Chambre de la sécurité financière (Québec)

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comité de discipline

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

canada

province de québec

 

 

 

N°:

CD00-1500


DATE: Le 15 décembre 2022

 


le comité :

Me Michel A. Brisebois

Président

M. Marc Gagnon, A.V.C., Pl. Fin.

Membre

M. Robert Chamberland, A.V.A.

Membre

 

 

SYNDIC DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

 Plaignant

c.

STEVEN GIBARA, conseiller en sécurité financière, et conseiller en assurance et rentes collectives (certificat 114424)

 

 Intimé

décision sur CULPABILITÉ

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :
         Ordonnance de non-divulgation, non-publication et de non-diffusion du nom et prénom des consommateurs mentionnés lors de la preuve et dans les pièces ainsi que de toute information permettant de les identifier, étant entendu que la présente ordonnance ne s’applique pas à tout échange d’information prévu à la Loi sur l’encadrement du secteur financier et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers.
[1]          La plainte disciplinaire déposée contre l’intimé M. Steven Gibara contient le chef unique d’infraction suivant :

            « À Laval, vers le 27 août, l’intimé a fait souscrire à J.G. les contrats de fonds distincts numéros […], […] et […] lesquels ne correspondaient pas à ses besoins et à son profil d’investisseur, contrevenant ainsi aux articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers. »

APERÇU

[2]          Il s’agit d’un dossier où un couple, J.G. et N.G., décide de réorganiser leurs investissements (REER) afin de se protéger de leurs créanciers.
[3]          Une poursuite civile intentée en 2012 contre la compagnie d’ingénierie de N.G. et contre le couple personnellement (incluant les autres administrateurs), ainsi que l’annonce d’un premier diagnostic de cancer pour N.G. en 2015, sont les raisons motivant cette demande de réorganisation.
[4]          Dès 2015, l’intimé suggère le transfert des investissements que le couple avait à la RBC à des fonds distincts à la BMO, ce qu’ils ont accepté au mois d’août 2019.
[5]          La décision est prise par J.G. et N.G en 2019, puisqu’à cette période N.G. reçoit un nouveau diagnostic confirmant que sa situation médicale s’aggrave et que son décès est imminent.
[6]          N.G. décède en novembre 2020.
[7]          J.G. a déposé sa plainte contre l’intimé à l’été 2020 et le plaignant, après enquête ayant débuté en mars 2021, dépose une plainte disciplinaire contre l’intimé, alléguant une contravention aux articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, tel que prévu au paragraphe 1 ci-dessus.
[8]          L’enquête du plaignant a été complétée par Mme Gina Soccio.
[9]          Le témoignage de J.G fait état d’une série d’évènements relativement aux services fournis par l’intimé. Cependant, malgré l’énoncé de la plainte disciplinaire, J.G. déclare sans équivoque que la seule chose qu’elle reproche à l’intimé est qu’il ne l’a jamais informée que le transfert des investissements prévoyait que les fonds étaient bloqués pour une période de sept (7) ans.
[10]       J.G. précise cette affirmation en expliquant que, pour elle, les fonds étaient bloqués pour sept (7) ans puisque tout retrait de plus de 10 % avant la fin du terme prévoyait des frais ou pénalités.
[11]       L’intimé de son côté affirme que toutes les conditions du transfert des investissements en fonds distincts à la BMO ont été expliquées à J.G. à plusieurs reprises et que celle-ci a accepté lesdites conditions.

QUESTION EN LITIGE

[12]       Est-ce que la preuve soumise dans ce dossier démontre que l’intimé a fait souscrire J.G. à des fonds distincts qui ne correspondaient pas à ses besoins et à son profil d’investisseur contrevenant ainsi aux articles 16 et 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (ci-après la « Loi ») ?
[13]       Le comité considère que l’intimé, selon la preuve soumise, n’a pas agi en contravention des articles 16 et 27 de la Loi et, par conséquent, est acquitté de l’infraction reprochée, et ce, pour les raisons énoncées ci-après.

ANALYSE ET MOTIFS

[14]       L’article 27 de la Loi stipule :

« Un représentant en assurance doit s’enquérir de la situation de son client afin d’identifier ses besoins.

