Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0884

 

DATE :

16 mai 2012

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Benoît Bergeron, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

M. Alain Côté, A.V.C., Pl. Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique-adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

DANIEL L’HEUREUX, conseiller en sécurité financière, planificateur financier et représentant en épargne collective (numéro de certificat 121842)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

                     Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion des pièces P-4 à P-10, P-15 à P-20, P-24 à P-30, P-32 à P-36 et de leur contenu.

[1]           Les 17, 18 et 19 octobre 2011, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni aux locaux de la Commission des lésions professionnelles sis au 500, boulevard René-Lévesque Ouest, 18e étage, Montréal, et a procédé à l'audition d'une plainte disciplinaire portée contre l'intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

« 1.       À Montréal, le ou vers le 18 avril 2011, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en empruntant de sa cliente L.B. une somme de 40 000 $, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 2, 10, 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (D-9.2, r. 7.1), 18, 19 et 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (D-9.2, r.3);

2.          À Montréal, le ou vers le 22 juillet 2011, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en faisant investir sa cliente L.B. la somme de 75 000 $ dans une société dans laquelle il avait un intérêt, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 2, 10, 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (D-9.2, r. 7.1), 18, 19 et 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (D-9.2, r. 3);

3.          À Montréal, le ou vers le 22 juillet 2011, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en faisant investir sa cliente G.B. la somme de 75 000 $ dans une société dans laquelle il avait un intérêt, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 2, 10, 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (D-9.2, r. 7.1), 18, 19 et 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (D-9.2, r. 3);

4.          À Montréal, le ou vers le 22 juillet 2011, l’intimé s’est placé en situation de conflit d’intérêts en faisant investir sa cliente M.B. la somme de 75 000 $ dans une société dans laquelle il avait un intérêt, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 2, 10, 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (D-9.2, r. 7.1), 18, 19 et 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (D-9.2, r. 3);

5.          À Montréal, le ou vers le 22 juillet 2011, l’intimé s’est approprié la somme de 75 000 $ que lui avaient confiée ses clientes L.B., G.B. et M.B. et/ou a utilisé ladite somme d’argent à des fins autres que celles pour lesquelles elle lui avait été remise, contrevenant ainsi aux articles 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1), 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 2, 6, 10, 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (D-9.2, r. 7.1), 11, 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (D-9.2, r. 3);

6.          À Montréal, le ou vers le 25 juillet 2011, l’intimé s’est approprié la somme de 145 000 $ que lui avaient confiée ses clientes L.B., G.B. et M.B. et/ou a utilisé ladite somme d’argent à des fins autres que celles pour lesquelles elle lui avait été remise, contrevenant ainsi aux articles 160 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V-1.1), 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (L.R.Q., c. D-9.2), 2, 6, 10, 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (D-9.2, r. 7.1), 11, 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (D-9.2, r. 3). »

[2]           Au terme de l’audition, le comité a requis les notes sténographiques des témoignages entendus. Celles-ci lui sont parvenues le 17 novembre 2011, date de la prise en délibéré.

LES FAITS

[3]           Le contexte factuel rattaché à la plainte portée contre l’intimé est le suivant.

[4]           En tout temps pertinent aux présentes, l’intimé est inscrit à titre de représentant de courtier en épargne collective pour le compte de Desjardins Sécurité Financière Investissements inc. Il détient de plus un certificat dans les disciplines de l’assurance de personnes (à titre de représentant autonome) et de la planification financière.

[5]           Il est également actionnaire majoritaire et seul membre du conseil d’administration de Nosfinances.com inc. (Nosfinances), une société créée le 23 janvier 2007 et faisant affaire sous la raison sociale « Services Financiers nosfinances.com ».

[6]           Au moyen de ladite compagnie, il entretient le projet commercial de créer avec des intervenants sérieux une entreprise vouée à « l’éducation financière des consommateurs ».

[7]           Il cherche à ramasser des fonds pour financer celle-ci et entend procéder à son lancement public le 12 octobre 2011.

[8]           Quant aux clientes mentionnées aux différents chefs d’accusation, les sœurs B., la preuve a révélé que l’une d’entre elles, L., a gagné une somme de 8,5 millions de dollars à la loterie et qu’elle a ensuite fait cadeau d’une somme de un million à chacune de ses deux (2) sœurs, G. et M., à son frère P. ainsi qu’à sa mère.

[9]           Une autre sœur, N., a aussi été avantagée mais bien qu’elle ait participé à certains des événements, elle n’est pas à proprement parler concernée dans le présent dossier.

[10]        Les sœurs L.B., G.B. et M.B. issues d’un milieu ouvrier se sont ainsi toutes trois (3) retrouvées avec des sommes d’argent importantes alors qu’elles n’avaient à toutes fins pratiques aucune véritable connaissance ou expérience en matière de placement.

[11]        Le premier contact de la famille B. avec l’intimé a lieu par l’entremise de P.B. (le frère de L.B., G.B. et M.B.). Par la suite, l’ensemble de la famille fait affaire avec lui et il devient leur représentant.

[12]        Au fil du temps, une relation de confiance puis d’amitié s’établit entre les sœurs B. et l’intimé (L. dans son témoignage fait état d’une confiance aveugle) et chacune d’elles lui confie, aux fins de placement, des sommes importantes. (Voir pièces P-4 à P‑8.)

[13]        Au printemps 2011, l’intimé, à la recherche, tel que mentionné précédemment, de financement pour son entreprise, aborde le sujet avec les sœurs B. Il discute avec elles de la possibilité qu’elles investissent dans Nosfinances.

[14]        La réaction de ces dernières à la démarche de l’intimé est d’estimer que la chose est prématurée. Elles l’avisent qu’elles préfèrent attendre que l’entreprise « fasse ses preuves » avant d’investir dans celle-ci et lui laissent entendre qu’elles n’entendent pas le faire avant le lancement public prévu pour le 12 octobre 2011.

[15]        Par ailleurs, la mère des sœurs B. décède à la fin de l’année 2010 et ces dernières ainsi que leur frère P. héritent chacun d’une somme de l’ordre de 200 000 $.

[16]        Les événements rattachés à la présente plainte se déroulent dans ce contexte.

MOTIFS ET DISPOSITIF

Chef d’accusation 1

[17]        À ce chef, il est reproché à l’intimé, le ou vers le 18 avril 2011, de s’être placé en situation de conflit d’intérêts en empruntant de sa cliente L.B. la somme de 40 000 $.

