Chambre de la sécurité financière (Québec)

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comité de discipline

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

canada

province de québec

 

 

 

N°:

CD00-1530

DATE:

10 octobre 2023

le comité :

Me Claude Mageau

M. Alain Legault

M. Bruno Therrien, Pl. Fin.

Président

Membre

Membre

 

 

Syndic de la Chambre de la sécurité financière

 

Partie plaignante

c.

PHILIPPE TURGEON (certificat numéro 222163)

 

Partie intimée

décision sur CULPABILITÉ ET sanction

 

conformément à l’article 142 du code des professions, le comité a prononcé l’ordonnance suivante :

Ordonnance de non-divulgation, de non-diffusion et de non‑publication du nom de la consommatrice ainsi que toute information permettant de l’identifier et de l’ensemble des numéros de téléphone apparaissant aux documents déposés à la pièce P-5 en liasse, étant entendu que la présente ordonnance ne s’applique pas à tout échange d’information prévu à la Loi sur l’encadrement du secteur financier et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers.
APERÇU
Infraction reprochée
[1]          La plainte disciplinaire déposée contre l’intimé, M. Philippe Turgeon (« M. Turgeon ») contient le chef unique d’infraction lui reprochant d’avoir « à Trois-Rivières, le ou vers le 12 septembre 2022, à l’occasion d’une visite au domicile de K.N., pris sans autorisation du courrier dans la boite aux lettres »[1].
[2]          En ce faisant, M. Turgeon aurait ainsi contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (« LDPSF ») et à l’article 11 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (« Code de déontologie »).
Plaidoyer
[3]          Lors de l’audition le 12 juillet 2023, alors qu’il n’est pas représenté par procureur, M. Turgeon informe le comité de son intention de plaider coupable à l’infraction reprochée.
[4]          Il dépose à cet effet son plaidoyer de culpabilité écrit, signé et daté du 3 juillet 2023[2].
[5]          Après s’être assuré auprès de M. Turgeon qu’il comprenait bien le sens de son plaidoyer de culpabilité et qu’en ce faisant, il admettait avoir commis une faute déontologique, le comité accepte ledit plaidoyer comme étant donné de façon éclairée, sans menace ni contrainte.
[6]          Par la suite, les parties déposent le document intitulé « Recommandations communes sur sanction »[3].
[7]          Après un bref résumé des faits présenté par la procureure du syndic, le comité trouve l’intimé coupable de l’unique chef d’infraction pour avoir contrevenu à l’article 16 de la LDPSF et à l’article 11 du Code de déontologie.
[8]           Cependant, en vertu du principe empêchant les condamnations multiples[4], le comité ordonne la suspension conditionnelle des procédures en regard de l’article 11 du Code de déontologie.
[9]          Par conséquent, M. Turgeon sera sanctionné uniquement pour avoir contrevenu à l’article 16 de la LDPSF.
Contexte
[10]       Au moment de l’infraction reprochée, M. Turgeon est représentant en assurance de personnes depuis près de quatre ans et est alors contractuellement lié à Industrielle Alliance, Assurances et Services Financiers inc. (« IA ») depuis près de deux ans.
[11]       Le dossier de la consommatrice, demanderesse d’enquête, lui avait été assigné par IA.
[12]       Il tente à plusieurs reprises de la rencontrer sans succès.
[13]       Plus particulièrement, il s’était rendu inutilement au domicile de la consommatrice à quelques reprises, ce qui lui occasionnait alors pour chaque rendez‑vous annulé un déplacement en voiture d’environ une heure et demie.
[14]       Lors de la journée de l’infraction, il se présente à nouveau au domicile de la consommatrice, frappe à plusieurs reprises à sa porte, mais elle ne répond pas.
[15]       Il s’informe alors auprès ses voisins qui lui mentionnent que selon eux, elle est bien à son domicile.
[16]       La consommatrice lors de l’enquête mentionne au syndic qu’elle n’avait pas alors entendu M. Turgeon frapper à sa porte.
[17]       Elle s’était déjà plainte auprès de M. Turgeon qu’elle considérait qu’il lui faisait perdre son temps pour les rendez-vous manqués et qu’elle s’en plaindrait auprès de ses supérieurs, si cela se reproduisait.
[18]       Compte tenu de ce qui précède, afin d’être en mesure de démontrer à IA qu’il s’était bien présenté au domicile de la consommatrice pour ce rendez-vous, M. Turgeon décide de prendre dans sa boîte aux lettres un feuillet d’élection adressé à son nom.
[19]       Cependant, son domicile étant muni d’une caméra extérieure, elle constate par la suite en visionnant la vidéo que M. Turgeon avait pris le document.
[20]       Elle s’en plaint ensuite auprès des services policiers et de l’Autorité des marchés financiers (« AMF »).
[21]       Le lendemain, un policier de la Sûreté du Québec rencontre M. Turgeon concernant l’incident et ce dernier remet alors au policier le document qu’il avait pris de la boîte aux lettres de la consommatrice.
