Chambre de la sécurité financière (Québec)

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comité de discipline

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

canada

province de québec

 

 

 

N°:

CD00-1485

DATE: 11 juillet 2022

 

le comité[1] :

Me Madeleine Lemieux

M. John Di Nezza

Présidente

Membre

 

 

SYNDIC DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

Partie plaignante

c.

MATHIEU CAMIRÉ, conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective (numéro de certificat 166363 et numéro de BDNI 1804501)

 

Partie intimée

 

décision sur culpabilité

 

conformément à l’article 142 du code des professions, le comité a prononcé l’ordonnance suivante :

         Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non‑diffusion du nom et prénom du consommateur concerné par la plainte disciplinaire ainsi que de toute information permettant de l’identifier, étant entendu que la présente ordonnance ne s’applique pas à tout échange d’information prévu à la Loi sur l’encadrement du secteur financier (RLRQ, c. E-6.1) et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2).

[1]             L’intimé fait l’objet d’une plainte disciplinaire qui contient trois chefs d’infraction.  On lui reproche un manque de professionnalisme et de compétence lors de la souscription d’une police d’assurance-invalidité en 2017, de ne pas avoir procédé à une analyse de besoins financiers complète en 2019 et finalement, de ne pas avoir agi en conseiller consciencieux toujours en 2019 lors de la souscription d’une police d’assurance-invalidité.  Tous les chefs d’infraction concernent le même consommateur.
[2]             La plainte se lit comme suit :
LA PLAINTE

1.       À Candiac, le ou vers le 11 décembre 2017, l’intimé n’a pas agi avec compétence et professionnalisme envers S.B. en lui faisant souscrire la police d’assurance invalidité N0 […] pour un montant mensuel de 1 000 $ en cas de perte de revenu, alors que ce montant est inférieur aux dépenses mensuelles identifiées dans l’analyse financière des besoins et du montant de prestation mensuelle auquel S.B. est admissible auprès de l’assureur, contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

2.       À Candiac, le ou vers le 24 janvier 2019, l’intimé n’a pas procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de S.B., alors qu’il lui a fait souscrire la police d’assurance invalidité N0 […], contrevenant ainsi à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants.

3.       À Candiac, le ou vers le 24 janvier 2019, l’intimé n’a pas agi en conseiller consciencieux envers S.B. en omettant de s’assurer que les frais généraux de l’entreprise de S.B. étaient admissibles, alors qu’il lui a recommandé de souscrire la police d’assurance invalidité N0 […] pour un montant additionnel de 4 000 $ en frais généraux d’entreprise, contrevenant ainsi aux articles 12 et 15 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[3]             L’intimé a plaidé coupable au chef d’infraction 2 de la plainte et le comité l’a déclaré coupable séance tenante d’avoir contrevenu à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants.
LE CONTEXTE
[4]             L’intimé détient, au moment des événements qui font l’objet de la plainte, un certificat en assurance de personnes pour le cabinet Services financiers Primerica Ltée.  Il détient également un certificat en courtage hypothécaire pour un autre cabinet.
[5]             S.B. est le client de l’intimé depuis 2010.  Il communique avec l’intimé en 2017; les notes au dossier de l’intimé indiquent de nombreuses communications entre lui et S. B. entre le premier contact de S.B. en novembre 2017 et octobre 2019 date à laquelle il y a eu fin des communications entre eux.  L’intimé a en effet cessé toute communication avec S.B., comme il le devait, après avoir appris que S.B. avait déposé une plainte contre lui.
[6]             Cette plainte du consommateur n’a pas été produite, mais elle a généré une longue enquête du syndic et quelque 2 000 pages de documents ont fait l’objet de divulgation de la preuve; de ces documents, une centaine ont été produites par le syndic lors de l’audition sur culpabilité.
LE CHEF D’INFRACTION 1
[7]             Le syndic reproche à l’intimé d’avoir manqué de compétence et de professionnalisme quant à la souscription d’une police d’assurance-invalidité pour S. B.  Plus précisément, le syndic lui reproche de ne pas avoir fait souscrire à son client une police d’assurance-invalidité d’un montant suffisamment élevé.
[8]             Le 12 novembre 2017, S. B. communique avec le bureau de l’intimé; la personne qui prend l’appel écrit que S.B. « Désirais augmenter ses pacs, avoir une assurance-invalidité, une assurance-vie et changer son adresse » (copié tel quel).
[9]             Le lendemain de cet appel, l’intimé rencontre S. B. à sa résidence.  Cette rencontre dure au moins deux heures.  L’intimé constate d’abord qu’il y a eu beaucoup de changements dans la vie de son client S. B. depuis leurs derniers contacts : faillite personnelle et faillite de son entreprise, libération de cette faillite et période d’incarcération dans le cadre d’un dossier de santé et sécurité au travail en tant qu’employeur. À l’automne 2017, S. B. est encore en probation.
[10]          Dans ses demandes, S. B. ajoute qu’il veut investir 250 $ par semaine dont 50 % en fonds d’urgence, 25 % en fond long terme et l’autre 25 % en moyen terme.
[11]          L’intimé procède à l’analyse des besoins financiers (« ABF ») de S. B.; cette ABF est complète et conforme et elle identifie correctement les besoins en assurance.
[12]          Aucun reproche n’est fait à l’intimé quant à cette ABF et quant à l’ensemble des recommandations et démarches de l’intimé pour S.B., sauf pour ce qui est du montant d’assurance-invalidité qui sera souscrit.
[13]          L’ABF identifie un besoin d’assurance-invalidité personnel au montant de 1 360 $ par mois.  Ce calcul n’est pas remis en question par le syndic.
[14]          Malgré ce besoin identifié, S.B. souscrit une police d’assurance-invalidité au montant de 1 000 $ par mois; au même moment il souscrit une assurance-invalidité frais généraux d’entreprise également au montant de 1 000 $ par mois.
[15]          La plainte porte précisément sur la souscription qui est de 1 000 $ par mois en assurance‑invalidité personnelle et non pas au montant de 1 360 $ comme le besoin identifié dans l’ABF.
[16]          L’intimé soumet que le montant souscrit est le choix du client.  Il témoigne que le consommateur lui a demandé « d’aller chercher le minimum ».
[17]          L’intimé explique que la compagnie d’assurance n’offre pas de couverture d’assurance-invalidité au montant exact de 1 360 $ par mois.  La couverture d’assurance est calculée par tranches de 500 $. Les propos de l’intimé sont d’ailleurs conformes au texte de la proposition d’assurance de Edge Benefit à la section 5. Le consommateur devait donc choisir entre une couverture de 1 000 $ par mois ou une couverture de 1 500 $ par mois; il a choisi 1 000 $, selon toute vraisemblance pour tenir compte de la prime à payer. L’intimé témoigne que si le client refuse de souscrire une assurance au montant qu’il lui recommande, il ne peut pas l’y obliger. C’est le client qui décide, dit-il.
[18]          Il est acquis en droit professionnel que le fardeau de la preuve repose sur les épaules du plaignant. Il lui appartient de démontrer que l’intimé a commis les infractions qui lui sont reprochées.
[19]          Il est également acquis que les éléments essentiels d’un chef d’infraction disciplinaire ne sont pas constitués par son libellé mais bien par les dispositions législatives ou réglementaires alléguées aux chefs d’infraction.
[20]           Le comité est d’avis que le syndic ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve et que l’intimé n’a pas contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (la « Loi ») lors de la souscription de cette assurance-invalidité.
[21]          Cet article 16 de la Loi se lit comme suit :