[18]        Or la preuve présentée au comité a révélé que le ou vers le 18 avril 2011, l’intimé, à la recherche de fonds à la suite de procédures judiciaires survenues entre lui et son épouse, décide d’emprunter 40 000 $ de sa cliente L.B.

[19]        À ladite date, il obtient que cette dernière lui remette un chèque de 40 000 $ payable à son ordre (P-10) et il signe un document par lequel il s’engage à lui rembourser ladite somme avant le 24 juin 2011, engagement qu’il respecte par la suite[1].

[20]        En obtenant ainsi de sa cliente qu’elle lui consente un prêt de 40 000 $, l’intimé a fait défaut de maintenir son indépendance et s’est placé en situation de conflit d’intérêts.

[21]        Qu’il ait par la suite respecté ses obligations quant au remboursement de la somme empruntée ne change rien à la situation. Et que la cliente comme en l’espèce ait été pleinement consentante, pour ne pas dire heureuse, d’effectuer le prêt, non plus.

[22]        En agissant de la sorte, l’intimé a subordonné les intérêts de sa cliente aux siens et s’est placé dans une situation où son devoir envers cette dernière et ses intérêts personnels étaient en opposition ou risquaient de l’être et il le savait ou aurait dû le savoir.

[23]        La plaignante s’est déchargée de son fardeau de preuve sous ce chef et l’intimé sera déclaré coupable sous celui-ci.

Chefs d’accusation 2, 3 et 4

[24]        À ces chefs, il est reproché à l’intimé, le ou vers le 22 juillet 2011, de s’être placé en situation de conflit d’intérêts en faisant investir ses clientes L.B., G.B. et M.B. une somme de 75 000 $ chacune dans une société dans laquelle il avait un intérêt.

[25]        Relativement à ces chefs, il ressort de la preuve les faits suivants.

[26]        À la suite du décès de leur mère, les sœurs L.B., G.B. et M.B. héritent, tel que précédemment mentionné, chacune d’une somme de l’ordre de 200 000 $ et l’intimé leur propose, dans le cadre d’une stratégie de placement, de souscrire chacune un prêt-levier de 75 000 $, ce à quoi elles consentent. Une somme de 150 000 $ du montant reçu en héritage doit servir à garantir l’emprunt de 75 000 $.

[27]        Ces dernières qui font entièrement confiance à l’intimé, ont déjà par le passé, dans le cadre de leur plan d’investissement, souscrit par l’entremise de ce dernier à des prêts-leviers.

[28]        L’intimé prépare donc les dossiers d’emprunt et obtient l’autorisation de Desjardins d’augmenter de 75 000 $ les marges de crédit de chacune des sœurs B. La date du 21 juillet 2011 est ensuite convenue pour la signature au Carrefour Desjardins des documents nécessaires (prise en garantie de fonds, contrat de crédit… etc.).

[29]        À ladite date, l’intimé va cueillir les sœurs B. à leur résidence ou à la résidence de l’une d’entre elles.

[30]        Avant le départ pour le Carrefour Desjardins, si l’on se fie au témoignage de ces dernières, il leur fait signer en blanc des « lettres de souscription » qu’elles n’ont pas lues ou véritablement lues. Il s’agit de documents par lesquels les sœurs B. souscrivent à des actions du capital-actions de 9248-8543 Québec inc. (8543), une compagnie que l’intimé a constituée la veille, soit le 20 juillet 2011, pour recevoir les investisseurs qui désireraient investir dans Nosfinances mais qui ne se qualifieraient pas en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières.

[31]        Par la suite, l’intimé les conduit au Carrefour Desjardins où tous ensemble ils rencontrent M. Vincent Vigneault (M. Vigneault). En présence de ce dernier et de l’intimé, les sœurs B. signent les documents relatifs aux marges de crédit.

[32]        Les explications données aux sœurs B. ne leur permettent pas de comprendre que les sommes vont être placées dans Nosfinances et/ou 8543. Elles croient ou imaginent que comme dans le passé lors de la souscription de prêts-leviers, les montants empruntés seront placés dans SFL Placement (ou un placement de même nature).

[33]        L.B., selon son témoignage, lui aurait demandé dans quoi elle et ses sœurs « investissent » et l’intimé lui aurait répondu qu’il ne croyait pas que la question lui serait posée à ce moment et il se serait alors engagé à aller les rencontrer peu après, pour leur expliquer la situation.

[34]        D’autre part, à la suite de la signature des documents par les trois (3) sœurs, l’intimé demande à M. Vigneault, qui est le représentant de Carrefour Desjardins, de voir à l’émission de trois (3) traites bancaires de 75 000 $ à l’ordre de 8543. Il « met de la pression » pour que les traites soient émises le plus rapidement possible.

[35]        M. Vigneault les prépare, les signe et les remet à l’intimé à la fin de la journée.

[36]        Le lendemain, M. Vigneault réalise qu’il a oublié de faire signer à L., M. et G.B. les bordereaux autorisant les caisses Desjardins à débiter de leurs comptes 75 000 $ pour l’émission des traites bancaires.

[37]        Il contacte alors l’intimé et l’informe de la situation. Ce dernier lui indique de se rendre chez M.B. Rendu chez M.B., il fait signer les bordereaux à L. et M.B., le tout en présence de l’intimé qui s’y est également rendu.

[38]        Par ailleurs, puisque G.B. est retournée à Joliette où elle demeure, l’intimé indique à M. Vigneault qu’il va contacter cette dernière pour lui demander de se rendre à sa caisse Desjardins pour signer le bordereau. M. Vigneault, quant à lui, contacte un représentant de ladite caisse Desjardins pour lui demander de préparer le bordereau et de le faire signer par G.B., puis de le lui retourner.

[39]        Les bordereaux nécessaires à l’émission des traites bancaires sont ainsi signés le lendemain.

[40]        En résumé, selon la preuve présentée au comité, le 21 juillet 2011 l’intimé fait signer à ses clientes, les sœurs B., des documents de souscription à des actions dans la compagnie à numéro (8543) de façon à leur permettre d’investir dans Nosfinances.

[41]        Bien que l’intimé soutienne que ces dernières auraient consenti à investir dans Nosfinances, la prépondérance de la preuve est à l’effet contraire.