Il doit s’assurer de conseiller adéquatement son client, dans les matières relevant des disciplines dans lesquelles il est autorisé à agir; s’il lui est possible de le faire, il offre à son client un produit qui convient à ses besoins. »

[15]       L’article 16 de la Loi stipule :

« Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.

Il doit agir avec compétence et professionnalisme. »

[16]       L’article 27 de la Loi oblige un représentant de s’enquérir de la situation de son client afin d’identifier ses besoins pour lui offrir un produit qui lui convient et l’article 16 de la Loi l’oblige d’être honnête, loyal et d’agir avec compétence et professionnalisme.
[17]       L’intimé connait ses clients J.G. et N.G. (conjoint de J.G.) depuis 1986. À cette époque, soit avant que l’intimé devienne un représentant au sens de la Loi, il travaillait pour son père dans l’entreprise familiale. Cette entreprise était fournisseur de la compagnie d’ingénierie de N.G. et des liens d’amitié se sont tissés entre les deux familles.
[18]       Lorsque l’intimé est devenu représentant au sens de la Loi en 1989, J.G. et N.G. ont retenu ses services afin de contracter une assurance-vie.
[19]       En 2012, la compagnie d’ingénierie de N.G. est poursuivie ainsi que N.G. et J.G. personnellement. J.G. était responsable de l’administration et des finances de la compagnie de N.G.
[20]       Les détails de cette poursuite n’ont pas été relatés à l’audition mais J.G. mentionne, en ses mots, que c’est « une grosse poursuite ». Ensuite, comble de malheur, N.G. reçoit un diagnostic de cancer en 2015.
[21]       L’intimé affirme qu’avant 2015, il avait informé J.G. et N.G., comme il le fait avec tous ses clients qui sont en affaires, qu’il existe une stratégie pour tenter de protéger leurs investissements des créanciers, sans pour autant être une garantie de protection.
[22]       En 2015, après le diagnostic de N.G., les discussions se poursuivent et l’intimé suggère que leurs investissements (REER) soient transférés dans des fonds distincts. Cette suggestion intéresse évidemment J.G., puisque la poursuite et le diagnostic de son mari la rendent vulnérable financièrement.
[23]       L’intimé explique à ses clients que le transfert de leurs investissements vers des fonds distincts, avec l’indication d’un bénéficiaire, pourrait protéger leur argent. En plus des discussions à cet effet, de la littérature a été envoyée à J.G. et N.G. expliquant le tout. La preuve ne dit pas si J.G. ou N.G. en ont pris connaissance.
[24]       L’intimé leur indique que la BMO offre des conditions intéressantes et que s’ils décident d’appliquer cette stratégie, ils devront transférer leurs investissements de la RBC à la BMO.
[25]       Les discussions concernant les fonds distincts ont eu lieu régulièrement entre 2015 et 2019. Au cours de l’été 2019, lorsque le second diagnostic est annoncé, J.G. et N.G. décident de mettre en place la stratégie des fonds distincts.
[26]       J.G. réitère à plusieurs reprises qu’elle ne voulait pas quitter la RBC et que toutes les discussions avec l’intimé concernant le transfert de ses investissements, ainsi que toute stratégie concernant les fonds distincts, étaient dans le seul but d’éviter que les créanciers puissent toucher son argent.
[27]       J.G. prétend que l’intimé lui a garanti que le transfert vers des fonds distincts empêcherait que les créanciers puissent saisir son argent. L’intimé nie avoir fait cette garantie et ajoute qu’il a plutôt expliqué à J.G. que le transfert à des fonds distincts avait plus de chance de protéger son argent.
[28]       Le 27 août 2019, lors d’une rencontre entre l’intimé, J.G. et N.G. au bureau de ce dernier, un profil d’investisseur (pièce P-8) est complété et les Applications BMO Guaranteed Funds (pièces P-9 et P-10) et les Autorisations de transfert (pièces P-12, P-13 et P-14) de la RBC à la BMO sont signés.
[29]        Les faits soumis lors du témoignage de J.G. sont les suivants :

               -      la seule raison de l’acceptation de la stratégie des fonds distincts était de protéger son argent des créanciers;

                 -      l’intimé a mentionné que l’investissement dans des fonds distincts garantissait la protection contre les créanciers;

                 -      en 2019 ou 2020, elle apprend des avocats qui la représentent dans la poursuite contre la compagnie que le transfert à des fonds distincts n’est pas une protection des créanciers puisque l’action était déjà intentée avant ledit transfert;

                 -      elle est une investisseuse conservatrice qui ne veut jamais perdre un sou et les fonds distincts devaient être garantis à 100 %, malgré qu’elle ait rempli la formule acceptant une garantie à 75/100 (pièce P-9);

                 -      l’intimé, avec l’investissement choisi, avait obtenu une commission d’environ 20 000 $;

                 -      le terme de l’investissement était de sept (7) ans, à son insu, avec des pénalités si plus de 10 % de l’argent investi était retiré.

