Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0822

 

DATE :

 23 janvier 2012

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

Mme Ginette Racine, A.V.C.

Membre

M. Marcel Cabana

Membre

______________________________________________________________________

 

NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

 

Partie plaignante

 

c.

ANTONIO PIO SPADA, conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective (numéro de certificat 165553)

 

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

[1]          Le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (CSF) s’est réuni les 14, 15, 16 et 17 mars ainsi que le 26 avril 2011, à Montréal, pour procéder à l’audition de la plainte portée contre l’intimé. Les notes sténographiques furent reçues le 17 mai 2011, date à laquelle le comité entreprit son délibéré.  

[2]          D’entrée de jeu, le procureur de la plaignante demanda au comité de retirer le chef 4 invoquant l’absence du témoin des faits de l’infraction et par conséquent, son incapacité à satisfaire son fardeau de preuve ajoutant que le consommateur lui-même avait demandé le retrait de sa plainte.

[3]          Bien que ne contestant pas cette dernière demande, le procureur de l’intimé expliqua que ce retrait survenait après que l’experte judiciaire en écritures et en documents de la plaignante se soit ralliée à l’opinion de celui de l’intimé voulant que la signature du consommateur impliqué soit authentique et concluant en conséquence à l’absence de faux. 

[4]          Le comité accorda le retrait du chef 4.  La plainte se lit dorénavant comme suit :  

LA PLAINTE

À L’ÉGARD DE MADAME T. P.

1.         À Montréal, le ou vers le 3 juin 2008, l’intimé a transmis à l’assureur Financière Sun Life une demande de souscription d’assurance de soins de longue durée pour madame T.P., sans le consentement de celle-ci et à son insu, contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et aux articles 11, 12 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.01);

2.         À Montréal, le ou vers le 3 juin 2008, l’intimé a contrefait ou a permis que soit contrefaite la signature de madame T.P. sur le formulaire intitulé « Déclaration et autorisation relatives à la proposition électronique d’assurance de soins de longue durée » pour la proposition no. H220,996-1, contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.01);

3.         À Montréal, le ou vers le 3 juin 2008, l’intimé a faussement déclaré à Financière Sun Life avoir été témoin de la signature, par madame T.P., du formulaire intitulé « Déclaration et autorisation relatives à la proposition électronique d’assurance de soins de longue durée » pour la proposition no. H220,996-1, contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et aux articles 11, 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q., c. D-9.2, r.1.01);

À L’ÉGARD DE MONSIEUR E. P.   

4.         (...) Retiré

[5]          Le procureur de la plaignante déposa de consentement un cahier de pièces (P-1 à P-12). Il entreprit sa preuve en interrogeant l’intimé, suivi de T.P., la consommatrice et termina avec Mme Yolande Gervais, experte judiciaire en écritures et en documents.

[6]          En défense, le comité entendit M. Doris Alfred Gauthier, aussi expert judiciaire en écritures et en documents, Mme Claude Campeau, gestionnaire au service de contrôle de la conformité pour la Financière Sun Life (Sun Life) ainsi que l’intimé.  Les pièces I-1 à I-28 furent produites.

LES FAITS

[7]          La consommatrice T.P. et l’intimé se sont connus lors d’une foire commerciale en octobre 2005, alors qu’étudiante à l’université, elle travaillait chez La Baie et qu’il occupait un kiosque pour Sun Life, anciennement Clarica. Un mois plus tard, il lui proposa une assurance vie à laquelle elle a souscrit le 15 novembre 2005 (I-4). Elle recevait ses relevés de Sun Life par la poste. 

[8]          Par la suite, ils n’ont pas eu de contact jusqu’à ce que T.P. communique avec l’intimé en mai ou juin 2008.

[9]          Selon cette dernière, elle l’appela, car elle voulait, pour faire suite à son mariage survenu en septembre 2007, changer le bénéficiaire de son assurance vie pour nommer son mari. Ils prirent rendez-vous pour le 3 juin suivant. Néanmoins, elle ne se souvient pas si ce sujet a été discuté au cours de la rencontre du 3 juin 2008, ni si elle a effectué ce changement par la suite.

