Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

 

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

N° :

CD00-0778

 

 

 

DATE :

15 juin 2010

 

______________________________________________________________________

 

 

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Robert Archambault, A.V.A.

Membre

M. Benoit Bergeron, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

 

 

Me CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

 

Partie plaignante

 

c.

 

M. BENOIT HACHÉ, conseiller en sécurité financière et représentant en épargne collective (certificat [...])

 

Partie intimée

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

______________________________________________________________________

 

 

 

[1]           Les 8, 9, 10 et 11 février 2010, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau, bureau 2600, Montréal, et a procédé à l'audition d'une plainte disciplinaire portée contre l'intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

« À L’ÉGARD DE STEEVE SKILLING

1.             À Charny, le ou vers le 14 décembre 2007, l’intimé BENOIT HACHÉ a fait défaut d’agir avec honnêteté, loyauté et intégrité en s’appropriant, pour des fins personnelles, un montant de 50 000 $ appartenant à Steeve Skilling, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11 et 17 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q. C. D-9.2, r. 1.01) et 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, 1.1.2);

2.             À Charny, le ou vers le 14 décembre 2007, l’intimé BENOIT HACHÉ a fait souscrire, sous de fausses représentations quant à la nature du produit, à Steeve Skilling un prêt REÉR de 50 000 $, contrevenant ainsi aux articles 16 et 51 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et 2, 6, 11 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, 1.1.2);

À L’ÉGARD DE PASCAL BÉRARD

3.             À Charny, le ou vers le 8 janvier 2008, l’intimé BENOIT HACHÉ a fait défaut d’agir avec honnêteté, loyauté et intégrité en s’appropriant, pour des fins personnelles, un montant de 40 000 $ appartenant à Pascal Bérard, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11 et 17 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q. C. D-9.2, r. 1.01) et 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, 1.1.2);

À L’ÉGARD DE KATHLEEN MÉNARD

4.             À Charny, le ou vers le 6 février 2008, l’intimé BENOIT HACHÉ a fait défaut d’agir avec honnêteté, loyauté et intégrité en s’appropriant, pour des fins personnelles, un montant de 15 500 $ appartenant à Kathleen Ménard, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11 et 17 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q. C. D-9.2, r. 1.01) et 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, 1.1.2);

À L’ÉGARD DE ROBERT BARMA

5.             À Charny, le ou vers le 19 mars 2008, l’intimé BENOIT HACHÉ a fait défaut d’agir avec honnêteté, loyauté et intégrité en s’appropriant, pour des fins personnelles, un montant de 50 000 $ appartenant à Robert Barma, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 11 et 17 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q. C. D-9.2, r. 1.01) et 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, 1.1.2);

À L’ÉGARD D’AIG VIE DU CANADA

6.             À Québec, le ou vers le 26 septembre 2007, l’intimé, BENOIT HACHÉ, a fourni de faux renseignements à l’assureur AIG Vie du Canada sur la proposition d’assurance‑vie universelle numéro 100076837, en indiquant erronément que monsieur Steeve Skilling était « président » de « Pavillon de la mer », en contravention des articles 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q. C. D-9.2, r. 1.01) et 23 de la Loi sur la distribution de produits financiers et services (L.R.Q., c. D-9.2);

À L’ÉGARD DE SA PROFESSION

7.             À Chambly, depuis le ou vers le 30 mars 2009, l’intimé BENOIT HACHÉ a fait défaut de collaborer et de répondre à une personne chargée de l’application de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et de ses règlements, en refusant de fournir les informations requises par l’enquêteur du bureau de la syndique de la Chambre de la sécurité financière, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D‑9.2), 42 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q. C. D-9.2, r. 1.01) et 20 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (L.R.Q., c. D-9.2, 1.1.2). »

[2]           Au terme de l'audition, la transcription des témoignages entendus a été requise par le comité. L'acheminement à ce dernier des notes sténographiques a été complété le 15 mars 2010, date de la prise en délibéré.

OBJECTIONS À LA PREUVE

[3]           En cours d’audition le procureur de la plaignante s’est objecté sur la base de la pertinence à des témoignages et au dépôt de pièces qu’il a qualifiées dans sa plaidoirie de « relatives à des fraudes que M. Haché allègue contre M. Beaulé » essentiellement parce que la preuve portait sur des faits postérieurs à ceux mentionnés à la plainte. Ledit procureur s’est opposé à tout élément de preuve lié à des événements intervenus après les actes reprochés à l’intimé.

[4]           Le comité ayant pris ces objections sous réserve, il doit maintenant en disposer.

[5]           Or, l’ensemble de cette preuve « ex post facto », bien que rattachée à des événements postérieurs à ceux indiqués à la plainte, pouvait, de l’avis du comité, avoir sa pertinence en regard des questions dont il était saisi. À titre d’exemple, elle pouvait être de nature à éclairer celui-ci sur ce que l’intimé connaissait des agissements de M. Beaulé, au moment des événements qui lui étaient reprochés.

[6]           En conséquence, le comité rejette les objections précitées du procureur de la plaignante.

[7]           Le comité doit maintenant se prononcer sur le mérite des différents chefs d’accusation contenus à la plainte.

Chefs d'accusation 1, 3, 4 et 5

[8]           À ces chefs d'accusation, il est reproché à l'intimé d'avoir fait défaut d'agir avec honnêteté, loyauté et intégrité en s'appropriant, pour des fins personnelles, les sommes y mentionnées appartenant à ses clients, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, 11 et 17 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière et 2, 6, 10 et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières.

[9]           Le contexte factuel lié à ces chefs d’accusation, tel qu’en bonne partie, sinon pour l’essentiel rapporté par l’intimé, peut se résumer comme suit.

LES FAITS

[10]        L’intimé avait au départ convenu d'opérer avec M. Martin Beaulé (M. Beaulé) une société privée sous le nom de La Générale d'investissement Sterling (Sterling). Selon M. Beaulé, ce ne devait pas être « un cabinet de services financiers » mais plutôt une société leur permettant de « faire certains projets » ensemble.

[11]        Dans le cadre du démarrage de la société, l’intimé a procédé à enregistrer en son nom la raison sociale Sterling. Il a de plus procédé à l'ouverture d'un compte bancaire (à son nom et au nom de Sterling) dont lui seul était le signataire autorisé.

