Chambre de la sécurité financière c. Lemieux COMITÉ DE DISCIPLINE CHAMBRE DE L’ASSURANCE
2025 QCCDCHA 11
(ANCIENNEMENT CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE) CANADA PROVINCE DE QUÉBEC
N° : CD00-1544 DATE : 19 août 2025
LE COMITÉ :
M e Claude Mageau M. Patrick Warda, A.V.C., Pl. Fin. M. Robert Carrier
Président Membre Membre
SYNDIQUE ADJOINTE DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE Partie plaignante c. DENIS LEMIEUX, représentant en assurance contre la maladie et les accidents (numéro de certificat 121131)
Partie intimée
DÉCISION SUR CULPABILITÉ
CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :
Ordonnance de non-divulgation, non-diffusion, et non-publication des noms et prénoms des consommatrices impliquées dans la plainte disciplinaire ainsi que de toutes les informations qui pourraient permettre de les identifier ainsi que celles contenues dans les pièces, étant entendu que la présente ordonnance ne s’applique pas aux
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échanges d’information prévus à la Loi sur l’encadrement du secteur financier et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers.
[1] M. Denis Lemieux (« M. Lemieux ») fait l’objet de la plainte disciplinaire (la « Plainte ») comportant six chefs d’infraction se lisant comme suit :
PLAINTE DISCIPLINAIRE
1.
2.
3.
4.
5.
6.
À Gatineau, vers le 7 février 2019, l’Intimé n’a pas agi avec modération et professionnalisme en faisant souscrire à M.B. le contrat d’assurance portant le numéro N00XXX71 alors qu’elle avait exprimé sa volonté de ne pas souscrire à ce type d’assurance et qu’elle avait préalablement annulé le contrat portant le numéro T34XXXX6 souscrit par l’entremise de l’Intimé, contrevenant ainsi aux articles 6, 8 et 11 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
À Gatineau, vers le 24 janvier 2019, l’Intimé a exercé ses activités de façon négligente en faisant souscrire à D.R., une personne vulnérable, le contrat d’assurance portant le numéro 184-XXXXXXX, et ce, alors qu’elle ne pouvait pas comprendre le produit souscrit, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
À Gatineau, vers le 5 septembre 2019, l’Intimé n’a pas procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de D.R. alors qu’il lui faisait souscrire le contrat d’assurance portant le numéro N00XXXX9, contrevenant ainsi aux articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants.
À Gatineau, vers le 5 septembre 2019, l’Intimé a exercé ses activités de façon négligente en faisant souscrire à D.R, une personne vulnérable, le contrat d’assurance portant le numéro N00XXXX9, et ce, alors qu’elle ne pouvait pas comprendre le produit souscrit, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
À Gatineau, le 5 septembre 2019, l’Intimé a faussement indiqué dans la proposition d’assurance portant le numéro 190XXX, à la section 5, que D.R. ne possédait pas d’autres polices d’assurance invalidité, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
L’Intimé n’a pas correctement rempli les formulaires de préavis de remplacement suivants :
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a.
b.
c.
d.
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À Denholm, vers le 15 juin 2020, alors qu’il faisait souscrire à G.C.M., la proposition d’assurance protection accidentelle portant le numéro 013XX9, laquelle était susceptible d’entraîner la résiliation des contrats d’assurance portant les numéros N00XXX41 et T34XXXX5;
À Duclos, vers le 5 novembre 2020, alors qu’il faisait souscrire à S.G., la proposition d’assurance protection accidentelle portant le numéro 012XXX, laquelle était susceptible d’entraîner la résiliation des contrats d’assurance portant les numéros T34XXXX1 et N00XXXX4;
À Déléage, vers le 8 mars 2021, alors qu’il faisait souscrire à M.B., la proposition d’assurance protection accidentelle portant le numéro 013XX8, laquelle était susceptible d’entraîner la résiliation des contrats d’assurance portant les numéros T30XXXX3 et T30XXXX0;
À Gatineau, vers le 21 septembre 2021, alors qu’il faisait souscrire à D.L., la proposition d’assurance protection accidentelle portant le numéro 3XXX, laquelle était susceptible d’entraîner la résiliation du contrat d’assurance portant le numéro T30XXXX4;
contrevenant ainsi aux articles 22 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants et à l’article 16 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
M. Lemieux plaide non coupable pour chacun des chefs d’infraction.
APERÇU [3] Pendant la période pertinente à la Plainte, M. Lemieux détient un certificat en assurance contre la maladie et les accidents comme représentant autonome et par la suite comme représentant pour le cabinet Les services financiers Pro Acc Inc. 1 .
[4] Sa clientèle est constituée en grande partie de personnes âgées demeurant dans des résidences adaptées.
1
Pièce P-1.
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[5] En avril 2016, il rencontre pour la première fois M.B., alors âgée de 55 ans, autonome, et vivant seule dans un immeuble où M. Lemieux a déjà des clients.
M.B. n’a pas témoigné devant le comité, étant décédée le 22 décembre
[7] Après s’être présenté à sa porte sans rendez-vous, il lui présente alors un produit d’assurance maladie de la compagnie d’assurance Croix Bleue du Québec (« Croix Bleue ») prévoyant des garanties pour décès accidentel, rente hospitalière et perte d’usage accidentelle prévoyant une prime mensuelle de 32,80$ 2 .
[8] M.B. qui est parfois confuse, souscrit à cette assurance la même journée et paie la prime pour celle-ci pendant plus d’un an jusqu’à ce que sa fille, S.B., qui l’assiste pour les questions financières, la convainque d’annuler l’assurance considérant que cette couverture n’est aucunement nécessaire selon elle.
[9] À cet effet, M.B. signe et fait parvenir en mai 2017 une lettre à Croix Bleue préparée par S.B. laquelle annule ladite assurance au motif « qu’elle n’était pas bénéfique, car je suis sur l’aide sociale » 3 .
[10] Près de deux ans plus tard, soit le 7 février 2019, M. Lemieux rencontre à nouveau M.B. dans les mêmes circonstances qu’en 2016, soit en se présentant à son domicile sans annonce préalable.
[11] Il convainc alors M.B. de souscrire à une nouvelle couverture d’assurance similaire à celle souscrite en 2016
4 .
[12] Cette deuxième assurance est souscrite avec le même assureur, soit Croix Bleue.
2 3 4
Pièces P-8 et P-29. Pièce P-12. Pièces P-8 et P-29.
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[13] Quelques mois plus tard en juillet 2019, M.B. se plaint à S.B. qu’un montant est à nouveau retiré de son compte bancaire pour le paiement d’une assurance.
[14] Croyant que la première assurance annulée en 2017 avait été réactivée, S.B. tente de communiquer avec M. Lemieux afin d’avoir de l’information concernant la situation de sa mère, mais celui-ci refuse d’en discuter avec elle, prétextant la confidentialité de son dossier.
[15] Après s’être plainte auprès de Croix Bleue par l’intermédiaire de S.B., M.B. annule le 18 juillet 2019 cette deuxième assurance pour les mêmes raisons que l’annulation de la première assurance en 2017 5 .
[16] La plaignante prétend que M. Lemieux n’a pas agi avec modération et professionnalisme en faisant souscrire à M.B. le deuxième contrat d’assurance en février 2019.
[17] M. Lemieux, au contraire, prétend qu’il n’a que répondu aux besoins de M.B., lorsqu’il l’a rencontrée la deuxième fois en 2019.
[18] En plus de ce qui précède, M. Lemieux rencontre D.R. le 24 janvier 2019 qui habite elle aussi dans une résidence pour personnes âgées.
[19] Bien qu’autonome, elle est néanmoins handicapée mentalement et dépend de sa famille dont plus particulièrement sa sœur D.G.R. pour s’occuper de ses affaires personnelles et financières.
[20] À la suggestion de M. Lemieux, D.R. qui est alors âgée de 60 ans, souscrit à une assurance pour décès par accident, fracture et rente hospitalière avec IA Compagnie d’Assurance-Vie Excellence (« IA Excellence ») 6 .
5 6
Pièces P-9 et P-11. Pièces P-28 et I-1.
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[21] Le 5 septembre 2019, M. Lemieux rencontre D.R. une deuxième fois sans rendez-vous alors qu’elle est à son domicile.
[22] À cette occasion, il lui fait souscrire une deuxième assurance cette fois avec Croix Bleue, ayant comme garantie, ambulance/hôpital, assurance accident et décès accidentel, perte d’usage accidentelle et forfait après hospitalisation 7 .