[10]       Selon l’intimé, la cliente a communiqué avec lui plutôt pour s’informer des valeurs de rachat de sa police d’assurance vie détenue avec Sun Life. Ayant appris qu’elle était maintenant propriétaire d’un commerce, il lui parla des produits d’assurance qui pourraient l’intéresser à ce titre. Ils se sont ensuite fixé un rendez-vous.

[11]       Si l’on se fie à son témoignage, il s’est rendu le 3 juin 2008, muni de son ordinateur portatif, au commerce de T.P. rue Mont-Royal.  T.P. ne se qualifiant pas pour l’assurance-invalidité, mais ayant démontré un intérêt pour une assurance pour soins de longue durée, il a rempli à l’ordinateur une analyse de ses besoins financiers. 

[12]       Après que T.P ait choisi des prestations de 250 $ par semaine, il en aurait déterminé le coût à l’aide de son ordinateur et du logiciel approprié. Il expliqua qu’afin de déterminer le coût, il lui a posé plusieurs questions notamment quant à son statut de fumeur et autres questions d’ordre médical. Il a ainsi obtenu le nom et les coordonnées de son médecin traitant, le numéro de sa compagnie en plus d’un spécimen de chèque de cette compagnie (I-2).

[13]       Concernant la déclaration et autorisation relative à la proposition électronique de cette assurance (déclaration/autorisation) (P-2, P-2-A et I-20), il l’aurait remplie et fait signer T.P. en s’assurant qu’elle l’a lue avant d’apposer sa signature. Cette « déclaration/autorisation » est un formulaire en trois copies : une blanche pour la compagnie, une rose pour le représentant et une copie jaune qui est remise au client avec un dépliant sur le produit[1]

[14]       Quant à T.P., elle ne se souvient pas si l’intimé avait un ordinateur, mais ajouta que c’était possible. Elle affirma qu’il ne lui avait pas posé de questions d’ordre médical. Elle était intéressée au produit, mais elle voulait en discuter avec son conjoint au préalable. Elle déclara n’avoir rien signé ce jour-là. Toutefois, elle admit lui avoir remis un spécimen de chèque de sa compagnie sur lequel elle a inscrit la mention « Void » (I-2). Ce n’est que quelques semaines plus tard qu’elle aurait reçu par la poste la copie jaune de ce formulaire et constaté qu’il ne s’agissait pas de sa signature.

[15]       Trois prélèvements de 46,35 $ auraient été effectués dans le compte de sa compagnie, mais le dernier du 3 septembre 2008 aurait été refusé pour provisions insuffisantes. Sun Life a transmis des avis en conséquence à T.P. à l’adresse de son magasin rue Mont-Royal. Elle ne se souvient pas de les avoir reçus, mais a dit que c’était possible. 

[16]       Le 29 juin 2008, une demande d’annulation par T.P de sa police d’assurance-vie souscrite en 2005 fut enregistrée au système informatisé de Sun Life de sorte que la procuration bancaire pour les prélèvements automatiques a été annulée. Cependant, une note manuscrite y indique : « Comme les frais d’annulation était (sic) plus grand (sic) que ce qu’il y avait dans sa caisse d’accumulation, nous en somme (sic) convenu (sic) a (sic) laisser la police se payer avec la caisse d’accumulation. Elle serait encore protégée pour quelques temps. » (P-11)[2].

[17]       Deux lettres, sensiblement au même effet, sont adressées par T.P. à Sun Life les 18 et 21 juillet 2008 où seul son prénom en arménien est utilisé comme signature. Elle y nie avoir souscrit à la police d’assurance pour soins de longue durée et écrit qu’il ne s’agit pas de sa signature (P-8 et I-6). Dans la deuxième, elle y joint le contrat reçu. 

[18]       Une lettre, datée du 10 juillet 2008, est également adressée par T.P. à Clarica (Sun Life). Elle les informe par cette lettre, toujours signée seulement de son prénom en arménien, de sa volonté d’abandonner sa police d’assurance vie de 2005 et demande de lui remettre les sommes accumulées restantes sur cette police (cash surrender value). Cependant, Sun Life ne l’aurait reçu que le 14 mai 2009 suite à l’envoi par télécopieur du cabinet de son nouveau représentant (I-16 C). 