[42]        À ladite date les sœurs B. ne sont pas prêtes à investir dans Nosfinances.

[43]        L’intimé leur fait signer des documents de souscriptions incomplets ou en blanc. Le montant investi par chacune (75 000 $) n’y est pas indiqué. Les sœurs B. ne bénéficient d’aucun repaire quant au montant qu’elles investissent et surtout ne savent pas qu’elles investissent 75 000 $ dans l’entreprise de l’intimé.

[44]        Les sœurs B. ont en effet toutes trois (3) témoigné qu’elles ignoraient qu’elles investissaient 75 000 $ dans l’entreprise de l’intimé lorsqu’elles ont signé les formulaires de souscription.

[45]        L’intimé profite de la connaissance qu’il a de leur situation financière pour satisfaire ses besoins de financement.

[46]        Il est vrai que les clientes, malgré les événements susmentionnés, et maintenant devant un fait accompli, ont toutes trois manifesté à l’audition qu’elles désiraient « poursuivre » leur investissement dans Nosfinances. Leur réaction manifeste bien le danger que courent les clients quand ils ont une relation sans distance émotive avec leur représentant. Mais quoi qu’il en soit, ceci n’est d’aucune importance lorsqu’il s’agit de décider du sort des chefs d’accusation 2, 3 et 4.

[47]        En suggérant à ses clientes et en obtenant qu’elles investissent (malgré elles) dans son entreprise, l’intimé s’est placé dans une situation où ses devoirs envers ces dernières et ses intérêts personnels étaient en opposition.

[48]        Ajoutons que l’empressement que l’intimé a eu à ouvrir un compte bancaire au nom de 8543 pour ensuite y déposer les traites bancaires des trois (3) sœurs B. apparaît avoir été justifié exclusivement par ses propres intérêts (l’achat d’un bateau, son départ en vacances, …etc.) plutôt que par le besoin de bien servir ses trois (3) clientes.

[49]        Ses fautes relèvent d’une conduite professionnelle déficiente au plan du jugement, de la loyauté et de l’indépendance.

[50]        L’intimé sera reconnu coupable sous chacun des chefs 2, 3 et 4.

Chefs d’accusation 5 et 6

[51]        Ces chefs reprochent à l’intimé de s’être approprié une somme de 75 000 $ (chef 5) puis une somme de 145 000 $ (chef 6) que lui avaient confiées ses clientes M.B., L.B. et G.B. et/ou d’avoir utilisé lesdites sommes à des fins autres que celle pour laquelle elles lui avaient été remises.

[52]        Or, la preuve présentée à l’égard de ces deux (2) chefs a démontré ce qui suit : le 22 juillet 2011, l’intimé, en possession des trois (3) traites bancaires de 75 000 $ émises à l’ordre de 8543, se rend à la Caisse Populaire Hochelaga-Maisonneuve pour ouvrir un compte bancaire au nom de ladite compagnie (qui a été constituée tel que nous l’avons vu précédemment la veille ou l’avant-veille).

[53]        L’intimé veut y déposer les trois (3) traites de 75 000 $ à l’ordre de la société 8543 provenant des prêts-leviers souscrits par les sœurs B. et insiste alors pour que le dépôt soit effectué le jour-même.

[54]        Par la suite, une fois les sommes déposées dans le compte bancaire de 8543, il transfère un montant de 75 000 $ de ce compte et provenant des sœurs B. à son compte bancaire personnel auprès de la Caisse Desjardins du Grand-Coteau à Sainte-Julie où il s’est rendu.

[55]        Il presse alors la préposée pour qu’elle s’assure que le transfert soit rapidement effectué en lui indiquant « que c’est son argent » et « qu’il va manquer son avion » si la transaction n’est pas faite immédiatement. (Il répétera ce même mensonge aux enquêteurs de Desjardins).

[56]        Une fois la somme de 75 000 $ transférée à son compte bancaire personnel, il se rend au casino de Montréal et essaie dans un premier temps de retirer 50 000 $ dudit compte mais cela ne fonctionne pas car la transaction dépasse de 2 $ sa limite de crédit (à cause des frais reliés à l’utilisation de sa carte).

[57]        Il refait une demande pour retirer 40 000 $ et il réussit.

[58]        La preuve révèle que l’intimé a un besoin urgent de fonds parce qu’il veut prendre possession d’un bateau dont il a fait l’acquisition le ou vers le 15 juillet 2011.

[59]        En l’absence du dépôt à son compte personnel de la somme susmentionnée de 75 000 $, il lui aurait été impossible de procéder au retrait d’une somme de 40 000 $ dudit compte parce que celui-ci n’aurait pas comporté les sommes nécessaires.

[60]        De nouveau, le 25 juillet 2011, l’intimé transfère 145 000 $ du compte au nom de la compagnie à numéro (8543) (voir P-24 et P-25), vers son compte personnel à la Caisse Desjardins de Sainte-Julie.

[61]        Le 26 juillet 2011, il retire 5 000 $ de son compte personnel au casino de Montréal.

[62]        Le 27 juillet 2011, Desjardins « gèle » les comptes bancaires de l’intimé, de 8543 ainsi que de la société Nosfinances. Le même jour l’intimé tente de retirer 49 000 $ de son compte bancaire personnel mais il n’y parvient pas.

[63]        En résumé, il ressort de la preuve présentée au comité que le ou vers le 22 juillet 2011, l’intimé, après avoir obtenu dans les circonstances précédemment mentionnées l’émission de traites au nom de 8543 puis déposées celles-ci au compte de la compagnie, a transféré dudit compte à son compte personnel une somme de 75 000 $ que lui avaient confiée L., G. et M.B. et a utilisé ladite somme à des fins autres que celles pour lesquelles elle lui avait été remise.

[64]        Enfin, en procédant le ou vers le 25 juillet 2011 au transfert d’une somme de 145 000 $ à son compte personnel, l’intimé a de la même façon utilisé ladite somme à des fins autres que celles pour lesquelles elle lui avait été confiée.

[65]        L’intimé a employé les montants que lui avaient confiés les sœurs B. pour fins de placement, à des fins autres et personnelles, notamment pour l’achat d’un bateau sans donner à ses clientes quelqu’explications. L’achat d’un bateau n’était certes pas pour répondre aux besoins de son entreprise et les clientes n’avaient certes pas compris que l’argent qu’elles versaient devait servir à permettre à l’intimé de se rembourser de dépenses qu’il avait faites pour son entreprise dans les années antérieures.