[23] Après que les premiers paiements de 47,00 $ pour la prime de cette deuxième assurance sont débités au compte bancaire de D.R., sa sœur D.G.R. vérifie auprès de son institution financière afin de connaître la raison de ces paiements et on l’informe alors qu’il s’agissait d’un paiement fait à Croix Bleue.
[24] Après l’intervention de D.G.R., D.R. demande l’annulation de cette deuxième police d’assurance le 23 novembre 2019 par une lettre qu’elle signe et transmet à Croix Bleue 8 .
[25] Croix Bleue annule l’assurance et rembourse D.R. le montant de la prime payé pour les mois de septembre et octobre
9 .
[26] La plaignante prétend que M. Lemieux a agi et exercé ses activités d’une façon négligente en faisant souscrire à D.R. les deux contrats d’assurance parce qu’elle était une personne vulnérable.
[27] Elle lui reproche aussi de ne pas avoir procédé à une analyse complète et conforme de ses besoins financiers (« ABF ») avant de lui faire souscrire la deuxième assurance, mais également de ne pas avoir indiqué à la proposition d’assurance portant le numéro 190XXX qu’elle ne possédait pas d’autres polices d’assurance invalidité 10 .
7 8 9 10
Pièces P-2, P-7 et P-28. Pièces P-5. Pièce P-7. Chefs d’infraction 2 à 5.
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[28] M. Lemieux prétend que D.R. était capable d’exprimer son consentement, qu’elle comprenait très bien le sens des transactions qu’elle effectuait avec lui lors de la souscription des deux contrats d’assurance et qu’il n’a pas agi avec négligence.
[29] M. Lemieux plaide aussi que l’ABF était complète et conforme et qu’il n’a pas transmis d’information fausse en déclarant à ladite proposition d’assurance que D.R. n’avait pas d’autre assurance invalidité, car selon lui la première assurance contractée avec IA Excellence n’était pas une assurance invalidité.
[30] Enfin, la plaignante prétend qu’en 2020 et 2021 pour quatre autres clientes, M. Lemieux n’aurait pas correctement rempli les formulaires de préavis de remplacement.
[31] En défense, M. Lemieux prétend au contraire que les préavis de remplacement pour ces quatre clientes étaient correctement préparés comme le requiert la réglementation et que même si on peut y retrouver des incertitudes ou imprécisions, celles-ci ne sont pas suffisamment sérieuses pour constituer une faute déontologique.
QUESTIONS EN LITIGE I. M. Lemieux a-t-il agi avec modération et professionnalisme en faisant souscrire à M.B. le contrat d’assurance portant le numéro N00XXX71 alors qu’elle avait préalablement annulé le contrat portant le numéro T34XXXX6 (chef d’infraction 1)?
II.
M. Lemieux a-t-il exercé ses activités de façon négligente en faisant souscrire à D.R. le contrat d’assurance portant le numéro 184-XXXXXXX et celui portant le numéro N00XXXX9 alors qu’elle ne pouvait pas comprendre les produits souscrits (chefs d’infraction 2 et 4)?
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III.
IV.
V.
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M. Lemieux a-t-il procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de D.R. alors qu’il lui faisait souscrire le contrat d’assurance portant le numéro N00XXXX9 (chef d’infraction 3)?
M. Lemieux a-t-il faussement indiqué dans la proposition d’assurance portant le numéro 190XXX que D.R. ne possédait pas d’autres polices d’assurance invalidité (chef d’infraction 5)?
M. Lemieux a-t-il correctement rempli les formulaires de préavis de remplacement pour les clientes G.C.M., S.G., M.B. et D.L. (chef d’infraction 6)?
ANALYSE La plainte en droit disciplinaire [32] La rédaction d’une plainte disciplinaire doit « indiquer sommairement la nature et les circonstances de temps et de lieu de l’infraction reprochée au professionnel » 11 et elle est donc « dénudée de formalisme » 12 .
[33] Même si elle ne nécessite pas la rigueur des principes en droit pénal, « la rédaction d’une plainte disciplinaire nécessite une rigueur qui circonscrive bien le débat judiciaire afin de permettre au professionnel de répondre pleinement à ce qu’on lui reproche » 13 .
[34] Néanmoins, « les éléments essentiels d’un chef de plainte disciplinaire ne sont pas constitués par son libellé, mais par les dispositions du code de déontologie ou du règlement qu’on lui reproche d’avoir violées » 14 .
11 12 13 14
Code des professions, RLRQ c. C-26, art. 129. Dunn c. Katz, 2005 QCTP 14 (CanLII), par. 74. Blanchet c. Avocats (Ordre professionnel des), 2005 QCTP 60 (CanLII), par. 95. Tremblay c. Dionne, 2006 QCCA 1441 (CanLII), par. 84.
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Fardeau de preuve en droit disciplinaire [35] En droit disciplinaire, la partie plaignante doit présenter une preuve claire, convaincante et de haute qualité de la culpabilité du professionnel pour satisfaire au fardeau de la prépondérance des probabilités 15 .
[36] Le fardeau est rencontré si, selon toute vraisemblance, les faits reprochés au professionnel par la partie plaignante ont été prouvés.
[37] Pour ce faire cependant, il ne suffit pas que la théorie avancée par la partie poursuivante soit probablement plus plausible que celle du professionnel, « il faut que la version des faits offerts par ses témoins comporte un tel degré de conviction que le comité la retient et écarte celle de l’intimé parce que non digne de foi » 16 .
[38] Enfin, en présence de versions contradictoires crédibles et lorsqu’il ne sait qui croire, le comité doit acquitter le professionnel puisqu’en un tel cas, cela signifie que la partie poursuivante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve 17 .
Crédibilité des témoins et fiabilité des témoignages [39] Comme l’a mentionné la Cour Suprême du Canada, la crédibilité des témoins est une question de fait et ne peut être déterminée par un ensemble de règles préétablies :
« The issue of credibility is one of fact and cannot be determined by following a set of rules that it is suggested have the force of law and, in so far as the language of Mr. Justice Beck may be so construed, it cannot be supported upon the authorities. Anglin J. (later Chief Justice) in speaking of credibility stated:
15
16 17
Bisson c. Lapointe, 2016 QCCA 1078 (CanLII), par. 66-67; Opticiens d'ordonnances (Ordre professionnel des) c. Salemi, 2020 QCCDOOD 4 (CanLII), par. 101. Paquin c. Avocats, 2002 QCTP 96 (CanLII), par. 93. Médecins (Ordre professionnel des) c. Soucy, 2017 CanLII 46697 (QC CDCM), par. 62; Smith c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2015 QCTP 77 (CanLII), par. 62; Opticiens d'ordonnances (Ordre professionnel des) c. Salemi, préc., note 15, par. 127.
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by that I understand not merely the appreciation of the witnesses’ desire to be truthful but also of their opportunities of knowledge and powers of observation, judgment and memory—in a word, the trustworthiness of their testimony, which may have depended very largely on their demeanour in the witness box and their manner in giving evidence. Reymond v. Township of Bosanquet[2].
The foregoing is a general statement and does not purport to be exhaustive. Eminent judges have from time to time indicated certain guides that have been of the greatest assistance, but so far as I have been able to find there has never been an effort made to indicate all the possible factors that might enter into the determination. It is a matter in which so many human characteristics, both the strong and the weak, must be taken into consideration. The general integrity and intelligence of the witness, his powers to observe, his capacity to remember and his accuracy in statement are important. It is also important to determine whether he is honestly endeavouring to tell the truth, whether he is sincere and frank or whether he is biassed, reticent and evasive. All these questions and others may be answered from the observation of the witness’ general conduct and demeanour in determining the question of credibility. » 18
(référence omise et nos soulignés) [40] La crédibilité d’un témoin est distincte de la fiabilité de son témoignage, comme l’a mentionné la Juge Dutil de la Cour d’appel
19 :
« [49] Comme le soutient l'appelant, les notions de fiabilité et de crédibilité sont distinctes. La fiabilité a trait à la valeur d'une déclaration faite par un témoin alors que la crédibilité se réfère à la personne. Mon collègue, le juge François Doyon, expose fort bien la différence qu'on doit faire entre ces concepts[9] :
La crédibilité se réfère à la personne et à ses caractéristiques, par exemple son honnêteté, qui peuvent se manifester dans son comportement. L'on parlera donc de la crédibilité du témoin.
La fiabilité se réfère plutôt à la valeur du récit relaté par le témoin. L'on parlera de la fiabilité de son témoignage, autrement dit d'un témoignage digne de confiance.
Ainsi, il est bien connu que le témoin crédible peut honnêtement croire que sa version des faits est véridique, alors qu'il n'en est rien et ce, tout simplement parce qu'il se trompe; la crédibilité du témoin ne rend donc pas nécessairement son récit fiable. »
(référence omise)
18 19
White v. The King, 1947 CanLII 1 (SCC). J.R. c. R., 2006 QCCA 719 (CanLII), par. 49.
