Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0904

 

DATE :

3 août 2012

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LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Pierre Masson, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

M. André Noreau

Membre

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Me CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

M. CHRISTIAN PITRE, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 127157)

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION CORRIGÉE

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[1]           Le 5 juin 2012, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni à Québec, aux locaux de la Commission des lésions professionnelles sis au 900, Place d’Youville, bureau 800, Québec, et a procédé à l'audition d'une plainte disciplinaire portée contre l'intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

« L.B.

 

1.      Dans la région de Québec, entre le ou vers l’année 2004 et le 5 novembre 2010, l’intimé a fait signer en blanc un « Formulaire d’instructions de placement » d’Investia, non daté, à sa cliente L.B., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 10, 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r.7.1) et 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1);

2.      Dans la région de Québec, le ou vers le 9 août 2010 l’intimé a fait signer en blanc deux « Formulaire d’instructions de placements » d’Investia à sa cliente L.B., contrevenant ainsi aux articles 10, 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r.7.1) et 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1);

 

J.Y.B.

 

3.      Dans la région de Québec, entre le ou vers le mois de janvier 2004 et le 5 novembre 2010, l’intimé a fait signer en blanc un formulaire de « Demande d’ouverture de compte » de TD Fonds mutuels à son client J.Y.B., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 10, 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r.7.1) et 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1);

 

4.      Dans la région de Québec, le ou vers le 3 mai 2010, l’intimé a fait signer en blanc un formulaire d’« Autorisation de transfert » à son client J.Y.B., contrevenant ainsi aux articles 10, 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r.7.1) et 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1);

 

C.S.

 

5.      Dans la région de Québec, entre le ou vers le mois de novembre 2009 et le 5 novembre 2010, l’intimé a fait signer en blanc un formulaire de Placements Franklin Templeton à sa cliente C.S., contrevenant ainsi aux articles 10, 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r.7.1) et 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1);

 

S.B.

 

6.      Dans la région de Québec, le ou vers le mois de juillet 2010, l’intimé a confectionné un formulaire d’« Autorisation de transfert pour les placements enregistrés » de TD Fonds Mutuels laissant faussement croire que son client S.B. avait effectivement signé ledit formulaire alors qu’il avait plutôt utilisé une photocopie de la signature de ce dernier, contrevenant ainsi aux articles 10, 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r.7.1) et 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1);

 

7.      Dans la région de Québec, le ou vers le 13 juillet 2010, l’intimé a utilisé un formulaire d’« Autorisation de transfert pour les placements enregistrés » de TD Fonds Mutuels qu’il avait confectionné  afin que les fonds de son client S.B. d’un montant approximatif de 78 545 $ soient transférés de Manuvie à Gestion de Placements TD inc., contrevenant ainsi aux articles 10, 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (c. D-9.2, r.7.1) et 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1). »

[2]           D’entrée de jeu, l’intimé qui se représentait lui-même mais qui avait, selon ce qu’il a déclaré, bénéficié des services d’un avocat, enregistra un plaidoyer de culpabilité à l’égard de chacun des chefs d’accusation contenus à la plainte. Il déposa un plaidoyer de culpabilité écrit signé, daté du 4 juin 2012.

[3]           Après l’enregistrement dudit plaidoyer, les parties présentèrent au comité leurs preuve et représentations sur sanction.

PREUVE DES PARTIES

[4]           Alors que la plaignante déposa sous les cotes SP-1 à SP-9 une preuve documentaire en lien avec les infractions reprochées à l’intimé, elle ne fit entendre aucun témoin.

[5]           Quant à l’intimé, il déclara n’avoir aucune preuve à offrir.

[6]           Les parties soumirent ensuite au comité leurs représentations sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[7]           La plaignante, par l’entremise de son procureur, après avoir résumé les éléments de faits propres au dossier, et ce, notamment au moyen des pièces qu’elle venait de déposer, présenta au comité ses suggestions relativement aux sanctions à imposer à l’intimé.

