Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0789

 

DATE :

20 juillet 2010

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Sylvain Généreux

Président

M. Robert Archambault, A.V.A.

Membre

M. Shirtaz Dhanji, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

ME CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

M. ALAIN TREMPE, conseiller en sécurité financière

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

LA PLAINTE ET LE DÉROULEMENT DES JOURNÉES D’AUDIENCE

[1]   Une plainte assortie d’une requête en radiation provisoire a été signifiée à l’intimé le 28 octobre 2009.

[2]   Cette plainte se lisait comme suit :

 

1.            À Sainte-Catherine-de-Hatley, vers le 4 mars 2004, l’intimé ALAIN TREMPE s’est approprié pour ses fins personnelles un montant de 10 000 $ lui ayant été confié par sa cliente Guylaine Turgeon, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et 11, 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q. C. D-9.2, r. 1.01);

2.            À Sainte-Catherine-de-Hatley, vers le 24 février 2005, l’intimé ALAIN TREMPE s’est approprié pour ses fins personnelles un montant de 10 000 $ lui ayant été confié par sa cliente Guylaine Turgeon, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et 11, 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q. C. D-9.2, r. 1.01);

3.            À Thetford Mines, vers le 22 juillet 2004, l’intimé ALAIN TREMPE s’est approprié pour ses fins personnelles un montant de 10 000 $ lui ayant été confié par son client Germain Boulet, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et 11, 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q. C. D-9.2, r. 1.01);

4.            À Thetford Mines, vers le 25 février 2005, l’intimé ALAIN TREMPE s’est approprié pour ses fins personnelles un montant de 4 500 $ lui ayant été confié par sa cliente Josée Vachon, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et 11, 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q. C. D-9.2, r. 1.01);

5.            À Boucherville, vers le 15 décembre 2004, l’intimé ALAIN TREMPE s’est approprié pour ses fins personnelles un montant de 10 000 $ lui ayant été confié par sa cliente Pauline Fortier-Matar, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et 11, 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q. C. D-9.2, r. 1.01);

6.            Depuis le ou vers le 9 février 2009, l’intimé ALAIN TREMPE fait défaut de collaborer avec l’enquêteur du bureau de la syndique de la Chambre de la sécurité financière, de lui répondre et de lui fournir les informations qu’il requiert, contrevenant ainsi aux articles 16 et 342 de la Loi sur la distribution de produits financiers (L.R.Q., c. D-9.2) et 42 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (L.R.Q. C. D-9.2, r. 1.01).

 

PAR CES MOTIFS, PLAISE AU COMITÉ DE DISCIPLINE :

ACCUEILLIR la présente plainte;

DÉCLARER l’intimé ALAIN TREMPE coupable des infractions reprochées;

IMPOSER à l’intimé ALAIN TREMPE les sanctions jugées opportunes et équitables dans les circonstances.

[3]   Les dispositions invoquées de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière se lisent comme suit :

Loi sur la distribution de produits et services financiers

16.  Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.

342.  Nul ne peut entraver le travail d’un enquêteur, notamment en l’induisant en erreur.

Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière

11.  Le représentant doit exercer ses activités avec intégrité.

17.  Le représentant ne peut s’approprier, pour ses fins personnelles, les sommes qui lui sont confiées ou les valeurs appartenant à ses clients ou à toute autre personne et dont il a la garde.

35.  Le représentant ne doit pas exercer ses activités de façon malhonnête ou négligente.

42.  Le représentant doit répondre, dans les plus brefs délais et de façon complète et courtoise, à toute correspondance provenant du syndic, du cosyndic, d’un adjoint du syndic, d’un adjoint du cosyndic ou d’un membre de leur personnel agissant en leur qualité.

[4]   Le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le comité) a d’abord procédé à l’instruction de la requête en radiation provisoire les 6 et 16 novembre 2009. 

[5]   Par décision du 11 décembre 2009, le comité a prononcé la radiation provisoire de l’intimé; cette décision lui a été signifiée le 14 décembre 2009.

[6]   Il est à noter que lors de la seconde journée d’audience, le 16 novembre 2009, la partie plaignante a requis du comité la permission de retirer les chefs d’infraction contenus au paragraphe 1 de la plainte au motif que l’attestation de droit de pratique produite au dossier démontrait que l’intimé ne détenait pas de certificat dans les disciplines pertinentes le 4 mars 2004, date de l’infraction alléguée au paragraphe 1 de la plainte.

[7]   Le comité a alors permis le retrait des chefs d’infraction contenus au paragraphe 1 de la plainte.

[8]   Lors d’une conférence téléphonique le 11 février 2010, il a été décidé de tenir l’audience sur culpabilité les 27 et 28 avril 2010.  L’intimé avait été informé de la tenue de cette conférence téléphonique mais n’y a pas participé.

[9]   En début d’audience le 27 avril 2010, le comité a rappelé à l’intimé qu’il pouvait être représenté par avocat; l’intimé a indiqué qu’il ne le serait pas.

[10]    L’intimé a par la suite informé le comité qu’il ne reconnaissait pas sa culpabilité en regard des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 2, 3, 4 et 5 de la plainte.

[11]    L’intimé a fait part au comité de son intention de plaider coupable au chef d’infraction contenu au paragraphe 6 de la plainte.  Après avoir vérifié si l’intimé comprenait bien les conséquences d’une telle décision, le comité l’a déclaré coupable des infractions énoncées au paragraphe 6 de la plainte.

[12]    Les parties ont ensuite mentionné au comité qu’il était de leur intention de produire, de consentement, et pour valoir témoignage des personnes alors entendues, les notes sténographiques de l’audience sur la requête en radiation provisoire; les pièces qui avaient alors été produites ont été, du même coup, déposées en preuve de consentement, seule la nomenclature et l’ordre de ces pièces étant légèrement modifiés.

[13]    La partie plaignante a ensuite fait de nouveau témoigner, M. Pierre Boivin, l’enquêteur du syndic.

[14]    De son côté, l’intimé a débuté son témoignage le 27 avril 2010.

[15]    Le 28 avril 2010, l’intimé a eu un accident d’automobile et n’a pu se présenter à l’audience.  Lors d’une conférence téléphonique tenue le matin même, le comité, après avoir entendu les représentations des deux parties, a remis l’audience au 12 mai 2010.

[16]    Le 12 mai 2010, l’intimé a complété son témoignage et a produit une pièce; il n’a pas fait entendre de témoins additionnels.