[30]       Au cours de son témoignage en chef et donc avant celui de l’intimé, J.G. précise que malgré tous les points qu’elle soulève dans sa preuve, la seule chose qu’elle reproche à l’intimé est le dernier point soulevé au paragraphe précédent, à savoir de ne pas lui avoir dit qu’il avait investi l’argent pour sept (7) ans.
[31]       Compte tenu de cette précision, le comité a demandé à la procureure du plaignant de confirmer que c’était bien le seul élément reproché à l’intimé dans la plainte disciplinaire. La procureure a confirmé que c’était le seul élément en litige.
[32]       Donc, pourquoi soulever tous les faits énoncés au paragraphe 29 des présentes si le seul reproche est le terme de sept (7) ans ? Nous y reviendrons.
[33]       Est-ce que J.G. raconte tous les faits du dossier pour attaquer la crédibilité de l’intimé afin d’obtenir une déclaration de culpabilité pour le placement avec un terme de sept (7) ans ?
[34]       La preuve au dossier est gérée d’une façon particulière. J.G., dans le cadre d’une plainte en vertu des articles 27 et 16 de la Loi, rapporte une série d’incidents, mais en cours de route et avant même la version de l’intimé, déclare au comité que la plainte n’est que pour un seul élément. La procureure du plaignant confirme le tout mais en plaidoirie soulève quand même tous les faits rapportés par J.G. au soutien de l’infraction reprochée donc sans égard à son témoignage.
[35]       Compte tenu du déroulement de l’instance, le comité se doit d’analyser ce dossier à la lumière de tous les témoignages et de tirer ses conclusions relativement à la crédibilité et à la fiabilité des versions entendues. Le Comité reprend donc les points soulevés au paragraphe 29.
[36]       D’abord, l’intention de vouloir protéger son argent des créanciers après que la poursuite contre la compagnie soit entamée est une décision personnelle et d’affaires importante. Pourtant, J.G. affirme qu’elle parle de cette situation aux procureurs qui la représentent dans l’action contre la compagnie uniquement en 2019, et apprend de ces derniers que le transfert ne la protégeait pas des créanciers.
[37]       Son témoignage confirme donc que ces discussions de transfert avec l’intimé ayant débuté en 2015, n’ont été vérifiées par J.G. qu’en 2019, soit après avoir signé les documents pertinents de transfert.
[38]       Le comité croit plutôt l’intimé à l’effet qu’il a expliqué à J.G. que le transfert aux fonds distincts n’était pas une garantie, mais que c’était une meilleure protection que de laisser ses investissements à la RBC.
[39]       Cette appréciation de la preuve soumise est justifiée par le fait que J.G. précise qu’elle ne reproche pas cette situation à l’intimé.
[40]       J.G. explique que son profil d’investisseur est conservateur et elle affirme qu’elle voulait que son argent soit garanti, donc qu’elle ne voulait pas perdre un sou du montant investi. Elle a communiqué rapidement avec l’intimé lorsqu’elle a réalisé qu’elle avait coché la case 75/100 dans la formule de transfert (pièce I-9) afin d’obtenir plus d’explications. L’intimé affirme qu’il a alors pris le temps de réexpliquer la signification du 75/100 à J.G.
