Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

 

comité de discipline

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

canada

province de québec

 

 

 

N°:

CD00-1436

DATE:

24 août 2022

le comité :

Me Madeleine Lemieux

M. Marc Binette, Pl. Fin.

M. Stéphane Prévost, A.V.C.

Présidente

Membre

Membre

 

 

SYNDIC DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

Partie plaignante

c.

HÉLÈNE LAVOIE, conseillère en sécurité financière (certificat numéro 120085)

 

Partie intimée

 

décision sur culpabilité

 

conformément à l’article 142 du code des professions, le comité a prononcé l’ordonnance suivante :

         Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non‑diffusion des noms et prénoms des consommateurs concernés par la plainte disciplinaire ainsi que de toute information permettant de les identifier, étant entendu que la présente ordonnance ne s’applique pas à tout échange d’information prévu à la Loi sur l’encadrement du secteur financier (RLRQ, c. E-6.1) et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2).

[1]             L’intimée fait l’objet d’une plainte disciplinaire dans laquelle le syndic lui reproche d’avoir incité de façon pressante ou répétée des consommateurs à souscrire à des produits financiers.  Un quatrième chef d’infraction lui reproche d’avoir entravé le travail de l’enquêteur de la Chambre de la sécurité financière (« CSF »).
L’AUDITION
[2]             L’audition a d’abord été fixée aux 25, 26 et 27 janvier 2021.
[3]             L’intimée a demandé et obtenu que cette audition soit reportée en invoquant notamment des raisons de santé.  L’audition a été fixée aux 24, 25 et 26 mars 2021.
[4]             Le 11 mars 2021, l’intimée a demandé par courriel « l’annulation de l’avis d’audition » en invoquant des moyens qui, de l’avis du comité, étaient de la nature de moyens de défense.  La présidente du comité a informé l’intimée qu’elle pouvait faire valoir ses moyens de défense lors de l’audition.
[5]             Le 17 mars 2021, l’intimée a demandé à nouveau, par courriel, la remise de l’audition en invoquant des raisons de santé.  En conférence de gestion tenue le 22 mars 2021, l’intimée a accepté de procéder aux dates fixées en autant que les auditions durent au plus une demi-journée, ce que le comité et le syndic ont accepté.
[6]             Les audiences ont débuté comme prévu le 24 mars 2021 et l’intimée était présente, mais non représentée.  Le comité a ajourné la séance à 12h13 pour poursuivre le lendemain.
[7]             Le 25 mars 2021, l’intimée était absente.  Le comité a suspendu la séance et plusieurs tentatives ont été faites par le procureur du syndic et par la secrétaire du comité pour rejoindre l’intimée, tant par courriel que par téléphone, toutes sans succès. Lors d’une des tentatives de rejoindre l’intimée faite par la secrétaire du comité, lorsque celle-ci s’identifie, l’intimée coupe immédiatement la conversation.
[8]             À la reprise, le comité a constaté l’absence de l’intimée et a autorisé le plaignant à procéder ex parte.  L’audition a été suspendue à 10h30.  Un nouvel avis de convocation a été envoyé à l’intimée, par courriel et par huissier, pour l’informer de la poursuite de la séance le lendemain le 26 mars 2021.  La secrétaire a également informé l’intimée qu’elle pouvait écouter l’enregistrement de la séance du 25 mars 2021.
[9]             Le 26 mars 2021, le comité a constaté à nouveau l’absence de l’intimée et a autorisé le plaignant à procéder ex parte à la suite de quoi, le comité a pris le dossier en délibéré.
[10]          Pendant le délibéré, plus précisément le 29 mars 2021, le secrétariat reçoit une lettre de l’intimée, lettre qui a été postée le 26 mars 2021, à 13h.  La lettre est accompagnée d’un certificat médical; il s’agit d’un formulaire destiné à un assureur daté du 20 mars 2021 et indiquant que l’intimée a subi une chirurgie en novembre 2020, qu’elle sera en suivi de cette chirurgie et qu’elle est en invalidité totale permanente.
[11]          Même si cette lettre a été postée après que le comité a pris l’affaire en délibéré, le comité a pris l’initiative d’offrir à nouveau à l’intimée l’opportunité de présenter ses moyens de défense.
[12]          Le comité a donc convoqué l’intimée à une conférence de gestion et elle ne s’y est pas présentée.  Le comité a dès lors repris son délibéré.
LA PLAINTE
[13]          La plainte qui comporte quatre chefs d’infraction se lit comme suit :