[19]       Le 16 juillet 2008, elle signait, seulement de son prénom en arménien, un avis de remplacement de sa police d’assurance vie avec un nouveau représentant (I-22). 

[20]       Le 23 janvier 2009, une déclaration assermentée préparée par Sun Life, par laquelle elle nie sa signature sur la déclaration/autorisation du 3 juin 2008, porte la signature de son nom et prénom en français (P-12).

[21]       Selon son témoignage, sa mère, S.T., est devenue sa nouvelle représentante.

[22]       L’attestation de droit de pratique de celle-ci indique qu’elle détient un certificat en assurance depuis avril 2010. La preuve a également révélé que celle-ci pratique au même cabinet que le représentant qui apparaît à l’avis de remplacement.

[23]       Les experts en écriture, quant à eux, tirent des conclusions différentes quant à la signature en litige.

[24]       Mme Gervais, experte pour la plaignante, conclut qu’il s’agit d’un faux par imitation rapide. Toutefois, elle ne peut en identifier l’auteur (P-13 et P-14 A, en liasse, et B).

[25]       Quant à M. Gauthier, expert pour l’intimé, il conclut que la signature en litige est authentique (I-13, I-13 A et B, en liasse, et I-14).

ANALYSE ET MOTIFS

[26]       Une seule transaction, survenue le ou vers le 3 juin 2008, est à l’origine des trois chefs d’accusation portés contre l’intimé.

[27]       Le sort des premier et troisième chefs est intimement lié à la conclusion que le comité tirera quant au chef 2.

[28]       Eu égard à la contrefaçon de signature alléguée au chef 2, la consommatrice T.P. soutient ne pas avoir signé le formulaire en cause tandis que l’intimé affirme le contraire.

[29]       T.P. dit avoir deux signatures, une en arménien et une en français.

[30]       Aux fins de comparaison avec la signature en litige, elle a exécuté, à la demande de l’enquêteur du bureau de la syndique, plusieurs fois une signature comportant uniquement son prénom « Tvine » en arménien et une autre composée de son nom et prénom en français (P-4).

[31]       De tous les documents examinés qui ont été signés dans le cours normal des affaires, seule la déclaration assermentée du 23 janvier 2009 (P-12) préparée par Sun Life comporte une signature de T.P. en français. Tous les autres affichent uniquement son prénom signé en arménien[3].

[32]       Le comité ne peut accorder beaucoup de crédibilité à T.P. Par ailleurs, le témoignage de l’intimé lui a paru clair, non équivoque et sincère.

[33]       En plus de noter que T.P., selon sa convenance, faisait preuve d’une mémoire défaillante ou répondait de façon évasive, le comité a relevé plusieurs contradictions dans son témoignage.

[34]       Par exemple, T.P. affirma qu’elle réservait sa signature en français pour les documents importants ou officiels alors que les documents de moindre importance étaient signés de son prénom en arménien. Aussi, elle inscrit « utilisé très rarement » sous les spécimens de signatures de son prénom en arménien fournis à la CSF (P-4).

[35]       Or, alors qu’elle affirma avoir signé en français le contrat d’assurance vie souscrit le 15 novembre 2005, confrontée à sa signature, elle a dû reconnaître qu’elle avait signé son prénom en arménien.

[36]       D’ailleurs, la preuve a clairement démontré qu’elle signe de son prénom arménien les documents qui revêtent une importance certaine ou qui, selon ses termes, l’engagent (binding[4]), notamment :

         La proposition d’assurance vie signée le 15 novembre 2005 (I-4);

         Une lettre adressée à Clarica le 10 juillet 2008 (I-16);

         L’avis de remplacement du 16 juillet 2008 (I-22); 

         Deux lettres (mise en demeure) adressées à Sun Life les 18 juillet et 21 juillet 2008 (P-8 et I-6);

         La plainte du 20 août 2008 à l’Autorité des marchés financiers (AMF) (P-7).

[37]       Quant à la désignation de bénéficiaire de la police d’assurance vie souscrite en 2005, elle a prétendu avoir contacté l’intimé en mai ou juin 2008 pour remplacer le nom de sa sœur par celui de son mari.  

