Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N°:

CD00-0724

 

DATE :

31 décembre 2009

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

M. Gaétan Magny

Membre

M. Louis L’Espérance, A.V.C.

Membre

______________________________________________________________________

 

LÉNA THIBAULT, ès qualités de syndic de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

CAROLE MORINVILLE, conseillère en assurance de personnes et  assurance collective de personnes

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

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[1]           Le 8 décembre 2009, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s’est réuni à son siège social sis au 300, rue Léo-Pariseau, 26e étage à Montréal, pour procéder à l’audition de la plainte portée contre l’intimé, libellée comme suit :

 

À L’ÉGARD DE SON CLIENT DENIS BOUCHARD

 

1.     À Montréal, le ou vers le 2 octobre 2003, l’intimée CAROLE MORINVILLE a fourni à son client, Denis Bouchard, des informations incomplètes et trompeuses lors de la souscription du contrat Performax # 5497165 notamment sur l’impact du statut de fumeur du client et la durée du contrat avant de pouvoir retirer une rente, contrevenant ainsi aux articles 12, 13, 14 et 16 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (c. D-9.2, r.1.01) et de l’article 28 de  Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2);

 

 

2.     À Montréal, le ou vers le 2 octobre 2003, l’intimée CAROLE MORINVILLE alors qu’elle  faisait  souscrire  à  son  client,  Denis   Bouchard,  un  contrat  Performax  # 5497165, a faussement ou erronément indiqué dans ladite proposition que son client était non fumeur, en répondant «non» à la section 5.1a) alors qu’elle savait ou aurait dû savoir que son client avait récemment cessé de fumer la cigarette avec le programme «nicoderm», programme qu’il poursuivait, et ce faisant, l’intimée a contrevenu aux articles 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (c. D-9.2, r.1.01)

 

3.     À Montréal, le ou vers le 2 octobre 2003, l’intimée CAROLE MORINVILLE alors qu’elle  faisait   souscrire  à  son  client,  Denis  Bouchard,  un  contrat  Performax  # 5497165, a fait défaut d’acquitter avec diligence le mandat confié par son client en ne proposant pas un produit qui correspondait aux besoins exprimés par le client notamment sur ses besoins d’assurance-vie et son désir de retirer une rente à l’âge de 55 ans, contrevenant ainsi à l’article 24 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (c. D-9.2, r.1.01);

 

4.     À Montréal, le ou vers le 2 octobre 2003, l’intimée CAROLE MORINVILLE alors qu’elle  faisait   souscrire  à  son  client,  Denis  Bouchard,  un  contrat  Performax  # 5497165, a fait défaut de subordonner son intérêt personnel à celui de son client en lui recommandant un produit d’assurance dont la protection de 1 750 000,00$ n’était pas justifiée, contrevenant ainsi à l’article 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (c. D-9.2, r.1.01);

 

5.     À Montréal, le ou vers le 2 octobre 2003, l’intimée CAROLE MORINVILLE alors qu’elle  faisait  souscrire  à  son  client,  Denis  Bouchard,   un  contrat  Performax  # 5497165, a fait défaut de recueillir tous les renseignements et de procéder à une analyse complète et conforme des besoins financiers de son client, contrevenant ainsi à l’article 27 de  Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (c. D-9.2, r.1.3);

 

 

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[2]           L’intimée qui était présente à l’audience enregistra, par l’entremise de son procureur, un plaidoyer de culpabilité sur tous et chacun des cinq chefs d’accusation contenus à la plainte.

[3]           Après avoir produit la preuve documentaire (P-1 à P-15), la procureure de la plaignante fit un résumé succinct des faits pertinents.

[4]           Ainsi, le comité apprit qu’au moment des infractions reprochées, le consommateur, âgé d’environ 50 ans, œuvrait dans le milieu artistique et possédait une compagnie de production dont il était le seul actionnaire.

[5]           Il a rencontré l’intimée après une référence d’amis.  M. Bouchard recherchait une stratégie de placement qui lui permettrait d’investir durant les cinq prochaines années afin de toucher une rente à partir de 55 ans.

