Chambre de la sécurité financière (Québec)

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comité de discipline

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

canada

province de québec

 

 

 

N°:

CD00-1436

DATE:

4 avril 2023

LE COMITÉ :

Me Madeleine Lemieux

Présidente

M. Marc Binette, Pl. Fin.

Membre

M. Stéphane Prévost, A.V.C.

Membre

 

 

SYNDIC DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

Partie plaignante

c.

HÉLÈNE LAVOIE, conseillère en sécurité financière (certificat numéro 120085)

 

Partie intimée

 

décision sur SANCTION

 

conformément à l’article 142 du code des professions, le comité a prononcé l’ordonnance suivante :

         Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non‑diffusion des noms et prénoms des consommateurs concernés par la plainte disciplinaire et par la mise en garde (pièce PS-1) ainsi que de toute information permettant de les identifier, étant entendu que la présente ordonnance ne s’applique pas à tout échange d’information prévu à la Loi sur l’encadrement du secteur financier (RLRQ, c. E-6.1) et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2).

[1]             L’intimée a été déclarée coupable d’avoir contrevenu aux articles 6 et 8 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière en incitant des consommateurs de façon persistante ou répétée à souscrire à des produits financiers; l’intimée a également été trouvée coupable d’entrave au travail d’un enquêteur de la Chambre de la sécurité financière, en contravention aux articles 342 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers de même que 42 et 43 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
[2]             Le comité doit déterminer quelle est la sanction appropriée qui doit être imposée à l’intimée.
LA PLAINTE
[3]             Les chefs d’infraction pour lesquels l’intimée a été trouvée coupable sont les suivants :

1.         À Saint-Nazaire, vers les mois de mai et juin 2018, l’intimée n’a pas agi avec dignité et modération à l’endroit de J.L. et G.G. en incitant ceux-ci de façon pressante ou répétée à souscrire à des produits financiers malgré leur volonté exprimée à ne pas procéder ainsi qu’en entrant en contact avec eux de façon intempestive et sans y être autorisée, contrevenant ainsi aux articles 6 et 8 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

2.         À Ste-Monique, vers l’année 2018, l’intimée n’a pas agi avec dignité et modération à l’endroit de Re. B. en incitant celui-ci de façon pressante ou répétée à souscrire une assurance malgré sa volonté exprimée de ne pas y procéder, contrevenant ainsi aux articles 6 et 8 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

3.         (…)

4.         À Alma, entre les 14 février et 25 mars 2019, l’intimée a entravé le travail d’un enquêteur de la Chambre de la sécurité financière notamment en ne répondant pas de façon diligente et courtoise aux demandes de l’enquêteur et en refusant de se présenter à une rencontre à laquelle elle avait été dûment convoquée, contrevenant ainsi à l’article 342 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, 42 et 43 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

 