[17]    Les parties ont ensuite plaidé.  Lors de la plaidoirie du procureur de la partie plaignante, le comité a posé des questions quant à la portée juridique d’un jugement rendu par la Cour du Québec, en matière civile, dans l’affaire de Pauline Fortier-Matar c. Alain Trempe, Centre financier de la Montérégie inc. et Guy Desjardins (2010 QCCQ 2981), jugement déposé par la partie plaignante.

[18]    Le procureur de la partie plaignante a fait parvenir au comité des notes et autorités sur cette question le 1er juin 2010; l’intimé, à qui un délai de dix (10) jours avait été accordé pour répondre à cette plaidoirie écrite, n’a rien soumis.

[19]    Le comité a alors pris l’affaire en délibéré.

LES ÉLÉMENTS MIS EN PREUVE PAR LA PARTIE PLAIGNANTE

-              Témoignage de Mme Guylaine Turgeon (paragraphe 2 de la plainte) :

           elle connaît l’intimé depuis la fin des années 1980;

           avant 2005, elle avait fait des placements par l’entremise de l’intimé;

           elle le rencontrait deux fois par année et avait confiance en lui;

           en février 2004, l’intimé lui a proposé de faire, par son entremise, un placement de 10 000 $ en argent comptant, pour un an, lequel lui rapporterait 390 $ en argent comptant par mois;

           de février 2004 à février 2005, l’intimé lui a remis en argent comptant des montants de 390 $;

           en février 2005, l’intimé lui a remis une carte de débit et lui a indiqué qu’elle pourrait retirer mensuellement la somme de 390 $ auprès de son institution financière;

           à la même époque, l’intimé lui a proposé le placement dont fait état le paragraphe 2 de la plainte;

           il est venu la voir avec un certain M. Drouin;

           il lui a été proposé d’investir un autre montant de 10 000 $ en argent comptant; l’intimé lui a dit que les intérêts seraient payés au bout d’un an et que le montant confié doublerait;

           l’intimé ne lui a rien dit de plus sur la nature de cet investissement;

           elle a remis une somme de 10 000 $ en argent comptant à l’intimé;

           plus tard, elle a reçu un document coiffé du titre « Convention de prêt (placement privé) » aux termes duquel elle prêtait 10 000 $ à C.F.M.; sous la mention « signataire autorisé » son nom apparaissait mais ce n’est pas elle qui avait signé; la signature d’un certain M. Desjardins avait également été apposée à cette convention;

           à l’aide de la carte de débit, elle a pu retirer, pendant 3 à 4 mois, le montant mensuel d’intérêt dû en regard du placement de 2004;

           elle n’a pu, par la suite, retirer d’argent à l’aide de cette carte de débit;

           elle a réclamé à l’intimé le remboursement du placement de 10 000 $ de 2004 et il lui a répondu qu’il fallait qu’elle attende un an avant d’être remboursée;

           insatisfaite de cette réponse, elle s’est mise à talonner l’intimé lequel lui a alors parlé, pour une première fois, de M. Desjardins;

           elle a rencontré l’intimé et M. Desjardins; il lui a été répété que des développements ne surviendraient pas avant environ un an; M. Desjardins lui a fait parvenir, suite à cette rencontre, un chèque de 400 $ à titre de paiement d’intérêt;

           sur du papier à en-tête « Gestion et courtage Alain Trempe inc. », l’intimé lui a fait parvenir une lettre datée du 28 mars 2006 comportant, en bas de la page, les mots « Le groupe » (dactylographié) au côté de la signature « Alain Trempe » dans laquelle il était indiqué à Mme Turgeon que les « délais dans les versements » étaient dus « aux contraintes de la bourse », aux « échéances données par le bureau d’avocats » et aux « propositions d’investisseurs »;

           elle a continué à communiquer avec l’intimé afin d’être remboursée et celui-ci lui a répondu d’être patiente, qu’il « fallait qu’il attende que ça remonte »;

           en avril 2007, l’intimé l’a référée à un site internet et lui a expliqué comment obtenir un mot de passe pour consulter l’état de ses placements;

           elle n’a jamais réussi à identifier ses propres placements sur le site;

           elle a continué à poser des questions à l’intimé mais les réponses qu’elle a obtenues sont devenues de plus en plus évasives;

           en décembre 2008, elle a requis l’aide de l’Autorité des marchés financiers (AMF); l’intimé lui a alors dit qu’il ne lui parlerait plus;

           le 8 octobre 2009, son avocat a fait parvenir une mise en demeure à l’intimé;

           elle n’a jamais récupéré son argent.

-              Témoignage de Mme Pauline Fortier-Matar (paragraphe 5 de la plainte) :

           elle connaît l’intimé depuis 1985 à titre d’agent d’assurance-vie;

           son mari et elle ont souscrit des polices d’assurance-vie pour eux et leurs enfants par l’intermédiaire de l’intimé;

           elle rencontrait l’intimé à tous les 2 ans;

           en décembre 2004, l’intimé lui a suggéré de faire un placement qui pourrait lui rapporter 3% à 4% d’intérêt par mois; il lui a expliqué qu’un certain M. Desjardins avait développé un fonds d’investissement;

           elle lui a dit qu’elle n’avait pas d’argent;

           l’intimé l’a convaincue d’effectuer un retrait sur la valeur de rachat de sa police d’assurance-vie;

           elle a effectué cette opération en décembre 2004 et a remis 10 000$ en argent comptant à l’intimé tel que celui-ci lui avait demandé;

           le 15 décembre 2004, elle a signé un document coiffé du titre « Convention de prêt (placement privé) » aux termes duquel elle prêtait 10 000 $ à C.F.M., contrat également signé par M. Desjardins; une somme de 390 $ par mois devait lui être versée pendant une période de 12 mois consécutifs; l’intimé avait également complété 2 autres documents : la fiche de renseignements personnels et la « confirmation du dépôt du prêt »;

           l’intimé lui a remis, une fois, une somme de 390 $ en argent comptant et une autre fois un montant de 100 $;

           l’intimé lui a ensuite indiqué qu’il était compliqué pour lui de faire le tour des gens avec des enveloppes d’argent comptant et lui a remis, en février 2005, une carte avec laquelle elle pourrait faire des retraits au guichet bancaire et « l’enregistrement de son profil sur le site « World Money on Line » »;

           elle a effectué 3 retraits au guichet automatique de la BMO dont un dernier le 21 décembre 2005; il ne restait alors plus que 4,05 $ dans le compte;

           le 9 décembre 2005, elle a écrit à l’intimé afin de réclamer le remboursement de l’investissement qu’elle avait fait un an plus tôt;