1.         À Saint-Nazaire, vers les mois de mai et juin 2018, l’intimée n’a pas agi avec dignité et modération à l’endroit de J.L. et G.G. en incitant ceux-ci de façon pressante ou répétée à souscrire à des produits financiers malgré leur volonté exprimée à ne pas procéder ainsi qu’en entrant en contact avec eux de façon intempestive et sans y être autorisée, contrevenant ainsi aux articles 6 et 8 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

2.         À Ste-Monique, vers l’année 2018, l’intimée n’a pas agi avec dignité et modération à l’endroit de Re. B. en incitant celui-ci de façon pressante ou répétée à souscrire une assurance malgré sa volonté exprimée de ne pas y procéder, contrevenant ainsi aux articles 6 et 8 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

3.         À St-Gédéon, vers l’année 2018, l’intimée n’a pas agi avec dignité et modération à l’endroit de Ro. B. en l’incitant de façon pressante ou répétée à souscrire une assurance malgré sa volonté exprimée de ne pas procéder et en lui faisant signer des documents sous de faux prétextes, contrevenant ainsi aux articles 6 et 8 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

4.         À Alma, entre les 14 février et 25 mars 2019, l’intimée a entravé le travail d’un enquêteur de la Chambre de la sécurité financière notamment en ne répondant pas de façon diligente et courtoise aux demandes de l’enquêteur et en refusant de se présenter à une rencontre à laquelle elle avait été dûment convoquée, contrevenant ainsi à l’article 342 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, 42 et 43 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

CONTEXTE
[14]          L’intimée est représentante en assurance de personnes.  Elle a détenu un certificat en assurance de personnes pour le cabinet Industrielle Alliance, Assurances et services financiers inc. (« I.A. ») jusqu’au 9 janvier 2013. Elle a toutefois cessé de travailler pour I.A. en 2012 à une date indéterminée. Elle est alors devenue représentante autonome.
[15]          Le comité a entendu Mme Lucie Coursol, enquêteur à la CSF.  Il a fait l’écoute de conversations entre l’enquêteur et certains des consommateurs ou des membres de leur famille. Le comité a également entendu le chef du contentieux d’Assomption Vie.  Leurs témoignages respectifs sont analysés ci-après.
CHEF D’INFRACTION 1
[16]          L’enquête de la CSF est initiée par une plainte déposée à l’Autorité des marchés financiers (« l’AMF ») par le fils des consommateurs J.L. et G.G. en juin 2018.  Il se plaint de harcèlement envers ses parents et soutient que l’intimée aurait vendu à ses parents, âgés respectivement de 82 ans et de 85 ans, des polices d’assurance-vie qu’ils ont par la suite annulées parce que trop coûteuses.
[17]          Du témoignage du fils des consommateurs, le comité retient que ses parents lui ont demandé d’examiner leurs polices d’assurance-vie parce qu’ils trouvaient que cela leur coûtait trop cher. Tant lors de l’entrevue avec l’enquêteur de la CSF que lors de son témoignage, il situe cette demande de ses parents en 2016. La preuve révèle plutôt que cet événement a eu lieu bien avant.
[18]          Après avoir examiné les polices, il tente de communiquer avec l’intimée en appelant chez I.A. Il apprend que l’intimée ne travaille plus chez I.A. et c’est une directrice qui répond à ses demandes.
[19]          La seule preuve documentaire que des polices d’assurance ont été vendues aux consommateurs provient d’I.A. qui répond par écrit à la demande de l’enquêteur de la CSF en octobre 2019.
[20]          Tout d’abord, I.A. confirme que des produits ont été souscrits par l’entremise de l’intimée concernant les parents du demandeur d’enquête.  En fait, plusieurs produits ont été souscrits et tous ont été, soit résiliés à la demande des consommateurs, soit refusés par I.A.
[21]          En voici la liste :