[12]        Peu après cependant, lui-même et son associé d’affaires, M. Beaulé, auraient abandonné l'idée de « faire des projets » ensemble sous le nom de Sterling.

[13]        L’intimé aurait toutefois autorisé ou accepté que M. Beaulé emploie le nom de Sterling pour ses propres activités. Il aurait aussi toléré, sinon permis que ce dernier utilise aux mêmes fins le compte bancaire qu’il avait ouvert à son nom et au nom de Sterling.

[14]        Enfin, vers la même époque, M. Beaulé aurait obtenu que l’intimé soit reconnu ou accrédité en tant que représentant autorisé auprès de la Compagnie de fiducie AGF (AGF). Avec l’accord de l’intimé, il aurait veillé à l'ensemble des démarches nécessaires pour y parvenir.

[15]        Par la suite M. Beaulé, utilisant à l’insu de l’intimé des formules comportant le nom de ce dernier à titre de représentant, aurait présenté des demandes de prêt REÉR auprès d’AGF pour les clients mentionnés aux différents chefs d’accusation.

[16]        À une exception près, aucun d'eux ne semble avoir été clairement avisé au moment où il signait les documents nécessaires, qu'il souscrivait à un prêt REÉR.

[17]        M. Beaulé aurait été le maître d'œuvre des démarches qui ont mené aux emprunts des clients.

[18]        Ces derniers, qui pour la plupart cherchaient du financement pour leurs activités commerciales, se seraient adressés ou auraient été recrutés par lui.

[19]        L’intimé n'aurait rien ou peu eu à voir avec lesdits emprunts, et ce, même si les formules de prêt REÉR expédiées à AGF indiquent clairement son nom à titre de représentant. Les signatures à son nom que l’on y retrouve seraient des faux.

[20]        M. Beaulé aurait ensuite obtenu d'AGF que les sommes empruntées soient versées directement au compte bancaire au nom de l'intimé et de Sterling avec la conséquence qu’elles ont par la suite fait l’objet, pour totalité ou pour partie, de détournements. En effet, bien que certains des clients ont pu récupérer une fraction ou une part des montants versés audit compte, aucun n’a pu recouvrer l’ensemble des sommes lui appartenant.

[21]        L'intimé nie avoir « opéré » le compte bancaire à son nom et au nom de Sterling. Il admet tout au plus y avoir signé quelques chèques en blanc qu'il aurait remis à son associé M. Beaulé avec l’intention d'accommoder ce dernier.

[22]        En somme selon l’intimé, bien que M. Beaulé aurait utilisé son compte bancaire pour détourner les sommes appartenant aux clients en cause, lui-même aurait ignoré ce qui s'y passait et ainsi il ne pourrait et ne devrait pas avoir à répondre des événements et des détournements.

ANALYSE ET MOTIFS

[23]        En matière de droit disciplinaire, l’infraction d’appropriation de fonds est une infraction qui, selon la jurisprudence développée par le Tribunal des professions, doit être interprétée de façon large et libérale. Elle ne nécessite pas la preuve d’intention malhonnête.

[24]        Elle s’apparente simplement à la possession d’un bien ou de sommes appartenant à un client, sans son autorisation, et ce, même de façon temporaire ou même avec l’intention de les lui remettre. Elle est essentiellement fondée sur l’absence d’autorisation du client[1].

[25]        En l’instance, la preuve présentée au comité a clairement établi que les sommes provenant de l’emprunt des clients ont d’abord été versées au compte bancaire de l’intimé (faisant affaire sous la raison sociale de Sterling) pour ensuite faire l’objet en partie ou en totalité de détournements ou d’appropriations.

[26]        Si l’ensemble de la preuve a semblé indiquer qu’en toute probabilité M. Beaulé a été le principal artisan desdits détournements et vraisemblablement l’auteur des manœuvres dolosives pour y arriver (et même pour après coup tenter dans certains cas de camoufler ceux-ci), le comité est néanmoins d’avis qu’en l’absence de complicité ou de connivence de l’intimé avec M. Beaulé ou à tout le moins d’une négligence coupable s’apparentant à une forme d’aveuglement volontaire de sa part, ce dernier n’aurait pu parvenir à ses fins.

[27]        En l’espèce, bien que la plaignante ne soit pas parvenue à démontrer avec une prépondérance de preuve que l’intimé aurait sciemment participé à un dessein frauduleux, elle a clairement établi que même dans la perspective qui lui soit la plus favorable, la négligence et l’incurie de ce dernier ont été une cause substantielle des détournements.

[28]        En omettant de se préoccuper de l’administration de son compte bancaire, et l’on ne parle pas ici d’un court moment d’inattention à ses affaires, ou en s’en désintéressant, l’intimé n’a offert aucun obstacle aux agissements de M. Beaulé. L’ensemble de sa conduite démontre, sinon une collusion avec M. Beaulé, à tout le moins une forme d’insouciance ou d’imprudence coupable. En l’espèce, il lui était trop facile de ne pas poser de questions et de croire ou de se dire qu’ainsi il n’y aurait pas de conséquences et/ou de responsabilité.

[29]        L’intimé sera déclaré coupable des chefs d’accusation 1, 3, 4 et 5.

Chef d’accusation 2

[30]        À ce chef d’accusation, il est reproché à l’intimé d’avoir fait souscrire à M. Steeve Skilling sous de fausses représentations quant à la nature du produit, un prêt REÉR de 50 000 $.

[31]        Le contexte factuel lié audit chef peut se résumer comme suit :

LES FAITS

[32]        Au printemps 2007, à au moins deux (2) reprises, M. Skilling aurait rencontré l’intimé en compagnie de M. Beaulé. Il cherchait alors à acquérir une résidence pour personnes âgées et « avait besoin d’un investisseur ».

[33]        À la suite de ses échanges avec M. Haché et M. Beaulé, M. Skilling aurait compris que ces derniers faisaient affaire ensemble sous le nom de Sterling.

[34]        Ils lui auraient expliqué qu’ils exécuteraient la tâche de lui trouver un investisseur et/ou un financement à la condition qu’ils puissent assurer sa vie pour un montant supérieur aux prêts obtenus, et ce, par l’entremise de l’intimé qui œuvrait dans le domaine de l’assurance[2].

