Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1525

 

DATE :

Le 13 octobre 2023

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LE COMITÉ :

Me Chantal Donaldson

Présidente

M. Denis Croteau, Pl. Fin.

Membre

Mme Audrey Lacroix

Membre

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SYNDIC DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

Plaignant

c.

 

ALEX MORIN (numéro de certificat 211131)

 

Intimé

 

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

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APERÇU

[1]      Afin d’acquérir de concert avec sa conjointe un immeuble déjà détenu par une société liée à ce dernier, l’intimé, M. Alex Morin, a utilisé des documents qu’il savait faux afin de bonifier son ratio d’endettement lors d’une demande personnelle de crédit hypothécaire.

[2]       Le simulacre a été découvert par l’institution financière et M. Morin n’a pas obtenu le financement nécessaire à l’achat dudit immeuble.

[3]     À la suite de cet évènement, M. Morin a été cité devant le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (ci-après : « le comité ») par le dépôt d’une plainte disciplinaire datée du 6 décembre 2022, laquelle contient un seul chef d’infraction, lui reprochant d’avoir utilisé des documents qu’il savait faux lors de demandes de crédit hypothécaire, contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers ainsi qu’à l’article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[4]       La plainte déposée est ainsi libellée :

LA PLAINTE :

À Trois-Rivières, vers le mois d’octobre 2020, l’intimé a utilisé des documents qu’il savait faux lors de demandes de crédit hypothécaire, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

 

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[5]       M. Morin a plaidé coupable au chef d’infraction contenu à la plainte disciplinaire et il a reconnu les faits sous-jacents à cette infraction. Ladite infraction est rattachée à deux articles législatifs distincts lesquels édictent ce qui suit :

Loi sur la distribution de produits et services financiers

16. Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients. Il doit agir avec compétence et professionnalisme.

Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière

35. Le représentant ne doit pas exercer ses activités de façon malhonnête ou négligente.

[6]       M. Morin admet avoir utilisé de faux documents, plus précisément un faux bail afin de faire accepter son prêt hypothécaire. Il a également utilisé un relevé bancaire altéré afin de faire concorder le bail avec les dépôts au compte bancaire de sa société. Il comprend les implications de ce plaidoyer lequel a été donné de façon libre et volontaire.

[7]       Ces faits, tels qu’admis, constituent des manquements déontologiques. Aussi, le comité a accepté le plaidoyer de culpabilité de M. Morin et l’a déclaré coupable séance tenante d’avoir contrevenu aux articles 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière et 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, tels qu’allégués à la plainte disciplinaire.

[8]       Toutefois, en vertu du principe interdisant les condamnations multiples[1], et après avoir entendu les parties, le comité ordonne la suspension conditionnelle des procédures quant à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

[9]       M. Morin doit donc être sanctionné pour avoir contrevenu à l’article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière. Comme sanction, le syndic recommande une radiation temporaire de 12 à 18 mois et la publication d’un avis de la décision, en plus de la condamnation de M. Morin au paiement des frais et des déboursés.

[10]    M. Morin, par l’entremise de son procureur, suggère plutôt une amende de
5 000 $ compte tenu de la décision no : 2022-OED-1002237 rendue le 3 février 2022 par l’Autorité des marchés financiers (ci-après : AMF). Comme l’AMF n’a pas suspendu son permis de courtier hypothécaire, mais l’a plutôt assorti de deux conditions pour une période de deux (2) ans à savoir le rattachement obligatoire à un cabinet dont il n’est pas le dirigeant responsable et la supervision de ses activités, il plaide qu’une radiation temporaire de 12 à 18 mois serait trop sévère et en contradiction avec la décision de l’AMF.

[11]    Selon ce dernier, une amende serait plus adaptée à la situation et serait plus conforme à la décision de l’AMF, qui elle, n’a pas jugé nécessaire de suspendre son certificat.

[12]    Pour les raisons ci-après expliquées, le comité condamnera M. Morin à une radiation temporaire d’un (1) mois.

QUESTION EN LITIGE :

Considérant l’ensemble des facteurs dont le comité doit tenir compte, quelle sanction doit être imposée à M. Morin ?

ANALYSE

[13]    C’est l’arrêt Pigeon c. Daigneautl[2] rendu par la Cour d’appel en 2003 qui guide les décideurs en matière de sanction disciplinaire. Plus particulièrement aux paragraphes [37] à [39] de la décision il est indiqué :

[37] La sanction imposée par le Comité de discipline doit coller aux faits du dossier. Chaque cas est un cas d'espèce.