               XXX187 souscrit le 13 juin 2006, résilié à la demande du client le 23 avril 2012;

               XXX742 souscrit le 31 août 2009, résilié à la demande du client le 19 avril 2012;

               XXX209 souscrit le 31 mai 2006, résilié le 6 octobre 2006;

               XXX830 souscrit le 3 septembre 2008, mais refusé par I.A.;

               XXX230 souscrit le 3 décembre 2008, mais refusé par I.A.;

               XXX482 souscrit le 17 octobre 2011 et résilié le 19 avril 2012;

               XXX130 souscrit le 29 novembre 2011, mais refusé par I.A.

[22]          C’est donc sept produits qui ont été souscrits entre 2006 et 2011 et les résiliations les plus tardives ont été faites en 2012. Le comité retient que ce sont les polices d’assurance annulées en 2012 qui sont les polices qui ont été annulées à la suite de l’intervention du fils des consommateurs.
[23]          L’intimée aurait communiqué avec les consommateurs dans les jours qui ont suivi la résiliation des polices à plusieurs reprises selon le témoin. Ce ne sont pas précisément ces événements qui sont à l’origine de la plainte mais ils permettent de comprendre ce qui s’est passé en 2018.
[24]          Que s’est-il donc passé en 2018? Que s’est-il passé pour que les consommateurs en viennent à consulter une avocate et lui donner mandat d’envoyer une mise en demeure à l’intimée pour qu’elle cesse de les harceler?  Ils ont encouru des frais pour faire cesser un comportement qu’ils ont jugé suffisamment perturbant pour faire ces démarches.
[25]          Le comité croit les témoins lorsqu’ils affirment tant à l’enquêteur de la CSF que devant le comité que Mme Lavoie s’est rendue au domicile des consommateurs, sans y être invitée et sans rendez-vous.  Le comité croit leur témoignage lorsqu’ils affirment qu’elle a été insistante pour leur vendre de l’assurance-vie malgré leur refus.  Toutefois, aucun produit n’a été vendu aux consommateurs.
[26]          Quand l’intimée communique avec les consommateurs en 2018, ils appellent à nouveau leur fils parce qu’ils se sentent harcelés par l’intimée. Malgré le refus donné au téléphone, l’intimée s’est rendue à leur domicile, sans rendez-vous, en soirée vers 20h30. Elle tente de les convaincre de souscrire une assurance-vie ce qu’ils refusent. Le consommateur G.G. utilisent les mots « elle nous a tourmentés » pour leur vendre un produit alors qu’ils lui avaient dit sept ou huit fois qu’ils n’en voulaient pas et qu’ils avaient tout ce dont ils avaient besoin. Elle ne lâchait pas, répète-t-il.
[27]          Les consommateurs ont témoigné qu’ils avaient cessé de répondre au téléphone par crainte que ce ne soit l’intimée qui les relance. Elle leur avait en effet annoncé qu’elle reviendrait les voir parce qu’elle avait désormais la charge du secteur où ils demeurent.
[28]          Parce que c’est ce dont il s’agit : l’intimée a vendu des assurances-vie, les consommateurs ont résilié les polices en 2012 et en 2018, ce n’est rien d’autre qu’une relance pour tenter de leur vendre à nouveau de l’assurance-vie.
[29]          Cette relance n’a pas réussi parce que les consommateurs ont demandé l’aide de leur fils. C’est à ce moment qu’ils consultent une avocate qui envoie une mise en demeure à l’intimée lui enjoignant de ne plus téléphoner aux consommateurs, de ne plus se présenter à leur domicile et de passer par son entremise si des documents devaient être signés par eux. Ils ont acquitté la note d’honoraires de l’avocate.
[30]          Les appels ont d’ailleurs cessé après l’envoi de cette mise en demeure à l’intimée.
[31]          Pour toutes ces raisons, le comité est d’avis que l’intimée n’a pas agi avec dignité et modération à l’endroit des consommateurs J.L. et G.G. en les incitant à souscrire à des polices d’assurance-vie de façon pressante malgré leur refus clairement exprimé. La situation est d’autant plus troublante que les consommateurs sont des personnes âgées et que l’intimée aurait dû respecter leur volonté et ajuster sa conduite à leur âge et à leur situation.
[32]          Elle a ainsi contrevenu aux articles 6 et 8 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
[33]          Conformément à l’interdiction de condamnations multiples, le comité ordonnera la suspension conditionnelle des procédures pour ce qui est de la contravention à l’article 8 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
CHEF D’INFRACTION 2
[34]          Vers le 9 janvier 2018, l’intimée se présente au domicile de Mme A.-M. D., âgée de 86 ans et de M. Re. B. son mari. On est en soirée autour de l’heure du souper. L’intimée avait annoncé sa visite par un appel téléphonique. Mme A.-M. D. souscrit une police d’assurance-vie au montant de 4 000 $ avec une prime annuelle de 1 033,20 $. 