[41]       Cette situation soulève un doute quant à la compréhension de la stratégie de la part de J.G. et une contradiction est relevée par la procureure du plaignant dans la preuve à cet effet. À l’audience, en réponse aux questions de la procureure du plaignant, l’intimé affirme que selon lui, J.G. comprenait les explications. Cependant, lors de l’enquête avant le dépôt de la plainte disciplinaire, l’intimé avait mentionné à l’enquêteur, Mme Soccio, qu’à un moment donné, il se demandait si J.G. avait compris le processus, qu’il était par contre certain que N.G. avait tout compris, mais qu’ultimement, les deux avaient signé (voir l’enregistrement, pièce P-24). Donc, il a considéré que J.G. avait compris.
[42]       Le Comité retient la version de l’intimé et considère que J.G. a reçu les explications et a accepté les conditions pour la garantie puisqu’elle affirme qu’elle ne reproche pas ceci non plus à l’intimé.
[43]       Une question se pose concernant la décision de l’intimé de n’utiliser qu’une formule de profil d’investisseur (pièce P-8) pour J.G. et N.G.
[44]       Certes, ce n’est pas une pratique habituelle. Cependant, J.G. confirme lors de l’audience que c’est elle qui a répondu à toutes les questions du profil et du transfert de fonds et que son mari était d’accord.
[45]       Cette explication justifie pourquoi deux différents profils d’investisseurs sont établis, dans la même application, N.G. étant un investisseur équilibré (« balanced ») et J.G., conservateur. Il est donc logique, dans les circonstances, que l’intimé puisse conclure à la compréhension de J.G. en signant les formules.
[46]       Encore une fois, il faut croire qu’elle a obtenu les explications voulues puisqu’elle réitère qu’elle ne reproche pas ceci non plus à l’intimé.
[47]       Donc, à ce stade de la preuve, rien n’est reproché à l’intimé en contravention aux articles 27 et 16 de la Loi, sauf l’investissement avec un terme de sept (7) ans à son insu.
[48]       Quant à ce terme de sept (7) ans, allégué être à l’insu de J.G., la preuve est contradictoire. Elle affirme à l’audition qu’elle avait compris le pourquoi du terme lorsqu’elle a appris que ce dernier avait reçu 20 000 $ de commission, mais étant femme d’affaires, elle comprenait la situation et de toute façon elle ne lui faisait aucun reproche.
[49]       En réponse à ce commentaire de J.G. et concernant le terme de sept (7) ans, l’intimé affirme avoir réexpliqué à J.G. qu’elle n’était pas obligée de toucher ses investissements enregistrés, puisqu’elle recevrait les bénéfices d’environ un million de dollars des polices d’assurance-vie suite au décès de N.G., et du produit de la vente de la bâtisse commerciale de la compagnie de ce dernier.
[50]       De plus, il affirme avoir signalé à J.G. qu’il y avait des conséquences fiscales de retirer ses investissements enregistrés et qu’elle devrait s’informer auprès d’un spécialiste en fiscalité. Cette preuve n’est pas contredite et l’histoire ne dit pas si cette vérification a été faite.
[51]       Le comité doit déterminer si la preuve, quant au terme de sept (7) ans, satisfait au fardeau de preuve nécessaire à la détermination qu’une infraction aux articles 27 ou 16 de la Loi a été commise.
[52]       Le comité considère que le présent dossier en est un de crédibilité, certes, mais surtout de fiabilité, tel que soulevé dans la cause Gestion Immobilière Gouin[1], aux paragraphes 36 et suivants :