[35]        Par la suite, le ou vers le 20 juin 2007, M. Skilling aurait signé un mandat de représentation par lequel il mandatait M. Beaulé de « La Générale d'investissement Sterling, Société privée » pour l'obtention d’un financement.

[36]        Puis, à la fin novembre de la même année, M. Beaulé aurait obtenu la signature de M. Skilling sur une demande de prêt REÉR, et ce, même si M. Skilling n'avait aucunement l'intention de procéder à un placement REÉR[3].

[37]        Pour y parvenir, il aurait laissé dans la boite aux lettres de M. Skilling un document non rempli en lui demandant de le signer.

[38]        Après que ce dernier y eut apposé sa signature, la formule fut complétée puis acheminée à AGF. Elle comportait, à titre de représentant, le nom de l'intimé.

[39]        Par la suite, un prêt REÉR de 50 000 $ aurait été octroyé à M. Skilling et le montant déposé par AGF au compte bancaire au nom de M. Haché et de Sterling.

[40]        Ensuite, bien qu’il ait réclamé et tenté d’obtenir que la totalité du montant du prêt lui soit remise, M. Skilling n’a pu obtenir seulement, après plusieurs démarches, qu’une somme de 25 000 $ (représentant la moitié de son emprunt) soit éventuellement déposée dans son propre compte bancaire.

[41]        De fait, un chèque de 25 000 $ tiré du compte bancaire au nom de M. Haché et de Sterling fut déposé directement dans son compte par M. Haché à la suite d’instructions de M. Beaulé. Le chèque en question comportait la signature de l'intimé.

[42]        Selon l’intimé, il s'agissait d'un des chèques qu'il avait au départ signés en blanc pour « accommoder » M. Beaulé; de plus, au moment du dépôt il ne savait pas « à quoi correspondait le 25 000 $ qu’il y avait sur le chèque[4] ». Il ne savait pas que « c’était une partie d’un prêt »[5]. Il aurait strictement agi pour rendre service à M. Beaulé.

ANALYSE ET MOTIFS

[43]        Si la preuve présentée au comité a révélé que M. Skilling a signé un document en blanc, qui lui aurait été présenté comme étant un formulaire nécessaire à l’obtention d’un emprunt de 50 000 $ pour ses activités commerciales, celle-ci n’a pas démontré avec prépondérance la participation de l’intimé aux représentations, échanges ou tractations ayant mené à la signature de ce qui s’est avéré plutôt une demande de prêt REÉR.

[44]        Selon la preuve offerte au comité, c’est M. Beaulé qui aurait laissé le document en blanc et/ou non rempli dans la boite aux lettres de M. Skilling en lui demandant de le signer. Rien n’indique que l’intimé aurait de quelque façon participé à l’opération.

[45]        Bien que l’hypothèse d’une collusion avec M. Beaulé ne puisse être totalement exclue, l’implication de l’intimé dans les représentations transmises à M. Skilling sur la nature du document qu’il devait signer ou sur le produit auquel il souscrivait n’a pas été démontrée.

[46]        La plaignante ne s’étant pas déchargée de son fardeau de preuve prépondérante sur ce chef, il sera rejeté.

Chef d’accusation 6

[47]        À ce chef, il est reproché à l’intimé d’avoir fourni de faux renseignements à l’assureur AIG Vie du Canada sur la proposition d’assurance-vie de son client M. Steeve Skilling en y indiquant erronément que ce dernier était « président » de « Pavillon de la mer ».

[48]        Or, la preuve présentée au comité a révélé que bien que la proposition d’assurance en cause qualifie M. Skilling de « président » de « Pavillon de la mer », au moment de la souscription de la police d’assurance-vie en cause ce dernier n’en était pas le président.

[49]        Voici à cet égard le témoignage de M. Skilling :

« Q. Au moment où est-ce que ce document là (la proposition d’assurance en cause) a été rempli, est-ce que vous étiez le président de Pavillon de la mer?

R. Non. Non, je n’étais pas le président, je n’étais pas encore propriétaire[6]. »

[50]        L’intimé avait la responsabilité et l’obligation de s’assurer que l’affirmation apparaissant à la proposition décrivant M. Skilling comme président de Pavillon de la mer était exacte. La preuve présentée au comité n’a pas démontré qu’il ait fait quelques démarches utiles auprès de son client pour vérifier cet état de choses. Elle n’indique pas non plus que l’intimé aurait pu avoir été induit en erreur par M. Skilling.

[51]        De plus, de l’ensemble de la preuve, il est peu vraisemblable que l’intimé ait pu croire, au moment où il remplissait la proposition d’assurance avec son client, que ce dernier avait obtenu son financement et que la vente de la résidence pour personnes âgées ayant été concrétisée, M. Skilling était devenu président de « Pavillon de la mer ».

[52]        En l’espèce, l’intimé s’est contenté de suivre sans questionnement les instructions de M. Beaulé qui lui aurait enjoint ou signifié de procéder à la souscription de la police en cause par M. Skilling.

[53]        L’intimé sera déclaré coupable sur ce chef.

Chef d’accusation 7

[54]        À ce chef, il est reproché à l’intimé son défaut de collaborer et de répondre à l’enquêteur du bureau de la syndique en refusant de fournir les informations que ce dernier lui réclamait.

[55]        Or, le comportement de l’intimé à l’égard des demandes d’informations qui lui sont parvenues de la part dudit enquêteur, son absence de réaction rapide à l’endroit des questions sérieuses, par ailleurs simples qui lui étaient adressées et qui laissaient planer la possibilité de graves blâmes à son endroit, ses hésitations ou réticences et son attitude générale en réponse aux démarches de ce dernier amènent le comité à conclure à la culpabilité de l’intimé. Plutôt que de répondre avec célérité, diligence et précision aux questions qui lui étaient posées comme il en avait l’obligation, l’intimé a choisi de refuser de satisfaire aux demandes qui lui étaient acheminées et a cherché à gagner du temps. Il a ainsi refusé ou fait défaut de collaborer à l’enquête de la plaignante.

[56]        L’intimé sera déclaré coupable sur ce chef.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

DÉCLARE l’intimé coupable des chefs 1, 3, 4, 5, 6 et 7;

REJETTE le chef 2;

CONVOQUE les parties avec l’assistance de la secrétaire du comité de discipline à une audition sur sanction.