[35]          Cette police d’assurance-vie sera annulée dans les semaines qui ont suivi la souscription. Mme A.-M.D. réalise que la prime est trop élevée pour ses capacités financières.
[36]          Ce n’est pas la vente de cette police d’assurance-vie qui fait l’objet de la plainte, mais plutôt les tentatives répétées et l’insistance de l’intimée à vendre aussi une police d’assurance-vie au mari de Mme A.-M.D. à la même date.
[37]          Le comité a entendu Mme A.-M.D., l’épouse de Re. B.  Elle relate la visite de l’intimée à sa résidence en 2018.  Elle décrit Mme Lavoie comme étant « sans gêne », parlant au téléphone avec son fils.  Elle accepte que l’intimée lui présente le produit d’assurance qu’elle acceptera de souscrire pour ensuite l’annuler.
[38]          Son mari, Re. B., était présent mais dans une autre pièce de la maison.  L’intimée s’approche et fait son offre d’une proposition d’assurance-vie pour Re. B.
[39]          Sa fille qui est aussi présente, explique à son père ce que l’intimée veut lui vendre; il indique qu’il ne veut pas de ce produit.  L’intimée se rend alors dans le salon, la pièce où se trouve Re. B., et elle propose à nouveau le produit d’assurance-vie qu’elle veut lui vendre.
[40]          Leur fille demande à l’intimée de « le laisser tranquille, il vous a dit non ».
[41]          L’intimée se retourne vers elle et, sur un ton décrit comme « autoritaire » par Mme A.-M.D., lui dit : « Toi, là, tu vas être la première à venir chercher le chèque ».
[42]          L’intimée tente ensuite de convaincre l’épouse de Re. B. de prendre l’assurance au nom de son mari; Mme D. lui répète « il a dit non ».
[43]          Il y a donc eu trois tentatives, dans un très court laps de temps, de vendre une assurance-vie à une personne âgée qui a pourtant clairement signifié son refus de souscrire à un tel produit le tout accompagné de propos dérogatoires à la fille de Re. B.
[44]          Dans les jours qui ont suivi l’annulation de la police d’assurance-vie souscrite par Mme A.-M. D., l’intimée lui téléphone et lui fait reproche d’avoir annulé la police qu’elle venait de souscrire par son entremise. « Vous me faites perdre de l’argent » lui aurait-elle dit.
[45]           L’intimée a-t-elle manqué de dignité et de modération dans ses rapports avec le couple A.-M.D. et Re. B.?
[46]          Il est difficile de mesurer le degré d’insistance qui transforme une stratégie de vente en un manque de modération et en une vente qui est faite avec une insistance démesurée.  Le comité est d’avis que le syndic s’est déchargé de son fardeau de prouver que l’intimée a contrevenu aux articles 6 et 8 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
[47]          L’article 8 du Code interdit au représentant d’inciter une personne de façon pressante ou répétée à acquérir un produit.
[48]          Les trois tentatives de vente d’une assurance-vie à Re. B., malgré son refus, sont justement des incitations répétées qui excèdent les représentations qui sont acceptables.
[49]          Rappelons qu’en matière disciplinaire les éléments essentiels d’un chef d’infraction ne sont pas définis par la seule formulation de son libellé. Ils relèvent d’abord de la disposition de rattachement qui y est énoncée. Lorsqu’il y a des références à plus d’une norme, comme c’est le cas ici, il faut que la formulation délimite suffisamment le comportement blâmable pour que la personne soit en mesure de connaître les faits précis qu’on lui reproche.
[50]           Le comité est d’avis que les propos tenus à la fille de Re. B. constituent un manque de dignité contrevenant à l’article 6 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière. Cet article 6 du Code impose au représentant un devoir de dignité et de modération. L’offre répétée d’un produit, accompagnée de tels propos, est un réel manque de dignité de la part d’un représentant.
[51]          Pour ces raisons, le comité déclarera l’intimée coupable d’avoir contrevenu aux articles 6 et 8 du Code. Le comité ordonnera la suspension conditionnelle des procédures pour ce qui est de la contravention à l’article 8 du Code.
CHEF D’ACCUSATION 3
[52]          Les événements qui ont trait au chef d’infraction 3 ont également lieu en 2018.  Ils concernent un consommateur M. Ro. B., âgé à ce moment de 85 ans.
[53]          C’est sa fille qui a déposé une plainte au nom de son père auprès d’Assomption Vie en mars 2019; en voici un extrait :