           elle a communiqué, par la suite, à plusieurs reprises, avec l’intimé lequel lui fait des promesses de remboursement et lui a dit de ne pas s’inquiéter;

           elle a également rencontré l’intimé et M. Desjardins au début de l’année 2006; il lui a de nouveau été dit de ne pas s’inquiéter;

           elle avait auparavant, à deux reprises, rencontré M. Desjardins en présence de M. Trempe; il lui avait alors été dit que l’on procédait à l’achat de compagnies inopérantes cotées à la bourse, qu’on les remettait sur pied et qu’on les revendait; elle n’a jamais été cependant en mesure de vérifier si ces informations étaient justes;

           tout comme dans le cas de Mme Turgeon, elle a reçu de l’intimé la lettre du 28 mars 2006; cette lettre était signée de la même façon que l’était celle adressée à Mme Turgeon;

           elle a continué à communiquer avec l’intimé mais n’a jamais obtenu de réponse satisfaisante;

           elle a retenu les services d’un avocat en décembre 2008;

           elle a intenté une action en justice contre M. Desjardins et l’intimé. 

[20]        Le procès dans cette affaire a eu lieu le 10 novembre 2009.

[21]        Dans le cadre de ses représentations, le procureur de la plaignante a déposé le jugement rendu par l’honorable Raoul P. Barbe de la Cour du Québec dans l’affaire Pauline Fortier-Matar c. Alain Trempe, Centre financier de la Montérégie inc. et Guy Desjardins (précité) aux termes duquel l’intimé a été condamné à payer à la demanderesse la somme de 32 630 $ avec intérêt au taux légal plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec.

-              Témoignage de Mme Josée Vachon (paragraphes 3 et 4 de la plainte) :

           Son conjoint, M. Germain Boulet, et elle connaissent l’intimé depuis une vingtaine d’années; ils le rencontraient une fois par année;

           ils ont souscrit, par son intermédiaire, des polices d’assurance-vie au nom des divers membres de la famille;

           en 2004, l’intimé leur a proposé, à son conjoint et à elle, un placement de 10 000 $ en argent comptant pour un an; des intérêts au montant de 389 $ par mois en argent comptant devaient leur être payés sur cette somme;

           l’intimé leur a expliqué qu’un certain M. Desjardins était au centre de cet investissement auquel plusieurs personnes participaient; il a ajouté que M. Desjardins et lui « étaient ensemble »;

           M. Boulet, a investi 10 000 $ en argent comptant;

           M. Boulet a signé le 22 juillet 2004, à la suggestion de l’intimé, un contrat coiffé du titre « Convention de prêt » aux termes duquel il prêtait 10 000$ à C.F.M.; l’intimé a complété la fiche de renseignements personnels de M. Boulet;

           l’intimé a payé, à 2 ou 3 reprises, les intérêts en argent comptant;

           à la suggestion de l’intimé, au cours de la période de février et mars 2005, elle a investi auprès de C.F.M. 4 500 $ alors que l’intimé complétait la somme nécessaire au placement en investissant 4 000 $; il a rédigé les documents nécessaires à cette transaction;

           l’intimé leur a alors remis, à son conjoint et à elle, chacun une carte de débit afin qu’ils puissent retirer d’un compte bancaire les sommes auxquelles ils avaient droit; il leur a ensuite montré le site « World Money on Line » sur internet et, avec lui, ils ont imprimé leur « profil »;

           ces cartes de débit n’ont jamais fonctionné;

           elle a communiqué avec l’intimé pour s’en plaindre et celui-ci lui a demandé d’être patiente; il lui a dit : « qu’il fallait qu’il mette un système en place »;

           elle s’est faite plus insistante et l’intimé a organisé une entrevue avec M. Desjardins lequel leur a dit, en présence de M. Trempe, que l’argent était au Panama, qu’il fallait être patient et qu’il ne fallait surtout pas s’inquiéter;

           elle a continué à communiquer avec l’intimé et celui-ci ne lui a jamais fourni de réponse satisfaisante;

           en 2008, son conjoint et elle ont consulté un avocat; des procédures judiciaires ont été intentées contre l’intimé et M. Desjardins; les défendeurs n’ont pas comparu et ils ont été condamnés à payer 9 220 $ à son conjoint et 4 500 $ à elle.  Ils ont obtenu des chèques postdatés de M. Desjardins et une saisie a été pratiquée sur un terrain appartenant à l’intimé; ils n’ont pas recouvré en totalité les sommes qui leur étaient dues.

-              Témoignage de M. Germain Boulet (paragraphes 3 et 4 de la plainte) :

Pour l’essentiel, son témoignage est au même effet que celui de sa conjointe, Mme Josée Vachon.  De son témoignage, le comité a également retenu ce qui suit :

           ce sont les promesses de M. Trempe « d’un revenu impressionnant » qui l’ont amené à investir;

           l’intimé ne leur a pas indiqué où le placement de 10 000$ serait fait;

           l’intimé leur a dit que l’argent serait géré par Centre financier Montérégie (C.F.M.);

           l’intimé leur a remis, à sa femme et à lui, des cartes de débit car l’intimé était d’avis qu’il était dangereux pour lui de se promener avec des sommes importantes en argent comptant;

           suite au jugement rendu contre l’intimé et M. Desjardins, ce dernier a payé une partie de la somme due.

-              Témoignage de M. Pierre Boivin :

           il est enquêteur pour la syndique de la Chambre de la sécurité financière;

           un dossier d’enquête a été ouvert au sujet de la conduite de l’intimé le 20 janvier 2009;

           il a écrit à l’intimé afin d’obtenir sa version des faits les 5 février, 14 avril et 14 mai 2009; l’intimé n’a jamais répondu;

           le 3 juillet 2009, il a laissé un message dans la boîte vocale de l’intimé mais ce dernier n’a pas retourné son appel;

           il a réussi à joindre l’intimé au téléphone le 31 juillet 2009; l’intimé a admis avoir reçu son message téléphonique du 3 juillet 2009 et s’est engagé à communiquer sa version des faits dans les 10 jours; il n’a cependant rien reçu de l’intimé;

           tel qu’il appert de l’attestation de droit de pratique produite par l’AMF le 5 octobre 2009, l’intimé n’a jamais été inscrit à titre de représentant de courtier, de représentant-conseil ou de représentant-conseil adjoint en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières;

           ses recherches l’amènent à conclure que C.F.M. (Centre financier Montérégie) n’est pas inscrit au registre des entreprises ni auprès de l’AMF;

