Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1538

 

DATE :

Le 23 avril 2024

 

 

LE COMITÉ :

Me Chantal Donaldson

Présidente

M. Stéphane Prévost, A.V.C.

Membre

M. Martin Lachance

Membre

 

 

SYNDIC DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

                     Plaignant

c.

 

IBRAHIM BAMBA, conseiller en sécurité financière (certificat numéro 203309)

 

                    Intimé

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

 

ORDONNANCE DE NON-DIVILGATION, NON-DIFFUSION ET NON-PUBLICATION

[1]          À la demande du syndic de la Chambre de la sécurité financière (ci-après
« syndic »)
, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (ci-après : « comité ») a rendu séance tenante, conformément à l’article 142 du Code des professions, l’ordonnance suivante :

Non-divulgation, non-diffusion, et non-publication de tout renseignement ou information qui pourrait permettre d’identifier le nom et prénom du consommateur concerné par la plainte disciplinaire, étant entendu que la présente ordonnance ne s’applique pas aux échanges d’information prévus à la Loi sur l’encadrement du secteur financier et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

APERÇU

[2]            L’intimé, M. Ibrahim Bamba, a été cité devant le comité à la suite du dépôt d’une plainte disciplinaire datée du 19 juillet 2023, laquelle contient un seul chef d’infraction lui reprochant de ne pas avoir cherché à avoir une connaissance complète des faits en ne recueillant pas tous les renseignements nécessaires et en ne procédant pas à une analyse complète et conforme des besoins financiers (ci-après : « ABF ») de son client alors qu’il lui faisait souscrire un contrat de fonds distincts.

[3]            La plainte est ainsi libellée :

LA PLAINTE :

1.         À Montréal, le ou vers le 17 novembre 2021, l’intimé n’a pas cherché à avoir une connaissance complète des faits en ne recueillant pas tous les renseignements nécessaires et en ne procédant pas à une analyse complète et conforme des besoins de Y.D. alors qu’il lui faisait souscrire le contrat de fonds distincts numéro xxxxx234, contrevenant ainsi à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants et l’article 15 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[4]         Les articles 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (ci-après : « le Règlement ») et 15 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (ci-après : « le Code de déontologie ») édictent ce qui suit : 

Règlement sur l’exercice des activités des représentants

6. Le représentant en assurance de personnes doit, avant de faire remplir une proposition d’assurance ou d’offrir un produit d’assurance de personnes comportant un volet d’investissement, dont un contrat individuel à capital variable, analyser avec le preneur ses besoins ou ceux de l’assuré.

Ainsi, selon le produit offert, le représentant en assurance de personnes doit analyser avec le preneur, notamment, ses polices ou contrats en vigueur ou ceux de l’assuré, selon le cas, leurs caractéristiques et le nom des assureurs qui les ont émis, ses objectifs de placement, sa tolérance aux risques, le niveau de ses connaissances financières et tout autre élément nécessaire, tels ses revenus, son bilan financier, le nombre de personnes à sa charge et ses obligations personnelles et familiales.

Le représentant en assurance de personnes doit consigner les renseignements recueillis pour cette analyse dans un document daté. Une copie de ce document doit être remise au preneur au plus tard au moment de la livraison de la police.

Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière

 

15. Avant de renseigner ou de faire une recommandation à son client ou à tout client éventuel, le représentant doit chercher à avoir une connaissance complète des faits.

 

[5]            Ces articles sont rédigés en termes impératifs et la jurisprudence est bien établie à l’effet que l’ABF est la pierre angulaire du travail du représentant. C’est un document essentiel pour déterminer les besoins des clients et sur lequel doivent reposer les recommandations que le représentant propose à ces derniers[1].

[6]            Le traitement des informations complètes et pertinentes contenues dans l’ABF permet l’élaboration d’hypothèses aidant à constater des situations possiblement avantageuses ou préjudiciables au client. Par exemple, une modification des conditions d’emprunt, comme la fluctuation des taux d’intérêt variables, pourrait, dans certains cas, faire en sorte que le financement devienne soudainement trop onéreux pour le consommateur.

[7]            Une fois l’analyse rigoureuse complétée (cueillette d’informations et analyse des renseignements recueillis) et les recommandations soumises, c’est au client que revient la décision finale[2].