LE CONTEXTE
[4]             L’intimée s’est présentée, en soirée, sans rendez-vous, chez un couple de personnes âgées respectivement de 82 et 85 ans pour les inciter à souscrire des polices d’assurance-vie dont ils ne voulaient pas. Devant son insistance, ils ont demandé l’aide de leur fils pour que l’intimée cesse de les contacter. Le fils des consommateurs a témoigné que ses parents ne répondaient plus au téléphone de peur que cela ne soit un appel de l’intimée.
[5]             Ils ont finalement retenu les services d’une avocate pour qu’elle envoie une mise en demeure à l’intimée lui intimant de ne plus communiquer avec eux. Il s’agit de l’infraction du chef 1 de la plainte.
[6]             Pour ce qui est du chef 2 de la plainte, l’intimée avait cette fois annoncé sa visite, encore une fois chez un couple de personnes âgées pour leur faire souscrire des polices d’assurance-vie. La consommatrice A.M.D. a souscrit une police d’assurance-vie lors de cette visite, mais elle l’a rapidement annulée faute de moyens financiers suffisants pour acquitter la prime.
[7]             L’intimée, lors de cette visite, a aussi insisté pour vendre une police d’assurance-vie à son mari, également une personne âgée; il lui a clairement exprimé son refus; malgré cela, l’intimée a tout de même tenté à trois reprises de lui faire souscrire une police d’assurance-vie. L’intimée a tenu aussi des propos indignes d’une représentante à une des filles du couple qui était présente.
[8]             L’intimée a été acquittée du chef d’infraction 3 de la plainte faute de preuve des circonstances précises de la visite de l’intimée chez le consommateur, M. R. B.; il s’agit d’une personne âgée de 85 ans et c’est sa fille qui a rédigé la plainte envoyée à l’assureur.
[9]             Le comité a entendu le chef de la conformité chez l’assureur Assomption Vie; il a témoigné de l’enquête faite à la suite de la plainte du consommateur. Le comité a retenu de son témoignage que cet assureur avait déjà restreint les droits de l’intimée à des clients existants pour finalement lui retirer son code d’agent; c’est cet assureur qui a informé l’Autorité des marchés financiers (AMF) des plaintes de pressions indues qu’il avait reçues concernant l’intimée.
LA SANCTION
[10]          L’audition sur sanction s’est tenue en deux temps. Lors de la séance du 15 novembre 2022, l’intimée a déposé un certificat médical daté du 4 août 2022. Ce certificat médical fait état de l’invalidité totale et permanente de l’intimée. L’intimée avait déjà produit en mars 2021 un certificat médical au même effet.
[11]          L’intimée a toutefois renouvelé en mai 2021 son certificat en assurances de personnes en tant que représentante autonome; ce certificat est émis par l’AMF et il sera valide jusqu’au 20 juin 2023.
[12]          Le comité retient que l’intimée a eu des problèmes de santé suffisamment sérieux pour qu’à deux reprises des médecins attestent de son invalidité permanente. Le comité ne peut toutefois pas faire abstraction du fait que l’intimée a renouvelé sa certification malgré sa condition médicale et qu’elle envisage possiblement de travailler à nouveau comme représentante.
[13]          Lors de la séance du 15 novembre 2022, l’intimée était présente; elle a relaté au comité ne pas avoir de souvenirs des paroles qu’elle a dites à la fille de la consommatrice impliquée dans le chef 2. « Mais, » nous dit-elle, « si je l’ai dit, je m’en excuse ».
[14]          Elle a ensuite relaté les prix, médailles et reconnaissances qu’elle a reçus des assureurs auprès de qui elle a travaillé pendant sa carrière de représentante. Elle a toutefois nié avoir exercé des pressions sur quelque personne que ce soit tout en reconnaissant « qu’il est vrai que des fois, j’étais plus persistante », mais qu’au final, les clients étaient « bien contents ».
[15]           Ce n’est pourtant pas ce que la preuve a révélé à propos des consommateurs impliqués dans les chefs d’infraction 1 et 2 de la plainte; le comité n’a pas perçu que l’intimé avait réalisé que sa conduite n’était pas acceptable et qu’elle avait des regrets pour les pressions ressenties par les consommateurs et les membres de leurs familles.
[16]          On doit de plus constater que ces récompenses remontent à plusieurs années et que la fin des relations d’affaires entre l’intimée et les deux assureurs impliqués dans les chefs d’infraction 1 et 2 a été litigieuse. La preuve a révélé que la fin de ces liens d’affaire avec ces assureurs résulte de décisions prises par les assureurs et dans un cas, en raison des plaintes reçues sur le comportement de l’intimée auprès des consommateurs.
[17]          L’intimée ne s’est pas présentée à la reprise de l’audition sur sanction le 13 mars 2023[1].
[18]          Le syndic recommande pour les chefs d’infraction 1 et 2 des périodes de radiations temporaires entre 3 et 5 mois à être purgées de façon concurrente.
[19]          Le syndic a déposé une abondante jurisprudence au soutien de sa recommandation de sanction pour les chefs 1 et 2. Toutefois, les faits rapportés dans les décisions produites sont difficilement comparables à la situation du présent dossier.
[20]          Lorsqu’il s’agit de déterminer la sanction, les enseignements de la Cour d’appel dans l’affaire Pigeon c. Daigneault[2] demeurent ce qui doit guider le comité :

[38]           La sanction disciplinaire doit permettre d'atteindre les objectifs suivants:  au premier chef la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession (Latulippe c. Léveillé (Ordre professionnel des médecins), 1998 QCTP 1687 (CanLII), [1998] D.D.O.P. 311; Dr J. C. Paquette c. Comité de discipline de la Corporation professionnelle des médecins du Québec et al1995 CanLII 5215 (QC CA), [1995] R.D.J. 301 (C.A.); et R. c. Burns1994 CanLII 127 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 656).