           M. Desjardins a fait faillite le 14 septembre 2009.

LES ÉLÉMENTS MIS EN PREUVE PAR L’INTIMÉ

-              Témoignage de l’intimé :

           M. Guy Desjardins lui a été présenté par M. René Drouin, une personne avec qui il avait travaillé auparavant dans le domaine de l’assurance;

           M. Drouin lui avait parlé de placements faits à l’étranger par M. Desjardins;

           il ne connaissait rien aux actions;

           il a assisté à 3 réunions mensuelles organisées par MM. Desjardins et Drouin;

           il a ensuite parlé de ses placements à certains de ses clients; il était accompagné de M. Drouin lorsqu’il en a parlé une première fois à Mme Turgeon (2004) et il était seul lorsqu’il en a discuté avec Mme Fortier-Matar et avec le couple Vachon-Boulet;

           il agissait comme intermédiaire entre ses clients et M. Desjardins; il n’a jamais acheté d’actions; il n’a jamais administré les sommes d’argent confiées, c’est M. Desjardins qui les administrait;

           il remettait l’argent de ses clients à M. Drouin lequel le remettait ensuite à M. Desjardins;

           il voulait que ses clients « fassent de l’argent »;

           il n’a fait aucune vérification avant d’inciter ses clients à investir : il n’a pas vérifié si C.F.M. existait ni si M. Desjardins était courtier en valeurs mobilières; il n’a jamais demandé à voir la preuve que des actions avaient été achetées avec l’argent de ses clients;

           il a constaté dès le début que les rendements offerts étaient extraordinaires; il a cru à de tels rendements malgré qu’un ami lui ait dit qu’il s’agissait probablement d’un leurre;

           il remettait l’argent comptant de ses clients à M. Drouin et celui-ci lui en remettait aussitôt une partie (4%) à titre de « commission »;

           il a réalisé qu’il avait été berné par M. Desjardins lorsque ses clients ont voulu récupérer leur argent et qu’ils n’ont pu le faire; il s’est inquiété à partir du moment où M. Desjardins a introduit un système de paiement par carte;

           cependant, à d’autres moments, il a plutôt témoigné du fait qu’il a cru en M. Desjardins jusqu’à la dernière minute;

           il n’a jamais consulté le site Web auquel il référait ses clients;

           ses clients savaient qu’il s’agissait d’actions achetées à l’étranger dont la valeur était « volatile » car M. Desjardins leur avait dit; cependant, il a également témoigné du fait que ses clients n’avaient rencontré M. Desjardins qu’après avoir investi et il a reconnu que les placements devaient produire un revenu d’intérêt à taux fixe;

           quant à la lettre du 28 mars 2006, il a témoigné qu’il n’en était pas l’auteur et qu’il l’avait transmise, à la suggestion de M. Drouin, à ses clients pour les informer; il a toutefois admis ne pas avoir vérifié si les informations contenues à cette lettre étaient véridiques;

           poursuivi devant la Cour du Québec en matière civile par le couple Vachon-Boulet, il ne s’est pas présenté à la Cour car il ne se voyait que comme un « intermédiaire »;

           il n’a pas répondu aux demandes de l’enquêteur du syndic car il croyait avoir besoin d’un avocat pour le faire;

           il dit avoir été inconscient : il a cru à ces placements faits à l’étranger; il a été berné tout comme l’ont été ses clients.

REPRÉSENTATIONS DE LA PARTIE PLAIGNANTE

[22]        Le procureur de la partie plaignante a invité le comité à appliquer aux chefs d’infraction contenus aux paragraphes 2 à 5 de la plainte, la définition du mot « appropriation » retenue par une autre division du comité dans l’affaire Thibault c. Baril.(1) 

[23]        Dans cette décision, le comité réfère d’abord à un extrait d’un article rédigé par Me Patrick De Niverville :

« … l’infraction d’appropriation de fonds, pour les fins du droit disciplinaire, s’apparente à la possession d’un bien ou de sommes appartenant à une client de façon temporaire, sans son autorisation, et ce, même avec l’intention de le lui remettre.  Elle est essentiellement fondée, dans tous les cas sur l’absence d’autorisation du client ».(2)

[24]        Le comité conclut ensuite en ces termes :

« La preuve a révélé que Mme Gagnon a réclamé à l’intimé le remboursement du prêt venu à échéance mais sans succès.  Le comité estime que l’intimé n’avait plus l’autorisation de conserver les argents ainsi détenus et qu’il s’est ainsi approprié les argents confiés ».

[25]        Après avoir résumé la preuve pertinente à chacun des chefs d’infraction, le procureur a soumis au comité que la partie plaignante avait démontré, par une preuve prépondérante :

           que des sommes d’argent ont été confiées à l’intimé par ses clients afin qu’elles soient prêtées à C.F.M. pour la période de temps prévue aux contrats;

           que C.F.M. n’a aucune existence légale;

           que l’intimé n’a pas remis ces sommes d’argent à ses clients à l’échéance;

           que les sommes d’argent ont été réclamées par les clients à l’intimé;

           que l’intimé n’a pas remboursé ses clients.

[26]        Quant au moyen de défense proposé par l’intimé suivant lequel il n’avait agi qu’à titre d’intermédiaire en ce qu’il n’avait fait que remettre l’argent reçu de ses clients à MM. Drouin et Desjardins de C.F.M., la procureure a invité le comité à l’écarter pour les motifs suivants :

           l’intimé a été le chef d’orchestre de toute l’opération;

           il a sollicité ses clients à investir dans C.F.M., une entité qui n’avait même pas d’existence légale;

           il a complété les documents nécessaires à la conclusion des contrats;

           il a exigé de ses clients des sommes en argent comptant;

           il leur a remis les versements d’intérêt en argent comptant;

           il a remis à ses clients les cartes de débit et leur a expliqué comment les utiliser;

           il les a référés au site internet « World Money on Line »;

           il a constamment cherché à rassurer ses clients;

           dans ce but, il a même fait parvenir à Mme Turgeon et à Mme Fortier-Matar une lettre du 28 mars 2006 qu’il a signée « Le Groupe, Alain Trempe ».

[27]        Elle conclut donc que l’intimé était beaucoup plus qu’un simple intermédiaire : il était l’une des personnes clés, l’un des emprunteurs.