[66]        Quant à l’excuse que donne l’intimé à l’effet qu’il a contacté un avocat et qu’il aurait été indirectement induit en erreur par ce dernier, elle est non pertinente.

[67]        Ce dernier ne pouvait ignorer que lorsqu’un représentant fait emprunter des sommes d’argent à ses clients et que celles-ci sont utilisées ensuite à des fins autres que celles auxquelles elles étaient destinées, il commet une faute déontologique.

[68]        L’intimé sera déclaré coupable sous ces chefs.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

DÉCLARE l’intimé coupable de chacun des six (6) chefs d’accusation contenus à la plainte;

CONVOQUE les parties avec l’aide de la secrétaire du comité de discipline à une audition sur sanction.

 

 

 

 

 

(s) François Folot   ___________________

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

(s) Benoit Bergeron___________________

M. BENOÎT BERGERON, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(s) Alain Côté_______________________

M. ALAIN CÔTÉ, A.V.C., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Mathieu Cardinal

BÉLANGER LONGTIN

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Claude Lemay

Procureur de la partie intimée

 

Dates d’audience :

17,18 et 19 octobre 2011

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 


 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-0884

 

DATE :

17 janvier 2013

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me François Folot

Président

M. Benoit Bergeron, A.V.A., Pl. Fin.

Membre

M. Alain Côté, A.V.C., Pl. Fin.

Membre

______________________________________________________________________

 

NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique-adjointe de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

DANIEL L’HEUREUX, conseiller en sécurité financière, planificateur financier et représentant en épargne collective (numéro de certificat 121842 et numéro BDNI 2016111)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

[1]           À la suite de sa décision sur culpabilité, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière s'est réuni le 22 août 2012 au siège social de la Chambre sis au 300, rue Léo-Pariseau, bureau 2600, Montréal, et a procédé à l'audition sur sanction.

[2]           Au terme de celle-ci, l’intimé a obtenu l’autorisation de soumettre au comité des notes et autorités additionnelles. Elles sont parvenues au comité le 10 septembre 2012 alors que la réplique de la plaignante lui est parvenue le 24 septembre 2012, date de la prise en délibéré.

LA PREUVE

[3]           D’entrée de jeu, les parties avisèrent le comité qu’elles n’entendaient verser aucune preuve additionnelle au dossier.

[4]           Elles lui soumirent ensuite leurs représentations respectives.

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[5]           Le procureur de la plaignante, après un bref résumé du contexte factuel rattaché aux infractions, débuta en indiquant que ses instructions étaient de recommander au comité d’ordonner la radiation permanente de l’intimé sous tous et chacun des chefs d’accusation pour lesquels il a été reconnu coupable.

[6]           Il poursuivit en mentionnant que les circonstances entourant les infractions étaient « particulières ».  Les consommatrices en cause, qui ne possédaient que des connaissances « de base » en matière de placement, mais qui disposaient de fonds importants, avaient établi avec l’intimé une relation professionnelle qui s’était muée en relation d’amitié. Il indiqua que ce dernier avait ensuite profité du lien de confiance qui s’était bâti pour les « tromper » et abuser d’elles.

Chef d’accusation 1

[7]           Relativement à ce chef d’accusation, il rappela que l’intimé avait, au printemps 2011, éprouvé des problèmes financiers, ce qui l’avait amené à emprunter, en avril de la même année, 40 000 $ à sa cliente L.B.

[8]           Il concéda qu’il avait par la suite, en juin 2011, remboursé la somme empruntée, mais souligna que « la raison pour laquelle il avait pu procéder audit remboursement » est que le jour précédant ou peu avant il s’était fait remettre par un autre de ses clients, J.F.B., un chèque de 150 000 $ à titre d’investissement dans Nosfinances.com (Nosfinances).

[9]           Il résuma la situation en déclarant que J.F.B. était « un autre client qui avait cru que l’argent remis à l’intimé allait être investi dans la compagnie Nosfinances » alors que dans les faits une somme de 40 000 $ devant servir audit investissement avait été « détournée » ou divertie aux fins de rembourser l’emprunt personnel contracté auprès de L.B.

Chefs d’accusation 2, 3 et 4

[10]        Commentant ensuite les événements rattachés aux chefs 2, 3 et 4, il rappela que l’intimé avait d’abord essuyé un refus des sœurs B. qui, avant d’y investir, « voulaient attendre » que l’entreprise Nosfinances soit lancée (le lancement était prévu pour le 12 octobre 2011), ajoutant que ce dernier avait néanmoins « trouvé le moyen de les faire investir » sans leur consentement et à leur insu dans l’entreprise.

[11]        Il signala que « l’idée » qu’avait eue l’intimé de solliciter les sœurs B. pour financer son entreprise lui était en toute vraisemblance, à son avis, « venue de la connaissance qu’il avait qu’elles venaient d’hériter de leur mère ». Les sommes provenant de l’héritage de cette dernière ayant été investies auprès du groupe Desjardins, déclara-t-il, « il devenait possible » « d’augmenter la marge de crédit de chacune des sœurs B. de 75 000 $ ».

[12]        C’est ainsi, poursuivit-il, que les sœurs B. furent « convoquées chez Desjardins » et furent amenées à signer des formulaires de souscription à des actions d’une compagnie à numéro que l’intimé avait incorporée les jours précédents.

[13]        Il rappela qu’interrogé par l’une des sœurs B. au bureau de Desjardins sur l’objet des investissements qu’elles effectuaient, l’intimé s’était contenté en quelque sorte de répondre : « Je vous expliquerai plus tard après mes vacances ».

Chefs d’accusation 5 et 6

[14]        Enfin, relativement aux chefs d’accusation 5 et 6, il rappela que l’intimé, à partir de la somme de 225 000 $ provenant des prêts-leviers souscrits par les sœurs B., avait d’abord transféré une somme de 75 000 $ dans son compte personnel. Il ajouta que pour induire une employée de l’institution financière à agir hâtivement, il avait faussement déclaré qu’il devait prendre un avion dans l’heure.