 

[39]           Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier.   Parmi les facteurs objectifs, il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l'infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l'exercice de la profession, si le geste posé constitue un acte isolé ou un geste répétitif, …   Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de l'expérience, du passé disciplinaire et de l'âge du professionnel, de même que sa volonté de corriger son comportement.   La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à décider d'une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l'affaire.

[21]          Si, au premier chef, l’objectif de la sanction est la protection du public, cet objectif est d’autant plus important lorsqu’il s’agit d’assurer la protection de personnes vulnérables. Tel est le cas dans ce dossier.
[22]          Le facteur aggravant le plus déterminant est la vulnérabilité des consommateurs impliqués dans les chefs d’infraction 1 et 2. Il s’agit de personnes âgées sur qui l’intimée a exercé des pressions indues pour les inciter à souscrire des polices d’assurance-vie. L’insistance a été telle qu’elles ont eu besoin de demander de l’aide auprès de leur famille pour faire face aux pressions de l’intimée; dans un cas, cette demande d’aide est allée jusqu’à retenir les services d’une avocate.
[23]          Une telle attitude nuit à l’image de la profession alors que le représentant devrait, au contraire, avoir une attitude empreinte de considération et porter une attention particulière envers les personnes vulnérables en raison de leur âge. La sanction doit donner un message clair à la profession et remplir l’objectif d’exemplarité comme le rappelle la Cour d’appel dans l’arrêt Pigeon cité plus haut.
[24]          Le comité retient au surplus que l’intimée a reçu une mise en garde du syndic de la Chambre de la sécurité financière en avril 2017 pour exactement le même comportement : s’être montrée très insistante vis-à-vis un consommateur pour l’inciter à recourir à ses services et lui faire souscrire une police d’assurance.
[25]          L’intimée a une longue expérience et devrait savoir que de tels comportements sont contraires aux normes de la profession. La sanction devra donc être suffisamment sévère pour atteindre l’objectif de dissuasion.
[26]          Certes, l’intimée a présenté des excuses pour ses paroles devant le comité, mais elle n’a pas exprimé de regrets ni de repentir ni exprimé sa volonté de s’amender concernant les gestes de pressions indues qui lui ont été reprochés.
[27]          Pour toutes ces raisons, le comité imposera une radiation temporaire d’une durée de 5 mois pour chacun des chefs d’infraction 1 et 2, ces périodes de radiation devant être purgées de façon concurrente.
[28]          Pour le chef d’infraction 4, le syndic recommande une période de radiation entre 1 semaine et 1 mois à être purgée de façon consécutive aux périodes de radiation imposées sur les chefs 1 et 2 de la plainte.
[29]          Le comité imposera une période de radiation temporaire de deux semaines à être purgée de façon consécutive aux radiations imposées sous les chefs d’infraction 1 et 2. Il s’agit en effet d’une infraction d’une tout autre nature, sans lien avec les faits des chefs d’infraction 1 et 2.
[30]          L’infraction d’entrave est une infraction grave. Le professionnel a l’obligation de collaborer à l’enquête du syndic. Ce pouvoir d’enquête du syndic est un des piliers du régime disciplinaire et sans la collaboration du professionnel, le syndic n’est pas en mesure de jouer adéquatement son rôle de protection du public. Le travail de l’enquêteur ne doit pas devenir une course à obstacles.
[31]          Les sanctions imposées pour l’infraction d’entrave au travail de syndic varient selon plusieurs facteurs : la durée de l’entrave, la forme qu’aura prise l’entrave (défaut de répondre, défaut de se présenter, fabrication de faux documents), les conséquences de l’entrave (impossibilité de faire une enquête, retards dans la conduite de l’enquête) et enfin, la situation personnelle de l’intimée[3].
[32]          Dans presque tous les cas, les comités imposent des périodes de radiation et exceptionnellement une amende. Dans les décisions produites par le syndic les périodes de radiation varient entre 30 jours et un an.
[33]          Convoquée par l’enquêteur de la Chambre, l’intimée a d’abord refusé de confirmer sa présence pour ensuite se raviser et finalement confirmer sa présence. Le matin même de la rencontre, l’intimée téléphone à l’enquêteur pour lui dire qu’elle ne sera pas présente. Elle invoque un « contretemps », mais refuse de justifier son absence. Ce sont des raisons personnelles et confidentielles lui dit-elle.
[34]           Le comité a écouté l’enregistrement de cette conversation téléphonique entre l’intimée et l’enquêteur lorsqu’elle lui annonce qu’elle ne sera pas présente à la rencontre; on peut constater les difficultés rencontrées par l’enquêteur pour obtenir la collaboration de l’intimée.
[35]          Toutefois, la rencontre ainsi annulée a eu lieu quelques jours plus tard. L’enquête n’a donc pas été retardée pendant une très longue période en raison du défaut de l’intimée de se présenter comme prévu. Dans l’affaire Auclair citée plus haut, les manœuvres du représentant ont retardé l’enquête de presque un an et le comité a imposé une radiation d’un an.
[36]          L’enquêteur a demandé à l’intimée d’apporter avec elle les dossiers d’un des consommateurs ce que l’intimée a refusé, motivant son refus par le fait que le dossier serait resté chez l’assureur quand il a mis fin à leur relation d‘affaire, chose qui n’a pas été vérifiée. Contrairement au dossier Bernier cité plus haut, l’intimée n’a pas contrefait des documents.
[37]          Enfin, l’intimée éprouvait à ce moment de sérieux problèmes de santé ce dont le comité peut tenir compte dans la détermination de la sanction comme il l’a fait dans les dossiers Auclair et Loyer.
[38]          Le comité imposera donc à l’intimée, une radiation temporaire d’une durée de deux semaines à être purgée de façon consécutive aux sanctions imposées. Le comité ordonnera également la publication d’un avis de la décision aux frais de l’intimée, et la condamnera au paiement des déboursés.