[38]       Or, la preuve a révélé que ce sujet ne fut pas abordé au cours de la rencontre du 3 juin qui a suivi et aucun changement ne fut effectué à la dite police (I-17). De surcroît, si tel changement était son intention et l’objet de son appel à l’intimé, comment expliquer qu’à l’avis de remplacement de cette police signé le 16 juillet 2008[5], sa sœur y est encore désignée comme bénéficiaire ? 

[39]       Le fait d’avoir contacté par la suite l’intimé afin d’annuler sa police d’assurance vie et la note manuscrite à son dossier le confirmant (P-11), militent plutôt en faveur du témoignage de l’intimé voulant que la valeur de rachat de cette police fût l’objet de son appel préalable à leur rencontre du 3 juin et non le changement de bénéficiaire. 

[40]       Alors qu’elle a affirmé au sujet de la rencontre du 3 juin 2008 que l’intimé ne lui avait fait qu’un « pitch » de vente sur le produit sans lui parler du coût de l’assurance proposée, elle reconnut, lorsque questionnée par le comité, qu’il lui avait mentionné un coût « […] aux alentours de quarante (40), cinquante (50) dollars […] »[6]

[41]       Non seulement, T.P. s’est contredite encore une fois, mais cette dernière réponse, combinée à la remise le jour même de la rencontre d’un spécimen de chèque de sa compagnie avec la mention « Void », en plus des autres exemples décrits précédemment rendent la version de l’intimé beaucoup plus vraisemblable que celle de T.P.  De plus, selon son témoignage, T.P. aurait reçu par la poste la copie de couleur jaune du formulaire déclaration/autorisation (copie destinée au consommateur) portant la signature en litige (P-2).  Or, comme soulevé par le procureur de l’intimé, il s’avère peu vraisemblable que l’intimé lui ait posté ladite copie après avoir falsifié ou permis de falsifier sa signature. 

[42]       Au surplus, la deuxième raison mentionnée à l’avis de remplacement[7] du 16 juillet 2008 amène le comité à conclure que le fait que la nouvelle police comprenait une assurance pour maladies graves sans frais additionnels, est ce qui a motivé T.P. à annuler celle souscrite avec l’intimé le 3 juin précédent.

[43]       Aussi, l’incapacité de T.P. à expliquer l’envoi à trois jours d’intervalle de deux lettres à Sun Life où elle demande la résiliation de l’assurance pour soins de longue durée (P-8 et I-6) laisse le comité perplexe.

[44]       De même, le comité s’explique mal la malchance qui semble s’être acharnée aux envois postaux faits par T.P. à la Sun Life. 

[45]       Comment expliquer que la déclaration assermentée envoyée par Sun Life dès le 17 septembre 2008 pour signature (I-10) ne leur soit jamais parvenue si T.P leur a réellement retournée?  Comment expliquer qu’il ait fallu que Sun Life lui fasse deux rappels à ce titre, le premier, par téléphone le 15 décembre 2008 et le deuxième, par lettre, le 7 janvier 2009 (I-11) pour que T.P signe, le 23 janvier 2009, l’autre exemplaire de la déclaration assermentée transmis par Sun Life, près de quatre mois suivant la demande initiale. 

[46]       Comment expliquer que la lettre datée du 10 juillet 2008 demandant la résiliation de sa police d’assurance vie souscrite en 2005, ne fut reçue par Sun Life que dix mois plus tard, en mai 2009 (I-16) et ce, par télécopieur, du cabinet de son nouveau représentant.

[47]       Tout ceci porte, entre autres, à croire que T.P. hésitait sérieusement à poursuivre sa plainte à Sun Life concernant sa prétendue fausse signature.  

[48]       Avec égard, le comité ne peut, comme le procureur de la plaignante l’a avancé, prêter foi à T.P. sous prétexte que celle-ci n’a rien à gagner à témoigner devant le comité.

[49]       Par sa plainte à Sun Life, elle a obtenu l’annulation de la police d’assurance pour soins prolongés même après les délais prévus pour ce faire, y compris le remboursement des primes payées.  Étant donné la déclaration assermentée exigée, elle devait suivre le train qu’elle avait fait démarrer.