[15]        Il signala que dès le dépôt effectué dans son compte personnel, l’intimé s’était empressé de se rendre au casino pour avoir accès à de l’argent comptant et qu’il avait alors retiré une somme de 40 000 $. Il évoqua que la raison de son empressement « c’est qu’il en avait un besoin impératif pour prendre possession d’un bateau pour ses vacances ».

[16]        Il indiqua que l’intimé avait ensuite transféré dans son compte personnel un montant additionnel de 145 000 $ provenant de la somme de 150 000 $ demeurée dans le compte de Nosfinances.

[17]        Il ajouta que le lendemain ou peu après, l’intimé était retourné au casino et y avait effectué un retrait de 5 000 $, ce qui avait incité Desjardins à « geler » l’ensemble des comptes contrôlés par ce dernier, et ce, « juste à temps » pour éviter qu’il ne parvienne à retirer une somme additionnelle de 49 900 $.

[18]        Il rappela enfin que l’intimé avait obtenu et pris possession d’une traite bancaire de 250 000 $ émise par Desjardins au bénéfice de N. B., la quatrième des sœurs B.[2], que Desjardins avait requis le retour de ladite traite, mais que ce n’était qu’avec beaucoup de réticences et après l’intervention d’un supérieur qu’il avait finalement consenti à la remettre aux enquêteurs de l’institution financière.

[19]        Le procureur de la plaignante souleva ensuite les facteurs atténuants et aggravants suivants :

Facteurs atténuants :

-           l’absence d’antécédents disciplinaires de l’intimé;

-           le maintien, malgré les événements et les circonstances, d’une relation de confiance avec les clientes en cause, les sœurs B., ces dernières ayant déclaré, devant le fait accompli, qu’elles étaient maintenant disposées à conserver un investissement dans Nosfinances;

Facteurs aggravants :

-           la gravité objective des infractions reprochées à l’intimé : soit notamment de s’être placé en situation de conflit d’intérêts et de s’être approprié des fonds de ses clientes, lesdites infractions étant parmi les plus sérieuses qui puissent être reprochées à un représentant;

-           le caractère prémédité de ses fautes, l’intimé ayant organisé de façon « calculée » la rencontre entre les sœurs B. et Desjardins, après avoir préalablement incorporé une compagnie à numéro et procédé à l’ouverture d’un compte bancaire aux fins d’y recevoir les traites émises au bénéfice de ces dernières;

-           la vulnérabilité des consommatrices en cause, les sœurs B. étant des personnes « avec beaucoup d’argent et peu de connaissances en matière de placement » donc plus susceptibles d’être victimes de « conduites dérogatoires »;

-           des gestes et comportements dictés strictement par son intérêt personnel;

-           la vente ou la distribution d’actions ou de produits financiers à l’extérieur de son champ de compétence;

-           la recherche et l’obtention de signatures en blanc des clientes sur des documents importants;

-           une conduite caractérisée par l’utilisation de « beaucoup de pression » sur les intervenants, l’intimé présentant à ses clientes pour signature des documents incomplets qu’elles n’ont pas le temps ou le loisir de lire;

-           une situation où l’intimé profite de l’inexpérience d’un commis chez Desjardins afin d’obtenir l’émission de traites bancaires au nom de la compagnie à numéro qu’il vient d’incorporer;

-           ses « mensonges » à la préposée de la Caisse Desjardins afin de convaincre celle-ci d’infléchir les règles ou les délais lors de transfert d’argent ou de fonds;

-           l’expérience de l’intimé qui selon ce qu’il déclare est actif dans le domaine « des assurances » depuis 1978, ce qui aurait dû le mettre à l’abri de la commission des fautes qui lui sont reprochées. (Il ajoute qu’il lui paraît troublant qu’une personne d’une telle expérience puisse déclarer qu’elle ne savait pas que sa conduite dérogeait aux règles déontologiques de la profession.);

-           un risque important à son avis de récidive, notamment à cause de la difficulté apparente de l’intimé à saisir la gravité objective des fautes qu’il a commises, convaincu d’avoir simplement commis une ou des erreurs techniques de peu d’importance et sans véritable conséquence; il souligne à cet effet l’affirmation répétée par ce dernier à l’effet qu’il lui était permis de transférer du compte de la compagnie numérique en cause à son compte personnel les sommes qui s’y trouvaient « parce qu’il pouvait faire ce qu’il voulait étant donné que c’était son argent »;

-           l’absence ou le peu de regrets exprimés par l’intimé à l’égard des conséquences de ses actes, notamment pour les clientes en cause, les sœurs B.;

-           une conduite empreinte de mépris à l’égard des enquêteurs de Desjardins et son refus au départ de retourner la traite bancaire de 250 000 $ qu’ils lui réclamaient;

-           son absence de collaboration avec l’enquêteur de la Chambre, notamment son défaut de retourner les appels de ce dernier dans les jours précédant le dépôt de la requête en radiation provisoire;

-           l’absence de réelles indications de sa part voulant qu’il ait entrepris des démarches pour modifier ses comportements et/ou afin de corriger de possibles problèmes de jeu compulsif.

[20]        Il poursuivit en affirmant que compte tenu de la conduite antérieure de l’intimé et de ce qui précède, tout le portait à croire que ce dernier « serait en mesure de répéter les comportements » qui l’ont mené devant le comité de discipline.

[21]        Il plaida que la radiation permanente de l’intimé serait à son avis la sanction la plus susceptible de rencontrer les impératifs d’exemplarité et d’assurer la protection du public.

[22]        Il déposa ensuite, à l’appui de sa recommandation, un cahier d’autorités qu’il commenta.

[23]        Il termina en ajoutant qu’il réclamait de plus la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés et, dans l’éventualité où le comité ne devait pas se rendre à sa demande pour l’imposition d’une radiation permanente mais choisissait plutôt d’imposer des radiations temporaires, la publication de la décision.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[24]        Le procureur de l’intimé débuta ses représentations en indiquant au comité qu’en l’espèce, l’imposition d’une radiation temporaire (sans en préciser la durée) serait à son avis une sanction suffisante et appropriée.

[25]        Il souligna que son client n’avait fait l’objet d’aucune plainte disciplinaire antérieure (depuis 1978) et rappela que malgré les actes qui lui étaient reprochés, les sœurs B. n’avaient formulé aucune accusation ou demande d’enquête à son endroit.