POUR CES MOTIFS, le comité de discipline :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimée pour une période de cinq mois quant au chef 1 de la plainte;  
ORDONNE la radiation temporaire de l’intimée pour une période de cinq mois quant au chef 2 de la plainte;
ORDONNE que ces deux périodes de radiation soient purgées de façon concurrente.
ORDONNE la radiation temporaire de l’intimée pour une période de deux semaines quant au chef 4 de la plainte;
ORDONNE que cette radiation soit purgée de façon consécutive aux radiations ordonnées par les chefs 1 et 2 de la plainte;
ORDONNE à la secrétaire du comité de faire publier, aux frais de l’intimée, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans les lieux où l’intimée a son domicile professionnel ou dans tout autre lieu où elle a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément à l’article 156(7) du Code des professions.
CONDAMNE l’intimée au paiement des déboursés conformément à l’article 151 du Code des professions.
PERMET la notification de la présente décision aux parties par moyen technologique conformément à l’article 133 du Code de procédure civile, soit par courrier électronique. 

 

 

(S) Me Madeleine Lemieux

 

 

Me MADELEINE LEMIEUX

Présidente du comité de discipline

 

(S) Marc Binette

 

M. MARC BINETTE, PL. FIN.

Membre du comité de discipline

 

(S) Stéphane Prévost

 

M. STÉPHANE PRÉVOST, A.V.C.

Membre du comité de discipline

           

Me Claude G. Leduc

ML AVOCATS, s.e.n.c.r.l.

Avocats de la partie plaignante

 

Mme Hélène Lavoie

Partie intimée

Absente et non représentée

 

Dates d’audience :

15 novembre 2022 et 13 mars 2023

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 

A0430

A2210

 



[1]      L’avis d’audition a été signifiée par huissier à l’intimée et le lien pour accéder à la séance lui a été envoyé à deux reprises par courriel.

[2]      2003 CanLII 32934 (QC CA).

[3]      Chambre de la sécurité financière c. Auclair, 2017 QCCDCSF 42 (culpabilité) et 2017 QCCDCSF 6 (sanction); Chambre de la sécurité financière c. Loyer, 2022 QCCDCSF 28; Chambre de la sécurité financière c. Bernier, 2013 CanLII 43428 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Hael, 2021 QCCDCSF 16; Chambre de la sécurité financière c. Bernard, 2018 QCCDCSF 17 et 2017 QCCDCSF 47; Chambre de la sécurité financière c. Drouin, 2021 QCCDCSF 67.

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