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[41] La crédibilité et la fiabilité ne doivent pas être confondues et un témoin qui n’est pas crédible ne peut donner un témoignage fiable, mais un témoin crédible peut néanmoins rendre un témoignage qui n’est pas fiable, tel que mentionné par la Cour supérieure dans l’affaire Gestion immobilière Gouin c. Complexe funéraire Fortin 20 .
[42] Dans ce jugement, le Juge Cournoyer, alors à la Cour supérieure, résume ainsi les critères permettant d’évaluer la crédibilité des témoins et la fiabilité de leurs témoignages :
« [43] Les critères permettant d'évaluer la crédibilité et la fiabilité des témoins peuvent être résumés ainsi:
1) L'intégrité générale et l'intelligence du témoin; 2) Ses facultés d'observation; 3) La capacité et la fidélité de la mémoire; 4) L'exactitude de sa déposition; 5) Sa volonté de dire la vérité de bonne foi; 6) Sa sincérité, sa franchise, ses préjugés; 7) Le caractère évasif ou les réticences de son témoignage; 8) Le comportement du témoin; 9) La fiabilité du témoignage; 10) La compatibilité du témoignage avec l'ensemble de la preuve et l'existence de contradictions avec les autres témoignages et preuves[17]. »
(nos soulignés et référence omise)
20
Gestion immobilière Gouin c. Complexe funéraire Fortin, 2010 QCCS 1763 (CanLII), par. 42.
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M. Lemieux a-t-il agi avec modération et professionnalisme en faisant souscrire à M.B. le contrat d’assurance portant le numéro N00xxx71 alors qu’elle avait préalablement annulé le contrat portant le numéro T34xxxx6 (chef d’infraction 1)?
[43] La plaignante allègue au chef d’infraction 1 que M. Lemieux a enfreint les articles 6, 8 et 11 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (« Code de déontologie »).
[44] L’article 6 prévoit que « la conduite du représentant doit être empreinte de dignité, de discrétion, d’objectivité et de modération ».
[45] L’article 8 stipule que le « représentant doit s’abstenir d’inciter une personne de façon pressante ou répétée à recourir à ses services professionnels ou à acquérir un produit » et finalement l’article 11 est à l’effet qu’il « doit exercer ses activités avec intégrité ».
[46] La définition de modération est le « caractère, comportement de quelqu’un qui est éloigné de toute position excessive, qui fait preuve de pondération, de mesure dans sa conduite » 21 .
[47] Les synonymes de modération sont « discrétion, mesure, pondération, réserve, sagesse, sobriété et tact »
22 .
[48] La définition de dignité est une « attitude empreinte de réserve, de gravité, inspirée par la noblesse des sentiments ou par le désir de respectabilité »
21
22 23 24
L’intégrité est « l’état d’une personne d’une extrême probité »
24 .
23 .
Isabelle JEUGE-MAYNART (dir.), L’Encyclopédie Larousse.fr, Éditions Larousse, 2023 « modération », en ligne : Définitions : modération - Dictionnaire de français Larousse. Id., en ligne : Synonymes : modération - Dictionnaire des synonymes Larousse. Id., en ligne : Définitions : dignité - Dictionnaire de français Larousse. Reid, Hubert, Ad.E; Reid, Simon (avec la collaboration de), Dictionnaire de droit québécois et canadien, Édition Wilson & Lafleur, 6 e ed., « intégrité ».
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Les synonymes d’intégrité sont « probité et honnêteté »
25 .
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[51] Pour renverser son fardeau et obtenir la culpabilité de M. Lemieux en vertu des trois facteurs de rattachement allégués au chef d’infraction 1, la plaignante doit donc présenter une preuve prépondérante qu’il a manqué de dignité et de modération au sens de l’article 6 du Code de déontologie, qu’il a « incité M.B. de façon pressante ou répétée » de signer un contrat d’assurance selon l’article 8 du Code de déontologie et qu’enfin dans ses agissements à cette date il n’a pas exercé ses activités avec intégrité au sens de l’article 11 du Code de déontologie.
[52] Pour les raisons qui suivent, le comité est d’opinion que la plaignante n’a pas renversé son fardeau de preuve quant aux articles 8 et 11 du Code de déontologie et que M. Lemieux doit être déclaré non coupable en vertu de ces dispositions.
[53] Par contre, le comité considère que M. Lemieux doit être déclaré coupable en vertu de l’article 6 du Code de déontologie.
Le premier contrat d’assurance souscrit par M.B. (contrat portant le numéro T34XXXX6)
[54] M.B. étant décédée le 22 décembre 2019, le principal témoin de la plaignante est sa fille, S.B.
[55] M.B. demeurait dans une résidence pour personnes âgées (RPA) à Gatineau et M. Lemieux la rencontre pour une première fois le 13 avril 2016 alors qu’il se présente à son appartement sans rendez-vous.
[56] M. Lemieux était alors dans l’immeuble et y avait rencontré des clients résidant à cet endroit.
25
Isabelle JEUGE-MAYNART (dir.), L’Encyclopédie Larousse.fr, préc., note 21, en ligne : Synonymes : intégrité - Dictionnaire des synonymes Larousse.
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[57] Suite à une présentation faite par M. Lemieux, M.B. souscrit à ce premier contrat d’assurance qui inclut une rente hospitalière
26 .
[58] Selon S.B., sa mère avait des difficultés à s’occuper de ses affaires personnelles, car elle était parfois confuse.
[59] Elle explique aussi que sa santé était alors très mauvaise, sa mère étant obèse et souffrant aussi d’emphysème.
[60] M.B. bénéficiait de prestations d’aide sociale et avait beaucoup de difficultés à boucler son budget.
[61] Ce n’est qu’en mars 2017 que S.B. apprend l’existence du contrat d’assurance qu’elle considère comme non pertinent compte tenu de la situation de sa mère et de ses besoins.
[62] Elle discute avec sa mère de la pertinence de ce contrat d’assurance, après quoi elle prépare une lettre que sa mère signe et qu’elle fait parvenir le 16 mai 2017 par courriel à l’assureur Croix Bleue 27 annulant ainsi ledit contrat d’assurance.
[63] Avant l’envoi de cette lettre d’annulation, S.B. avait sans succès tenté de rejoindre M. Lemieux par téléphone et lui avait envoyé un courriel au nom de M.B. le 11 mai 2017 28 .
[64] La situation de M.B. demeure la même pendant presque deux ans, soit jusqu’en février 2019 lorsque M. Lemieux rencontre M.B. pour la deuxième fois et lui fait souscrire un deuxième contrat d’assurance, soit celui portant le numéro N00XXX71 et faisant l’objet du premier chef d’infraction.
26 27 28
Pièces P-8 et P-29. Pièce P-12. Pièce P-37.
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[65] Pendant toute cette période, M. Lemieux n’entre pas en contact avec M.B. ou S.B. pour connaître les raisons de l’annulation du premier contrat d’assurance.
Décision sur l’objection prise sous réserve lors du témoignage de S.B. [66] S.B. a témoigné comment est survenue l’annulation en juillet 2019 du deuxième contrat d’assurance signé par M.B. en février 2019 avec Croix Bleue.
[67] Au motif qu’il s’agit de ouï-dire, le procureur de M. Lemieux s’est objecté à ce que le témoin relate au comité ce que sa mère lui a mentionné quant à sa rencontre avec M. Lemieux qui a mené à la souscription de ce deuxième contrat d’assurance.
[68] Vu le décès de M.B., la procureure de la plaignante prétend qu’une telle preuve est admissible compte tenu des principes de nécessité et de fiabilité et réfère le comité à la jurisprudence en ce sens rendue en matière disciplinaire 29 .
Le comité a alors pris l’objection sous réserve.
[70] Le comité est d’opinion que l’objection du procureur de M. Lemieux était prématurée et sans objet compte tenu des propos rapportés par S.B.
[71] En effet, suite à l’objection, le témoin a simplement témoigné à l’effet que M. Lemieux avait mentionné à sa mère les raisons pour lesquelles elle devrait souscrire au nouveau contrat d’assurance.
[72] En aucun temps S.B. a spécifié ou décrit au comité les détails et les raisons que M. Lemieux aurait mentionnés à sa mère pour la convaincre de souscrire le contrat d’assurance.
[73] Par conséquent, pour ce seul motif, l’objection présentée par le procureur de M. Lemieux doit être rejetée, car elle était prématurée, S.B. n’ayant pas
29
Laporte c. Mercure, 1997 CanLII 17305 (QC TP); Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec c. Girouard, 2024 CanLII 3708 (QC OACIQ).