[22]       Aucune plainte criminelle n’est déposée contre lui par le Directeur des poursuites criminelles et pénales.
[23]       Selon M. Turgeon, IA met fin à son contrat à titre de représentant le 8 octobre 2022, sans qu’il ait eu l’occasion d’expliquer le geste reproché.
[24]       Il collabore pleinement à l’enquête du syndic et plaide coupable à l’infraction reprochée à la première occasion.
[25]       M. Turgeon n’a pas l’intention de revenir dans l’industrie à titre de représentant.
[26]       Les parties font au comité les recommandations communes de sanction suivantes, à savoir l’imposition d’une réprimande et la condamnation de M. Turgeon au paiement des débours conformément à l’article 151 du Code des professions.
Question en litige
Les recommandations communes de sanction soumises par les parties doivent-elles être entérinées par le comité?
Décision
[27]       Pour les raisons qui suivent, le comité accepte les recommandations communes sur sanction présentées par les parties et imposera à M. Turgeon une réprimande tout en lui ordonnant de payer les débours conformément à l’article 151 du Code des professions.
ANALYSE ET MOTIFS
                     Les recommandations communes de sanction soumises par les parties doivent-elles être entérinées par le comité?
[28]       La règle fondamentale bien connue en matière de sanction disciplinaire est son individualisation, laquelle doit atteindre les objectifs suivants :
                 i.          La protection du public;
               ii.          La dissuasion du professionnel de récidiver;
              iii.          L’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession;
              iv.          Le droit du professionnel d’exercer sa profession (critère arrivant en dernier lieu)[5].
[29]       Cependant, vu les recommandations communes de sanction présentées par les parties, le comité n’a pas à déterminer si la sanction recommandée est juste ou appropriée, mais doit plutôt se demander si elle respecte le critère de l’intérêt public à savoir si elle ne mine pas la confiance du public dans l’administration de la justice ou ne va pas à l’encontre de l’intérêt public[6].
[30]       Ce critère établi par la Cour suprême en matière criminelle s’applique aussi en matière disciplinaire[7].
[31]       Ce critère rigoureux a été réitéré récemment par le plus haut tribunal du pays en déclarant que « la rigueur de ce critère vise à protéger les avantages particuliers découlant des recommandations conjointes. Ce processus procure aux parties un degré élevé de certitude que la peine proposée conjointement sera infligée, en plus d’éviter le besoin de tenir des procès longs, coûteux et acrimonieux. En règle générale, les audiences de détermination de la peine basées sur des recommandations conjointes sont simples et expéditives. Elles permettent d’épargner de l’argent, ainsi que du temps et d’autres précieuses ressources qui peuvent être consacrées à d’autres instances devant les tribunaux. Bref, elles permettent au système de justice de fonctionner de manière efficace et efficiente »[8].
[32]       Pour appuyer les recommandations communes de sanction, la procureure du syndic réfère à une jurisprudence où une réprimande est imposée[9].
[33]       Ainsi, dans l’affaire Bénie[10], au soutien de sa décision d’imposer une réprimande au représentant, le comité réfère à la décision rendue par le Tribunal des professions dans l’affaire Cloutier, où il est mentionné que « dans le cas d'un premier délinquant trouvé coupable d'un manquement déontologique ne mettant pas directement en péril la protection du public, le Comité de discipline devrait expliquer, avant d'imposer toute autre forme de sanction, en quoi la réprimande n'est pas appropriée, à l'exception évidemment des cas où la sanction est mandatoire »[11].
[34]       De plus, il ne faut pas oublier qu’une réprimande constitue un antécédent disciplinaire qui demeure au dossier de M. Turgeon[12].
[35]       Le comité est d’opinion, pour les raisons suivantes, qu’en l’espèce, les recommandations communes de sanction sont tout à fait appropriées et que par conséquent, elles ne peuvent être contraires à l’intérêt public et déconsidérer l’administration de la justice :

                    M. Turgeon n’a aucun antécédent disciplinaire;

                    Il plaide coupable à l’infraction reprochée à la première opportunité;

                    Il a collaboré entièrement non seulement avec le syndic, mais aussi avec les autorités policières;

                    Il s’agit d’un geste isolé;

                    Il y a absence de malhonnêteté et d’intention malicieuse de sa part;

                    Il a perdu son emploi à cause de cet incident;

                    Il n’a pas l’intention de revenir dans l’industrie comme représentant.