[8]           Elle recommanda alors au comité d’imposer à l’intimé les sanctions suivantes :

Chefs 1, 2, 3, 4 et 5

[9]           Sous chacun desdits chefs, elle proposa au comité l’imposition d’une radiation temporaire d’un mois.

Chef 6

[10]        Sous ce chef, elle proposa au comité l’imposition d’une radiation temporaire de deux (2) mois.

Chef 7

[11]        Sous ce chef, elle proposa au comité l’imposition d’une radiation temporaire de deux (2) mois.

[12]        Elle suggéra que chacune des sanctions de radiation soit purgée de façon concurrente et souligna qu’il s’agissait en l’espèce de « recommandations communes » des parties.

[13]        Elle réclama également la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés et la publication de la décision.

[14]        Elle identifia ensuite certains facteurs aggravants dont notamment :

a)            la gravité objective des infractions commises par l’intimé;

b)            une pratique professionnelle pouvant mettre les clients à risque;

c)            des fautes répétées impliquant quatre (4) consommateurs distincts et la signature en blanc de plusieurs documents de nature différente;

d)            la grande expérience de l’intimé si bien que dans son cas l’on ne pouvait certes pas parler « d’erreurs de débutant ».

[15]        La plaignante mentionna également certains facteurs atténuants dont notamment :

a)            l’absence de préjudice subi par les consommateurs en cause;

b)            l’absence d’intention malhonnête de la part de l’intimé;

c)            son absence d’antécédents disciplinaires;

d)            sa transparence et son admission des faits lors de l’enquête menée par la syndique;

e)            l’enregistrement par ce dernier d’un plaidoyer de culpabilité à la première occasion, évitant ainsi aux consommateurs en cause d’avoir à se déplacer et/ou d’avoir à témoigner.

[16]        La plaignante termina en citant au soutien de ses recommandations quelques décisions antérieures du comité.

[17]        Elle mentionna ainsi les décisions rendues dans l’affaire Guillaume Côté[1], dans l’affaire Maude Boucher[2] ainsi que dans l’affaire François Jarry[3].

[18]        Dans l’affaire Guillaume Côté, le représentant reconnu coupable d’une part d’avoir fait signer en blanc à un client un formulaire d’instruction de placement et, d’autre part, d’avoir contrefait la signature d’un client sur un formulaire de mise à jour de compte, a été condamné sur le premier chef à une période de radiation temporaire d’un mois et sur le deuxième chef à une période de radiation temporaire de deux (2) mois, les sanctions de radiation devant être purgées de façon concurrente.

[19]        Dans l’affaire Maude Boucher, la représentante, qui avait à plusieurs reprises modifié les notes de proposition et/ou de signature ainsi que les numéros apparaissant à la section « Contrat ou proposition » de ses clients pour ensuite transmettre les documents ainsi modifiés au soutien d’une nouvelle proposition d’assurance à l’assureur, a été condamnée à une radiation temporaire de deux (2) mois.

[20]        Dans l’affaire François Jarry, le représentant reconnu coupable d’avoir incité un tiers à contrefaire la signature de ses clients entre autres sur des autorisations de transfert de placements enregistrés, a été condamné à une radiation temporaire de trois (3) mois. Dans cette décision, le comité avait toutefois souligné que bien que le représentant n’ait pas été animé d’une intention frauduleuse, à la distinction de certains autres cas, ses fautes avaient causé des inconvénients sinon un préjudice à ses clients, ces derniers ayant dû se soumettre à une nouvelle période où ils auraient à supporter des frais de rachat dans l’éventualité où ils choisiraient de disposer de leurs placements.