[50]  En ce qui concerne les opinions des experts en écriture entendus en l’espèce, elles divergent au sujet des caractéristiques relevées à l’égard de la signature en litige et des conclusions qui peuvent en être tirées.

[51]       D’une part, Mme Gervais, conclut à une fausse signature fictive ou dite de fantaisie et rejette toute possibilité d’autoforgerie déclarant qu’il est « somme toute improbable que [T.P.] soit l’auteure de la signature en litige » (P-13).  Néanmoins, la littérature qu’elle a soumise au soutien de cette dernière conclusion n’est pas, de l’avis du comité, concluante (P-14 A). 

[52]       D’autre part, M. Gauthier, expert pour l’intimé, bien qu’avançant l’hypothèse de l’autoforgerie, favorise plutôt, étant donné la présence, en l’espèce, de deux et même de trois familles de signature, la possibilité d’une quatrième famille (la signature en litige).

[53]       À l’opinion de ce dernier s’ajoute celle de Pat Girouard (I-15), expert retenu dans le cadre de l’enquête interne de Sun Life, qui évoque, comme lui, la possibilité que la signature en litige offre un autre style de signature de T.P. « alternative signature style that she uses », tout en déplorant le manque de spécimens de la signature authentique de T.P. et contemporaine aux événements reprochés.

[54]       D’ailleurs, les auteurs cités confirment que non seulement un nombre significatif de spécimens de signatures est important, mais celles-ci doivent être comparables et contemporaines avec celle en litige, en plus de privilégier celles apposées dans le cours normal des affaires ([…] example of the suspect’s normal-course-of-business writing.) (I-13 B p. 96). 

[55]       À ce sujet, parmi les extraits produits par Mme Gervais, est dressée une liste importante de documents ([…] recognized as sources with good potential […]) à requérir aux fins d'examen : les cartes d’identité, les baux, les contrats notariés, les cartes de crédit, les chèques, les bordereaux de retrait ou de dépôt bancaire, les certificats de mariage, de naissance, les cartes de souhaits, et autres (P-14 A en liasse p. 250).

[56]       Or, ce type de documents ne semble pas avoir été requis ni par l’enquêteur ni par les experts. 

[57]       La falsification de signature est une accusation des plus graves et requiert une grande rigueur à l’égard de la preuve recherchée.

[58]       En l’espèce, sauf pour la signature apparaissant à P-12, laquelle fut au surplus exécutée dans le cadre du litige, les spécimens de signature de comparaison en français ne sont que des signatures exécutées sur commande de l’enquêteur (P-4 et P-3 endos). À cet égard, M. Slyter, cité par M. Gauthier, exprime une réserve: « How can you be certain you are not looking at differences that are the result of intentional effort to write in a different style? » (I-13 B p. 96).

[59]       Eu égard à l’arménien, seul son prénom fait l’objet de signature de comparaison, aucun spécimen comportant la signature de son nom de famille ne fut soumis. De même, aucun spécimen de signature, en français ou même en arménien, comportant le nom de famille et la première lettre du prénom comme la signature en litige n’a été l’objet d’expertise. 

[60]       En outre, soulignons que Mme Gervais avait d’abord conclu à la fausseté de la signature faisant l’objet du litige soulevé au chef 4 dont le retrait fut autorisé. Elle s’est par la suite, suivant la contre-expertise de M. Gauthier, ralliée à l’opinion de celui-ci qui avait obtenu des spécimens de comparaison supplémentaires de meilleure qualité, ce qui lui permettait de confirmer qu’il s’agissait d’une signature authentique du consommateur, lequel a d’ailleurs retiré sa plainte. 

[61]       De plus, toujours au sujet du chef 4, la contre-expertise révéla que l’écriture (P-11) ayant été fournie par l’enquêteur aux fins d’expertise et identifiée comme étant celle de l’intimé était celle de son épouse et adjointe, invalidant du même coup la conclusion de Mme Gervais à l’égard de l’intimé eu égard à ce chef. Tel fut également le cas pour les chefs impliquant T.P.