[38] La sanction disciplinaire doit permettre d'atteindre les objectifs suivants: au premier chef la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession (Latulippe c. Léveillé (Ordre professionnel des médecins), [1998] D.D.O.P. 311; Dr J. C. Paquette c. Comité de discipline de la Corporation professionnelle des médecins du Québec et al, [1995] R.D.J. 301 (C.A.); et R. c. Burns, [1994] 1 R.C.S. 656).

[39] Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier. Parmi les facteurs objectifs, il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l'infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l'exercice de la profession, si le geste posé constitue un acte isolé ou un geste répétitif … Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de l'expérience, du passé disciplinaire et de l'âge du professionnel, de même que sa volonté de corriger son comportement. La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à décider d'une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l'affaire.

[14]    Qu’en est-il de l’application de ces principes aux faits de l’espèce?

[15]    M. Morin a été titulaire d’un permis de courtier hypothécaire en vertu de la Loi sur le courtage immobilier du 1er décembre 2019 au 30 avril 2020. De plus, il a détenu, en vertu de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, un certificat en assurance de personnes du 13 octobre 2019 au 10 décembre 2020 ainsi qu’un certificat en courtage hypothécaire du 1er mai au 17 novembre 2020. 

[16]    Depuis le 17 mars 2022, il détient un certificat en courtage hypothécaire assorti de deux conditions imposées pour une période de deux (2) ans à savoir le rattachement obligatoire à un cabinet dont il n’est pas le dirigeant responsable et la supervision de ses activités. Ces conditions ont été imposées par l’AMF le 3 février 2022 par la décision no : 2022-OED-1002237.

[17]    En octobre 2020, M. Morin a entrepris des démarches personnelles afin d’obtenir un financement pour l’acquisition d’un immeuble avec la participation de sa conjointe.

[18]    Une première demande de financement a été adressée à la Banque Scotia, laquelle a tout simplement refusé le financement en mentionnant toutefois que M. Morin avait omis d’indiquer que l’immeuble en question était déjà détenu par une société dont il était actionnaire. M. Morin ignorait que ce fait devait être divulgué lors de la demande.

[19]    Une deuxième demande a été adressée à la Banque Nationale en divulguant ce fait, toutefois, selon l’institution financière, la qualification du dossier nécessitait des revenus locatifs supplémentaires provenant de l’immeuble.

[20]    Afin de réduire son taux d’endettement et d’obtenir le prêt hypothécaire, un faux bail a été utilisé et un relevé bancaire a été falsifié afin de faire concorder le dépôt du loyer du faux bail aux revenus du vendeur.

[21]    Le faux locataire apparaissant au faux bail a été contacté par l’institution financière et le subterfuge a été mis à jour.

[22]    Cette situation a été dénoncée par l’institution financière au cabinet de courtage hypothécaire auquel était rattaché M. Morin. Ce cabinet a mis un terme à son entente avec ce dernier et a signalé la situation à l’AMF ainsi qu’au groupe financier auquel il était rattaché en assurance de personnes. Ce groupe financier a également résilié son entente conclue avec M. Morin.

[23]    Les gestes commis par M. Morin n’étaient pas des gestes posés dans l’exercice de ses activités de représentant, toutefois ils constituent un manquement déontologique, car ils sont liés à l’exercice de la profession[3].

[24]    Les fautes admises n’impliquent aucun client.

[25]    Il y a absence d’antécédent disciplinaire et les faits ont été admis sans délai et un plaidoyer de culpabilité a été enregistré à la première opportunité par M. Morin.

[26]    Le jeune âge de M. Morin, à savoir 25 ans, au moment des faits reprochés et son peu d’expérience à titre de représentant et de courtier hypothécaire ont également été considérés par le comité.

[27]    Il a perdu ses liens contractuels avec les cabinets auxquels il était rattaché à l’époque à cause des gestes commis. Ce temps d’arrêt lui a permis de faire une rétrospection sur les événements et il affirme que cela ne se reproduira plus, qu’il a appris de cette erreur et qu’il vit avec les conséquences de ses actes. Il est repentant et exprime des regrets sincères.

[28]    Il s’agit d’un acte isolé et M. Morin désire continuer et revenir dans l’industrie.

[29]    Il n’est plus représentant en assurance de personnes, mais il est redevenu courtier hypothécaire depuis le mois de mars 2022. Il fait l’objet d’une supervision hebdomadaire par son chef d’équipe, et ce, conformément à la décision administrative rendue par l’AMF.

[30]    L’AMF a pour mission de veiller à la protection du public et la Loi lui confère des pouvoirs spécifiques lui permettant d’imposer des mesures administratives[4] comme c’est le cas dans le cadre de la décision no: 2022-OED-1002237.