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[8]            M. Bamba a collaboré à l’enquête du syndic et il a plaidé coupable aux deux infractions contenues à la plainte disciplinaire. À cet effet, il a déposé un plaidoyer de culpabilité écrit. Il comprend les implications de ce plaidoyer lequel a été donné de façon libre et volontaire à la suite de pourparlers tenus entre les parties. Un exposé détaillé conjoint des faits sous-jacents à ces infractions, telles que reconnues par M. Bamba, a également été déposé lors de l’audition.

[9]          L’admission de ces faits constitue des manquements déontologiques. Aussi, le comité a accepté le plaidoyer de culpabilité de M. Bamba et l’a déclaré coupable séance tenante d’avoir contrevenu à l’article 6 du Règlement et à l’article 15 du Code de déontologie tels qu’allégués au seul chef d’infraction contenu à la plainte.

[10]       Toutefois, en vertu du principe interdisant les condamnations multiples[3], le comité a ordonné la suspension conditionnelle des procédures quant à l’article 15 du Code de déontologie et M. Bamba doit être sanctionné uniquement pour avoir contrevenu à l’article 6 du Règlement.

[11]       Les parties suggèrent une amende de 4 000 $ comme recommandation commune quant à la sanction à être imposée ainsi que la condamnation de M. Bamba au paiement des déboursés.

[12]       Le comité n’est pas lié par la recommandation commune sur sanction qui lui est présentée. Rappelons cependant, qu’elle ne peut être écartée à moins de démontrer qu’elle est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle est contraire à l’intérêt public[4].

QUESTION EN LITIGE

La recommandation commune des parties déconsidère-t-elle l’administration de la justice ou est-elle contraire à l’intérêt public ?

 

ANALYSE

[13]       M. Bamba est actif en assurance de personnes depuis 2014. Au moment des faits reprochés, il avait sept (7) ans d’expérience dans le domaine.

[14]       À l’automne 2021, un consommateur cherchant à investir dans un prêt levier lui est référé. Le consommateur possède déjà des investissements et il désire bénéficier de la faiblesse des taux d’intérêt du moment. Il estime qu’un gain éventuel ne lui coûterait pas cher.

[15]       M. Bamba et le consommateur ne se sont jamais rencontrés en personne ni par un mode virtuel, tous leurs échanges ont eu lieu par téléphone ou par courriel.

[16]       La demande de prêt placement au montant de 100 000 $ est approuvée sous réserve de certaines conditions. M. Bamba transmet ladite demande par courriel au consommateur dans lequel il mentionne qu’une fois que le consommateur aura passé en revue la demande, il pourra, par la suite, répondre à ses interrogations et il lui enverra un Docusign.

[17]       Les 16 et 17 novembre 2021, le consommateur et M. Bamba s’échangent des courriels sur la façon d’investir le montant emprunté en réponse aux questions du consommateur et la demande de prêt placement est signée électroniquement par le consommateur et les parties signent également électroniquement une Demande de souscription – Contrat non enregistré.

[18]       Au moyen du prêt placement levier, le consommateur investit le montant de 100 000 $ dans un contrat non enregistré.

[19]       Le 22 septembre 2022, après plusieurs augmentations consécutives du taux directeur de la Banque du Canada, le consommateur écrit à M. Bamba pour lui dire qu’il croyait que le taux d’intérêt était fixe et qu’il vient de s’apercevoir qu’il est plutôt variable.

[20]       Par son plaidoyer de culpabilité, M. Bamba reconnaît ne pas avoir cherché à avoir une connaissance complète et conforme des faits relatifs à son client et ne pas avoir complété adéquatement l’ABF de ce dernier. Plus particulièrement, lors d’une rencontre virtuelle tenue entre l’enquêtrice et M. Bamba, ce dernier affirme avoir fait une analyse des besoins financiers du consommateur en collectant diverses informations en complétant la Demande de prêt et il avoue ne pas avoir fait une telle analyse dans un document distinct. Par conséquent, aucun document conforme à l’article 6 du Règlement n’a été daté et remis au consommateur alors que celui-ci souscrivait à un produit d’assurance comportant un volet investissement, soit un contrat de fonds distincts.