[28]        Le procureur soumet que le comité n’a pas à conclure à la mauvaise foi de l’intimé pour retenir sa culpabilité.  Si tant est que la preuve de la bonne ou la mauvaise foi de l’intimé soit pertinente, elle ajoute que la preuve démontre qu’il n’a pas agi de bonne foi.  En effet, il avait 35 ans d’expérience à titre de représentant; il ne peut donc pas ne pas avoir flairé l’arnaque du fait que les placements et les remboursements étaient payés en argent comptant et que les taux d’intérêt promis étaient anormalement élevés.

[29]        Le procureur de la partie plaignante ajoute que s’il avait été de bonne foi, l’intimé aurait répondu aux questions de l’enquêteur du syndic.  De plus, s’il avait eu véritablement à cœur l’intérêt de ses clients, il aurait informé l’AMF dès qu’il a eu des doutes sur les façons de faire de M. Desjardins.

[30]        Elle rappelle également que l’intimé a admis que M. Drouin lui remettait, à même les sommes d’argent qu’il lui apportait, une « commission » en argent comptant; par conséquent, l’intimé s’appropriait à ses fins personnelles une partie, à tout le moins, des sommes confiées.

[31]        En ce qui a trait finalement aux chefs d’infraction énoncés au paragraphe 5, elle soumet, dans sa plaidoirie écrite, que le comité devrait « considérer les constatations factuelles de la Cour du Québec énoncées aux paragraphes 31, 32 et 33 » du jugement dans l’affaire Fortier-Matar c. Trempe, Centre financier de la Montérégie inc. et Guy Desjardins (précité) « comme un fait juridique » et « compte tenu du fait qu’aucune preuve contraire n’a été présentée par l’intimé […], le comité de discipline est lié par la conclusion que Alain Trempe doit être considéré comme le véritable emprunteur ».  Bref, elle soumet que la Cour du Québec a déjà résolu la question de savoir si l’intimé s’est approprié l’argent et le comité est lié par cette conclusion.

[32]        Les moyens de défense invoqués par l’intimé doivent être écartés; la partie plaignante s’est acquittée du fardeau de preuve qui lui est imposé et le comité devrait retenir la culpabilité de l’intimé en regard des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 2, 3, 4 et 5 de la plainte.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[33]        Il a soumis qu’il n’était qu’un intermédiaire.  Il a référé le comité à certaines pièces lesquelles démontrent selon lui qu’il n’a été qu’un témoin ou un intermédiaire et que c’est M. Desjardins qui était le véritable maître d’œuvre.

ANALYSE ET MOTIFS

[34]        Le comité est d’avis que, par preuve prépondérante, il a été démontré ce qui suit en regard des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 2 à 5 de la plainte :

           les sommes d’argent indiquées à ces paragraphes 2 à 5 ont été confiées à l’intimé aux fins d’un prêt à C.F.M. pour la période de temps prévue à chacun des contrats;

           C.F.M. n’avait aucune existence légale;

           à l’échéance prévue aux contrats, les clients ont réclamé à l’intimé les sommes qui leur étaient dues;

           l’intimé n’a pas été en mesure de leur remettre les sommes confiées.

[35]        Quant aux explications fournies par l’intimé, le comité souligne que son témoignage lui est apparu peu crédible à certains égards.

[36]        Ainsi, les raisons qu’il a invoquées pour ne pas se présenter à la Cour alors qu’il était poursuivi par le couple Vachon-Boulet et pour ne pas répondre à l’enquêteur de la syndique sont peu vraisemblables.

[37]        Son témoignage comporte également des contradictions sur certains éléments importants : il a insisté sur le fait que ses clients étaient conscients des dangers que comportait le marché volatil des actions, pour ensuite reconnaître que ce sont des prêts, générant des revenus d’intérêt à taux fixe, que ses clients avaient consentis à sa suggestion.  Il a dit avoir eu des doutes au sujet de M. Desjardins dès que les versements d’intérêt ont cessé pour ajouter ensuite (avec moins de conviction cependant) qu’il a cru en M. Desjardins jusqu’à la dernière minute.

[38]        Sans écarter totalement le témoignage de l’intimé, le comité, sur certains aspects, retiendra plutôt les témoignages des personnes mentionnées aux paragraphes 2 à 5 de la plainte, lesquels lui sont apparus plus crédibles.

[39]        En défense, l’intimé invoque les moyens suivants : il n’a servi que d’intermédiaire et a agi de bonne foi; par conséquent, il ne s’est pas approprié l’argent à ses fins personnelles.

[40]        Quant au premier moyen, la preuve présentée amène le comité à conclure que l’intimé était beaucoup plus qu’un simple intermédiaire.  Il a, au contraire, été au cœur de toute l’opération.  C’est lui qui a sollicité les clients; qui a complété les documents nécessaires à la conclusion des contrats; qui a obtenu de ses clients les sommes d’argent et qui a distribué les revenus d’intérêt; qui a remis à ses clients les cartes de débit et qui leur a expliqué comment les utiliser; c’est également lui qui les a référés au site « World Money on Line ».

[41]        Il a de plus constamment cherché à rassurer ses clients.  Pourtant, il a témoigné du fait qu’il a commencé à avoir des doutes au sujet de M. Desjardins dès que ses clients ont cessé de recevoir les remboursements mensuels et lorsque le système de carte de débit a été instauré.  Si l’intimé n’avait été qu’un simple intermédiaire, il n’aurait certainement pas agi de façon à tenter de rassurer ses clients; il n’aurait pas non plus contribué à instaurer le système de carte de débit ni à leur expliquer comment consulter le site.  De plus, il n’aurait pas, en mars 2006, transmis à certains de ses clients sur le papier à en-tête « Gestion et courtage Alain Trempe inc. » une lettre qu’il a personnellement signée au nom du « Groupe » et dont le but évident était de tenter de les rassurer.

[42]        Le témoignage de certains témoins est également éloquent quant à l’importance de l’implication de l’intimé dans l’ensemble de l’opération.  Il a en effet demandé à Mme Vachon d’être patiente et il lui a dit : « qu’il fallait qu’il mette un système en place »; il lui a aussi indiqué que M. Desjardins et lui « étaient ensemble ».  Quant à Mme Turgeon, il lui a également dit d’être patiente et il a ajouté qu’il « fallait qu’il attende que ça remonte ».

[43]        L’ensemble de ces éléments de preuve amène le comité à conclure que l’intimé a été un acteur important tout comme l’ont été MM. Drouin et Desjardins.

[44]        L’intimé soumet également avoir agi de bonne foi et avoir cru, à tort, en ce que M. Desjardins lui avait représenté.