[6]           Pour répondre à sa demande, l’intimée lui proposa une police d’assurance vie entière avec participations, assortie d’une protection de 1 750 000 $.  L’intimée a représenté que ce produit permettait un décaissement à 55 ou 57 ans alors qu’il ne pouvait se faire qu’à partir de 69 ans.  Aussi, bien qu’une analyse de besoins financiers ait été préparée par l’intimée, elle était incomplète et ne pouvait justifier la protection d’assurance souscrite. 

[7]           De plus, l’illustration de la police proposée a été présentée sur la base d’un client non fumeur alors que l’intimée savait ou aurait dû savoir que M. Bouchard était toujours fumeur au moment de la souscription.  Ainsi, suite à l’examen médical requis, les conditions de la police furent modifiées en tenant compte du statut de fumeur de M. Bouchard ce qui augmenta de façon importante les primes annuelles à verser.

PREUVE ET REPRÉSENTATIONS DES PARTIES SUR SANCTION

[8]           Les parties informèrent le comité qu’elles n’avaient aucune preuve supplémentaire à offrir sur sanction.  Elles soumirent des recommandations communes sauf concernant le paiement des déboursés et du lieu de parution de la publication de la décision à rendre pour lesquels elles avaient chacune des arguments à présenter. 

[9]           Les recommandations communes ainsi soumises sont : 

         Chef 1 : une suspension d’un mois;

         Chef 2 : une suspension d’un mois à purger de façon concurrente et une amende de 3 125 $;

         Chef 3 : une amende de 6 250 $;

         Chef 4 : une suspension d’un mois à purger de façon concurrente et une amende de 12 500 $;

         Chef 5 : une suspension d’un mois à purger de façon concurrente et une amende de 5 200 $;

[10]        Au surplus, les parties ont suggéré d’accorder à l’intimée un délai de douze mois pour le paiement des amendes qui totalisent 27 075 $. 

[11]        Pour sa part, le procureur de l’intimée soumit que l’intimée ayant enregistré un plaidoyer de culpabilité et convenu des amendes mentionnées, devrait être dispensée du paiement des déboursés.  Concernant la publication de l’avis de la décision, il demanda qu’elle soit faite à Westmount, domicile où l’intimée a son lieu d’affaires.

[12]        La procureure de la plaignante soumit, comme facteurs atténuants, l’enregistrement par l’intimé d’un plaidoyer de culpabilité sur tous les chefs de la plainte et que les fautes ont été commises à l’égard d’un seul client et toutes commises à l’égard du même produit.  Comme facteurs aggravants, elle mentionna que l’intimée, qui possédait déjà 13 ans d’expérience au moment des infractions reprochées, savait ou devait savoir ce qu’elle faisait.  Elle y ajouta l’existence d’un antécédent disciplinaire[1] pour des infractions commises alors que l’intimée détenait un certificat dans la discipline du courtage en épargne collective. 

[13]        Elle justifia les sanctions proposées en s’appuyant sur plusieurs décisions rendues par le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière sur des infractions de même nature et conclut que les amendes de 27 075 $ et une suspension d’un mois répondaient à l’objectif de dissuasion ainsi qu’au principe de la gradation des sanctions.

ANALYSE ET DÉCISION

[14]        Comme l’indique le comité de discipline dans Rioux c. Rosental [2] :

[5] Lorsque les parties présentent des suggestions communes «[l]e droit disciplinaire reconnaît le principe, importé du droit pénal, qu'une suggestion commune ne lie pas le décideur qui peut s'en écarter en énonçant les motifs pour [lesquels] il n'y adhère pas.»[3]  Toutefois, «le Comité ne peut s'en écarter en l'absence de raison valable et surtout sans s'en expliquer adéquatement»[4] ou «[l’]ignorer impunément».[5]

[6] Selon le critère reconnu en droit pénal et appliqué dans le domaine du droit disciplinaire[6], le comité de discipline doit se demander si la sanction que suggèrent les parties est «elle-même déraisonnable, inadéquate, contraire à l'intérêt public et de nature à déconsidérer le système de justice».[7]