 

 

(s) François Folot   ___________________

Me FRANÇOIS FOLOT, avocat

Président du comité de discipline

 

(s) Robert Archambault _______________

M. ROBERT ARCHAMBAULT, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

(s) Benoit Bergeron___________________

M. BENOIT BERGERON, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Éric Cantin

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Romina Bongiovanni

Procureure de l'intimé

 

Dates d’audience :

8, 9, 10 et 11 février 2010

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ


 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0778

 

DATE :

4 avril 2011

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

 

M. Robert Archambault, A.V.A.

Membre

 

M. Benoit Bergeron, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

 

______________________________________________________________________

 

Me CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

M. BENOIT HACHÉ, représentant en assurance de personnes et courtier en épargne collective (certificat 165 783)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

[1]           À la suite de sa décision sur culpabilité, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni le 17 décembre 2010 au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau, bureau 2600, Montréal, et a procédé à l'audition sur sanction.

LA PREUVE

[2]           Alors que la plaignante déclara n’avoir aucune preuve additionnelle à offrir, l’intimé fit d’abord entendre M. Jean-Michel Néron (M. Néron), sergent enquêteur à la Sûreté du Québec.

[3]           Au cours de sa déposition, fut produite la transcription d’un interrogatoire qu’il a tenu de M. Martin Beaulé (M. Beaulé) dans le cadre d’une enquête qu’il a menée à la suite d’une plainte de M. Haché à l’endroit de ce dernier.

[4]           De plus, l’intimé choisit de témoigner. Il versa aussi au dossier la transcription des notes sténographiques du témoignage rendu par M. Beaulé lors de l’audition de la requête en radiation provisoire.

[5]           Les parties soumirent ensuite au comité leurs représentations respectives sur sanction.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[6]           Au plan des sanctions devant lui être imposées, le procureur de la plaignante débuta ses représentations en suggérant au comité d’ordonner sous chacun des chefs 1, 3, 4 et 5 la radiation permanente de l’intimé.

[7]           Sous le chef 6, il suggéra que lui soit imposé le paiement d’une amende de 4 000 $.

[8]           Relativement au chef 7, il recommanda au comité de lui imposer une radiation temporaire de trois (3) mois ainsi que le paiement d’une amende de 2 000 $.

[9]           Il réclama de plus la publication de la décision ainsi que la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés.

[10]        Il commenta ensuite chacun des chefs d’accusation sous lesquels l’intimé a été reconnu coupable.

Chefs d’accusation 1, 3, 4 et 5

[11]        Traitant d’abord des chefs d’accusation d’appropriation de fonds, il évoqua les paragraphes 27 et 28 de la décision sur culpabilité où le comité a notamment conclu que « même dans la perspective qui lui soit la plus favorable, la négligence et l’incurie de l’intimé ont été une cause substantielle des détournements ».

[12]        Il insista alors sur la gravité objective des infractions en cause, mentionnant que pour un représentant en épargne collective dont le mandat consiste à se voir confier le patrimoine de ses clients et de le protéger, l’appropriation de fonds constitue l’infraction la plus sérieuse qui puisse lui être reprochée.

[13]        Il analysa et commenta ensuite plusieurs passages de la pièce SI-1 (la transcription de l’interrogatoire de M. Beaulé par M. Néron) affirmant qu’à son point de vue les fraudes invoquées aux chefs 1, 3, 4 et 5 n’auraient pu être réalisées sans une forme de complicité ou de collusion de l’intimé.

[14]        Il soumit qu’il était peu « crédible » que l’intimé ait pu avoir été aussi naïf qu’il avait tenté de le faire croire tout en mentionnant que, même dans une telle perspective, il faudrait conclure que ce dernier ne dispose pas des qualités requises pour gérer le patrimoine financier de ses clients et représente un danger pour le public.

[15]        Il ajouta qu’au moment des événements concernés, l’intimé était âgé de 41 ans et n’était donc plus un jeune homme « naïf et innocent ».

[16]        Il évoqua ensuite l’importance et l’ampleur des appropriations en cause, soit 155 000 $.

[17]        Il rappela que « quatre (4) clients distincts s’étaient fait faire des prêts qu’ils n’avaient pas touchés » et insista sur le fait que dans tous les cas les fonds avaient transité par le compte bancaire de l’intimé.

[18]        Il indiqua qu’à son avis, outre le fait que « ce dernier n’avait pas agi seul et l’absence chez lui d’antécédents disciplinaires », peu d’éléments atténuants prêchaient en sa faveur.

[19]        Il conclut sur ces chefs en citant au soutien des sanctions qu’il venait de suggérer, deux (2) décisions du comité (les affaires Grignon[7] et Cottone[8]) où les représentants reconnus coupables d’appropriation de fonds ont été radiés de façon permanente.

Chef d’accusation 6

[20]        Relativement au chef d’accusation 6 reprochant à l’intimé d’avoir faussement indiqué sur la proposition d’assurance en cause que son client était président du « Pavillon de la Mer » alors qu’il savait que l’information était inexacte, il insista sur l’importance pour l’assureur, lors de la souscription d’une police d’assurance-vie, d’être bien informé du statut du preneur.

[21]        Il ajouta que les renseignements alors exigés, loin d’être de nature anodine, étaient importants, notamment comme en l’espèce, pour lui permettre de vérifier que l’assurance-vie réclamée « couvre un besoin réel ».

[22]        À l’appui de sa suggestion que l’intimé soit condamné au paiement d’une amende de 4 000 $ sous ce chef, il cita la décision du comité dans l’affaire Bilodeau[9] où, pour une infraction de nature semblable, le représentant a été condamné au paiement d’une amende de 1 500 $, et ce, alors que l’amende minimale applicable était de 600 $.

[23]        Il indiqua que puisque le comité n’était pas en présence d’une simple faute technique mais d’une faute d’importance, il réclamait, comme dans le cas précité, l’imposition d’une amende supérieure à l’amende minimale (maintenant 2 000 $), soit, en l’espèce, l’imposition d’une amende de 4 000 $.