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rapporté les propos qui auraient été mentionnés à M.B. par M. Lemieux pour la convaincre de souscrire au deuxième contrat d’assurance.
Le deuxième contrat d’assurance souscrit par M.B. (contrat portant le numéro N00XXX71)
[74] La deuxième rencontre de M. Lemieux avec M.B. a lieu précisément le 7 février 2019.
[75] M. Lemieux explique, lors de son témoignage, qu’il rencontre M.B. à cette occasion de la même façon que la première en 2016, à savoir qu’il était dans l’immeuble où M.B. demeurait et qu’il s’est alors présenté à sa porte sans rendez-vous.
[76] Il mentionne que M.B. est alors avec son petit fils, soit le fils de S.B. et il demande alors à M.B. pourquoi elle avait annulé le premier contrat en 2017.
[77] Il ajoute que M.B. lui mentionne qu’elle voulait reprendre l’assurance et qu’en aucun moment il a harcelé M.B. pour qu’elle reprenne l’assurance et que la souscription s’est faite sans pression de sa part.
[78] L’assurance souscrite est similaire à celle qui a été annulée, les bénéficiaires sont les mêmes et la prime mensuelle est sensiblement la même
30 .
[79] Quelques mois après la conclusion de ce deuxième contrat d’assurance, S.B. mentionne à son témoignage qu’après avoir appris de sa mère l’existence d’un nouveau contrat d’assurance, elle communique alors avec M. Lemieux afin d’en connaître les détails, mais ce dernier refuse, alléguant la confidentialité du dossier d’assurance de M.B.
[80] Elle indique alors à M. Lemieux qu’elle portera plainte à l’assureur et l’accuse d’avoir harcelé sa mère et d’avoir profité de sa condition.
30
Pièces P-8 et P-29.
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[81] S.B. laisse par la suite un message vocal et envoie un courriel le 16 juillet 2019 à l’assureur se plaignant du comportement de M. Lemieux
31 .
[82] M.B. annule par après le deuxième contrat d’assurance par une lettre préparée par S.B. et envoyée à l’assureur le 18 juillet 2019
32 .
[83] La plaignante allègue que M. Lemieux n’a pas agi avec modération et professionnalisme en faisant souscrire à M.B. le deuxième contrat d’assurance en février 2019.
[84] Tel que mentionné plus haut, S.B. à son témoignage n’a pas rapporté les propos de sa mère relativement aux circonstances de sa rencontre avec M. Lemieux ayant mené au deuxième contrat d’assurance.
[85] M. Lemieux témoigne à l’effet qu’il n’a aucunement harcelé ou pressé M.B. pour souscrire audit contrat d’assurance.
[86] Le comité n’est cependant pas convaincu de la fiabilité de la version donnée par M. Lemieux concernant la rencontre du 7 février 2019 avec M.B. ayant mené à la conclusion du deuxième contrat d’assurance.
[87] Ainsi, le comité trouve particulier que près de deux ans après l’annulation par M.B. du premier contrat d’assurance, il décide soudainement d’aller s’informer auprès d’elle à son domicile, sans rendez-vous préalable, des raisons qui ont motivé cette annulation.
[88] De plus, le comité considère inusité et non pertinent que M. Lemieux mentionne à son témoignage que le petit fils adolescent de M.B. qui était présent lors de la rencontre était d’accord avec la souscription du contrat d’assurance par sa grand-mère.
31 32
Pièces P-9 et P-10. Pièce P-11.
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[89] Néanmoins, même si le comité n’est pas convaincu de la fiabilité du témoignage de M. Lemieux sur le sujet, il n’en demeure pas moins que la plaignante n’a pas démontré par prépondérance de preuve qu’il a harcelé M.B. ou démontré une pression répétée lors de sa rencontre du 7 février 2019 afin de la convaincre de souscrire audit contrat d’assurance ni qu’il a manqué d’intégrité ou agi de façon malhonnête pour ce faire au sens des articles 8 et 11 du Code de déontologie.
[90] Dans les circonstances, le comité doit déclarer M. Lemieux non coupable du chef d’infraction 1 pour avoir contrevenu aux articles 8 et 11 du Code de déontologie.
[91] Le comité considère cependant que la plaignante s’est néanmoins déchargée de son fardeau de démontrer qu’il a manqué de modération et de professionnalisme au sens de l’article 6 du Code de déontologie en faisant souscrire le deuxième contrat d’assurance à M.B.
[92] En effet, M.B. avait clairement indiqué à sa lettre de mai 2017 qu’elle annulait le premier contrat d’assurance et qu’elle n’avait pas besoin d’une telle couverture compte tenu de sa situation financière et de ses besoins, tel que prouvé par le témoignage de S.B. 33 .
[93] Le comité croit S.B. quand elle décrit la condition de sa mère à l’effet qu’elle était parfois confuse et qu’elle avait besoin de son aide pour ses affaires personnelles.
[94] Lors de la conclusion du deuxième contrat d’assurance en février 2019, M. Lemieux devait connaître l’implication de S.B. dans les affaires de sa mère et lors de l’annulation du premier contrat d’assurance en 2017.
33
Pièces P-12 et P-37.
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[95] En effet, S.B. avait alors tenté de le rejoindre par téléphone à plusieurs reprises sans succès et de plus, c’est elle qui a alors fait parvenir à Croix Bleue et à M. Lemieux les communications écrites de sa mère.
[96] Le comité considère qu’un représentant professionnel et digne de sa profession n’aurait pas tenté de faire souscrire à nouveau un contrat d’assurance à une personne âgée dépendant beaucoup de sa fille pour les questions financières, vivant dans une résidence pour personnes âgées et qui avait, presque deux ans avant, annulé un contrat similaire au motif qu’elle n’avait pas besoin d’une telle couverture d’assurance compte tenu de sa situation.
[97] Dans les circonstances, le comité est d’opinion que M. Lemieux a manqué de modération et de professionnalisme en profitant de la situation et en faisant souscrire à M.B. le deuxième contrat d’assurance.
[98] Par conséquent, l’intimé sera déclaré coupable du chef d’infraction 1 pour avoir contrevenu à l’article 6 du Code de déontologie.
M. Lemieux a-t-il exercé ses activités de façon négligente en faisant souscrire à D.R. le contrat d’assurance portant le numéro 184-xxxxxxx et celui portant le numéro N00xxxx9 ALORS QU’ELLE NE POUVAIT PAS COMPRENDRE LES PRODUITS SOUSCRITS (CHEFS D’INFRACTION 2 ET 4)?
Les facteurs de rattachement allégués aux chefs d’infraction 2 et 4 [99] M. Lemieux est accusé d’avoir exercé ses activités de façon négligente à deux reprises en faisant souscrire à D.R., une personne vulnérable, des contrats d’assurance les 24 janvier 34 et 5 septembre 2019 35 .
[100] Les dispositions alléguées aux chefs d’infraction 2 et 4 sont les articles suivants du Code de déontologie :
34 35
Pièces P-28 et I-1. Pièces P-2, P-7 et P-28.
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11. Le représentant doit exercer ses activités avec intégrité. 35. Le représentant ne doit pas exercer ses activités de façon malhonnête ou négligente.
et l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (« LDPSF ») qui se lit comme suit :
16. Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.
Il doit agir avec compétence et professionnalisme. [101] La plaignante prétend que D.R. est une personne vulnérable souffrant d’un handicap intellectuel et qu’elle ne pouvait pas comprendre les produits d’assurance présentés par M. Lemieux auxquels elle a souscrits.
[102] En ce faisant, M. Lemieux aurait exercé ses activités de façon négligente contrairement auxdites dispositions ci-haut mentionnées.
[103] Quant à lui, M. Lemieux plaide au contraire que D.R. n’était pas une personne vulnérable, qu’elle comprenait bien le sens des transactions effectuées et que par conséquent, il n’a pas fait montre de négligence.
[104] Le comité est d’opinion que la plaignante a démontré de façon claire et convaincante et par prépondérance que M. Lemieux a exercé ses activités de façon négligente et, compte tenu de la vulnérabilité de D.R., qu’il n’a pas agi avec intégrité, contrevenant ainsi aux trois dispositions alléguées aux chefs d’infraction 2 et 4.
Les contrats d’assurance souscrits par D.R. [105] Le premier contrat d’assurance est souscrit par D.R. avec IA Excellence le 24 janvier 2019 36 à son domicile où elle a rencontré M. Lemieux après qu’il s’y soit présenté sans rendez-vous.