« 1 -     L'appréciation de la crédibilité et de la fiabilité des témoins : les principes

[36]      Même si " les tribunaux ne possèdent pas de méthode infaillible pour découvrir la vérité ou encore de boule de cristal leur permettant par magie de recréer les événements "[5], il appartient au Tribunal d'évaluer la crédibilité et la fiabilité des témoins. C'est " la tâche difficile [du tribunal] de séparer l'ivraie du bon grain, de scruter les reins et les cœurs pour tenter de découvrir la vérité "[6].

[37]      Il est reconnu que l'appréciation de " la crédibilité ne relève pas de la science exacte "[7] et qu'il peut être difficile "de décrire avec précision l’enchevêtrement complexe des impressions qui se dégagent de l’observation et de l’audition des témoins, ainsi que des efforts de conciliation des différentes versions des faits "[8], le Tribunal a l'obligation d'expliquer ses conclusions à cet égard. La motivation doit répondre " aux questions en litige et aux principaux arguments des parties "[9].

[38]      Les principes qui s'appliquent à l'évaluation de la crédibilité et de la fiabilité des témoins ont été énoncés dans plusieurs décisions.

[39]      Dans l'arrêt R. c. White[10], le juge Estey de la Cour suprême énonce les principes suivants:

La question de la crédibilité en est une de fait qui ne peut être déterminée par l'application d'un ensemble de règles qui, à ce qui est suggéré, devraient avoir force de loi [...].

Des juges éminents ont parfois indiqué certains guides qui se sont révélés être d'une grande utilité, mais mes recherches m'indiquent qu'on n'a jamais tenté d'indiquer tous les facteurs susceptibles d'entrer en jeu. C'est une question où trop de caractéristiques humaines tant positives que négatives doivent être prises en considération. L'intégrité générale et l'intelligence du témoin, ses facultés d'observation, la capacité de sa mémoire et l'exactitude de sa déposition sont des facteurs importants. Il est également important de déterminer s'il essaie de bonne foi de dire la vérité, s'il est sincère et franc ou s'il a des préjugés ou s'il est réticent ou évasif. Toutes ces questions entre autres peuvent recevoir une réponse d'après l'observation de la conduite et du comportement général du témoin en déterminant la crédibilité[11].

[40]      Dans Faryna c. Chorny[12], le juge O'Halloran de la Cour d'appel de Colombie-Britannique écrit ce qui suit:

[TRADUCTION][13] Si l'acceptation de la crédibilité d'un témoin par un juge de première instance dépendait uniquement de son opinion quant à l'apparence de sincérité de chaque personne qui se présente à la barre des témoins, on se retrouverait avec un résultat purement arbitraire, et l'administration de la justice dépendrait des talents d'acteur des témoins. Réflexion faite, il devient presque évident que l'apparence de sincérité n'est qu'un des éléments qui entre en ligne de compte lorsqu'il s'agit d'apprécier la crédibilité d'un témoin. Les possibilités qu'avait le témoin d'être au courant des faits, sa capacité d'observation, son jugement, sa mémoire, son aptitude à décrire avec précision ce qu'il a vu et entendu contribuent, de concert avec d'autres facteurs, à créer ce qu'on appelle la crédibilité (voir l'arrêt Raymond c. Bosanquet, (1919), 50 D.L.R. 560, à la page 566, 59 R.C.S. 452, à la page 460, 17 O.W.N. 295. Par son attitude, un témoin peut créer une impression très défavorable quant à sa sincérité, alors que les circonstances permettent de conclure de façon indubitable qu'il dit la vérité. Je ne songe pas ici aux cas somme toute assez peu fréquents où l'on surprend le témoin en train de dire un mensonge maladroit.

La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu'il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l'espèce. Disons, pour résumer, que le véritable critère de la véracité de ce que raconte un témoin dans une affaire déterminée doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu'une personne éclairée et douée de sens pratique peut d'emblée reconnaître comme raisonnable dans telle situation et telles circonstances. Ce n'est qu'ainsi que le tribunal peut évaluer de façon satisfaisante la déposition des témoins expérimentés, confiants et vifs d'esprit tout autant que le témoignage des personnes habiles qui manient avec facilité les demi-vérités et qui ont acquis une solide expérience dans l'art de combiner les exagérations habiles avec la suppression partielle de la vérité. Là encore, une personne peut témoigner de ce qu'elle croit sincèrement être la vérité tout en étant honnêtement dans l'erreur. Le juge du fond qui dit : « Je crois cette personne parce que j'estime qu'elle dit la vérité » tire en fait une conclusion après avoir examiné seulement la moitié du problème. Le juge qui agit ainsi s'expose en réalité à faire fausse route.

Le juge du fond doit aller plus loin et se demander si les dires du témoin qu'il croit sont compatibles avec la prépondérance des probabilités dans l'affaire en cause et, pour que son avis puisse imposer le respect, le juge doit également motiver sa conclusion. La loi n'attribue pas au juge du fond la capacité de sonder comme par magie les coeurs et les reins des témoins. De plus, la cour d'appel doit être convaincue que les conclusions que le juge de première instance a tirées au sujet de la crédibilité ne reposent pas sur un seul élément à l'exclusion de tout autre, mais qu'elles sont fondées sur tous les éléments qui permettent de vérifier la crédibilité dans un cas donné[14].