« Mme Hélène Lavoie est venue pour me vendre une assurance-vie.  Cette dame a été 3 heures à la maison à me tourmenter pour me vendre cette assurance.  Elle me dit que tout d’abord, on va remplir la demande pour savoir si vous allez être accepté auprès de la compagnie.  Même si je n’étais pas d’accord, alors elle me fait signer et m’indique de nouveau que c’est juste une demande.  Je signe pour m’en débarrasser et me dit qu’elle me redonnera des nouvelles.  Environ 2‑3 jours plus tard, elle revient me dire que je suis accepté, mais je n’ai pas changé d’idée, je n’étais toujours pas d’accord de prendre cette assurance.

Même si je lui ai dit à maintes reprises que je ne veux pas cette assurance, fatigué, tanné, je lui ai dit que c’est quasi une arnak! elle me réponds, quel avait de bons avocats pour se défendre et partie fâchée. » (copié tel quel)

[54]          La suite, également rédigée par la fille de Ro. B., indique que son père croyait que cette police était annulée mais elle était bel et bien en vigueur.  Les paiements de la prime ont en effet été prélevés par l’assureur.
[55]          C’est la fille du consommateur qui en a demandé l’annulation.
[56]          Assomption Vie fait enquête après avoir reçu la plainte de Ro. B.  Le chef de la conformité témoigne de sa conversation avec l’intimée pour recueillir sa version des faits qu’il n’a pas relatée au comité.
[57]          Après l’enquête, l’ombudsman d’Assomption Vie a conclu que la plainte était « fondée en partie » et a conclu un règlement à l’amiable avec le client.
[58]          Assomption Vie avait déjà restreint les droits de l’intimée à des services à des clients existants. Après l’enquête consécutive à la plainte de Ro. B., Assomption Vie lui a retiré son code d’agent et a informé la CSF des plaintes la concernant.
[59]          Les faits relatés dans cette plainte sont évidemment troublants.  Toutefois, le texte de la plainte a été écrit par la fille de Ro. B. qui n’était pas présente lorsque les événements se sont produits. C’est en aidant son père à mettre de l’ordre dans ses affaires qu’elle a constaté qu’il payait des primes d’assurance et qu’elle a appris de son père qu’il croyait cette police annulée ou à tout le moins qu’il ignorait qu’il détenait cette assurance.
[60]          Le comité n’a pas entendu ni Ro. B. ni sa fille.  Celle-ci avait d’ailleurs prévenu l’enquêteur de la CSF que son père ne pouvait témoigner à cause de son âge et de ses problèmes d’autonomie.
[61]          Cette plainte envoyée à l’assureur n’est pas non plus une déclaration assermentée qu’aurait faite Ro. B. à l’assureur ou à une autorité règlementaire.
[62]          Le chef du contentieux d’Assomption Vie a brièvement relaté l’enquête faite par l’ombudsman; ce n’est pas lui qui a fait l’enquête et il n’a pas rencontré ni Ro. B. ni sa fille. Tout ce que le comité sait de l’enquête menée par l’assureur, c’est la conclusion « partiellement acceptée » et les dénégations de l’intimée quant à des accusations de harcèlement.