[26]        Il ajouta que ces dernières, qui « n’avaient rien perdu », étaient toujours disposées à transiger avec lui, tel qu’elles l’avaient déclaré lors de l’audition au fond.

[27]        Il affirma qu’elles avaient témoigné avoir obtenu antérieurement d’excellents rendements en se conformant à ses conseils, qu’elles avaient « fait plusieurs centaines de milliers de dollars en suivant ceux-ci », ce qui était possiblement leur justification de « vouloir comme clientes, demeurer » avec lui.

[28]        Il déclara ensuite que tous les entrepreneurs débutent dans des conditions difficiles et que c’était donc dans le « caractère ou le tempérament » de ces derniers de « bousculer » un peu les choses. Il indiqua que Nosfinances était un projet commercial sérieux, d’envergure, qui visait la mise sur pied d’un site d’informations financières, qu’environ vingt-cinq (25) personnes y étaient impliquées et que l’intimé s’y était adjoint des partenaires professionnels de grande réputation dont l’ancien président d’une institution financière québécoise d’envergure.

[29]        Il rappela que les sœurs B. avaient déclaré qu’elles étaient disposées à investir dans ledit projet, qu’elles faisaient confiance à l’intimé, et qu’elles étaient d’accord pour que les sommes « diverties » par ce dernier demeurent à titre d’investissement en leur nom dans l’entreprise. Il ajouta que lesdites sommes ne représentaient qu’une faible part de l’ensemble de leur portefeuille d’investissements.

[30]        Il mentionna que pour la préparation de la « documentation de souscription », l’intimé s’était fié à un avocat associé d’un grand bureau de Montréal ajoutant que ce dernier ne l’avait, en toute vraisemblance pas adéquatement ou suffisamment conseillé.

[31]        Il déclara que les sœurs B. « n’allaient subir aucune perte financière », son client s’engageant à « transférer » au compte d’Investissements Nosfinances les sommes de 40 000 $ et de 5 000 $ dont il s’était emparé, et ce, dès que les ordonnances de blocage de ses comptes bancaires seraient levées.

[32]        Il souligna enfin que, pour les mêmes événements, l’intimé avait fait l’objet d’accusations pénales déposées par l’AMF qui lui réclamait, à titre d’amendes, plus de 100 000 $, « ce qui constituait une peine très significative et devrait plaider en faveur d’une sanction légère en matière de déontologie ».

[33]        Il commenta ensuite à son tour les événements liés aux différents chefs d’accusation.

Chef d’accusation numéro 1

[34]        Relativement au premier chef d’accusation, il signala le faible montant à son avis de l’emprunt (40 000 $) lorsque celui-ci est comparé, déclara-t-il, aux « profits » qu’ont générés pour la cliente les conseils antérieurs de l’intimé.

[35]        Il mentionna que l’intimé, qui a été radié provisoirement le 17 août 2011, en était maintenant à plus d’une année de radiation, que la mauvaise publicité dont il a été l’objet lui a causé d’énormes dommages et qu’il avait déjà ainsi subi une lourde sanction pour les fautes qu’il a commises.

[36]        Analysant ensuite les décisions produites par la plaignante au soutien de sa recommandation sous ce chef, il souligna que dans la plupart des cas cités, sinon dans tous les cas, les consommateurs avaient subi des pertes financières importantes, les représentants ayant fait défaut de les rembourser.

Chefs d’accusation 2, 3 et 4

[37]        Relativement aux chefs d’accusation 2, 3 et 4, le procureur de l’intimé rappela que ces chefs étaient rattachés à la souscription par L.B., M.B. et G.B. d’actions dans les Investissements Nosfinances.

[38]        Il signala ensuite que l’intimé avait consulté un avocat d’expérience exerçant dans un grand cabinet afin d’obtenir des conseils sur la structuration financière de son entreprise mais que malheureusement celui-ci avait fait défaut de l’aviser notamment en regard de la situation dans laquelle il se plaçait en suggérant à ses clientes un placement dans une entreprise qui lui appartenait ou qu’il dirigeait.

Chefs d’accusation 5 et 6

[39]        Relativement aux chefs d’accusation 5 et 6, le procureur de l’intimé indiqua d’abord que lesdits chefs référaient au transfert par ce dernier dans son compte personnel plutôt que dans le compte de Nosfinances des sommes provenant des sœurs B.

[40]        Il évoqua que l’intimé n’avait pas alors été motivé par un désir de frauder mais plutôt par un empressement, malheureusement injustifié, concéda-t-il, d’agir.

[41]        Il indiqua que l’intimé en tant qu’entrepreneur « voulait que les choses fonctionnent », affirmant que si l’intimé avait été plus « calme et moins pressé », et s’il avait été bien conseillé, il n’aurait pas commis les fautes qui lui sont reprochées.

[42]        Il mentionna que les sœurs B., à son avis, savaient qu’elles investissaient dans le projet de l’intimé bien qu’elles n’avaient vraisemblablement pas parfaitement compris la situation.

[43]        Il déclara que l’intimé, tel que mentionné précédemment, s’engageait à rembourser la somme de 45 000 $ dont il s’est approprié, et ce, dès que ses comptes bancaires seraient « débloqués ».

[44]        Il ajouta que l’intimé était actuellement en négociation avec l’AMF aux fins de « régler » les constats d’infraction qui ont été déposés contre lui pour les mêmes faits.

[45]        Selon ses propos, la discussion « tournait » autour du paiement par l’intimé d’une amende de plus ou moins 100 000 $. Un règlement du dossier pénal amènerait le « dégel » des comptes de l’intimé, ce qui lui permettrait de rembourser le 45 000 $ en cause.

[46]        Relativement au risque de récidive, il résuma la situation en indiquant qu’à la suite des événements l’intimé avait vécu une période fort difficile, que sa réputation avait été atteinte, qu’il avait subi une perte de revenus de l’ordre de 250 000 $ uniquement pendant la dernière année, qu’il avait eu sa leçon et qu’il n’y avait donc à son avis aucun réel risque qu’il récidive.

[47]        Il rappela l’absence d’antécédents disciplinaires de l’intimé et indiqua que ce dernier avait l’intention de reprendre l’exercice de la profession un jour.

[48]        Il termina en réclamant du comité « une certaine compréhension » ajoutant que l’intimé avait déjà beaucoup souffert et comprenait qu’il avait mal agi.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[49]        L’intimé exerce dans le domaine de la distribution de produits d’assurance et/ou financiers depuis 1978.