36
Pièces P-28 et I-1, contrat n o 184-XXXXXXX.
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[106] Le deuxième contrat d’assurance cette fois avec Croix Bleue est souscrit par D.R. le 5 septembre 2019 aussi à son domicile alors qu’elle y a rencontré M. Lemieux dans les mêmes circonstances que pour le premier contrat d’assurance 37 .
[107] D.R. reconnaît, devant le comité, sa signature apparaissant aux propositions, mais elle ne se souvient pas des circonstances l’ayant amenée à les signer si ce n’est qu’elle se remémore que M. Lemieux lui indiquait les endroits pertinents où apposer sa signature.
[108] Elle mentionne qu’elle ne savait pas qu’il était un représentant en assurances, ne peut préciser quand exactement elle l’a rencontré et témoigne même qu’elle ne sait pas vraiment en quoi consiste un contrat d’assurance.
[109] Quant à lui, M. Lemieux prétend au contraire que D.R. participait bien aux deux rencontres, qu’elle posait même des questions quant aux détails des garanties proposées à l’assurance et qu’elle comprenait bien la teneur des transactions.
[110] Le premier contrat d’assurance couvrait les cas de décès ou mutilation, fractures causées par accident et prévoyait aussi une rente hospitalière en cas d’un tel accident 38 .
[111] Le deuxième contrat d’assurance est différent selon M. Lemieux, car il couvre selon lui en cas de maladie, convalescence et frais médicaux même si à la lecture de la proposition signée par D.R., les garanties indiquées sont sensiblement les mêmes que pour le premier contrat, à savoir assurance accident, forfait après hospitalisation, décès accidentel et perte d’usage accidentelle 39 .
37 38 39
Pièces P-2, P-7 et P-28, contrat n o N00XXXXX. Pièce P-28, contrat n o N00XXXXX. Pièce P-7.
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L’intervention de D.G.R., sœur de D.R. [112] Depuis le mois de septembre 2019, D.G.R. s’occupe des affaires personnelles et financières de D.R. qui est en situation d’handicap mental.
[113] Auparavant, c’était le frère et la mère de D.R. qui s’en occupaient.
[114] D.G.R. explique qu’elle fait les emplettes de D.R. pour la nourriture, paie ses factures et contrôle ses affaires personnelles compte tenu de sa condition.
[115] Elle explique que D.R. ne fait cependant pas l’objet d’une tutelle, curatelle ou d’un mandat d’inaptitude.
[116] Néanmoins, D.R. lui a octroyé une procuration bancaire pour qu’elle puisse s’occuper de ses affaires financières 40 .
[117] En novembre 2019, D.G.R. constate qu’un montant de 42,66$ est débité mensuellement depuis quelques mois au compte bancaire de D.R. et celle-ci ne sait pas quelle en est la raison.
[118] Après vérification à l’institution bancaire, D.G.R. apprend que ladite somme est payée à Croix Bleue qui l’informe par la suite que M. Lemieux est le représentant inscrit au dossier de D.R.
[119] D.G.R. tente de le rejoindre sans succès et par la suite, elle entreprend les démarches pour annuler cette deuxième assurance avec Croix Bleue, laquelle est annulée le 23 novembre 2019 41 .
40 41
Pièce P-6. Pièces P-3, P-4 et P-7.
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La vulnérabilité de D.R. [120] La plaignante a fait entendre le Dr Robert Blais, médecin traitant de D.R. pendant plus de trente ans, soit jusqu’en 2023.
[121] Le Dr Blais n’a pas témoigné comme expert, mais comme témoin de faits, pour avoir été le médecin traitant de D.R. depuis 1988 42 .
[122] Au moment où elle souscrit aux deux contrats d’assurance, D. R. est âgée de 60 ans.
[123] Selon le Dr Blais, elle a une déficiente intellectuelle, mais est tout de même autonome et peut demeurer seule dans un appartement d’une RPA où il faut une autorisation pour pouvoir entrer selon D.G.R.
[124] Le Dr Blais décrit plus précisément la nature et l’ampleur de cette déficience dans un document daté du 12 mars 2024 déposé devant le comité :
« À qui de droit / To Whom it May Concern : Cette lettre est écrite à la demande de D.G.R. qui est l’aidante naturelle de sa sœur D.R., dans le but de discuter avec un notaire.
Je confirme que D.R. à (sic) une déficience intellectuelle « Du point vu fonctionnel, elle est considérée légère puisque D.R. peut assurer sa sécurité dans un contexte structuré, elle peut faire ses propres repas. Elle est orientée pour les dates, sa personne et les autres personnes qu’elle voit. Elle n’a pas de trouble hallucinatoire.
Elle comprend les sens des explications simples pour des problèmes de santé et peut participer avec l’aide de ses médecins (et la famille au besoin) à ses décisions.
42
Moumdjian c. Aubin, 2006 QCCA 1264 (CanLII), par. 24; Cadieux c. Boileau, 2020 QCCS 2388 (CanLII), par. 59-66.
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Du point de vue de ses finances par contre, elle a toujours eu besoin de l’aide. Elle a de la difficulté avec les mathématiques simples et ne s’est jamais occupée de la gestion de ses revenus. Elle a toujours eu de l’aide de sa mère (récemment décédée) et maintenant de sa sœur pour payer ses factures ect. (sic)
En espérant que cette lettre vous aide dans votre démarche afin d’assurer que votre sœur soit bien protégée dans toute éventualité.
Bien à vous » 43 [125] Il confirme à son témoignage que cette déficience intellectuelle de D.R. n’a pas changé depuis le début de sa relation professionnelle avec elle.
[126] D.R. a aussi témoigné et le comité a été à même de constater de par sa façon de répondre aux questions, la qualité de son langage, son attitude et son comportement général qu’elle est limitée intellectuellement.
[127] M. Lemieux quant à lui témoigne à l’effet que bien qu’il ait constaté que D.R. avait « une limite de langage », et qu’il ait dû adapter sa façon de lui parler, il considère néanmoins qu’elle ne semblait pas avoir un trouble cognitif.
[128] La LDPSF et le Code de déontologie ne prévoient pas la définition d’une personne vulnérable.
[129] Cela étant, le comité doit se référer à la définition commune du terme vulnérable « qui, par ses insuffisances, ses imperfections, peut donner prise à des attaques » 44 .
[130] Le comité considère aussi qu’il peut s’inspirer de la définition de « personne en situation de vulnérabilité » retrouvée à l’article 2 de la Loi visant à lutter contre la maltraitance des aînés qui se lit comme suit :
« personne en situation de vulnérabilité » : une personne majeure dont la capacité de demander ou d’obtenir de l’aide est limitée temporairement ou de façon permanente, en raison notamment d’une contrainte, d’une maladie, d’une blessure
43 44
Pièce P-35. L’Encyclopédie Larousse.fr, préc., note 21, « vulnérable », en ligne : Définitions : vulnérable - Dictionnaire de français Larousse.
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ou d’un handicap, lesquels peuvent être d’ordre physique, cognitif ou psychologique, tels une déficience physique ou intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme; » 45
[131] Le comité doit de plus prendre en considération le fait que M. Lemieux a rencontré D.R. à son domicile, ce qui pourrait la placer dans une situation de vulnérabilité. 46
[132] Vu ce qui précède, avec tout le respect pour l’opinion contraire, le comité est d’opinion que la preuve devant lui est claire, convaincante et prépondérante que D.R. était vulnérable en 2019 lorsqu’elle a rencontré à son domicile M. Lemieux et qu’il lui a fait souscrire les deux contrats d’assurance.
La négligence de M. Lemieux [133] Le comité ayant déterminé que D.R. est une personne vulnérable, il doit par la suite décider si M. Lemieux en faisant souscrire à D.R. les deux contrats d’assurance a exercé ses activités de façon négligente et contrevenu aux dispositions alléguées aux chefs d’infraction 2 et 4.
[134] M. Lemieux en défense témoigne à l’effet qu’ayant constaté un « trouble de langage » chez D.R., il a alors adapté sa présentation des propositions d’assurance, en parlant plus lentement.
[135] Il prétend aussi qu’elle comprenait bien ce qu’elle souscrivait parce qu’elle lui posait des questions.
[136] Il mentionne avoir constaté que l’appartement de D.R. était propre.
[137] À remarquer que M. Lemieux fait le même commentaire concernant l’appartement de M.B. en ce qui concerne le chef d’infraction 1.
45 Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité, RLRQ, c. L-6.3. 46 Mercier Sincennes c. 9149-6406 Québec inc. (Climatisation Repentigny), 2011 QCCQ 7640, au para 37.
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[138] Il explique aussi que D.R. était très calme et joviale.