[63]          Il témoigne également de deux autres plaintes reçues par Assomption Vie comportant des allégations de ventes d’assurance-vie sous pression. Le comité ignore le contenu de ces plaintes et ce qu’il en est advenu. Ces faits ne semblent pas avoir été portés à l’attention du syndic de la CSF.
[64]          Le syndic invite le comité à admettre le témoignage écrit de la fille du consommateur et le témoignage du chef du contentieux comme étant une preuve suffisante que les faits allégués dans la plainte se sont produits.
[65]          Il invoque l’âge avancé du consommateur et sa vulnérabilité pour expliquer son incapacité à venir témoigner devant le comité; il invite le comité à faire jurisprudence et accorder aux témoins vulnérables en raison de leur âge la même protection qu’aux victimes de crimes sexuels.
[66]          Au soutien de sa prétention, il invoque l’arrêt R. c. Khan dans lequel la Cour suprême décide qu’une approche fondée trop strictement sur les exceptions traditionnelles à l’admission du ouï-dire peut mener à l’exclusion de preuve utile et nécessaire.
[67]          L’approche plus flexible se décrit comme suit :

« […] La question est donc de savoir dans quelle mesure, le cas échéant, les restrictions de la règle du ouïdire devraient être assouplies dans le cas d'un témoignage d'enfant.  La question est très importante compte tenu du nombre de plus en plus élevé de poursuites relatives à des infractions de nature sexuelle perpétrées contre des enfants et des difficultés que comporte souvent l'obligation pour les enfants de raconter et de revivre des événements souvent traumatisants entourant l'épisode, au cours d'une longue série de rencontres avec les parents, les travailleurs sociaux, les policiers et enfin les différents paliers judiciaires.

[…]

Les quatre critères de lord Pearce peuvent se ramener à deux exigences générales:  la nécessité et la fiabilité.  En l'espèce, la déclaration de l'enfant à sa mère satisfait à ces exigences générales ainsi qu'aux critères plus précis.  Il y avait nécessité puisque, comme le juge du procès l'a conclu, les autres éléments de preuve de l'événement étaient inadmissibles.  Pour reprendre les propos de lord Pearce, la situation comportait une difficulté d'obtenir d'autres éléments de preuve.  Le témoignage comportait également des indices sérieux de fiabilité.  T. était désintéressée, en ce sens que sa déclaration ne servait pas son intérêt personnel.  Elle a fait la déclaration avant même qu'il ne soit question de litige.  Et il ne fait pas de doute qu'elle avait des moyens de connaissance particuliers de l'événement dont elle a fait part à sa mère.  En outre, la déclaration d'un enfant en bas âge sur ces questions peut comporter en soi sa propre marque de fiabilité.[1] (nos soulignements)

