé que :

« Le témoignage de l’expert est admissible pourvu que l’expert possède les qualités requises et que son témoignage soit nécessaire ou utile au tribunal aux fins de trancher des questions de caractère technique ou scientifique». [1]

et plus loin :

«(…) le témoignage d’un expert ne lie pas quant à la question de droit précise que le juge est appelé à trancher. Cette question relève du domaine du juge».[2]

[4]           Quant au procureur du syndic, bien qu’il reconnaisse que M. Bissonnette ait pu excéder ses compétences en concluant que l’intimé a enfreint la Loi sur la distribution sur de produits et services financiers (LDPSF) ou les Code de déontologie auxquels il est soumis, il soutient que le procureur de l’intimé confond la règle de l’admissibilité du témoignage de M. Bissonnette avec sa force probante.

[5]           À cette fin, il cite la Cour suprême dans R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223 qui se prononce quant à la règle applicable en matière de qualification d’expert :

« La seule condition à l’admission d’une opinion d’expert est que "le témoin expert possède des connaissances et une expérience spéciales qui dépassent celles du juge des faits": R. c. Béland, [1987] 2 R.C.S. 398, à la p. 415.  Les failles dans l'expertise concernent la valeur du témoignage et non son admissibilité. »

ANALYSE

[6]           La Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Mohan[3] établit que « [l]'admission de la preuve d'expert repose sur l'application des critères suivants: a)  la pertinence; b)  la nécessité d'aider le juge des faits; c)  l'absence de toute règle d'exclusion; d)  la qualification suffisante de l'expert.»[4]  En l’espèce, ces quatre critères s’appliquent.

[7]           Aussi, dans son volume portant sur la preuve civile, le professeur Jean-Claude Royer mentionne :

« Il est dangereux d’exclure à priori une preuve d’expertise, sauf s’il est manifeste qu’elle n’a aucune valeur probante.  Or, celle-ci est généralement déterminée au moment où l’enquête est close et que toute la preuve a été soumise au Tribunal.  La recevabilité et la valeur probante du témoignage d’un expert doivent généralement être décidées par le juge saisi du fond du litige. »[5] 

[8]           Le Tribunal des professions affirmait dans Terjanian c. Dentistes[6], qu’il «est toujours dangereux pour un Tribunal d'exclure une preuve d'expert avant d'avoir entendu toute la preuve.»[7].  Il réfère par la suite au passage cité plus haut du professeur Royer.

[9]           Le commentaire du Tribunal des professions dans Gourgi c. Dentistes[8] trouve aussi application en l’espèce :

« [c]ette règle de prudence est d'autant plus importante en matière disciplinaire puisque les membres ne peuvent palier ou suppléer à la preuve pour déterminer si le professionnel a enfreint «les normes scientifiques généralement reconnues en médecine dentaire».»[9] 

[10]        En l’espèce, en tant qu’expert, le rôle de M. Bissonnette se limite à fournir une opinion sur les normes de pratique généralement reconnues dans la profession ou l’industrie eu égard aux faits énoncés dans la plainte afin d’éclairer le comité qui est celui qui aura à déterminer en analysant l’ensemble de la preuve si l’intimé a enfreint ces normes déontologiques. 

[11]        Le témoignage des experts ne lie pas le comité de discipline quant à la question de droit précise qu’il est appelé à trancher. Cette question relève du domaine de compétence du comité.[10]

[12]        Suivant l’énoncé du juge Crête, siégeant alors à la Cour d’appel, dans l’arrêt Leroux c. Cake[11] :

« À mon avis, - et je le dis avec le plus grand respect – le juge ne devait pas déclarer le témoignage de l’expert irrecevable à priori sans connaître les questions précises qui pouvaient être posées, la forme et l’objet des questions, leur pertinence, et tous autres facteurs qui peuvent rendre une preuve admissible ou inadmissible. »

Et le juge Mayrand, dans ce même arrêt déclare :

« Quand une preuve préalable a démontré la fausseté des données ou l’inexistence des faits sur lesquels le psychiatre entend faire reposer son expertise, l’on comprend que le juge refuse de la recevoir car son inutilité est déjà certaine.  Mais la simple contestation des faits sur lesquels se fonde l’expertise et le risque de son inutilité éventuelle ne la rendent pas irrecevable. » 

[13]        Le comité estime qu’en l’espèce refuser le rapport et par conséquent au syndic de faire témoigner son expert compétent équivaudrait à l’empêcher de faire établir les normes généralement reconnues dans la profession à l’égard des faits énoncés dans la plainte et ainsi de s’acquitter de son fardeau de preuve.