[21]       Cela dit, il appert que certaines informations requises dans l’ABF apparaissent dans la Demande de prêt, telles que le salaire annuel du consommateur, ses actifs et passifs, ainsi que d’autres obligations financières.

[22]       M. Bamba reconnaît également ne pas avoir fait de profil d’investisseur pour ce consommateur puisque ce dernier détenait déjà plusieurs placements, il a assumé que sa tolérance au risque était grande. M. Bamba n’a donc pas cherché à avoir une connaissance complète du consommateur en ne déterminant pas et n’en analysant pas sa situation et notamment, sa tolérance au risque, les contrats en vigueur, ses obligations personnelles et sa capacité à payer les intérêts considérant que le prêt était à taux variable.

[23]       L’examen, en amont, de scénarios éventuels et probables rendant le produit convoité moins attrayant, selon diverses hypothèses, assure une prise de décision éclairée au consommateur. L’absence ou l’analyse incomplète d’une situation peut compromettre l’adoption d’un choix mesuré.

[24]       La fourchette de sanctions varie habituellement pour cette infraction d’une réprimande à une amende de 3 000 $ à 6 000 $, tel qu’il appert de nombreuses décisions rendues par les tribunaux en matière d’analyse incomplète des besoins financiers du consommateur[5].

[25]       La sanction convenue entre les parties se situe à l’intérieur de la fourchette des sanctions imposées pour des infractions similaires.

[26]       Après considération des circonstances propres à cette affaire, à savoir que M. Bamba a reconnu sa faute, qu’il a plaidé coupable à la première occasion, qu’il s’agit d’un acte isolé et qu’il n’a aucun antécédent disciplinaire et compte tenu également de la gravité objective de l’infraction qui est au cœur de l’exercice de la profession, le comité imposera la sanction suggérée par les parties laquelle ne déconsidère pas l’administration de la justice, n’est pas contraire à l’intérêt public et remplit les objectifs visés par les sanctions en droit disciplinaire.

[27]       En conséquence, le comité condamnera, M. Bamba, au paiement d’une amende de 4 000$ et au paiement des déboursés.

 

POUR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de M. Bamba prononcée à l’audience du 16 février 2024 relativement au seul chef d’infraction de la plainte pour avoir contrevenu à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants et à l’article 15 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

RÉITÈRE la suspension conditionnelle des procédures quant à l’article 15 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

ET STATUANT SUR LA SANCTION :

CONDAMNE M. Bamba au paiement d’une amende de 4 000 $ sous le seul chef d’infraction en lien avec l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants.

CONDAMNE M. Bamba au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions.

PERMET la notification de la présente décision aux parties par moyen technologique conformément à l’article 133 du Code de procédure civile, soit par courrier électronique.

 

 

 

 

 

(S) Me Chantal Donaldson _________________________________Me Chantal Donaldson

Présidente du comité de discipline

 

 

 

(S) Stéphane Prévost _________________________________

M. Stéphane Prévost, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

 

 

(S) Martin Lachance _________________________________

M. Martin Lachance

Membre du comité de discipline

 

 

M. Ibrahim Bamba

Intimé, présent et non représenté

 

 

Me Jack Kermezian

ML Avocats

Procureurs du plaignant

 

Date d’audience :

16 février 2024

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

A1051



[1] CSF c. Baillargeon, 2010 CanLII 99871 (QC CDCSF), CSF c. Simard, 2018 QCCDCSF 44.

[2] CSF c. Loubert, 2004 CanLII 59834 (QC CDCSF).

[3] Kienapple c. R., 1974 CanLII 14 (CSC).

[4] R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43.

[5] CSF c. Charbonneau, 2012 CanLII 97161 (QC CDCSF); CSF c. De Bellefeuille, 2018 QCCDCSF 31; CSF c. Simard, 2018 QCCDCSF 44; CSF c. Goulet, 2018 QCCDCSF 19; CSF c. Beckers, 2012 CanLII 97172 (QC CDCSF); CSF c. Caro, 2021 QCCDCSF 68, CSF c. Legros, 2020 QCCDCSF 52 et; CSF c. Dorval, 2021 QCCDCSF 6.

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