[45]        Le comité comprend que l’intimé soumet comme moyen de défense qu’il a cru en toute bonne foi et de façon sincère dans le fait que les sommes d’argent qui lui ont été confiées par ses clients seraient prêtées à C.F.M. pour ensuite être utilisées par M. Desjardins pour acheter des actions.

[46]        Pour qu’une telle défense soit accueillie, il ne suffit pas que l’erreur commise soit honnête, il faut qu’elle ait été raisonnable.

[47]        En d’autres termes, l’erreur raisonnable sur les faits implique que l’intimé ait fait des efforts raisonnables pour connaître la situation.(3)

[48]        L’intimé n’a au contraire procédé à aucune vérification : 

           quant à l’existence légale de C.F.M.;

           quant à la certification de M. Desjardins eu égard aux transactions en matière de valeurs mobilières;

           quant à la question de savoir si les sommes remises à MM. Drouin et Desjardins étaient véritablement utilisées aux fins auxquelles elles étaient destinées.

[49]        Certaines des caractéristiques des transactions (argent comptant et taux d’intérêt mirobolant) auraient nécessairement dû éveiller la suspicion de l’intimé compte tenu de son niveau d’expérience à titre de représentant.

[50]        Pour toutes ces raisons, ce deuxième volet de la défense de l’intimé doit également être écarté.

[51]        La preuve que les sommes d’argent mentionnées aux paragraphes 2 à 5 de la plainte ont été confiées à l’intimé et qu’elles n’ont pu être recouvrées par les clients à l’échéance des prêts, jumelée au fait que les deux premiers volets de la défense ont été écartés, amènent le comité à conclure que l’intimé s’est approprié pour ses fins personnelles les sommes confiées.  Le fait qu’il n’ait pas agi seul et que la preuve ne révèle pas de façon précise ce qu’il est advenu de l’argent ne modifie en rien cette conclusion.

[52]        Vu les conclusions auxquelles en arrive le comité, il n’est pas nécessaire qu’il se prononce sur la portée juridique du jugement rendu en matière civile par la Cour du Québec dans l’affaire Fortier-Matar c. Trempe, Centre financier de la Montérégie inc. et Guy Desjardins (précité) sur la décision que le comité a à rendre dans le présent dossier.

 

POUR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

DÉCLARE l’intimé coupable des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 2, 3, 4, 5 et 6 de la plainte;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de fixer une date et une heure pour l’audience de la preuve et des représentations des parties sur sanction.


 

 

 

(s) Sylvain Généreux

Me Sylvain Généreux

Président du comité de discipline

 

 

(s) Robert Archambault

M. Robert Archambault, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

 

(s) Shirtaz Dhanji

M. Shirtaz Dhanji, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Mathieu Cardinal et Me Claudine Lagacé

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

 M. Alain Trempe

 Se représente lui-même

 

 Dates d’audience :

27, 28 avril et 12 mai 2010

 

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ


 

 
 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0789

 

DATE :

15 mars 2011

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Sylvain Généreux

Président

M. Robert Archambault, A.V.A.

Membre

M. Shirtaz Dhanji, A.V.A., Pl.  Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

ME CAROLINE CHAMPAGNE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

M. ALAIN TREMPE (Certificat 133 216)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

LES PROCÉDURES ET LE DÉROULEMENT DE L’AUDIENCE SUR SANCTION

[1]    Par décision du 20 juillet 2010, le comité de discipline (le comité) a reconnu l’intimé coupable de s’être approprié pour ses fins personnelles des montants de 10 000 $, 10 000 $, 4 500 $ et 10 000 $ (paragraphes 2 à 5 de la plainte) et d’avoir fait défaut de collaborer avec l’enquêteur du bureau de la syndique de la Chambre de la sécurité financière (la Chambre).

[2]           Par décision du 11 décembre 2009, le comité avait prononcé la radiation provisoire de l’intimé; cette décision lui avait été signifiée le 14 décembre 2009.

[3]           L’audience sur sanction a eu lieu le 28 octobre 2010 à Montréal.

[4]           La partie plaignante était représentée par Me Mathieu Cardinal.  L’intimé était présent et il a réitéré l’intention de se représenter lui-même. 

[5]           Lors de cette audience, des faits ont été mis en preuve; le comité a demandé aux parties de lui fournir, dans un délai de 3 semaines, des précisions en regard de certains de ceux-ci.  La partie plaignante a communiqué au comité des faits additionnels (antécédent disciplinaire et jugement en matière civile prononcé contre l’intimé).  De son côté, l’intimé n’a rien soumis de plus. Le comité a pris l’affaire en délibéré le 19 novembre 2010.    

LA PREUVE

[6]           La partie plaignante a fait parvenir au comité une déclaration assermentée souscrite par monsieur Germain Boulet.  Il y déclare que le jugement rendu le 2 avril 2008 par la Cour du Québec contre l’intimé et monsieur Guy Desjardins en faveur de son épouse et lui n’a pas été entièrement satisfait; qu’il a fait saisir et vendre en justice un terrain appartenant à l’intimé pour environ 3 000 $; et qu’une partie importante de cette somme a servi à payer des frais juridiques.

[7]           La partie plaignante a également transmis au comité une décision rendue le 27 août 1997 par le comité de discipline de l’Association des intermédiaires en assurance de personnes du Québec en regard d’une plainte portée contre l’intimé et au sujet de laquelle il a plaidé coupable (dossier CD00-0006).  Il lui était notamment reproché d’avoir fait défaut d’expédier copie de certains formulaires et de ne pas avoir répondu, dans les plus brefs délais, à des correspondances émanant des enquêteurs du comité de surveillance. L’intimé s’est vu imposer des amendes totalisant 2 300 $ et des réprimandes.

[8]           Hormis ces éléments, la partie plaignante n’a présenté aucun fait additionnel; elle s’en est remise aux éléments mis en preuve dans le cadre de l’audience sur culpabilité.

[9]            L’intimé a témoigné de ce qui suit :

-     il a 57 ans;

-     il a fait faillite en juillet 2010 et n’a pas encore été libéré;

-     l’Autorité des marchés financiers (AMF) a intenté des procédures contre lui pour un montant de 72 000 $;

-     il a vendu sa clientèle en matière d’assurance; la transaction a cependant mal tourné et l’acheteur lui doit toujours 7 000 $;

-     il ne veut plus travailler dans le domaine de l’assurance;

-     il a travaillé récemment dans le domaine de l’automobile et œuvre maintenant dans celui de l’ameublement depuis 3 mois;

-     contrairement à lui, les clients mentionnés à la plainte n’ont pas tout perdu.