[15]        Après avoir pris connaissance de l’ensemble de la preuve documentaire, des décisions soumises au soutien de leurs recommandations et de la décision antérieure rendue contre l’intimée, le comité fit part aux procureurs de ses préoccupations face à celles-ci et plus particulièrement quant à l’apparence de récidive.  Tout comme dans la présente affaire, l’intimée enregistra un plaidoyer de culpabilité et des recommandations communes sur sanction ont été présentées au comité.  Aussi, les gestes reprochés, en l’espèce, ont été commis le 2 octobre 2003, à peine dans les deux mois suivants la décision antérieure datée du 23 juillet 2003. 

[16]        Doutant que l’intimée ait saisi la leçon à tirer de cette dernière décision, le comité invita en conséquence les procureurs à lui faire part de leurs arguments ou observations additionnelles.

[17]        Le procureur de l’intimée argumenta que les faits sur lesquels portait la décision antérieure étaient liés à des transferts opérés dans des fonds distincts et par conséquent dans le cadre de la discipline de courtage en épargne collective.  Concluant que cela concernait des produits de placement et non d’assurance, il soutint que les infractions n’étaient pas de même nature et qu’il ne pouvait donc pas être question de récidive. 

[18]        Sur ce dernier point, la procureure de la plaignante indiqua que même s’il s’agissait, en l’espèce, d’une police d’assurance, il s’agissait pour le client bien plus d’un produit d’investissement que d’un produit répondant à un besoin d’assurance.  Elle souleva que le produit en cause ne modifiait pas vraiment la nature de l’infraction puisqu’il était question notamment d’infraction reprochant le défaut d’expliquer adéquatement le produit, le défaut de remplir (ou de le faire correctement), dans le premier cas, le profil d’investisseur et, dans le deuxième cas, l’analyse de besoins financiers.  Elle fit valoir que l’objectif du profil d’investisseur et de l’analyse des besoins financiers est semblable.  Aussi, dans les deux plaintes, il y avait eu défaut de subordonner son intérêt personnel à celui de son client.  Contrairement à son collègue, elle conclut ainsi que le produit vendu n’était pas déterminant pour conclure que certaines infractions étaient de même nature. 

[19]        Le comité souscrit entièrement aux arguments de la plaignante sur ce point et partage l’opinion émise par le comité de discipline dans Thibault c. Wheeler[8] quand il déclare :

[44] Lorsqu'un représentant commet des entorses aux règles que lui dictent les lois ou règlements déontologiques auxquels il s'est soumis, il manifeste une incompétence ou une inaptitude à cet égard.

[45] Ses fautes, qu'elles soient imputables à un manque de probité, à une négligence ou à un défaut de compétence, pour ne donner que quelques exemples, se rattachent à sa personne et non à son champ d'exercice.

[46] En l'espèce les fautes reprochées à l'intimé relèvent d'une conduite et d'un comportement déficients au plan du jugement, de la loyauté et de l'indépendance professionnelle, qualités essentielles, nécessaires et requises de tout représentant, abstraction faite de ses champs de compétence.

[47] Ajoutons à ce qui précède que l'on ne saurait ignorer qu'un représentant qui se décharge de ses fonctions dans un des secteurs d'activités pour lequel il est autorisé à exercer sans se soucier des règles déontologiques, risque de se comporter de la même façon dans les autres secteurs d'activités.

[20]        Le comité estime que le comportement de l’intimée illustre ce dernier énoncé du comité dans l’affaire Wheeler.

[21]        Quant à la justesse des recommandations, la procureure de la plaignante signala, qu’en l’instance, considérant que les infractions furent commises à l’égard d’un seul client alors que huit clients étaient impliqués, les amendes suggérées étaient plus sévères.  Elle soumit que l’ordonnance de suspension d’un mois proposée représentait  également un ajout qui répondait au principe de la gradation des sanctions.  Elle termina en soulignant que la publication de la décision constituait en soi un impact important sur la pratique de l’intimée.