[139] M. Lemieux mentionne qu’il était « épaule à épaule » avec D.R. lorsqu’il lui a fait sa présentation.
[140] Le comité constate qu’il utilise une expression similaire à savoir « côte à côte » lorsqu’il décrit sa présentation faite à M.B. concernant le chef d’infraction 1.
[141] Au même titre qu’il arrive à la conclusion que D.R. était vulnérable, le comité conclut sans hésitation qu’elle ne pouvait comprendre les produits d’assurance que M. Lemieux lui présentait.
[142] Le comité ne croit pas M. Lemieux quand il prétend que D.R. comprenait bien les produits d’assurance qu’elle souscrivait et considère que prétendre le contraire comme le fait M. Lemieux n’est pas crédible, compte tenu de la condition de D.R. et de l’ensemble de la preuve.
[143] Par conséquent, le comité est d’opinion qu’un représentant diligent et professionnel rencontrant à son domicile une consommatrice comme D.R. aurait agi d’une façon beaucoup plus circonspecte et attentive, vu les indices évidents démontrant son handicap intellectuel.
[144] M. Lemieux aurait dû pousser plus loin ses vérifications concernant la condition de D.R. en lui suggérant de communiquer avec les personnes de confiance qui l’assistaient habituellement dans ses prises de décision pour les questions financières avant qu’elle accepte de souscrire aux deux contrats d’assurance qu’il lui proposait.
[145] Comprendre et analyser une proposition d’assurance est un exercice compliqué pour le consommateur moyen.
[146] Par conséquent, cet exercice était d’autant plus complexe pour D.R. compte tenu de sa condition et de son handicap cognitif.
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[147] Cela étant, c’est sans hésitation que le comité est d’opinion que dans les circonstances, M. Lemieux a été négligent en procédant à faire souscrire à D.R. les deux produits d’assurance décrits aux chefs d’infraction 2 et 4.
[148] Ainsi, le comité est d’opinion que M. Lemieux est coupable des chefs d’infraction 2 et 4 pour avoir contrevenu à l’article 16 de la LDPSF et à l’article 35 du Code de déontologie en ayant agi de façon négligente et d’avoir manqué de compétence et de professionnalisme dans l’exercice de ses activités.
[149] Le comité doit en plus décider si M. Lemieux, en ce faisant, a aussi fait défaut d’exercer ses activités avec intégrité comme le prévoit l’article 11 du Code de déontologie allégué auxdits chefs d’infraction.
[150] L’intégrité est « l’état d’une personne d’une extrême probité »
47 .
[151] Le Petit Robert définit le terme intégrité notamment comme « vertu, pureté totale », tel que mentionné par le comité à sa décision rendue dans l’affaire Potvin 48 .
[152] La probité est définie comme étant une « honnêteté scrupuleuse »
49 .
[153] À sa décision rendue dans l’affaire Potvin, le comité mentionne qu’une intention malveillante n’est pas nécessaire pour constituer un manque d’intégrité 50 .
[154] Le manque d’intégrité nécessite cependant plus qu’une simple erreur et doit démontrer chez une personne un état qui manque de transparence même si la preuve d’une intention malicieuse n’est pas nécessaire :
« [80] Le manque d'intégrité requiert plus qu'une simple erreur. Le terme « intégrité », tel que défini, nécessite un degré de conscience par le professionnel.
47
48 49
50
Reid, Hubert, Ad.E; Reid, Simon (avec la collaboration de), Dictionnaire de droit québécois et canadien, Édition Wilson & Lafleur, 6 e ed., « intégrité ». Chambre de la sécurité financière c. Potvin, 2014 CanLII 33899 (QC CDCSF), par. 82. Marianne DURAND (dir.), Le Robert, Éditions Le Robert, une maison d’édition SEJER, 2023 « probité », en ligne : https://dictionnaire.lerobert.com/definition/probite. Chambre de la sécurité financière c. Potvin, préc., note 48, par. 85.
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Le professionnel doit avoir connaissance qu'il transmet une information erronée ou qu'il manque de transparence pour manquer d'intégrité. Cependant, il n'est pas nécessaire d'établir l'intention qui l'anime au moment où il commet l'infraction, pas plus que de démontrer qu'il a une quelconque intention malicieuse » 51
(nos soulignés et référence omise) [155] Le manque d’intégrité étant une infraction grave, la plaignante doit cependant présenter une preuve claire et précise 52 .
[156] En l’espèce, le comité considère que même si M. Lemieux n’a pas démontré de malhonnêteté ou de malveillance, il a néanmoins manqué de transparence vis-à-vis D.R. en lui faisant souscrire les deux contrats d’assurance.
[157] Le comité est d’opinion que face à la vulnérabilité de D.R., M. Lemieux aurait dû surseoir au processus de souscription débuté avec elle.
[158] En le continuant et le menant jusqu’à sa conclusion, sans permettre ou suggérer à D.R. de communiquer avec la ou les personnes de confiance qui l’assistaient habituellement en matière de questions financières, il a fait preuve d’un manque d’intégrité, car en ce faisant, il n’a pas démontré « l’état d’une personne d’une extrême probité ».
[159] Pour ces raisons, M. Lemieux doit donc aussi être trouvé coupable d’avoir contrevenu à l’article 11 du Code de déontologie en ce qui concerne les chefs d’infraction 2 et 4.
[160] Le comité considérant l’infraction commise en vertu de l’article 11 du Code de déontologie visant à assurer l’intégrité du représentant dans l’exercice de ses activités plus grave que celle d’avoir exercé ses activités de façon négligente conformément à l’article 16 de la LDPSF et l’article 35 du Code de déontologie et vu le principe empêchant les condamnations multiples, une suspension
51
52
Arpenteurs-géomètres (Ordre professionnel des) c. Francoeur, 2020 QCCDAG 6 (CanLII), par. 80. Chambre de la sécurité financière c. Baitel, 2002 CanLII 49158 (QC CDCSF).
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conditionnelle des procédures sera ordonnée en ce qui concerne ces deux dernières dispositions pour les chefs d’infraction 2 et 4.
M. Lemieux a-t-il procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de D.R. alors qu’il lui faisait souscrire le contrat d’assurance portant le numéro N00XXXX9 (chef d’infraction 3)?
[161] À titre de représentant en assurance de personnes, M. Lemieux devait procéder à une analyse complète et conforme des besoins financiers (« ABF ») de D.R. alors qu’il lui faisait souscrire le deuxième contrat d’assurance le 5 septembre 2019 avec Croix Bleue.
[162] L’ABF est un document essentiel sur lequel doit reposer la recommandation du représentant à son client et elle « équivaut au diagnostic du médecin à l’avis juridique de l’homme de loi » 53 .
[163] Cette procédure est la pierre angulaire du travail du représentant en assurance de personnes 54 .
[164] La plaignante prétend que l’ABF préparée par M. Lemieux le 5 septembre 2019 55 avant de faire souscrire D.R. au deuxième contrat d’assurance n’était pas conforme et complète.
[165] M. Lemieux prétend au contraire que l’ABF qu’il a préparée est complète et conforme et que la plaignante ne s’est pas déchargée de son fardeau.
[166] De plus, il plaide que si le comité considère que certaines informations sont manquantes, ce défaut n’est pas suffisamment grave pour constituer une faute déontologique.
53 54 55
Chambre de la Sécurité Financière c. Mercier, 2005 CanLII 59601 (QC CDCSF), par. 6. Chambre de la sécurité financière c. Simard, 2018 QCCDCSF 44 (CanLII), par. 31. Pièce P-28, p. 14.
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[167] Pour les raisons ci-après énumérées, le comité considère que la plaignante s’est déchargée de son fardeau en ce qui concerne le chef d’infraction 3.
[168] La preuve documentaire devant le comité comporte deux ABF préparées par M. Lemieux, à savoir un premier précédant le premier contrat d’assurance souscrit par D.R. avec IA en janvier 2019 56 et une deuxième en septembre 2019 précédant le deuxième contrat d’assurance souscrit par la consommatrice, soit celui avec Croix Bleue 57 .
[169] Le chef d’infraction 3 concerne cette deuxième ABF et non la première.
[170] Tout d’abord, le comité constate que l’ABF n’est pas datée, ce qui est contraire aux prescriptions de l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (« Règlement sur l’exercice ») qui requiert spécifiquement que l’ABF soit signée.
[171] D’ailleurs, la première ABF préparée par M. Lemieux non concernée par le chef d’infraction 3 n’était pas datée non plus.
[172] Deuxième élément qui fait en sorte que l’ABF n’est pas conforme et complet est qu’on n’y retrouve pas une ventilation des revenus de la consommatrice.