[14]        Même si le comité a pu constater à même les passages relevés par le procureur de l’intimé dans le rapport de M. Bissonnette que ce dernier tirait des conclusions qui excèdent ses compétences, le comité ne peut conclure qu’il est manifeste à ce stade-ci que le rapport de M. Bissonnette n’a aucune valeur probante[12].

[15]        Le comité est d’avis qu’il serait déraisonnable de rejeter le rapport de M. Bissonnette sans entendre son témoignage.  Le comité devra évaluer la force probante du témoignage rendu par M. Bissonnette et faire abstraction des parties qui excèderaient ses compétences.  Comme le professeur Royer le rappelle : « [l]a valeur probante du témoignage d’un expert relève de l’appréciation du juge.  Celui-ci n’est pas lié par l’opinion d’un expert. Il doit évaluer et peser sa déposition de la même manière que celle des témoins ordinaires.»[13]

[16]        Le comité évaluera la preuve en tenant compte «de la nature et de l’objet de l’expertise, de la qualification de l’expert, de l’ampleur et du sérieux de ses recherches, ainsi que du lien entre les opinions proposées et la preuve.»[14]

[17]        Enfin le comité considère comme non pertinente la décision rendue par la Cour d’appel dans Modes Striva inc. et al[15] citée par le procureur de l’intimé puisque la question traitée par la Cour d’appel porte sur le contrôle de la discrétion judiciaire exercée par le premier juge et non sur l’exercice par la Cour de cette discrétion.

[18]        Il en est de même de la décision rendue par le juge en première instance dans cette dernière affaire car les motifs du rejet du rapport ne reposent pas seulement sur l’excès de compétence des experts mais aussi sur le fait que le juge était d’avis que, par ce rapport, les défendeurs voulait ajouter un nouvel élément de défense contrairement aux règles pour ce faire en plus d’être présenté tardivement sans excuse valable.[16]

[19]        En conséquence, le comité rejettera la requête de l’intimé demandant de déclarer irrecevable le rapport de M. Bissonnette.

POUR CES MOTIFS, le comité de discipline :

REJETTE la requête de l’intimé pour rejet du rapport de l’expert M. Bissonnette.

Le tout frais à suivre.

 

 

(s) Janine Kean

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

(s) Robert Chamberland

M. Robert Chamberland

Membre du comité de discipline

 

(s) Marc Binette

M. Marc Binette

Membre du comité de discipline

 

 

Me Éric Cantin

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Martin Courville

LA ROCHE ROULEAU & ASSOCIÉS

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

21 avril 2009

 

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ



[1] Version AZ-91111033, p. 91 de 122.

[2] Version AZ-91111033, p. 94 de 122.

[3] [1994] 2 R.C.S. 9.

[4] Supra, à la p. 20.

[5] ROYER, Jean-Claude, La preuve civile, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 303.

[6] 2006 QCTP 96.

[7] Supra, par. 53.

[8] Gourgi c. Dentistes, 2003 QCTP 121.

[9] Supra, par. 31.

[10]   Roberge c Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374; 1991 version 1993 Can LII 83 (C.S.C.) p. 4.

[11] J.E. 79-313 (C.A.).

[12] J.-C. ROYER, op. cit., note 5, p. 303, par. 470.

[13] J.-C. ROYER, op. cit., note 5., à la p. 313, par. 484.

[14] J.-C. ROYER, op. cit., note 5., à la p. 314, par. 485.

[15] Modes Striva inc., Maurice Labrèche et Jacqueline Labrèche c. Banque Nationale du Canada, REJB 2002-29594, rendue le 6 mars 2002, par 20.

[16] Banque Nationale du Canada c. Modes Striva et al. (C.S. 2001-10-26), AZ-50104533 par 24-25.

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