[22]        Le comité estime, après analyse des arguments supplémentaires fournis par les procureurs des parties, que les sanctions proposées sont conformes au principe de détermination de la sanction disciplinaire et de nature à assurer adéquatement la protection du public.  Ces sanctions n’étant pas, dans leur globalité, déraisonnables, inadéquates, contraire à l’intérêt public et de nature à déconsidérer le système de justice, le comité est en conséquence d’avis qu’il n’y a pas lieu de s’écarter des recommandations communes des parties.

[23]        Le comité déclarera l’intimée coupable sur chacun des cinq chefs d’accusation et donnera suite aux suggestions communes des parties et au délai demandé par l’intimée pour le paiement des amendes.  Quant à la demande de l’intimée pour que la publication d’un avis de la décision soit faite à Westmount, domicile où elle aurait son lieu d’affaires, le comité est d’avis qu’il n’a pas discrétion à ce titre puisque le législateur confie dans le 5e alinéa de l’article 156 du Code des professions au secrétaire du comité le soin de choisir le journal le plus susceptible d’être lu par la clientèle du professionnel.

[24]        Quant aux déboursés, le comité est d’avis qu’il n’y a pas de raison lui permettant de déroger au principe général voulant que la partie qui succombe les défraie.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimée sur chacun des cinq chefs d’accusation portés contre elle;

DÉCLARE l’intimée coupable des chefs 1, 2, 3, 4 et 5 de la plainte;

ORDONNE la suspension de l’intimée pour une période d’un (1) mois sur chacun des chefs 1, 2, 4 et 5 de la plainte à être purgée de façon concurrente;

CONDAMNE l’intimée au paiement d’une amende de 3 125 $ à l’égard du chef 2;

CONDAMNE l’intimée au paiement d’une amende de 6 250 $ à l’égard du chef 3;

CONDAMNE l’intimée au paiement d’une amende de 12 500 $ à l’égard du chef 4;

CONDAMNE l’intimée au paiement d’une amende de 5 200 $ à l’égard du chef 5;

ACCORDE à l’intimée un délai de douze mois pour le paiement desdites amendes, lequel devra être effectué au moyen de versements mensuels égaux le tout devant débuter au plus tard le 30e jour de la présente décision, sous peine de déchéance du terme et sous peine de non renouvellement de son certificat émis par l’Autorité des marchés financiers dans toutes les disciplines où il lui est permis d’agir;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l’intimée  un avis de la présente décision dans un journal où l’intimée a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où elle a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément à l’article 156 (5) du Code des professions (L.R.Q., c. C-26);

CONDAMNE l’intimée aux paiements des déboursés conformément à l’article 151 du Code des professions (L.R.Q., c. C-26).

 

(s) Janine Kean __________________________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(s) Gaétan Magny __________________________________

M. Gaétan Magny

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Louis L’Espérance __________________________________

M. Louis L’Espérance, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

Me Sylvie Poirier

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Martin Courville

LA ROCHE ROULEAU & ASSOCIÉS

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

8 décembre 2009

 

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ



[1] CD00-0474 rendue le 24 juillet 2003.

[2] CD00-0626 rendue le 24 mai 2007.

[3] Boudreau c. Avocats, 2006 QCTP 41, par. 42; voir aussi Ouellet c. Médecins, 2006 QCTP 74, par. 38; Jovanovic c. Médecins, 2005 QCTP 20, par. 27.

[4] Mathieu c. Dentistes, 2004 QCTP 27, par. 49.

[5] Médecins c. Fortin, 2002 QCTP 97, par. 58.

[6] Ouellet c. Médecins, 2006 QCTP 74, par. 38; R. c. Sideris, EYB 2006-110462 (C.A.), par. 9; Blais c. CSF, REJB 2004-69043 (C.Q.).

[7] R. c. Sideris, EYB 2006-110462 (C.A.), par. 18.

[8] CD00-0746 rendue le 15 septembre 2009.

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