(Le soulignement est ajouté)

[41]      Finalement, il est nécessaire de bien faire la différence entre la crédibilité du témoin et la fiabilité d'un témoignage. Le juge Watt de la Cour d'appel de l'Ontario énonce cette distinction en ces termes dans R. c. C.(H.)[15] :

Credibility and reliability are different. Credibility has to do with a witness's veracity, reliability with the accuracy of the witness's testimony. Accuracy engages consideration of the witness's ability to accurately

i.             observe;

ii.            recall;

and

iii.           recount

events in issue. Any witness whose evidence on an issue is not credible cannot give reliable evidence on the same point. Credibility, on the other hand, is not a proxy for reliability: a credible witness may give unreliable evidence: R. v. Morrissey (1995), 22 O.R. (3d) 514 (Ont. C.A.), at 526[16].

[42]      La crédibilité et la fiabilité des témoins ne doivent donc pas être confondues. Il faut toujours se rappeler qu'un témoin qui n'est pas crédible ne peut donner un témoignage fiable mais aussi qu'un témoin crédible peut rendre un témoignage qui n'est pas fiable.

[43]      Les critères permettant d'évaluer la crédibilité et la fiabilité des témoins peuvent être résumés ainsi:

1)        L'intégrité générale et l'intelligence du témoin;

2)        Ses facultés d'observation;

3)        La capacité et la fidélité de la mémoire;

4)        L'exactitude de sa déposition;

5)        Sa volonté de dire la vérité de bonne foi;

6)        Sa sincérité, sa franchise, ses préjugés;

7)        Le caractère évasif ou les réticences de son témoignage;

8)        Le comportement du témoin;

9)        La fiabilité du témoignage;

10)     La compatibilité du témoignage avec l'ensemble de la preuve et l'existence de contradictions avec les autres témoignages et preuves[17] »

(Références omises)

[53]       En l’espèce on peut se poser la question suivante : pourquoi J.G. ne se plaint-elle pas de tous les faits qu’elle relève dans son témoignage?
[54]       Force est de conclure que J.G. considère, contrairement à l’énoncé de la plainte disciplinaire que l’intimé s’est enquis de sa situation afin d’identifier ses besoins et qu’il a offert un produit qui convenait à ses besoins dans les circonstances. De plus, que sa compétence et son professionnalisme ne sont pas un enjeu.
[55]       Cependant, J.G. maintient que l’intimé ne l’a jamais informée ni expliqué l’investissement avec un terme de sept (7) ans, de là le maintien de la plainte disciplinaire.
[56]       C’est ici que la notion de la fiabilité de la version de J.G. préoccupe le comité.
[57]       Toutes les heures de rencontre et d’explications que l’intimé affirme avoir passées avec J.G., seul, et avec J.G. et N.G. ensemble, n’est pas contredit par J.G. Il devient donc difficile de retenir la version de J.G. à l’effet qu’aucune mention du terme de sept (7) ans n’a été dévoilée.
[58]       L’intimé précise que tout le dossier a été expliqué en détail à J.G. et que la justification du terme était basée sur les liquidités disponibles pour elle sans avoir à toucher à ses investissements enregistrés.
[59]       Il semble illogique au comité que seulement cette condition n’ait pas été expliquée.
[60]       Le Comité désire rappeler le témoignage de l’intimé exprimant sa sympathie envers la situation médicale de N.G., ainsi que la situation financière de J.G. Il est évident que les explications répétées de l’intimé étaient pour aider ses clients qui sont également ses amis.
[61]       Lors de l’enquête de Mme Soccio, l’intimé a reconnu que ce n’était pas facile avec J.G., mais que la maladie de N.G. a fait en sorte qu’il n’a pas abandonné le dossier.
[62]       La procureure du plaignant a l’obligation de satisfaire son fardeau de preuve nécessaire à la démonstration d’une contravention aux articles 16 et 27 de la Loi.
[63]       Dans Champagne c. Benedetti[2], le comité de discipline, aux paragraphes 197 et 198, cite la décision Bisson c. Lapointe[3].

« [197] La plaignante avait le fardeau de prouver par prépondérance de preuve la commission des infractions reprochées à l’intimée.

[198]    La Cour d’appel du Québec, dans un arrêt récent, s’exprime de la façon suivante quant au fardeau de preuve requis en droit disciplinaire :

             [63]      Dans la présente affaire, le débat autour du fardeau de la preuve en matière disciplinaire semble être une question de sémantique.