[68]          Il faut donc que certaines conditions existent pour que cet assouplissement des règles du ouï-dire s’applique. Le syndic justifie la nécessité par l’âge et la vulnérabilité du consommateur et son incapacité à témoigner devant le comité. Certes, mais encore faut-il que la déclaration soit fiable et suffisamment complète et explicite pour démontrer que les faits reprochés se sont produits. Ce n’est pas le cas.
[69]          La déclaration doit avoir été faite avant que le litige ne naisse. Or la déclaration est une plainte qui vise à obtenir un remboursement de primes. Il y a donc un litige.
[70]          En l’absence du témoignage de la personne qui a recueilli les propos de Ro. B. et les a transcrits, il n’est pas possible d’admettre cette déclaration comme une preuve fiable des événements qui y sont relatés.  Le comité n’est pas en mesure d’évaluer la fiabilité de ce ouï-dire.
[71]          Faute de preuve, le comité n’a d’autre choix que d’acquitter l’intimée sous le chef d’accusation 3 de la plainte.
CHEF D’INFRACTION 4
[72]          L’entrave à l’enquête du syndic est une infraction grave et cette infraction est toujours sévèrement punie par les comités de discipline.
[73]          La première communication du syndic avec l’intimée remonte au 8 juillet 2018. Le syndic informe l’intimée qu’une enquête est ouverte à son sujet et que l’enquêteur communiquera éventuellement avec elle.
[74]          L’enquêteur témoigne de ses difficultés lors de chacune de ses communications téléphoniques avec l’intimée : l’intimée argumente, questionne les façons de faire de la CSF et va jusqu’à menacer de poursuivre en justice la CSF si on continue l’enquête à son sujet.
[75]          De guerre lasse, l’enquêteur finit par convoquer l’intimée à une rencontre aux bureaux de la CSF à Montréal. La convocation est envoyée par courriel le 13 mars 2019 pour une rencontre fixée au 25 mars à 9h30.
[76]           Dans un échange de courriels entre l’enquêteur et l’intimée, celle-ci questionne l’opportunité d’une telle rencontre mais confirme qu’elle sera présente à l’enquêteur qui lui rappelle que sa présence est obligatoire.
[77]          Le 25 mars, jour prévu pour la rencontre entre l’intimée et l’enquêteur, vers 8h30, l’intimée lui téléphone pour lui dire qu’elle ne se présentera pas à la rencontre parce qu’elle a un contretemps; elle demande le report de la rencontre.
[78]          L’enquêteur lui demande de lui expliquer ce qu’est ce contretemps; l’intimée lui répond que c’est « personnel et confidentiel »; invitée à plusieurs reprises par l’enquêteur à expliquer ce contretemps, l’intimée refuse et ajoute qu’elle donnera ses explications quand l’enquêteur lui aura dit quelles sont les plaintes portées contre elle et qui sont les plaignants.   
[79]          Lorsque l’enquêteur lui explique que le défaut de se présenter sans donner d’explications constitue de l’entrave, l’intimée lui répond qu’elle lui donnera sa raison quand elle aura les plaintes et qu’elle ne se justifiera pas. « Pensez-y et rappelez-moi » dit l’intimée à l’enquêteur avant de mettre fin à la conversation.
[80]          La rencontre fixée au 25 mars n’aura pas lieu en raison de l’absence de l’intimée et l’enquêteur ne recevra jamais les explications de l’intimée pour ce défaut de se présenter. Une rencontre avec l’enquêteur aura finalement lieu quelques jours plus tard, le 28 mars 2019.
[81]          L’enquêteur demande à l’intimée d’apporter avec elle le dossier du consommateur G.G.  L’intimée lui répond que ce dossier n’est pas en sa possession et qu’il est demeuré à I.A. lorsqu’elle a cessé d’être représentante pour ce cabinet.
[82]          L’enquêteur témoigne que les communications avec l’intimée « ne sont pas faciles » mais qu’au final « on finissait par obtenir » ce qui avait été demandé.
[83]          Le comité est d’avis que l’intimée a entravé le travail de l’enquêteur du bureau du syndic et a ainsi contrevenu à l’article 342 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers qui interdit de faire entrave à l’action du syndic. La loi et les règlements imposent des obligations de collaboration et de franchise à l’égard du syndic. L’importance du rôle du syndic, à l’étape de l’enquête, est primordial et a été reconnu à plusieurs reprises par les tribunaux. Il s’agit de la « pierre angulaire » du fonctionnement du système disciplinaire.
[84]            L’article 42 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (le Code) est précis : le représentant doit répondre dans les plus brefs délais et de façon complète et courtoise à toute correspondance provenant du bureau du syndic.
[85]          Cette collaboration doit se manifester dès que l’enquêteur formule ses demandes au représentant; argumenter, tergiverser, menacer, imposer des conditions à sa collaboration, ce n’est pas de la collaboration bien au contraire. L’enquête du syndic ne doit pas devenir une course à obstacles en raison des réticences de la personne qui fait l’objet de l’enquête.
[86]          L’article 43 du Code prévoit que le représentant doit se présenter à toute rencontre à laquelle il est convoqué; confirmer sa présence à une rencontre puis faire défaut de se présenter mais surtout refuser de donner la moindre explication pour expliquer son absence est un comportement qui contrevient au Code et qui constitue de l’entrave au travail du syndic.
[87]          Pour toutes ces raisons, l’intimée sera trouvée coupable d’avoir contrevenu à l’article 342 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers et aux articles 42 et 43 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière. Le Comité ordonnera la suspension conditionnelle des procédures quant à ceux deux dernières dispositions de rattachement.