[31]    Il s’agit de mesures administratives distinctes du processus disciplinaire qui visent plutôt le contrôle de la profession et non l’imposition de véritables sanctions[5]. Ces décisions administratives, lorsque déposées en preuve dans le cadre d’un recours disciplinaire, comme c’est le cas dans le présent dossier, sont un élément à considérer par le comité au même titre que les autres éléments constitutifs de la preuve. Toutefois, pour établir la sanction, le comité doit, selon les enseignements de la jurisprudence, tenir compte à la fois des principes applicables en matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l'affaire.

[32]    Le procureur du plaignant soumet au soutien de sa recommandation trois (3) décisions rendues récemment par le comité de discipline dans lesquelles des radiations temporaires de 12 à 18 mois ont été rendues alors que le comportement des représentants impliquait l’utilisation de faux renseignements. Les faits de ces décisions diffèrent du présent cas. En effet, dans l’une des décisions la représentante avait présenté seize fausses réclamations d’assurance donc les gestes fautifs étaient répétitifs. Dans la deuxième, le représentant avait obtenu une marge de crédit personnelle de 323 000 $ en prétendant faussement être étudiant en médecine dentaire et la troisième décision a été rendue à la suite de recommandations communes des parties.

[33]    Dans l’affaire Gilbert c. Morgan[6], le Tribunal des professions précisait que les décisions antérieures ne constituent qu’un repère pour le comité de discipline qui doit, pour atteindre l’objectif de la protection du public et la dissuasion du comportement reproché, adapter la sanction selon les circonstances particulières de chaque cas.

[34]   Le comité n’est donc pas lié par ces précédents et se doit de particulariser la sanction en fonction de chaque affaire. Le comité estime que l’infraction en cause s’apparente davantage à des situations où les faits ou la pratique répréhensible méritent une radiation temporaire d’un (1) mois.

[35]    Rendre une sanction d’amende pour une infraction de falsification et/ou d’utilisation de faux banaliserait cette infraction. Toutefois, une radiation temporaire de 12 à 18 mois ne serait ni juste, ni raisonnable, ni appropriée au cas particulier de M. Morin compte tenu de toutes les circonstances du présent dossier.  

[36]    Le comité ordonnera la radiation temporaire de M. Morin pour une durée d’un (1) mois et la publication d’un avis de la présente décision dans un journal circulant dans les lieux où ce dernier a eu son domicile professionnel ou dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession. De plus, il condamnera ce dernier aux frais et aux déboursés.

[37]    Les risques de récidive de M. Morin sont très faibles et la protection du public est suffisamment assurée par cette sanction dissuasive. Une radiation temporaire, aussi limitée dans le temps soit-elle, est une sanction très sévère qui suit le contrevenant durant toute sa carrière.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité prononcée à l’audience pour le seul chef d’infraction contenu à la plainte disciplinaire pour avoir contrevenu aux articles 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière et 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

RÉITÈRE la suspension conditionnelle des procédures en ce qui concerne l’article16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

ET STATUANT SUR LA SANCTION :

ORDONNE la radiation temporaire de M. Morin pour une période d’un mois;

CONDAMNE M. Morin au paiement des frais et déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions;

ORDONNE à la secrétaire du comité de faire publier, aux frais de M. Morin, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans les lieux où ce dernier a eu son domicile professionnel ou dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’article 156 (7) du Code des professions ;

PERMET la notification de la présente décision aux parties par moyen technologique conformément à l’article 133 du Code de procédure civile, soit par courrier électronique.

 

 

(S) Me Chantal Donaldson __________________________________

Me Chantal Donaldson

Présidente du comité de discipline

 

(S) Denis Croteau __________________________________

M. Denis Croteau, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(S) Audrey Lacroix __________________________________

Mme Audrey Lacroix

Membre du comité de discipline

 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT PRÉVOST GALARNEAU

Procureur du plaignant

 

Me Alexandre Langlois

ALTER LEXIS

Procureur de l’intimé

 

Date d’audience :

Le 20 juin 2023

 

 

 COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Kienapple c. R., 1974 CanLII 14 (CSC)

[2] Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (CA)

[3] Tremblay c. Dionne, 2006 QCCA 1441 (CanLII), par. 43-44;

[4] Chambre de l’assurance de dommages c. Courchesne, 2011 CanLII 77022 (QC CDCHAD) par. 31 et ss.

[5] Ibid. par 35 et ss.

[6] Gilbert c. Morgan, 1995 CanLII 10887 (QC TP)

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