[36]       En plus de ce qui précède, le comité a eu l’occasion d’apprécier la sincérité de M. Turgeon lors de son témoignage et il est d’opinion qu’il a procédé à un sérieux exercice d’introspection face au geste reproché.
[37]       Il a refait sa vie professionnellement et apprécie son emploi actuel.
[38]       Vu ce qui précède, le comité considère que les chances que M. Turgeon récidive sont très faibles.
[39]       Enfin, le comité doit se remémorer qu’il doit « faire montre de retenue et de ne rejeter les recommandations conjointes que lorsque des personnes renseignées et raisonnables estimeraient que la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de justice. Un seuil moins élevé que celuici jetterait trop d’incertitude sur l’efficacité des ententes de règlement. Le critère de l’intérêt public garantit que ces ententes de règlement jouissent d’un degré de certitude élevé »[13].
[40]       Pour toutes ces raisons, le comité est d’opinion que les recommandations communes de sanction des parties doivent être entérinées.

CONCLUSION

[41]       Le comité considère que les recommandations communes de sanction présentées par les parties respectent le critère de l’intérêt public.
[42]       Pour toutes ces raisons, le comité entérinera les recommandations communes de sanction, imposera à M. Turgeon une réprimande et le condamnera au paiement des débours conformément à l’article 151 du Code des professions.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

PREND ACTE à nouveau du plaidoyer de culpabilité de l’intimé au chef unique d’infraction de la plainte;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimé pour avoir contrevenu à l’article 11 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3) et à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2);

RÉITÈRE ordonner la suspension conditionnelle des procédures à l’égard de l’article 11 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3);

IMPOSE à l’intimé une réprimande;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26);

PERMET la notification de la présente décision aux parties par moyen technologique conformément à l’article 133 du Code de procédure civile (RLRQ, c. C-25.01), soit par courrier électronique.

 

 

 

(S) Me Claude Mageau

 

Me CLAUDE MAGEAU

Président du comité de discipline

 

(S) Alain Legault

 

M. ALAIN LEGAULT

Membre du comité de discipline

 

(S) Bruno Therrien

 

M. BRUNO THERRIEN, PL. FIN.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Nathalie Vuille

Pouliot, Prévost, Galarneau, s.e.n.c.

Avocat de la partie plaignante

M. Philippe Turgeon
Partie intimée, présent et non représenté

Date d’audience : 12 juillet 2023

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ


A N N E X E   A

PLAINTE DISCIPLINAIRE

À Trois-Rivières, le ou vers le 12 septembre 2022, à l’occasion d’une visite au domicile de K.N., l’intimé a pris sans autorisation du courrier dans la boite aux lettres, contrevenant aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et 11 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.



[1]      Annexe A : Plainte disciplinaire.

[2]      Pièce SP-2.

[3]      Pièce SP-3.

[4]      Kienapple c. R., 1974 CanLII 14 (CSC), [1975] 1 RCS 729.

[5]      Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA), par. 38.

[6]      R. c. AnthonyCook, 2016 CSC 43 (CanLII), [2016] 2 RCS 204, par. 45.

[7]      Conea c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), 2022 QCTP 56 (CanLII), par. 45.

[8]      R. c. Nahanee, 2022 CSC 37 (CanLII), par. 2.

[9]      Chambre de la sécurité financière c. Bénie, 2018 QCCDCSF 65 (CanLII); Chambre de la sécurité financière c. Lapointe, 2022 QCCDCSF 17 (CanLII); Organisme d'autoréglementation du courtage immobilier du Québec c. Via Capitale Distinction Charles et Martine, 2021 CanLII 136171 (QC OACIQ).

[10]     Chambre de la sécurité financière c. Bénie, préc., note 9, par. 46.

[11]     Cloutier c. Ingénieurs forestiers, 2004 QCTP 36 (CanLII), par. 47.

[12]     Lagacé c. Gingras, ès qualités (arpenteurs-géo.), 2000 QCTP 50 (CanLII), par. 62.

[13]     R. c. AnthonyCook, 2016 CSC 43 (CanLII), [2016] 2 RCS 204, par. 42.

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