[173] Troisièmement, le montant inscrit pour le loyer mensuel est de 500$ alors que le montant inscrit pour le montant du loyer inscrit à la première ABF préparée antérieurement en janvier 2019 est supérieur, soit 552$, alors qu’il est en preuve que D.R. demeurait toujours au même endroit en septembre 2019 58 .
[174] Quatrièmement, on retrouve à l’ABF aucune indication ou note quant aux besoins d’assurance de la consommatrice.
56 57 58
Pièce P-28, p. 13 et 15. Pièce P-28, p. 14. Pièces P-28, p. 13-15.
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[175] À ces raisons ci-haut décrites, s’ajoute l’élément encore plus fondamental qu’est le handicap intellectuel de D.R. ci-haut discuté faisant en sorte que le comité est d’opinion que M. Lemieux n’a pu faire seulement avec D.R. une telle analyse conforme et complète de ses besoins financiers.
[176] Au même titre que le comité considère que M. Lemieux a exercé ses activités de façon négligente en faisant souscrire à deux reprises des contrats d’assurance à une personne vulnérable qui ne pouvait pas les comprendre, il est d’opinion qu’il ne pouvait procéder uniquement avec D.R. à une analyse complète et conforme de ses besoins financiers, vu son handicap.
[177] Par conséquent, le comité considère que la plaignante a fait la preuve de façon prépondérante que M. Lemieux n’a pas procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de D.R. tel que reproché au chef d’infraction 3 contrairement à l’article 6 du Règlement sur l’exercice et qu’en plus, il n’a pas agi avec compétence et professionnalisme au sens de l’article 16 de la LDPSF de même qu’il a fait défaut de s’enquérir de la situation de D.R. afin d’identifier ses besoins contrairement à l’article 27 de cette même loi.
[178] M. Lemieux est donc coupable d’avoir contrevenu aux trois dispositions alléguées au chef d’infraction 3.
[179] Cependant, l’article 6 du Règlement sur l’exercice décrivant le mieux la faute commise par M. Lemieux et afin de respecter la règle interdisant les condamnations multiples, le comité ordonnera la suspension conditionnelle des procédures en ce qui a trait aux articles 16 et 27 de la LDPSF.
M. Lemieux a-t-il faussement indiqué dans la proposition d’assurance portant le numéro 190XXX que D.R. ne possédait pas d’autres polices d’assurance invalidité (chef d’infraction 5)?
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[180] La plaignante reproche à M. Lemieux d’avoir, le 5 septembre 2019, faussement indiqué à la proposition d’assurance 59 qui a mené à la souscription par D.R. au deuxième contrat d’assurance qu’elle ne possédait pas d’autres polices d’assurance invalidité.
[181] La preuve devant le comité est à l’effet qu’au moment de la préparation de la proposition, D.R. était titulaire d’une autre police d’assurance, soit celle avec IA Excellence souscrite par l’entremise aussi de M. Lemieux en janvier 2019 60 .
[182] M. Lemieux prétend qu’il n’a pas transmis de fausse information en déclarant à la section 5 de ladite proposition que D.R. ne détenait pas d’autre assurance invalidité au motif que l’autre assurance qu’elle détenait avec IA Excellence n’était pas une assurance invalidité, mais bien plutôt une assurance accidentelle.
[183] Bien que le formulaire 61 utilisé par M. Lemieux pour préparer l’ABF précédant la proposition et la souscription de ce deuxième contrat d’assurance en soit un utilisé habituellement pour la préparation d’une proposition d’assurance invalidité, cet élément ne fait pas en sorte que M. Lemieux a présenté une fausse déclaration, tel que prétendu par la plaignante.
[184] En effet, la preuve documentaire démontre clairement le bien-fondé de la prétention de M. Lemieux à l’effet que l’assurance avec IA Excellence n’était pas une assurance invalidité, mais bien plutôt une assurance accidentelle prévoyant entre autres une protection en cas de « décès », « mutilation par accident », « fracture » et « rente hospitalière » 62 .
[185] Cela étant, la plaignante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve et M. Lemieux sera déclaré non coupable du chef d’infraction 5 pour avoir
59 60 61 62
Pièce P-7, p. 8, section 5. Pièce P-28, p. 1-10. Pièce P-28, p. 13. Pièce P-28, p. 7-10.
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contrevenu aux dispositions alléguées, à savoir l’article 16 de la LDPSF et l’article 35 du Code de déontologie.
M. Lemieux a-t-il correctement rempli les formulaires de préavis de remplacement pour les clientes G.C.M., S.G., M.B. et D.L. (chef d’infraction 6)?
[186] Le chef d’infraction 6 vise les formulaires de préavis de remplacement préparés par M. Lemieux pour quatre clientes en 2020 et 2021 alors qu’il leur faisait souscrire de nouvelles propositions d’assurance 63 .
[187] La plaignante prétend que les quatre préavis de remplacement préparés par M. Lemieux sont incomplets et ne respectent pas l’article 22 du Règlement sur l’exercice et qu’en ce faisant, il n’a pas en plus respecté l’article 16 de la LDPSF qui oblige un représentant d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients, en plus d’agir avec compétence et professionnalisme.
[188] Le préavis de remplacement 64 « vise d’abord à informer un client des conséquences de la transaction et à signaler à ce dernier les conséquences qui peuvent résulter du remplacement envisagé de police d’assurance » 65 .
[189] La plaignante allègue plusieurs reproches quant au contenu desdits préavis.
[190] Essentiellement, M. Lemieux prétend que les reproches soulevés par la plaignante ne sont pas suffisamment graves pour constituer une faute déontologique.
[191] Le comité considère que la plaignante a présenté une preuve prépondérante démontrant que M. Lemieux est coupable du chef d’infraction 6.
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Pièce P-31 pour G.C.M.; Pièce P-33 pour S.G.; Pièce P-34 pour M.B.; Pièce P-30 pour D.L. Règlement sur l’exercice des activités des représentants, RLRQ c D-9.2, art. 22. Chambre de la sécurité financière c. Belle, 2006 CanLII 59859 (QC CDCSF), par. 43.
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Un préavis par contrat d’assurance [192] Le premier reproche de la plaignante est le fait que pour les clientes G.C.M., S.G. et M.B., un seul préavis a été préparé par M. Lemieux alors que deux contrats d’assurance seraient annulés par la souscription du nouveau contrat.
[193] M. Lemieux quant à lui prétend qu’en vertu de la décision rendue pour le comité dans l’affaire Belle, un seul préavis de remplacement est suffisant en autant que le représentant couvre bien avec les clientes les conséquences du remplacement quant aux deux assurances 66 .
[194] Avec respect pour l’opinion contraire, le comité ne peut accepter cet argument de l’intimé pour les raisons suivantes.
[195] En effet, cette décision du comité a été rendue le 25 mai 2006 alors que l’article 22 du Règlement sur l’exercice et l’Annexe I contenant le formulaire de préavis étaient différents du texte actuel et applicable au moment où M. Lemieux a préparé les préavis de remplacement en 2020 et 2021.
[196] En fait, le Règlement sur l’exercice et l’Annexe 1 ont été modifiés le 24 juillet 2013, soit après cette décision du comité 67 .
[197] La version de l’article 22 du Règlement sur l’exercice en vigueur en 2006 au moment où la décision a été rendue dans l’affaire Belle se lisait comme suit :
« 22. Lorsque la souscription d’un contrat d’assurance est susceptible d’entraîner la résiliation, l’annulation ou la réduction des bénéfices d’un autre contrat d’assurance, le représentant doit:
1° procéder à une analyse des besoins de l’assuré ou du preneur conformément à l’article 6;
66 67
Id., par. 34-41. Gazette officielle du Québec, 24 juillet 2013, 145e année, no 30, partie 2, p. 3261-3262; Gazette officielle du Québec, 21 juillet 1999, 131e année, no 29, partie 2, p. 3052-3053.
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2° remplir, en même temps que la proposition d’assurance, le formulaire vendu par le Bureau, prévu à l’annexe I ou II si l’assuré ou le preneur a avantage à remplacer son contrat par un autre; (…) »
(nos soulignés) [198] L’Annexe I contenait alors notamment un formulaire de « Préavis de remplacement de police » et un « avis important pour le consommateur ».