[21]        Elle conclut en rappelant qu’en l’espèce l’intimé n’avait pas été motivé par l’appât du gain, n’avait posé aucun geste à l’insu de ses clients et que ces derniers faisaient toujours affaire avec lui.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[22]        L’intimé qui, tel qu’indiqué précédemment, avait bénéficié des conseils d’un avocat mais qui se représentait lui-même débuta en confirmant son accord aux « suggestions communes » de sanctions présentées par la plaignante.

[23]        Il se contenta ensuite de simplement demander au comité de rendre sa décision dès qu’il le pourra afin qu’il puisse mettre cette affaire derrière lui aussi rapidement que possible.

[24]        Il termina en indiquant qu’il regrettait la situation et que les événements lui avaient causé pour dire le moins beaucoup de tracas.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[25]        Selon les représentations des parties, l’intimé a débuté dans la distribution de produits d’assurance-vie et/ou financiers en 1977 ou 1978.

[26]        Il n’a aucun antécédent disciplinaire.

[27]        Il a collaboré à l’enquête de la syndique, a admis ses fautes et a plaidé coupable à la première occasion à chacun des chefs d’accusation portés contre lui.

[28]        Les fautes qu’il a commises ne comportent aucun élément de malhonnêteté de sa part. Ses manquements n’avaient pas non plus pour objet l’obtention de bénéfices personnels pour lui-même.

[29]        Il a indiqué regretter ses fautes et vouloir mettre cet épisode malheureux de sa vie derrière lui le plus tôt possible.

[30]        Néanmoins les fautes qui lui sont reprochées et pour lesquelles il a plaidé coupable vont au cœur de l’exercice de la profession. D’une gravité objective indéniable, elles sont de plus de nature à porter atteinte à l’image de celle-ci.

Chefs 1, 2, 3, 4 et 5

[31]        À ces chefs, l’intimé s’est reconnu coupable d’avoir fait signer en blanc à ses clients différents formulaires d’instruction de placement ou de demande d’ouverture de compte.

[32]        Tel que le comité l’a déjà déclaré antérieurement : « Même si le degré de faute peut différer d’un cas à l’autre, faire signer en blanc un ou des documents à ses clients est une pratique malsaine. »

[33]        Pour les motifs plus amplement exposés par la plaignante, les parties ont suggéré au comité d’imposer à l’intimé une radiation temporaire d’un mois sous chacun de ces chefs à être purgée de façon concurrente.

[34]        Dans les circonstances propres à ce dossier, leur recommandation apparaît raisonnable et appropriée.

[35]        En l’espèce, le comité ne voit aucune raison valable qui le justifierait de refuser de donner suite à la suggestion des parties.

[36]        Le comité imposera donc à l’intimé sous chacun de ces chefs une radiation temporaire d’un mois à être purgée de façon concurrente.

Chefs 6 et 7

[37]        Au chef 6, il est reproché à l’intimé d’avoir confectionné un formulaire d’autorisation de transfert de placements enregistrés qui laissait faussement croire que son client SB avait signé ledit formulaire alors qu’il avait plutôt utilisé une photocopie de la signature de ce dernier.

[38]        Au chef 7, il est reproché à l’intimé l’utilisation dudit formulaire (qu’il avait confectionné) afin que les fonds de son client soient transférés d’un gestionnaire de fonds à un autre.

[39]        Or le contexte factuel rattaché à ces chefs est le suivant :

[40]        Le client en cause a d’abord rencontré l’intimé le ou vers le 13 juillet 2010.

[41]        Ce dernier désirait transférer ses REER qui étaient chez Manuvie pour un placement avec de meilleurs rendements. L’intimé lui a alors fait souscrire un nouveau compte REER et lui a conseillé un placement dans des fonds de la Toronto Dominion, soit un fonds de revenus de dividendes mensuels diversifiés et un fonds d’actions canadiennes.

[42]        Le lendemain de la rencontre, soit le 14 juillet, l’intimé aurait informé son client qu’il avait « oublié » de lui faire signer le document autorisant le transfert de ses placements enregistrés.