[24]        Il affirma que l’imposition d’une telle amende serait vraisemblablement de nature à faire réaliser aux « gens de l’industrie » qu’ils doivent en tout temps transmettre à l’assureur des informations qui soient strictes et exactes.

Chef d’accusation 7

[25]        Relativement au chef d’accusation 7, il insista d’abord sur l’importance du travail de la syndique en regard de la protection du public.

[26]        Il mentionna ensuite qu’au moment où l’infraction a été commise, soit en mars 2009, les agissements de M. Beaulé étaient à la connaissance de l’intimé ce qui « rendait ce dernier d’autant plus fautif ».

[27]        Il déclara que sa recommandation aux fins que soit imposée à l’intimé une radiation de trois (3) mois ainsi que le paiement d’une amende de 2 000 $ sous ce chef était justifiée, notamment si l’on tenait compte que les fautes de ce dernier avaient causé « des délais » au déroulement de l’enquête de la syndique.

[28]        Il ajouta que l’exemplarité de la sanction était un élément que le comité ne pouvait en l’espèce se permettre d’ignorer. À cet effet, il déclara que le message « transmis à l’industrie » devait être que les fautes d’entrave au travail de la syndique ne « passaient pas au second rang ».

[29]        À l’appui de sa suggestion, il évoqua la décision du comité dans l’affaire Fortin[10] où la représentante reconnue coupable du même type d’infraction a été condamnée à une radiation temporaire de trois (3) mois ainsi qu’au paiement d’une amende de 1 000 $.

[30]        Il cita également la décision du comité dans l’affaire Samson[11] où le représentant, reconnu coupable de deux (2) chefs « d’entrave » au travail du syndic, a été condamné à une radiation temporaire concurrente de trois (3) mois sur chacun desdits chefs.

[31]        Il termina ses représentations en déclarant qu’en l’instance, la publication de la décision s’imposait, et que par ailleurs il ne voyait aucune raison qui pourrait justifier le comité de s’abstenir de condamner l’intimé au paiement des déboursés.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[32]        La procureure de l’intimé débuta ses représentations en rappelant au comité que celui-ci devait décider des sanctions appropriées non pas sur des suppositions, des « on dit », des conjectures ou des spéculations mais sur la preuve entendue.

[33]        Elle référa ensuite à la décision sur culpabilité et cita à son tour les paragraphes 27 et 28 de ladite décision. Elle insista sur le fait, qu’à son avis, le comité y laissait entendre qu’il ne disposait pas d’une preuve prépondérante de collusion entre l’intimé et M. Beaulé.

[34]        Elle référa également à un extrait du témoignage de M. Beaulé[12] (rendu lors de l’audition de la requête en radiation provisoire) où ce dernier reconnaissait avoir assumé seul la gestion complète de « l’entreprise Sterling ».

[35]        Elle convint que son client avait certes été naïf en ne se préoccupant que peu ou pas des agissements de M. Beaulé mais déclara que ce qu’il fallait d’abord retenir c’est qu’il avait été victime de « fraudeurs professionnels » qui cherchaient à utiliser des « juniors » ou des gens de peu d’expérience comme lui pour arriver à leurs fins.

[36]        Dans le but d’expliquer le comportement de son client, particulièrement la volonté de ce dernier d’aider ou d’assister M. Beaulé, notamment lorsque son entreprise fit faillite, elle rappela la relation d’amitié qui, dès l’adolescence, l’avait lié à ce dernier et les rapports qu’ils avaient entretenus par la suite.

[37]        Elle déclara de plus que le comité se devait de considérer que l’intimé n’avait pas été directement impliqué dans les opérations frauduleuses de M. Beaulé. Elle indiqua que la preuve ne soutenait pas la proposition voulant que son client ait eu connaissance des activités criminelles de ce dernier. Elle affirma que l’intimé ne savait pas que « M. Beaulé faisait des faux prêts en son nom ». Elle ajouta qu’aucune preuve tendant à établir que les appropriations de fonds auraient profité à l’intimé n’avait été présentée par la plaignante.

[38]        Elle résuma la situation en déclarant que son client avait été victime de M. Beaulé qui, ayant trouvé sa proie et son instrument, l’avait utilisé au maximum. Elle ajouta que cela n’avait pas été très difficile pour ce dernier étant donné le « pouvoir » qu’il exerçait sur lui à cause de leurs liens et amitié antérieure. Elle rappela que c’est M. Beaulé qui avait initié l’intimé à la profession de représentant et qui lui avait ensuite permis d’évoluer dans le domaine.

[39]        Elle indiqua que l’association de son client avec M. Beaulé ne lui avait cependant rapporté en fin de compte que des ennuis et des « problèmes d’endettement ».

[40]        Puis, dans un autre ordre d’idées, elle signala que, sans chercher à minimiser la gravité des manœuvres frauduleuses de M. Beaulé, le comité ne se retrouvait néanmoins pas confronté à une situation où les « victimes » auraient été des « veuves ou des orphelins ».

[41]        Elle déclara que deux (2) des « plaignants » étaient sous enquête par la Sûreté du Québec pour leur implication possible à titre de prête-nom dans ce qu’elle a qualifié de « scam » de M. Beaulé et que ceci « colorait » le dossier.

[42]        Elle rappela enfin que l’intimé avait porté plainte à la Sûreté du Québec pour avoir lui-même été victime de « fraudes » de la part de M. Beaulé. Elle indiqua que dans de telles circonstances elle se posait la question à savoir comment l’intimé pouvait avoir été à la fois partie aux infractions de M. Beaulé et victime de ce dernier.

[43]        Elle résuma la situation de son client en mentionnant que c’était strictement une absence de jugement qui l’avait amené à subir ce qui s’est avéré à la fois le pire cauchemar et la plus grande leçon de sa vie.

[44]        Elle insista ensuite sur les facteurs d’individualisation de la sanction, affirmant que celle-ci devait être proportionnée aux faits propres à l’affaire.

[45]        Elle suggéra qu’en l’espèce les fautes de l’intimé ne commandaient pas ou n’appelaient pas la sanction de radiation permanente réclamée par la plaignante.

[46]        Elle indiqua qu’à la suite des événements en cause l’intimé, âgé de 47 ans, avait dû retourner vivre chez ses parents et leur emprunter des sommes importantes pour rembourser les réclamations qui lui ont été adressées comme conséquence des agissements de M. Beaulé.