LES REPRÉSENTATIONS SUR SANCTION

[10]        Le procureur de la partie plaignante a recommandé au comité d’imposer à l’intimé les mesures suivantes :

-    en regard des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 2, 3, 4 et 5 de la   plainte, la radiation permanente;

-    en regard des chefs d’infraction énoncés au paragraphe 2 de la plainte, une ordonnance de remboursement de 10 000 $;

-    en regard des chefs d’infraction énoncés au paragraphe 6 de la plainte, une radiation temporaire de 3 mois;

-    la publication d’un avis de la décision dans un journal;

-    la condamnation aux déboursés.

[11]        Me Cardinal a référé le comité à la narration des faits contenue à la décision sur culpabilité et a soumis ce qui suit en regard de la gravité objective des infractions dont l’intimé a été reconnu coupable et des facteurs atténuants et aggravants.

[12]        Pour un représentant, s’approprier à ses fins personnelles des montants d’argent que lui ont confiés ses clients est une infraction extrêmement grave.

[13]        Il n’a souligné qu’un facteur atténuant : l’intimé a manifesté des regrets lors de l’audience sur culpabilité quant aux pertes d’argent subies par ses clients.

[14]        Il a énuméré les facteurs aggravants lesquels militent, selon lui, en faveur de l’imposition d’une radiation permanente eu égard aux infractions d’appropriation : 

        l’intimé a agi de façon préméditée;

        il a été beaucoup plus qu’un intermédiaire et a été impliqué à plusieurs étapes des transactions;

        les infractions ont été commises sur une longue période de temps;

        les personnes impliquées étaient toutes des clients de longue date qui lui faisaient confiance;

        il a donc abusé de cette confiance et de la vulnérabilité de ses clients;

        les sommes appropriées au total sont importantes : 34 500 $;

        les clients n’ont pas été remboursés (sauf madame Vachon et monsieur Boulet pour une partie);

        l’intimé est un représentant d’expérience qui œuvre dans le milieu depuis 1981;

        le fait qu’il ne s’agit pas de gestes isolés fait craindre la récidive.

[15]        En se fondant sur les décisions rendues par le comité dans les affaires Burns, Baril, Torabizadeh, Marois, To, Dionne, Chiasson, Gendron, et Shahid,[1] le procureur de la partie plaignante a soumis que l’appropriation des sommes d’argent à des fins personnelles entraînait l’imposition de la radiation permanente sans égard à l’importance des montants impliqués.

[16]        Quant à l’ordonnance de remboursement, Me Cardinal l’a recommandée dans le cas de madame Turgeon (paragraphe 2 de la plainte) mais non pour les autres clients mentionnés à la plainte car ceux-ci ont intenté des procédures et vu les tribunaux de droit commun condamner l’intimé à leur payer des sommes d’argent.

[17]        En ce qui a trait au défaut d’avoir collaboré à l’enquête, Me Cardinal a rappelé l’importance de cette obligation vu la tâche confiée au bureau du syndic en regard de la protection du public.  Il a référé le comité aux décisions rendues dans les affaires Hentschel et Butler[2].

[18]        La partie plaignante a de plus recommandé au comité d’ordonner la publication d’un avis de la décision dans un journal et de condamner l’intimé au paiement des déboursés.

[19]        De son côté, l’intimé a indiqué au comité qu’il ne voulait pas revenir en arrière, qu’il ne voulait plus travailler dans le domaine des assurances et que la radiation provisoire imposée en décembre 2009 faisait en sorte que l’imposition aujourd’hui d’une radiation temporaire d’un an ou de la radiation permanente aurait le même effet sur lui.


L’ANALYSE ET LES MOTIFS

Quant aux chefs d’infraction d’appropriation (paragraphes 2, 3, 4 et 5 de la plainte)

[20]        En plus des décisions soumises par le procureur de la partie plaignante, le comité a analysé celles rendues dans les affaires Arsenault, Odorico, Tremblay et Niselshtein[3].

[21]        En regard du critère fondé sur la gravité objective, la jurisprudence est constante : l’appropriation à ses fins personnelles de sommes d’argent confiées par des clients est probablement l’infraction la plus grave qu’un représentant puisse commettre et appelle l’imposition de sanctions sévères.

[22]        Dans la majorité des décisions considérées, après analyse des facteurs aggravants et atténuants, le représentant s’est vu imposer la radiation permanente.

[23]        Dans certaines affaires, l’analyse de l’ensemble de ces facteurs a amené le comité à imposer plutôt au représentant une radiation temporaire de longue durée[4].

[24]        Selon le comité, l’importance des sommes d’argent que le représentant s’est approprié est l’un des éléments à considérer dans la détermination de la sanction à imposer. Dans le présent dossier, les sommes qui ont fait l’objet d’appropriation ne sont pas aussi importantes que dans plusieurs des décisions examinées.  Le comité s’est demandé si cet élément devait l’amener à écarter la recommandation de la plaignante (l’imposition d’une radiation permanente) pour imposer plutôt une radiation temporaire de longue durée à l’intimé.

[25]        Si tant est que le total des sommes ayant fait l’objet des appropriations et le fait que l’intimé ait manifesté certains regrets à l’audience auraient pu amener le comité à considérer l’imposition d’une sanction moins sévère que la radiation permanente, l’ensemble des faits mis en preuve l’amène à écarter cette option. Le comité retient en particulier les éléments suivants :

     l’intimé a agi de façon préméditée;

     il s’est approprié des sommes d’argent à plusieurs reprises et sur une longue période de temps;

     il a abusé de la confiance qu’avaient en lui des clients de longue date lesquels, de plus, s’y connaissaient peu en matière de placements;

     il a notamment abusé de cette confiance en leur proposant des « placements » devant générer des taux d’intérêt élevés;

     il les a amenés à croire, pendant une longue période de temps, qu’ils seraient remboursés pour ensuite ne leur fournir que des réponses évasives;

     ses clients (sauf madame Vachon et monsieur Boulet) ont finalement perdu les sommes d’argent confiées; dans le cas de madame Vachon et de monsieur Boulet, le comité prend en compte que le fait que des sommes ont été récupérées (dont la preuve ne révèle pas avec précision le montant) résulte des démarches judiciaires que ces personnes ont entreprises et non d’efforts faits par l’intimé pour les rembourser;

     il a un antécédent disciplinaire;

     bien que l’intimé ait manifesté certains regrets à l’audience, il a ajouté que ses clients, contrairement à lui, n’avaient pas tout perdu.  À la lumière de ce commentaire et de l’ensemble du témoignage de l’intimé, le comité constate que l’intimé considère être lui aussi une victime dans cette affaire.  Par conséquent, le comité ne croit pas que l’intimé a parfaitement compris la gravité des fautes dont il a été reconnu coupable et il ne peut donc conclure que tout risque de récidive est écarté;

     l’intimé a de plus négligé de collaborer à l’enquête de la syndique.