[43]        Le client aurait toutefois alors avisé l’intimé qu’il partait le même jour pour deux (2) semaines en Europe et par la suite pour trois (3) autres semaines au Nunavut. Il aurait exprimé le désir que le transfert de ses REER se fasse néanmoins le plus rapidement possible puisqu’il était sous l’impression qu’il perdait de l’argent avec le gestionnaire de fonds auprès duquel ses avoirs étaient déposés. Ne pouvant se déplacer pour signer le document, il aurait alors suggéré à l’intimé de prendre une photocopie de sa signature et de la reproduire sur le document nécessaire au transfert.

[44]        Et c’est ce que l’intimé a fait.

[45]        Si le client a vu le transfert de ses fonds s’effectuer à sa satisfaction et n’a subi aucun dommage, cela n’excuse pas les fautes de l’intimé.

[46]        Même si ses agissements n’ont pas été motivés par une intention malveillante ou malhonnête, la gravité objective des fautes qu’il a commises ne fait aucun doute.

[47]        Si en l’occurrence les agissements de l’intimé n’ont causé aucun préjudice à son client ou à qui que ce soit, il aurait pu en d’autres circonstances en être autrement.

[48]        Le fait de confectionner un faux document comportant une fausse signature du client puis de l’utiliser par la suite pour conclure une transaction est une faute grave.

[49]        Il s’agit d’une infraction qui touche directement à l’exercice de la profession et qui est de nature à discréditer celle-ci.

[50]        Sous chacun des chefs 6 et 7, les parties ont conjointement suggéré au comité d’imposer à l’intimé une radiation temporaire de deux (2) mois à être purgée de façon concurrente.

[51]        Or, considérant l’ensemble des circonstances propres à ce dossier ainsi que les facteurs objectifs et subjectifs qui lui ont été présentés, le comité ne voit aucune raison valable qui le justifierait de refuser de donner suite à la suggestion des parties.

[52]        Celle-ci lui apparaît raisonnable, appropriée, adaptée à l’infraction ainsi que respectueuse des principes d’exemplarité et de dissuasion dont le comité ne peut faire abstraction.

[53]        L’intimé ordonnera donc la radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux (2) mois sous chacun des chefs 6 et 7 à être purgée de façon concurrente.

[54]        Enfin, conformément à la suggestion des parties, le comité ordonnera la publication de la décision et condamnera l’intimé au paiement des déboursés.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sous chacun des sept (7) chefs d’accusation contenus à la plainte;

DÉCLARE l’intimé coupable des chefs d’accusation 1 à 7 contenus à la plainte;

ET PROCÉDANT SUR SANCTION :

Sous chacun des chefs d’accusation 1, 2, 3, 4 et 5 :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un (1) mois;

Sous chacun des chefs d’accusation 6 et 7 :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de deux (2) mois;

ORDONNE que l’ensemble des sanctions de radiation soient purgées de façon concurrente;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l’intimé un avis de la présente décision dans un journal où l’intimé a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément à l’article 156(5) du Code des professions, L.R.Q. chap. C-26;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, L.R.Q. chap. C-26.

 

 

(s) François Folot

Me FRANÇOIS FOLOT, avocat

Président du comité de discipline

 

(s) Pierre Masson

M. PIERRE MASSON, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(s) André Noreau

M. ANDRÉ NOREAU

Membre du comité de discipline

 

 

Me Julie Piché

THERRIEN COUTURE

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représente lui-même.

 

Date d’audience :

5 juin 2012

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Mme Nathalie Lelièvre c. M. Guillaume Côté, CD00-0841, décision sur culpabilité et sanction en date du 7 avril 2011.

[2]     Venise Lévesque c. Maude Boucher, CD00-0700, décision sur culpabilité et sanction en date du 1er mai 2008.

[3]     Mme Léna Thibault c. M. François Jarry, CD00-0764, décisions sur culpabilité en date du 6 novembre 2009 et sur sanction en date du 24 août 2010.

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