             [64]      Bien que cela ne soit pas strictement nécessaire aux fins de l’appel, ayant déterminé que la Cour supérieure était fondée à intervenir en raison du premier moyen, j’estime qu’elle a eu raison de réagir aux propos des juges majoritaires concernant le fardeau de preuve en matière disciplinaire. En outre, lorsque ces derniers affirment qu’il ne suffit pas au plaignant de prouver que " sa théorie est plus probable que celle du professionnel " [41], j’admets que le propos est difficilement conciliable avec la norme de la preuve prépondérante. J’ai toutefois du mal à en comprendre le sens puisque les juges reconnaissaient, au même paragraphe, que le fardeau est celui de la preuve prépondérante. De même, si les juges majoritaires laissent entendre que les conséquences d’une décision ont une incidence sur l’exigence de la norme de la preuve prépondérante [42], cette observation est contraire à la jurisprudence.

            [65]      Dans la mesure où les propos tenus par les juges majoritaires expriment une norme différente, ils sont erronés.

            [66]      Il est bien établi que le fardeau de preuve en matière criminelle ne s’applique pas en matière civile [43]. Il est tout aussi clair qu’il n’existe pas de fardeau intermédiaire entre la preuve prépondérante et la preuve hors de tout doute raisonnable, peu importe le " sérieux " de l’affaire. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt F.H. c. McDougall, a explicitement rejeté les approches préconisant une norme de preuve variable selon la gravité des allégations ou de leurs conséquences [44].

            [67]      Cependant, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Comme démontré plus haut, le Conseil avait bien à l’esprit cette norme et la proposition des juges majoritaires qui soutient le contraire est, avec égards, injustifiée.

            [68]      Comme le rappelle la Cour suprême, " [a]ussi difficile que puisse être sa tâche, le juge doit trancher. Lorsqu’un juge consciencieux ajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour acquis que la preuve était, à ses yeux, suffisamment claire et convaincante pour conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités " [45].

            [69]      Je propose également de rejeter ce moyen. »

(Références omises)

[64]       Tout comme dans cette affaire, nous sommes également devant un dossier de crédibilité et de fiabilité.
[65]       J.G. prétend qu’il y a une absence totale d’information et d’explication concernant le terme de sept (7) ans, tandis que l’intimé donne une version détaillée des explications dans le contexte d’un besoin de liquidité pour sa cliente.
[66]       L’analyse de la fiabilité de toutes les versions entendues confirme que la version de l’intimé est celle à retenir et le comité considère que J.G. a reçu les explications nécessaires et qu’elle a accepté le terme.
[67]       Le plaignant devait prouver, par prépondérance de preuve, tous les éléments de l’infraction reprochée.
[68]       Le comité, dans le contexte du présent dossier et après avoir analysé la preuve déposée, ne peut conclure que l’intimé a fait souscrire J.G. à des contrats qui ne correspondaient pas à ses besoins et à son profil d’investisseur.
[69]       L’intimé a tenu compte des besoins de sa cliente et a agi avec honnêteté, loyauté, compétence et professionnalisme.

POUR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

Acquitte l’intimé de l’infraction reprochée à la plainte disciplinaire.
Condamne le plaignant au paiement des déboursés, conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

PERMET la notification de la présente décision aux parties par moyen technologique conformément à l’article 133 du Code de procédure civile (RLRQ, c. C-25.01), soit par courrier électronique.

 

 

(S) Me Michel A. Brisebois

 

 

Me MICHEL A. BRISEBOIS

Président du comité de discipline

 

 

(S) Marc Gagnon

 

 

M. MARC GAGNON, A.V.C., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

(S) Robert Chamberland

 

 

M. ROBERT CHAMBERLAND, a.v.a.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Maryse Ali

CDNP aVOCATS

Procureure du plaignant

 

Me David Létourneau

trivium avocats inc.

Procureur de l’intimé

 

Dates d’audience :

11, 12 et 13 octobre 2022

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

A1711



[1] Gestion immobilière Gouin c. Complexe funéraire Fortin, 2010 QCCS 1763 (CanLII).

[2] Chambre de la sécurité financière c. Olejnik Benedetti, 2018 QCCDCSF 36 (CanLII).

[3] Bisson c. Lapointe, 2016 QCCA 1078 (CanLII).

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