[47]        Elle rappela qu’au moment des événements en cause l’intimé avait peu d’expérience dans la profession. Elle ajouta que durant la période concernée il avait éprouvé de sérieux problèmes de santé (d’août 2005 à avril 2006 puis de janvier 2007 à avril 2008) et que le comité devait en tenir compte dans la détermination de la sanction.

[48]        Elle souligna que l’intimé n’avait aucun antécédent disciplinaire et mentionna qu’aucun des clients qu’il avait desservis à titre de représentant n’avait porté plainte contre lui.

[49]        Elle signala qu’au cours de son témoignage l’intimé avait démontré un « attachement sincère » à l’endroit de la profession et, tout en mentionnant le désir de poursuivre sa carrière, déclaré que celle-ci rejoignait bien sa personnalité.

[50]        Elle ajouta que l’intimé reconnaissait et comprenait la situation dans laquelle il s’était lui-même placé par son manque ou son absence de discernement et affirma qu’à son avis, ayant bien saisi l’enseignement, il ne représentait qu’un très faible risque de récidive.

[51]        Elle souligna que les particularités propres au dossier ne devaient pas être ignorées invoquant notamment que le cas de l’intimé était bien différent et aucunement comparable à celui du planificateur financier ou du représentant qui détourne l’argent de ses clients pour ensuite l’utiliser à des fins personnelles.

[52]        Aussi, relativement aux chefs d’accusation 1, 3, 4 et 5, elle suggéra au comité que l’imposition d’une radiation temporaire de trois (3) ans à être purgée de façon concurrente sur chacun desdits chefs lui apparaitrait une sanction appropriée.

[53]        Elle indiqua que devrait toutefois être soustrait de ladite période de radiation le temps écoulé depuis que l’intimé a été radié provisoirement par le comité, soit un an et demi (1 ½). Elle mentionna qu’il fallait donner « crédit » à l’intimé pour le temps où il a ainsi été privé de l’exercice de sa profession.

[54]        Au soutien de sa proposition, elle produisit notamment la décision du comité dans l’affaire Mayar[13] où le représentant reconnu coupable d’une infraction d’appropriation de fonds, alors que le comité reconnaissait chez lui un comportement malhonnête, a été condamné à une radiation temporaire de cinq (5) ans.

[55]        Elle produisit également la décision du comité de discipline du Barreau du Québec dans l’affaire Tremblay[14] soulignant notamment l’énumération qui y est faite des facteurs à considérer lors de l’imposition des sanctions disciplinaires. Elle en profita pour notamment souligner ce qu’elle qualifia d’absence de préméditation de la part de l’intimé.

[56]        Elle cita aussi la décision rendue par le conseil de discipline du Barreau du Québec dans l’affaire Montbriand c. Pominville[15], la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Théroux[16] et la décision du comité dans l’affaire Pincemin[17].

[57]        Elle discuta ensuite du chef d’accusation 6 et rappela alors que dans les faits il avait été prévu que M. Skilling devienne éventuellement président de la compagnie Le Pavillon de la Mer.

[58]        Elle ajouta que bien que l’intimé ait eu un comportement fautif, il n’avait pas cherché à obtenir un avantage financier ou quelque autre avantage pour lui-même.

[59]        Elle souligna que la plaignante réclamait sur ce chef l’imposition d’une amende de 4 000 $ à une personne qui n’avait que peu ou pas de capacités financières.

[60]        Elle termina en indiquant que l’information exigée à la proposition d’assurance ne lui apparaissait pas d’une importance élevée et que dans de telles circonstances elle ne voyait pas d’autre sanction appropriée que la réprimande.

[61]        Enfin, relativement au chef d’accusation 7, elle déclara que la preuve de « non-collaboration » de l’intimé, présentée par la plaignante, lui semblait plutôt « ténue ».

[62]        Elle ajouta de plus que, sans remettre en cause la décision du comité, il lui fallait insister sur le fait que son client n’avait bénéficié d’aucune mise en garde de la part de l’enquêteur le prévenant que s’il persistait à agir comme il le faisait, il allait être confronté à une plainte ou à un chef d’accusation de non-collaboration.

[63]        Elle invoqua que l’intimé, sans expérience dans le domaine disciplinaire, n’avait pas été prévenu des conséquences d’une absence de réponse ou d’une réponse inadéquate aux demandes de l’enquêteur.

[64]        Elle indiqua que les sanctions suggérées par la plaignante étaient à son avis nettement exagérée et suggéra au comité l’imposition d’une réprimande sous ce chef.

[65]        À l’appui de sa position, elle invoqua les décisions du comité dans les affaires Cournoyer[18], Mercier[19] et Lemieux[20].

MOTIFS ET DISPOSITIF

[66]        L’intimé, âgé de 47, ans n’a aucun antécédent disciplinaire.

[67]        Avant d’exercer à titre de représentant, il a, de 1990 à 2002, travaillé comme technicien ambulancier. Il a dû quitter cet emploi en raison de problèmes de santé (maux de dos).

[68]        Il a débuté dans la distribution de produits d’assurance de personnes le ou vers le 3 août 2005 et dans la distribution de produits financiers le ou vers le 14 août 2007.

[69]        À l’époque des événements reprochés, il n’avait que peu d’expérience à titre de représentant.

[70]        De plus, durant la période concernée, tel que le rappelait son procureur, il a souffert épisodiquement de sérieux ennuis au plan santé. Ceux-ci ont pu l’empêcher à certains moments de vaquer à ses occupations habituelles ainsi que l’écarter ou le détourner de ses préoccupations et obligations professionnelles.

[71]        Enfin il pourrait lui-même avoir été victime de manœuvres frauduleuses de la part de M. Beaulé.

[72]        Radié provisoirement de la profession le 18 septembre 2009, il a déclaré au fisc des revenus de l’ordre de 10 000 $ cette même année et déclarera, a-t-il affirmé, des revenus sensiblement du même ordre pour l’année 2010.

[73]        Selon son témoignage, il n’a pas de résidence propre et demeure chez ses parents. Il n’a pas de véhicule automobile à son nom et a dû, pour sa subsistance et afin de payer les frais de ses procureurs, décaisser les fonds de retraite qu’il possédait.