[50]        Il n’a aucun antécédent disciplinaire.

[51]        Il s’est engagé à rembourser la somme de 45 000 $ qu’il a utilisée à des fins personnelles, et ce, dès que ses comptes bancaires seraient « débloqués ».

[52]        Ses clientes, les sœurs B., ont laissé entendre qu’elles seraient disposées à continuer de faire affaire avec lui. Il semble être parvenu à maintenir une relation de confiance avec ces dernières[3].

[53]        Comme conséquence de ses gestes fautifs, il a été radié provisoirement par notre comité le 4 août 2011. Il n’exerce plus depuis cette date, ce qui lui aurait occasionné, selon son témoignage, une perte de revenus substantielle, de l’ordre de 250 000 $.

[54]        Ses agissements ont fait l’objet de commentaires dans certains journaux d’affaires, ce qui lui a valu, pour dire le moins, « une publicité peu enviable ».

[55]        Pour les mêmes manquements que ceux qui lui sont reprochés à la présente plainte, il fait l’objet d’accusations pénales dont il n’a pas encore été disposé et est ainsi exposé au paiement d’amendes substantielles.

[56]        Il ne fait donc aucun doute que tant professionnellement que personnellement, il a souffert des événements.

[57]        La gravité objective des infractions pour lesquelles il a été reconnu coupable est toutefois indéniable.

[58]        Elles vont au cœur de l’exercice de la profession, sont de nature à la discréditer et à miner la confiance du public à son endroit.

Chef d’accusation 1

[59]        L’intimé a été reconnu coupable sous ce chef d’avoir emprunté de sa cliente une somme de 40 000 $[4] et de s’être ainsi placé en situation de conflit d’intérêts.

[60]        Il a profité du lien de confiance établi avec cette dernière pour l’induire à lui consentir un prêt personnel.

[61]        En agissant de la sorte, l’intimé a fait défaut de sauvegarder son indépendance et s’est placé dans une situation où ses devoirs envers sa cliente et ses intérêts propres étaient ou risquaient d’être en opposition.

[62]        L’infraction, et plus particulièrement dans le contexte émanant de la preuve, est un accroc sérieux aux règles déontologiques de la profession.

[63]        La plaignante a réclamé sous ce chef la radiation permanente de l’intimé.

[64]        Mais, bien que cette dernière, vraisemblablement à cause du contexte factuel global, ait suggéré l’imposition sous ce chef de la même sanction (la radiation permanente) que celle qu’elle a suggérée à l’égard des chefs subséquents, le comité est d’avis que l’imposition d’une telle sanction serait hors de proportion avec l’infraction particulière reprochée.

[65]        Dans des circonstances et pour des infractions relativement de même nature, le comité doit tendre à éviter un écart trop prononcé entre les sanctions qu’il impose.

[66]        Aussi, considérant ce qui précède, après analyse tant des facteurs objectifs que des facteurs subjectifs qui lui ont été présentés et après considération du contexte global et des particularités propres au dossier, le comité est d’avis que la condamnation de l’intimé sous ce chef à une radiation temporaire de un (1) an, à être purgée de façon concurrente, serait une sanction juste et appropriée, adaptée à l’infraction et respectueuse des principes d’exemplarité et de dissuasion dont il doit tenir compte.

Chefs d’accusation 2, 3 et 4

[67]        L’intimé a été reconnu coupable à ces chefs de s’être placé en situation de conflit d’intérêts en faisant investir ses clientes, L.B., G.B. et M.B. 75 000 $, chacune dans une société qu’il contrôlait.

[68]        Il s’agit d’infractions dont la gravité objective est indiscutable.

[69]        La préservation de la confiance du public envers la profession tient à la garantie que lorsqu’il guide ses clients dans leurs placements, le représentant est à l’abri de tout intérêt susceptible d’altérer ses conseils.

[70]        Mais en l’espèce il y a plus. Non seulement l’intimé s’est-il placé en situation de conflit d’intérêts, il a agi à l’encontre de la volonté de ses clientes, sans leur consentement et à leur insu.

[71]        Tel que le comité l’a déclaré à la décision sur culpabilité[5], « les explications données aux sœurs B. ne leur permettent pas de comprendre que les sommes vont être placées dans Nosfinances et/ou 8543. Elles croient ou imaginent que comme par le passé lors de la souscription de prêts-leviers, les montants qu’elles empruntent seront placés dans SFL Placement (ou un placement de même nature). »

[72]        Au paragraphe 43 de sa décision, le comité écrit :

« [43] L’intimé leur fait signer des documents de souscriptions incomplets ou en blanc. Le montant investi par chacune (75 000 $) n’y est pas indiqué. Les sœurs B. ne bénéficient d’aucun repaire quant au montant qu’elles investissent et surtout ne savent pas qu’elles investissent 75 000 $ dans l’entreprise de l’intimé. »

[73]        L’intimé profite de la connaissance qu’il a de la situation financière de ses clientes pour satisfaire ses besoins personnels.

[74]        Les agissements de l’intimé constituent des manquements importants au devoir du représentant d’agir en tout temps avec loyauté et probité.

[75]        Les infractions reprochées à l’intimé à ces chefs sont le premier acte d’un scénario global menant aux infractions qui lui sont reprochées aux chefs 5 et 6. Il convainc les sœurs B. d’emprunter afin d’ensuite toucher lesdites sommes et les utiliser à ses fins personnelles.

[76]        Compte tenu de cette situation de connexité, du devoir du comité dans l’établissement de la sanction appropriée, de prendre en considération le contexte particulier des infractions, le comité est d’avis d’imposer à l’intimé sous ces chefs la même sanction que celle qu’il lui imposera sous les chefs 5 et 6.

[77]        En raison de ce qui précède, après analyse tant des facteurs objectifs que subjectifs qui lui ont été présentés, après considération du contexte global et des particularités propres à ce dossier, le comité est d’avis que la condamnation de l’intimé à une radiation temporaire de dix (10) ans sous chacun de ces chefs, à être purgée de façon concurrente, serait une sanction juste, appropriée, adaptée aux infractions et respectueuse des principes d’exemplarité et de dissuasion dont il doit être tenu compte.

[78]        L’intimé sera donc condamné sous chacun de ces chefs à une radiation temporaire de dix (10) ans à être purgée de façon concurrente.