[26]        L’analyse de l’ensemble de ces éléments amène le comité à conclure que la seule sanction suffisamment dissuasive, exemplaire et qui assurera la protection du public de façon adéquate est la radiation permanente.

[27]        Le comité imposera donc à l’intimé la radiation permanente eu égard aux chefs d’infraction contenus aux paragraphes 2 à 5 de la plainte.

[28]        Pour les motifs invoqués par Me Cardinal et en se fondant sur les dispositions de l’article 156 d) du Code des professions, le comité ordonnera de plus à l’intimé de remettre 10 000 $ à madame Guylaine Turgeon.

Quant aux chefs d’infraction d’avoir fait défaut de collaborer avec l’enquêteur du bureau de la syndique (paragraphe 6 de la plainte)

[29]        Les mécanismes mis en place pour assurer la protection du public requièrent des représentants qu’ils collaborent pleinement et promptement aux enquêtes de la syndique de la Chambre.

[30]        L’intimé n’a pas donné suite aux demandes d’information qui lui ont été adressées par l’enquêteur du bureau de la syndique entre le 9 février et le 28 octobre 2009 (date de la signification de la plainte et de la requête en radiation provisoire).

[31]        Cette inconduite est grave.  On ne saurait tolérer qu’un représentant paralyse, par son silence, l’enquête faite sur sa conduite (cela est d’autant plus vrai lorsque l’enquête porte sur des infractions d’appropriation).  La suggestion de la partie plaignante d’imposer à l’intimé une radiation temporaire de 3 mois est, de l’avis du comité, tout à fait justifiée.

La publication d’un avis dans un journal et la condamnation aux déboursés

[32]        Tel que mentionné précédemment, la radiation permanente de l’intimé sera imposée eu égard aux chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 2, 3, 4 et 5 de la plainte.  Le comité n’a donc aucune discrétion à exercer quant à la question de savoir s’il y aura ou non publication d’un avis de cette décision dans un journal : cette publication est automatique (article 180 du Code des professions).

[33]        Le comité a cependant une discrétion à exercer en ce qui a trait à la publication d’un avis eu égard à la sanction de radiation temporaire qu’il imposera quant aux infractions énoncées au paragraphe 6 de la plainte.  La jurisprudence enseigne que ce n’est que pour des raisons exceptionnelles que le comité émettra une dispense de publication[5]. La preuve ne fait état d’aucune circonstance exceptionnelle pouvant amener le comité à ne pas ordonner la publication d’un avis.  Le comité croit qu’il est nécessaire que le public soit informé du fait que l’intimé a fait défaut de collaborer avec l’enquêteur du bureau de la syndique et qu’il s’est vu imposer une radiation temporaire de 3 mois.

[34]        Vu la teneur de la décision, l’intimé sera également condamné au paiement des déboursés.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

ORDONNE à l’égard des chefs d’infraction énoncés aux paragraphes 2, 3, 4 et 5 de la plainte, la radiation permanente de l’intimé;

ORDONNE à l’intimé de remettre à madame Guylaine Turgeon la somme de 10 000 $;

ORDONNE à l’égard des chefs d’infraction énoncés au paragraphe 6 de la plainte, la radiation temporaire de l’intimé pour une période de 3 mois;

ORDONNE que toutes ces périodes de radiation soient purgées de façon concurrente.

Quant à la sanction de radiation temporaire imposée en regard des chefs d’infraction énoncés au paragraphe 6 de la plainte :

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier conformément à ce qui est prévu à l’article 156 du Code des professions, aux frais de l’intimé, un avis dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés prévus aux dispositions de l’article 151 du Code des professions.

 

 

 

(s) Sylvain Généreux

Me Sylvain Généreux

Président du comité de discipline

 

(s) Robert Archambault

M. Robert Archambault, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

(s) Shirtaz Dhanji

M. Shirtaz Dhanji, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Mathieu Cardinal

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

 

M. Alain Trempe

 

 

Date d’audience :

     28 octobre 2010

 

COPIE CONFORME À L'ORIGINAL SIGNÉ



(1)    CD00-0681, décision sur culpabilité du 5 janvier 2009, par. 25 et 26.

(2)    Me Patrick DE NINERVILLE, « La sentence en matière disciplinaire (une revue approfondie de la jurisprudence) » Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000, p. 147.

(3) Thibault c. Rioux, 2007 QCCQ 14514.

[1] Levesque c. Burns, CD00-0731, 15 juin 2009; Thibault c. Baril, CD00-0681; 5 janvier 2009, Levesque c. Torabizadeh, CD00-0747, 5 janvier 2010; Levesque c. Marois, CD00-0748, 22 juin 2009; Thibault c. To, CD00-0712, 3 juillet 2009 ; Thibault c. Dionne, CD00-0603, 29 septembre 2006 ; Bureau c. Chiasson, CD00-0452, 28 août 2003; Bureau c. Gendron, CD00-0384, 28 février 2002; Champagne c. Shahid, CD00-0781, 21 septembre 2010.

[2] Thibault c. Hentschel, CD00-0770, 22 octobre 2009; Champagne c. Butler, CD00-0780, 8 février 2010.

[3] Thibault c. Arsenault, CD00-0735, 26 janvier 2009; Levesque c. Odorico, CD00-0726, 10 août 2009; Champagne c. Tremblay, CD00-0795, 6 juillet 2010; Champagne c. Niselshtein, CD00-0799, 9 septembre 2010.

[4] Thibault c. Dionne, CD00-0603, 29 septembre 2006; Bureau c. Chiasson, CD00-0452, 28 août 2003; Bureau c. Gendron, CD00-0384, 28 février 2002; Levesque c. Odorico, CD00-0726, 10 août 2009.

Dans l’affaire Thibault c. Arsenault, CD00-0735, 26 juin 2009, le comité aurait envisagé sérieusement la possibilité d’imposer au représentant une sanction de radiation temporaire prolongée plutôt qu’une radiation permanente n’eût été des recommandations des parties.

[5] Laurin c. Notaires, AZ-97041032.

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