[74]        Il a été fort éprouvé tant professionnellement que personnellement par la plainte qui a été portée contre lui ainsi que par les événements rattachés à celle-ci, leurs suites et conséquences.

[75]        Lors du témoignage qu’il a rendu sur sanction, il a déclaré être désolé pour les « victimes » et il a donné l’impression de sincèrement regretter ses fautes.

[76]        Néanmoins, les infractions dont il s’est rendu coupable sont d’une gravité objective incontestable.

Chefs d’accusation 1, 3, 4 et 5

[77]        Les infractions reprochées à l’intimé à ces chefs ont trait à des appropriations de fonds appartenant à des clients.

[78]        Quatre (4) clients sont en cause et la somme des appropriations totalise 155 000 $.

[79]        Bien que la preuve présentée au comité n’ait pas révélé de façon prépondérante une complicité directe de l’intimé aux fraudes de M. Beaulé, tel que le comité l’a indiqué à sa décision sur culpabilité, il a consenti ou autorisé ce dernier à employer pour ses activités professionnelles une raison sociale à son nom : « Sterling ».

[80]        Il a de plus toléré, sinon permis que ce dernier utilise le compte bancaire ouvert à son nom et au nom de « Sterling » pour ses « occupations » professionnelles[21] et a ensuite omis de se préoccuper de l’administration dudit compte bancaire, n’offrant ainsi aucun obstacle aux desseins frauduleux de M. Beaulé.

[81]        Tel que l’a mentionné le comité à sa décision sur culpabilité, même dans la perspective qui lui soit la plus favorable, sa négligence et son incurie ont été une cause substantielle des détournements.

[82]        Soulignons que pour qu’il y ait « détournement de fonds » de la part d’un professionnel, il n’est pas nécessaire que l’opération ait été faite au profit de ce dernier[22].

[83]        De plus, une telle infraction ne nécessite pas la preuve d’un élément de malhonnêteté.

[84]        En droit disciplinaire, l’appropriation de fonds doit en effet être interprétée dans un sens très large, ce que le Tribunal des professions a confirmé à plusieurs reprises[23].

[85]        Dans l’affaire Bouchard c. Notaires[24], ledit Tribunal a indiqué qu’une telle infraction est « fondée sur la dignité professionnelle et n’implique aucun élément obligatoire d’ordre moral ». Elle repose « sur ce qu’une corporation professionnelle, définit, quant à elle, comme l’essentiel d’une bonne conduite susceptible de garantir, aux yeux du public, la confiance et, en corollaire, l’honneur du groupe ».

[86]        En l’espèce, si l’on exclut l’hypothèse voulant que l’intimé ait été animé d’une intention frauduleuse, il faut néanmoins, dans la perspective qui lui soit la plus favorable, conclure que s’il a agi comme il l’a fait c’est qu’en présence de M. Beaulé il a manqué de la distance objective nécessaire qui lui aurait permis de réaliser qu’il ne pouvait pas se fermer les yeux, ne pas se poser de questions, et se dire, tel que le comité l’a écrit dans sa décision sur culpabilité, qu’il n’y aurait pas de conséquences et/ou de responsabilité.

[87]        Même si les « victimes » n’étaient pas ses clients au terme d’un mandat, ils étaient ses clients au sens de l’utilisation de son compte bancaire[25].

[88]        Dans la décision précitée de Bouchard c. Notaires, le Tribunal des professions conclut, sans le dire aussi spécifiquement, qu’il y a des degrés de faute dans l’appropriation de fonds.

[89]        Il y écrit : « Parce que l’infraction consistant à s’approprier des deniers ou à détourner des fonds doit être interprétée de façon large et libérale, il est d’autant plus important pour le comité de considérer au moment de l’imposition de la sanction la responsabilité et le degré de faute du contrevenant ».

[90]        Aussi, une révision attentive de la jurisprudence des tribunaux disciplinaires en matière d’appropriation de fonds révèle une disparité entre les sanctions.

[91]        Une analyse de celle-ci amène à conclure que la sanction devra être plus sévère si le professionnel a agi avec une intention malhonnête ou s’il a profité personnellement des appropriations.

[92]        Par ailleurs, dans l’établissement de la sanction appropriée, le comité devra aussi tenir compte, comme dans tous les cas, du contexte particulier des infractions commises et prendre en considération le degré de faute du professionnel.

[93]        En l’espèce aucune preuve indiquant que les appropriations de fonds en cause auraient directement procuré un avantage économique ou auraient directement profité à l’intimé n’a été présentée au comité. Néanmoins, même sous l’éclairage qui lui soit le plus favorable, le comité doit conclure à une insouciance grossière et à une négligence coupable de sa part.

[94]        Aussi, après avoir soupesé l’ensemble des éléments tant objectifs que subjectifs propres au dossier et s’être appliqué à bien apprécier les circonstances particulières de cette affaire, et s’efforçant de prendre en considération les répercussions importantes que les événements ont pu avoir non seulement sur la vie professionnelle mais aussi sur la vie personnelle de l’intimé, le comité en est arrivé à la conclusion qu’une sanction de radiation de cinq (5) ans sur chacun des chefs 1, 3, 4 et 5, à être purgée de façon concurrente, serait en l’espèce une sanction juste et appropriée, adaptée aux infractions, et respectueuse des principes de dissuasion et de protection du public dont il doit être tenu compte.

[95]        Le comité tient à souligner que pour l’imposition d’une telle sanction, il a pris en compte le fait que l’intimé a déjà été privé de son droit d’exercice depuis plus d’un an et demi (1 ½), ayant été radié provisoirement le 18 septembre 2009.

Chef numéro 6

[96]        L’infraction reprochée à l’intimé à ce chef a trait à la transmission, lors de la souscription d’une police d’assurance-vie, de faux renseignements à l’assureur.

[97]        Or la transmission d’informations justes et correctes à l’assureur est un incontournable pour le représentant, le contrat d’assurance étant défini depuis son origine anglaise comme un contrat de la « plus absolue bonne foi » (utmost good faith).

[98]        Ce manquement de l’intimé touche clairement à l’exercice de la profession et va au cœur de celle-ci.