Chefs d’accusation 5 et 6

[79]        L’intimé a été reconnu coupable à ces chefs, aux dates y mentionnées, de s’être approprié et/ou d’avoir utilisé à des fins autres que celles pour lesquelles elles lui avaient été remises, les sommes de 75 000 $ et de 145 000 $ que lui avaient confiées ses clientes, les soeurs L.B., G.B. et M.B.

[80]        Tel que le comité l’a mentionné au paragraphe 65 de sa décision sur culpabilité, « l’intimé a employé les montants que lui avaient confiés les sœurs B. pour fins de placement, à des fins autres et personnelles, notamment pour l’achat d’un bateau sans donner à ses clientes quelqu’explications » alors que « l’achat d’un bateau n’était certes pas pour répondre aux besoins de son entreprise » et alors que les clientes n’avaient certes pas compris que l’argent qu’elles versaient devait servir à lui permettre « de se rembourser de dépenses qu’il avait faites pour son entreprise dans les années antérieures. »

[81]        La gravité objective des infractions reprochées à l’intimé sous les chefs d’accusation 5 et 6 ne fait aucun doute.

[82]        Tel que l’a souligné le procureur de la plaignante, l’intimé a profité du lien de confiance qu’il avait établi avec les sœurs B. pour « les tromper et abuser d’elles ».

[83]        La plaignante a réclamé sous ces chefs la radiation permanente de l’intimé. Elle a cité à l’appui de ses recommandations certaines décisions du comité. Or, même si les infractions commises par l’intimé sont extrêmement sérieuses, le cas de ce dernier se distingue des cas cités par la plaignante[6].

[84]        En effet, si la sanction disciplinaire doit permettre de dissuader les représentants d’adopter des comportements dérogatoires et protéger le public, elle ne doit pas servir à « punir » les professionnels.

[85]        Dans l’affaire Bouchard c. Notaires[7], le Tribunal des professions conclut, sans le dire spécifiquement, qu’il y a des degrés de faute dans l’appropriation ou l’utilisation à des fins autres de fonds appartenant à des clients.

[86]        Le Tribunal y indique : « Parce que l’infraction consistant à s’approprier des deniers ou à détourner des fonds doit être interprétée de façon large et libérale, il est d‘autant plus important pour le comité de considérer au moment de l’imposition de la sanction la responsabilité et le degré de faute du contrevenant. »

[87]        En l’espèce, l’intimé a d’abord obtenu des sœurs B., à la suite de recommandations de sa part, qu’elles contractent chacune un emprunt de 75 000 $ auprès de Desjardins. Il a ensuite employé, comme l’indiquait le comité à la décision sur culpabilité « les sommes que lui avaient confiées les sœurs B. pour fins de placement à des fins autres et personnelles », et ce, au détriment de ses clientes.

[88]        En agissant de la sorte, l’intimé a clairement contrevenu à son devoir d’agir avec loyauté et probité.

[89]        La preuve présentée au comité a de plus laissé entrevoir une absence d’hésitation chez l’intimé à recourir, lorsque nécessaire à ses fins, à la duperie et/ou aux mensonges.

[90]        Aussi, compte tenu de ce qui précède et après avoir soupesé l’ensemble des facteurs tant atténuants qu’aggravants, objectifs et subjectifs, qui lui ont été présentés et après s’être appliqué à bien apprécier les circonstances particulières de l’affaire, le comité est d’avis que la condamnation de l’intimé à une radiation temporaire de dix (10) ans sous chacun de ces chefs, à être purgée de façon concurrente, serait en l’espèce une sanction juste et appropriée, adaptée à l’infraction ainsi que respectueuse des principes d’exemplarité, de dissuasion et de protection du public dont il doit être tenu compte.

[91]        En terminant, le comité croit devoir souligner que dans l’imposition des sanctions précitées, il a pris en considération que l’intimé a été, depuis le 17 août 2011, moment où il a été radié provisoirement de la profession, privé de son droit d’exercice.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

Sous le chef 1 :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de un (1) an;

Sous chacun des chefs 2, 3 et 4 :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de dix (10) ans;

Sous chacun des chefs 5 et 6 :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période de dix (10) ans;

ORDONNE que toutes les sanctions de radiation soient purgées de façon concurrente;

ORDONNE à la secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l’intimé un avis de la présente décision dans un journal où l’intimé a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément à l’article 156(5) du Code des professions, L.R.Q. chap. C-26;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés y compris les frais d’enregistrement conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions, L.R.Q. chap. C-26.

 

 

 

 

 

(s) François Folot____________________

Me FRANÇOIS FOLOT

Président du comité de discipline

 

(s) Benoit Bergeron___________________

M. BENOÎT BERGERON, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(s) Alain Côté_______________________

M. ALAIN CÔTÉ, A.V.C. Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Mathieu Cardinal

BÉLANGER LONGTIN, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Claude Lemay

Procureur de la partie intimée

 

Date d’audience :

22 août 2012

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 



[1]     Il y est parvenu en transférant 100 000 $ du compte bancaire de Nosfinances à son compte personnel. L’intimé a utilisé une partie des sommes reçues à titre d’investissement pour un client dans Nosfinances pour rembourser L.B. (J.F.B. venait en effet de verser une avance de fonds de 150 000 $ à Nosfinances). (Voir pièce P-32).

[2]     (Traite qui aurait été émise, a-t-il déclaré, au nom de Nosfinances si les événements s’étaient déroulés tel que prévu par l’intimé.)

[3]     Tel que le comité l’a indiqué à sa décision sur culpabilité (paragr. 46), la réaction des sœurs B. révèle bien « le danger que courent les clients quand ils ont une relation sans distance émotive avec leur représentant. »

[4]     Tel que l’a indiqué le comité dans sa décision sur culpabilité, il a remboursé celle-ci dans le délai convenu, mais c’est au moyen de sommes qui venaient de lui être remises par un autre client à titre d’investissement dans Nosfinances.

[5]     Au paragr. 32 de ladite décision.

[6]     La plaignante a cité notamment les affaires Thibault c. Forest, CD00-0680, Thibault c. Baril, CD00-0681 et Tribunal-avocats-3 [1988] D.D.C.P. 309 (T.P.)

[7]     Bouchard c. Notaires, D.D.E. 99D-25 (T.P.) p. 8.

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