[199] La version modifiée actuellement en vigueur de l’article 22 du Règlement sur l’exercice date du 24 juillet 2013 et se lit comme suit :
« 22. Lorsque la souscription d’un contrat d’assurance est susceptible d’entraîner la résiliation, l’annulation ou la réduction des bénéfices d’un autre contrat d’assurance, le représentant doit:
1° abrogé; 2° remplir, avant ou en même temps que la proposition d’assurance, le formulaire prescrit à l’Annexe I, si le preneur ou l’assuré a avantage à remplacer son contrat par un autre; (…) »
(nos soulignés) [200] De plus, l’Annexe I contient le formulaire « Préavis de remplacement d’un contrat d’assurance de personnes », l’ « avis important pour le consommateur » et l’ « avis important au représentant en assurance de personnes » 68 .
[201] À l’avis important au représentant en assurance de personnes, il est mentionné que « si le contrat d’assurance proposé en remplace plusieurs, un préavis de remplacement doit être fait pour chaque contrat remplacé. Le numéro des préavis de remplacement sera le numéro de la proposition, suivi d’un chiffre (exemple : numéro de la proposition 4, numéro de la proposition 2 ». (nos soulignés)
68
Gazette officielle du Québec, 24 juillet 2013, préc., note 67.
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[202] Cette mention à l’Annexe I n’existait pas en 2003, lorsque la plainte disciplinaire a été déposée dans l’affaire Belle et lorsque le comité a rendu sa décision en 2006.
[203] Qui plus est, depuis la modification à l’Annexe I, l’avis important au représentant en assurance de personnes en fait partie intégrante, ce qui n’était pas le cas auparavant.
[204] L’annexe d’une loi ou d’un règlement fait tout autant partie de la loi et constitue une disposition législative comme toute autre partie d’une loi 69 .
[205] Il semblerait donc que lors de la modification de 2013, le législateur a prévu que le formulaire à l’Annexe I du Règlement sur l’exercice soit un formulaire obligatoire à respecter et non seulement un modèle à suivre fourni aux représentants.
[206] Par conséquent, vu ce qui précède, M. Lemieux aurait dû compléter un formulaire de préavis pour chacun des contrats d’assurance remplacés.
La clause d’incontestabilité [207] Comme deuxième reproche, la plaignante prétend que M. Lemieux n’a pas traité correctement la question de la clause d’incontestabilité auxdits préavis de replacement.
[208] La clause prévoyant l’incontestabilité d’un contrat d’assurance-vie n’est généralement pas transférée d’un contrat à l’autre et la validité d’un nouveau contrat d’assurance peut donc parfois être remise en question lorsque l’ancien contrat était peut-être incontestable.
69
Paul-André CÔTÉ, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009 p. 85.
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[209] Ainsi, en remplaçant une assurance, un client pourrait perdre cet avantage lié à cette clause, car cette période recommence à courir le jour de l’entrée en vigueur du contrat proposé.
[210] Il s’agit par conséquent d’un élément très important à considérer lorsqu’un consommateur annule un contrat d’assurance et le remplace par un autre.
[211] Aux préavis de remplacement préparés pour les quatre clientes, il est mentionné à la section concernant la clause d’incontestabilité « ne s’applique pas » 70 .
[212] M. Lemieux mentionne à son témoignage qu’il avait fait cette mention parce que selon lui, cette clause ne pouvait pas s’appliquer, car il ne s’agissait pas d’assurance-vie.
[213] Pourtant plus loin aux préavis, à la section 2.3, en ce qui concerne les clientes S.G., M.B. et D.L., il y a indiqué comme désavantage la clause d’incontestabilité 71 .
[214] De plus, M. Lemieux témoigne à l’effet que pour les nouvelles assurances que les clientes souscrivaient avec Manuvie, la clause d’incontestabilité était pour une période d’une année et non deux ans et qu’il leur avait bien mentionné verbalement.
[215] Il admet cependant ne pas l’avoir inscrit auxdits préavis de remplacement.
[216] Ces contradictions de la part de M. Lemieux amènent le comité à la conclusion évidente qu’il a manqué de commenter l’incidence de la clause d’incontestabilité auxdits préavis de replacement d’une façon claire et conforme aux prescriptions de l’article 22 du Règlement sur l’exercice.
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Pièces P-30, P-31, P-33 et P-34. Pièces P-33, P-34 et P-30.
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Autres défauts des préavis de remplacement [217] À ces deux premiers reproches s’ajoutent d’autres défauts soulevés par la procureure de la plaignante concernant les points suivants :
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Aucune mention relative à la perte d’usage accidentelle de 25 000 $, la perte du réaménagement à la suite d’un accident et la perte du remboursement des preuves de décès 72 ;
Aucune indication de la perte de couverture, décès accidentel, la perte de réaménagement ni celle concernant les frais médicaux suite à un accident 73 .
[218] Ces défauts sont effectivement constatés par le comité aux préavis de remplacement et s’ajoutent aux deux premiers ci-haut décrits.
[219] M. Lemieux a témoigné avec beaucoup de détails et de précisions quant à la confection des préavis de remplacement avec chacune des clientes.
[220] Le comité comprend aussi que ce sont les clientes qui ont communiqué avec lui pour faire les changements d’assurance et qu’il ne les avait pas sollicitées.
[221] De plus, tel que souligné par le procureur de M. Lemieux, les documents sont datés et signés par les clientes, lesquelles n’ont pas témoigné devant le comité.
[222] Le comité réitère cependant que l’infraction reprochée à M. Lemieux n’est pas d’avoir fait défaut d’expliquer à ses clientes le contenu des formulaires, mais de ne pas avoir « correctement rempli les formulaires de préavis de remplacement » conformément au paragraphe 2 de l’article 22 du Règlement sur l’exercice.
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Pièce P-31, G.C.M. Pièce P-33, S.G.; Pièce P-34, M.B.; Pièce P-30, D.L.
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[223] Le comité peut comprendre que le travail d’un représentant au niveau de la conformité requiert une rigueur documentaire exigeante qui peut même paraître fastidieuse pour certains.
[224] Le comité ne peut cependant accepter la prétention du procureur de M. Lemieux à l’effet que les imprécisions, incertitudes et défauts contenus auxdits documents ne sont pas suffisamment graves pour constituer une faute déontologique 74 .
[225] En effet, ils sont trop nombreux et importants pour convaincre le comité que les préavis de remplacement sont tout de même acceptables.
[226] Ainsi, les défauts commis par M. Lemieux dans la confection des quatre préavis de remplacement sont selon le comité suffisamment graves pour constituer une faute déontologique.
[227] Par conséquent, M. Lemieux sera déclaré coupable du chef d’infraction 6 pour avoir contrevenu à l’article 22 du Règlement sur l’exercice et à l’article 16 de la LDPSF.
[228] Cependant, l’article 22 du Règlement sur l’exercice décrivant le mieux la faute commise par M. Lemieux et afin de respecter la règle interdisant les condamnations multiples, le comité ordonnera la suspension conditionnelle des procédures en ce qui a trait à l’article 16 de la LDPSF.
PAR CES MOTIFS, le comité de discipline : DÉCLARE l’intimé coupable du chef d’infraction 1 pour avoir contrevenu à l’article 6 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3), mais non coupable en vertu des articles 8 et 11 dudit code;
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Chambre de la sécurité financière c. Lamarche, 2020 QCCDCSF 62 (CanLII).
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DÉCLARE l’intimé coupable des deux chefs d’infraction 2 et 4 pour avoir contrevenu aux articles 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3) et à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2); ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures quant aux chefs d’infraction 2 et 4 à l’égard de l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et de l’article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3); DÉCLARE l’intimé coupable du chef d’infraction 3 pour avoir contrevenu aux articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (RLRQ, c. D-9.2, r. 10); ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures quant au chef d’infraction 3 à l’égard des articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2); DÉCLARE l’intimé non coupable du chef d’infraction 5; DÉCLARE l’intimé coupable du chef d’infraction 6 pour avoir contrevenu à l’article 22 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (RLRQ, c. D-9.2, r. 10) et à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2); ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures quant au chef d’infraction 6 à l’égard de l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2); CONVOQUE les parties, avec l’assistance de la secrétaire du Comité de discipline, à une audition sur sanction; PERMET la notification de la présente décision aux parties par moyen technologique conformément à l’article 133 du Code de procédure civile
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(RLRQ, c. C-25.01), à savoir par courrier électronique.
(S) M e Claude Mageau M e CLAUDE MAGEAU Président du comité de discipline
(S) Patrick Warda M. PATRICK WARDA, A.V.C., PL. FIN. Membre du comité de discipline
(S) Robert Carrier M. ROBERT CARRIER Membre du comité de discipline
M e Karoline Khelfa M e Andréanne Brière-Dulude CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE Avocates de la partie plaignante
M e Martin Courville Ad Litem Avocats Avocat de la partie intimée
Dates d’audience : 1, 2 et 3 octobre 2024 COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ A0920 A1010 A1260 A1310 A2230