POUR CES MOTIFS, le comité de discipline :

SOUS LE CHEF D’INFRACTION 1
DÉCLARE l’intimée coupable d’avoir contrevenu aux articles 6 et 8 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3);
ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures à l’égard de l’article 8 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3);
SOUS LE CHEF D’INFRACTION 2
DÉCLARE l’intimée coupable d’avoir contrevenu aux articles 6 et 8 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3);
ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures à l’égard de l’article 8 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3)
SOUS LE CHEF D’INFRACTION 3
ACQUITTE l’intimée de l’accusation d’avoir contrevenu aux articles 6 et 8 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3);
SOUS LE CHEF D’INFRACTION 4
DÉCLARE l’intimée coupable d’avoir contrevenu à l’article 342 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et aux articles 42 et 43 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3);
ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures à l’égard des articles 42 et 43 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2);
CONVOQUE les parties, avec l’assistance de la secrétaire du comité de discipline à une audition sur sanction;
PERMET la notification de la présente décision à l’intimée par moyen technologique conformément à l’article 133 du Code de procédure civile (RLRQ, c. C-25.01), à savoir par courrier électronique.
 

 

 

(S) Me Madeleine Lemieux

 

 

Me MADELEINE LEMIEUX

Présidente du comité de discipline

 

(S) Marc Binette

 

M. MARC BINETTE, PL. FIN.

Membre du comité de discipline

 

(S) Stéphane Prévost

 

M. STÉPHANE PRÉVOST, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

Me Joël Roy

MERCIER LEDUC

Avocats de la partie plaignante

Mme Hélène Lavoie

Partie intimée

Absente et non représentée

Dates d’audience : 24, 25 et 26 mars 2021

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 

A0430

A2210

 



[1]      R. c. Khan, 1990 CanLII 77 (CSC), [1990] 2 RCS 531

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