[99]        Aussi, bien que l’intimé ne possédait que peu d’expérience professionnelle au moment de l’infraction, compte tenu de la gravité objective de sa faute, n’eut été des circonstances propres au dossier, le comité lui aurait imposé, sous ce chef, le paiement d’une amende de 4 000 $, tel que réclamé par la plaignante.

[100]     Toutefois, en l’absence d’une preuve démontrant que l’intimé aurait agi avec une intention malveillante et prenant en considération sa situation matérielle précaire ainsi que l’ensemble des circonstances particulières du dossier, le comité est d’avis qu’en l’espèce la condamnation de ce dernier au paiement d’une amende de 2 000 $ sous ce chef serait une sanction juste et appropriée.

Chef numéro 7

[101]     L’infraction reprochée à l’intimé à ce chef consiste en le défaut de collaborer et de répondre de façon raisonnable et adéquate à des demandes d’informations provenant du représentant du bureau de la syndique.

[102]     Or, tel que le comité l’a indiqué à maintes reprises, « un système professionnel qui assure la protection du public exige l’entière coopération et collaboration des membres avec le bureau de la syndique ».

[103]     En l’espèce, considérant l’importance des fautes pour lesquelles le bureau de la syndique était appelé à enquêter ainsi que le possible préjudice que les agissements de l’intimé ont pu causer à l’enquête, le comité imposera à ce dernier sous ce chef, tel qu’il l’a fait antérieurement dans les affaires Hentschel[26] et Butler[27], une radiation temporaire de trois (3) mois à être purgée de façon concurrente.

[104]     Par ailleurs, le comité se dispensera d’ordonner à l’intimé (selon la suggestion de la plaignante) de payer en surplus une amende de 2 000 $ sous ce chef.

[105]     Le comité considère d’une part qu’il n’est pas confronté à une infraction de nature économique où le cumul d’une amende à une sanction de radiation pourrait plus facilement se justifier et, d’autre part, prend notamment en considération les faibles moyens économiques de l’intimé et la globalité des sanctions qui lui seront imposées dans ce dossier.

[106]     En terminant, mentionnons qu’en l’absence de motif pouvant le justifier d’agir différemment, le comité ordonnera la publication de la décision et condamnera l’intimé au paiement des déboursés.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

Sous chacun des chefs 1, 3, 4 et 5 :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de cinq (5) ans, à être purgée de façon concurrente;

Sous le chef 6 :

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 2 000 $;

Sous le chef 7 :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de trois (3) mois, à être purgée de façon concurrente;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l’intimé un avis de la présente décision dans un journal où l’intimé a son domicile professionnel ou dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément à l’article 156 (5) du Code des professions, L.R.Q. chap. C-26;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, L.R.Q. chap. C-26.

 

 

(s) François Folot

Me FRANÇOIS FOLOT, avocat

Président du comité de discipline

 

(s) Robert Archambault

M. ROBERT ARCHAMBAULT, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

(s) Benoit Bergeron

M. BENOIT BERGERON, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Éric Cantin

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Nathalie Belley

Procureure de l'intimé

 

Date d’audience :

17 décembre 2010

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Voir Tribunal-avocats 8, 1987 DDCP 257 (T.P.); Tribunal-avocats 5, 1987 DDCP 251 (T.P.); Tribunal-avocats 3, 1988 DDCP 309 (T.P.).

[2]     Voir notamment la pièce P-10, affidavit détaillé de M. Skilling.

[3]     Ce dernier croyait souscrire à un emprunt temporaire visant à combler des besoins causés par un retard dans l’obtention de son financement.

[4]     Voir p. 23 et 24 des notes sténographiques de l’audition du 11 février 2010.

[5]     Voir p. 27 des notes sténographiques de l’audition du 11 février 2010.

[6]     Notes sténographiques du 8 février 2010, p. 153.

[7]     Léna Thibault c. Jean-François Grignon, CD00-0625, décision sur culpabilité le 24 juillet 2007 et sur sanction le 13 février 2008.

[8]     Léna Thibault c. Saverina Cottone, CD00-0757, décision sur culpabilité et sanction le 10 août 2009.

[9]     Léna Thibault c. Rock-Robert Bilodeau, CD00-0690, décision sur culpabilité et sanction le 21 juillet 2008.

[10]     Léna Thibault c. José Fortin, CD00-0719, décision sur culpabilité et sanction le 19 février 2009.

[11]     Caroline Champagne c. Réal Samson, CD00-0810, décision sur culpabilité et sanction le 25 octobre 2010.

[12]     Témoignage de M. Martin Beaulé, le 4 septembre 2009, p. 118, lignes 13 à 17.

[13]     Bureau c. Mayar, 2001 Can LII 27729 (QC C.D.C.S.F.).

[14]     Guimont c. Tremblay, 2005 Can LII 57544 (QC C.D.B.Q.).

[15]     Montbriand c. Pominville, 2009 QC C.D.B.Q. 55 (Can LII).

[16]    R. c. Théroux, 1993 Can LII 134 (C.S.C.).

[17]    Pincemin c. Rioux, 2003 Can LII 52362 (QC C.Q.).

[18]    Rioux c. Cournoyer, 2006 Can LII 59867 (QC C.D.C.S.F.).

[19]    Rioux c. Mercier, 2002 Can LII 49136 (QC C.D.C.S.F.).

[20]    Rioux c. Lemieux, 2002 Can LII 49166 (QC C.D.C.S.F.),

[21]    Après la faillite de M. Beaulé et/ou de son entreprise, il a aussi permis que la voiture de ce dernier soit enregistrée à son nom.

[22]    Voir Notaires c. Champagne, (1992) DDCP 268 (TP), p. 277; Notaires c. Cavaleri, (1996) D.D.O.P. 260 (TP).

[23]    Tribunal c. Avocats 8 (1987) DDCP 257; Tribunal c. Avocats 3 (1988) DDCP 309, p. 313 et 314.

[24]    Bouchard c. Notaires, D.D.E. 99D-25 (TP) p. 8.

[25]    Voir Fournier c. Avocats, 2006 QCCA 1078.

[26]    Léna Thibault c. Diane Hentschel, CD00-0770, décision sur culpabilité et sanction le 22 octobre 2009.

[27]    Caroline Champagne c. Jane Butler, CD00-0780, décision sur culpabilité et sanction le 8 février 2010.

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