[62]       De même, étant donné l’utilisation d’un alphabet différent (arménien), Mme Gervais n’a pas cru bon de consulter quelqu’un de familier avec cet alphabet, ce que fit, par ailleurs, M. Gauthier pour supporter son analyse. Pourtant, elle a produit de la littérature qui indique clairement qu’il faille se familiariser avec un alphabet étranger afin de pouvoir se prononcer dans un tel cas :

« Some familiarity with the language … is necessary. It would be preferable to be able to read and write the language, thereby, being familiar with the basics of … alphabet, accentuation, diacritical marks, punctuation, word order, syllabication, capitalization, compounding, and orthography. This is, of course, the ideal, and we know that the ideal seldom occurs. » (P-14 A, p. 328)

[63]       Concernant les expertises en écritures, le juge Alfred Savard dans l’affaire Brassard & al. c. Truchon[8] disait : « Il faut accepter avec beaucoup de réserve et beaucoup de prudence, les témoignages des experts en écriture » et ajoutait par la suite : « Les observations de ces experts sont des observations quelquefois excellentes, souvent subtiles, et parfois aussi très fragiles. »

[64]       Dans tous les cas, le comité se doit de soupeser la pertinence et la force probante des témoignages recueillis tant des témoins experts qu’ordinaires et d’user de sa discrétion en les examinant et les traitant en lien avec les faits mis en preuve.

[65]       Après une étude minutieuse de l’ensemble de la preuve et des opinions émises par les experts, le comité est d’avis qu’il n’est pas en mesure de favoriser l’une ou l’autre des conclusions tirées par les experts quant à la fausseté ou l’authenticité de la signature en litige.

[66]       Pour tous ces motifs, le comité estime que la plaignante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve. En l’absence d’une preuve claire, convaincante et non ambiguë, le chef 2 sera en conséquence rejeté.

[67]       Quant au chef 1 alléguant que la proposition fut complétée et transmise à la compagnie à l’insu et sans le consentement de T.P, la version de l’intimé doit être préférée étant donné le peu de crédibilité que le comité peut accorder à la consommatrice. Le comité conclut en conséquence au rejet du chef 1.

[68]       Eu égard au troisième chef alléguant que l’intimé a faussement déclaré avoir été témoin de la signature de T.P, pour les motifs énoncés aux chefs précédents, le comité conclut également à son rejet.

[69]       Quant aux déboursés, il n’y a pas de motifs permettant au comité de déroger à la règle qui veut que la partie qui succombe y soit condamnée.


 

POUR CES MOTIFS, le comité de discipline :

REJETTE chacun des trois chefs de la plainte portée contre l’intimé;

CONDAMNE la plaignante au paiement des débours conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (L.R.Q., c. C-26).

 

 

(s) Janine Kean

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(s) Ginette Racine

Mme Ginette Racine, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Marcel Cabana

M. Marcel Cabana

Membre du comité de discipline

 

Me Jean-François Noiseux

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

Me James Bonhomme

Procureur de la partie intimée

 

Dates d’audience  

: 14, 15, 16, 17 mars et 26 avril 2011.

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]Une lettre de Mme Campeau pour Sun Life datée du 17 mars 2011 l’indique également (I-20).

[2] Cette note manuscrite fut attribuée à tort à l’intimé aux fins de l’expertise de la partie plaignante.

[3] Les inscriptions de son prénom et nom en français sur les enveloppes adressées à la CSF (P-5 et P-6) ont été décrites par les experts comme des écritures.

[4] Comme en témoigne l’extrait suivant, elle attribue peu d’importance à sa plainte portée à l’AMF qui, selon elle, ne l’engage pas : « Q. [392] Est-ce que c'est un document important ça, cette plainte-là? R. Non, c'est une lettre, ce n'est pas un contrat ou quelque chose «binding», c'est une lettre, je l'ai signée rapidement. ». Notes sténographiques (N.S.) du 14 mars 2011, page 135.

[5] I-22, en liasse.

[6] N.S. du 14 mars 2011, page 207.

[7] N.S. du 26 avril 2011, page 73 et P-22: « She has an additional critical illness coverage without paying any additional cost of insurance. »

[8] 1946 C.S. p. 240, p. 242.

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