Chambre de la sécurité financière c. Spensieri COMITÉ DE DISCIPLINE
2025 QCCDCHA 7
CHAMBRE DE L’ASSURANCE
(ANCIENNEMENT CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE) CANADA PROVINCE DE QUÉBEC
N° : CD00-1580 DATE : 1 er octobre 2025
LE COMITÉ :
M e Claude Mageau
Président
SYNDIQUE ADJOINTE DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE Partie plaignante c. NADIA SPENSIERI, (certificat 206550, BDNI 3188761) Partie intimée
MOTIFS ÉCRITS DE LA DÉCISION SUR DEMANDE EN RETRAIT DE LA PLAINTE DISCIPLINAIRE RENDUE SÉANCE TENANTE LE 23 SEPTEMBRE 2025
[1] La plaignante a déposé devant le Comité la plainte disciplinaire datée du 3 juillet 2025 reprochant à Mme Nadia Spensieri (« Mme Spensieri ») l’infraction suivante :
« À Montréal, les ou vers les 8 et 13 septembre 2023, n’a pas agi de manière responsable et compétente en annulant, à quatre (4) reprises, les périodes de retenue sur des chèques déposés au compte de ABC inc.,
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contrevenant ainsi à l’article 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières. »
[2] Mme Spensieri ayant été notifiée de la plainte le 10 juillet 2025, les parties sont convoquées devant le comité à l’appel du rôle provisoire du 26 août 2025.
[3] À l’appel du rôle, le président soumet à la procureure de la plaignante qu’à sa face même, la plainte, telle que formulée, ne semble pas respecter l’article 38 de la Loi modifiant diverses dispositions principalement dans le secteur financier (« la Loi 92 ») et permettre au comité d’entreprendre son audition.
[4] En conséquence, le comité indique aux parties qu’il n’est pas opportun de fixer immédiatement le dossier pour audition tel que le lui avait demandé la procureure de la plaignante.
[5] Cela étant, la procureure de la plaignante indique au président qu’elle souhaite pouvoir discuter avec sa cliente afin d’obtenir ses instructions relativement à cette question de compétence du comité soulevée par le président.
[6] Dans les circonstances, le président, après avoir expliqué la situation à l’intimée qui n’est pas représentée par avocat, fixe une conférence de gestion au 23 septembre 2025 afin d’évaluer le cours prochain du dossier.
[7] Lors de la conférence de gestion du 23 septembre 2025, la procureure de la plaignante informe le président qu’elle a obtenu des instructions de sa cliente quant à la question de compétence soulevée par le président.
[8] À cet effet, elle présente oralement une demande pour permission de retirer la plainte en raison de l’article 38 de la Loi 92 qui ne permettrait pas au comité d’entreprendre l’audition du présent dossier qui reproche à Mme Spensieri une infraction en vertu du Règlement sur la déontologie dans les disciplines des valeurs mobilières.
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[9] Elle ajoute qu’au contraire, selon ledit article cette audition devra, être entreprise devant le tribunal administratif des marchés financiers (« TAMF ») et qu’à cet effet, si sa demande pour permission de retirer la plainte est accueillie par le président, le dossier de Mme Spensieri sera soumis à l’Autorité des marchés financiers (« AMF ») pour qu’il suive son cours conformément à la volonté du législateur.
[10] Enfin, elle informe le président qu'elle a préalablement avisé Mme Spensieri des instructions de sa cliente, ce que Mme Spensieri confirme.
[11] Après avoir bien expliqué à Mme Spensieri le sens de la demande présentée par la procureure de la plaignante, le président accueille, séance tenante la demande, sans frais, tout en ajoutant qu’il formulerait par la suite les motifs écrits de cette décision.
MOTIFS DE LA DÉCISION
[12] La demande en retrait de la plainte étant un moyen préliminaire, le soussigné a donc compétence pour disposer de celle-ci en vertu de l’article 377 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (« LDPSF ») qui prévoit que « le président ou un avocat membre du comité de discipline qu’il désigne, peut entendre seul et décider tout moyen préliminaire 1 ».
LA LOI 92 [13] Le 3 juin 2025, l’Assemblée nationale du Québec a adopté la Loi 92, laquelle est en vigueur depuis le 4 juillet 2025 2 .
[14] La loi 92 prévoit entre autres la fusion de la Chambre de la sécurité financière et la Chambre de l’assurance des dommages au sein d’une nouvelle
1 LDPSF, art. 377 2 Projet de Loi 92 (2025, chapitre 16)
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chambre soit, la Chambre de l’assurance « à laquelle s’applique la partie III de la Loi sur les compagnies (Chapitre C-38) ». 3
[15] Cette loi prévoit aussi que « Les membres du comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière et de la Chambre de l’assurance de dommages en fonction le 3 juillet 2025 deviennent les membres du comité de discipline de la Chambre de l’assurance. Les dispositions des chapitres I et II du titre VI de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (chapitre D-9.2), telles qu’elles se lisent à cette date, s’appliquent à eux jusqu’à la prise de règles analogues par la Chambre de l’assurance. 4 »
[16] Par conséquent, « jusqu’à la prise de règles analogues par la Chambre de l’assurance », le comité est gouverné par les dispositions de la LDPSF comme il l’était avant l’entrée en vigueur de la Loi 92.
[17] Cependant, le législateur établit spécifiquement à l’article 38 que « L’audition d’une plainte devant le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière ou du comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages se poursuit ou est entreprise devant le comité de discipline de la Chambre de l’assurance. Toutefois, à compter du 4 juillet 2025, seule l’audition d’une plainte portant uniquement sur les dispositions du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (chapitre D-9.2, r. 3), du Code de déontologie des experts en sinistre (chapitre D-9.2, r. 4), du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (chapitre D-9.2, r. 5), du Règlement sur la formation 14 continue obligatoire de la Chambre de l’assurance de dommages(chapitre D-9.2, r. 12.1) ou du Règlement sur la formation continue obligatoire de la Chambre de la sécurité financière (chapitre D-9.2, r. 13.1) peut être entreprise devant le comité de discipline de la Chambre de l’assurance. Dans
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les autres cas, l’audition doit être entreprise devant le tribunal administratif des marchés financiers. 5 »
LE RETRAIT D’UNE PLAINTE DISCIPLINAIRE [18] L’arrêt de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Palacios rappelle la juridiction d’un conseil de discipline en matière de retrait de plainte :
« [60] Aucune disposition de la Loi sur la police ne prévoit l’obligation pour le Commissaire de soumettre sa décision de retirer une citation à l’approbation du Comité. De plus, aucune disposition ne donne au Comité le pouvoir d’approuver ou de refuser une demande du Commissaire de retirer une citation déposée selon les articles 178, 185 ou 215 LP.
[61] On remarquera qu’il en est de même en ce qui concerne le régime disciplinaire prévu au Code des professions.
[62] La jurisprudence disciplinaire québécoise est cependant constante à affirmer le pouvoir d’un comité de discipline d’approuver ou de refuser le retrait d’une plainte que celle-ci ait été portée par le syndic ou par un plaignant privé. Tel que déjà indiqué plus haut, il existe également une décision de la Cour supérieure en ce sens.
[63] Le motif principal invoqué au soutien de l’affirmation du droit de regard d’un comité de discipline sur le retrait d’une plainte vient de la nécessité pour le Comité saisi d’une plainte d’assurer la protection de l’intérêt public avant celui de l’intérêt des parties en présence. Pour cette même raison d’intérêt public, ainsi qu’à cause du caractère sui generis du droit disciplinaire, les règles du droit civil en matière de désistement ne sauraient s’appliquer sans distinction au droit disciplinaire. Ainsi, une fois qu’une plainte disciplinaire est déposée, elle appartient au comité de discipline qui doit accepter ou refuser son retrait total ou partiel à la différence des recours civils à l’égard desquels un désistement peut avoir
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effet sans l’intervention du tribunal. Au surplus, selon la Cour supérieure, rien dans la loi ne prévoit qu’un comité de discipline puisse être dessaisi unilatéralement d’une plainte dont il a été saisi conformément aux exigences procédurales applicables. 6 »
[19] Ainsi, une fois déposée devant le comité la plainte disciplinaire devient celle du comité et non plus celle de la plaignante.
[20] Cependant, le comité ne pourrait pas forcer le plaignant à continuer les procédures devant lui en tout temps et sans motif sérieux
7 .
[21] Enfin, le comité a « le devoir d’exercer judiciairement son pouvoir d’autoriser ou de refuser le retrait d’une plainte
8 ».
L’article 38 de la Loi 92 est clair et sans équivoque.
[23] Il exprime expressément la volonté du législateur que le comité ne puisse entreprendre après le 4 juillet 2025 , soit la date de l’entrée en vigueur de cette Loi, les plaintes disciplinaires qui ont pu être portées pour des infractions portées en vertu d’autres lois ou règlements que ceux qui y sont décrits, à savoir : le Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière, Code de déontologie des experts en sinistre, Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, du Règlement sur la formation continue obligatoire de la Chambre de l’assurance de dommages ou du Règlement sur la formation continue obligatoire de la Chambre de la sécurité financière.
[24] Ainsi, à compter du 4 juillet 2025, la compétence du comité est spécifiquement limitée par ledit article 38 de la Loi 92.
6 Palacios c. Comité de déontologie policière, 2007 QCCA 581 7 Tassé c. Chiropraticiens du Québec, 2001 QCTP 74 8 Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Gourdeau, 2016 CanLII 12869 (QC CDOIQ)
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[25] Par conséquent, le comité ne peut, à compter du 4 juillet 2025 « entreprendre », l’audition d’une plainte disciplinaire dont l’infraction reprochée en est une en vertu du Règlement sur la déontologie des valeurs mobilières comme c’est le cas dans le présent dossier.
[26] Au contraire, le législateur a expressément voulu qu’une telle audition soit « entreprise » devant le TAMF.
[27] Devant cette absence claire de compétence, le comité doit accueillir la demande en retrait car entreprendre l’audition de la plainte constituerait un excès de compétence de sa part.
[28] Enfin, une telle décision ne va pas être à l’encontre d’une saine administration de la justice et de la protection du public, car elle ne fait que respecter la volonté clairement exprimée du législateur.
[29] En conséquence, le soussigné accueillera la demande en retrait de la plainte disciplinaire de la plaignante, le tout sans frais.
PAR CES MOTIFS, le comité de discipline : ACCUEILLE la requête pour permission de retrait, sans frais.
(S) M e Claude Mageau M e CLAUDE MAGEAU Président du comité de discipline
M e Marie-Hélène Sylvestre CDNP Avocats Procureure de la partie plaignante
M me Nadia Spensieri Intimée, présente et se représentant seule
Date d’audience et de la décision : 23 septembre 2025 COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ A0042