« 16. Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.

Il doit agir avec compétence et professionnalisme. »

[22]          L’honnêteté et la loyauté de l’intimé ne sont absolument pas remises en cause dans le présent dossier.
[23]          Selon le syndic, ne pas faire souscrire le montant identifié dans l’ABF est en soi une faute déontologique.
[24]          De l’avis du comité, les circonstances propres à ce dossier font en sorte que le représentant n’a pas manqué de compétence ni de professionnalisme et n’a donc pas commis une faute.
[25]          Agir avec professionnalisme veut dire identifier correctement les besoins en assurance du consommateur, trouver et lui proposer une assurance qui couvre ses besoins. 
[26]          Certes le représentant ne doit pas se contenter d’exécuter les ordres du client; il doit exercer son jugement professionnel pour le conseiller adéquatement.
[27]          Toutefois, le client demeure le véritable décideur des montants d’assurance qu’il va souscrire.  Rien ne permet de mettre en doute l’affirmation du représentant que la décision du montant de couverture a été prise par le client en lien avec sa capacité financière. Rien dans la preuve ne permet de conclure que c’est à la suite de la recommandation de l’intimé que le montant souscrit a été déterminé.
[28]          Le client voulait en effet tenir compte de la prime à payer.  On comprend d’ailleurs à la lecture des notes au dossier du représentant que le consommateur a régulièrement éprouvé des difficultés à acquitter le montant de la prime de cette assurance-invalidité.
[29]          Bref, la preuve démontre que le représentant s’est bien acquitté de ses obligations envers le consommateur ne serait-ce que par la lecture des notes détaillées qu’on retrouve au dossier.
[30]          L’intimé est donc acquitté de l’infraction du chef 1 de la plainte.
LE CHEF D’INFRACTION 3
[31]          Le syndic reproche à l’intimé de ne pas s’être assuré que les frais généraux de l’entreprise de S.B. étaient admissibles encore une fois en matière d’assurance-invalidité.
[32]          En janvier 2019, S.B. communique avec l’intimé pour modifier et augmenter sa couverture d’assurance-invalidité principalement parce que sa conjointe envisage de quitter son emploi.
[33]          La couverture invalidité personnelle est augmentée à 2 000 $ par mois et la couverture frais généraux d’entreprise est augmentée à 5 000 $ par mois. S. B. veut, selon les notes au dossier, couvrir les dépenses de base de l’entreprise excluant le chauffeur de remplacement.
[34]          L’intimé complète une nouvelle proposition d’assurance et y indique le nom de l’employeur/entreprise de S.B. et les montants demandés sont ajoutés.  L’assureur modifie la couverture d’assurance et les primes en conséquence. Le tout est confirmé environ une semaine après la rencontre entre l’intimé et S. B.
[35]          En juin de la même année, le consommateur présente une réclamation à l’assureur; il réclame le paiement de la prestation d’assurance-invalidité personnelle et le paiement de la prestation pour frais généraux d’entreprise à la suite d’une invalidité.
[36]          S.B. complète une déclaration de frais généraux d’entreprise le 20 juin 2019 et il joint à sa déclaration différents documents qui énumèrent les dépenses de son entreprise; il produit notamment le contrat d’entreprise qu’il a conclu à titre d’entrepreneur exploitant de véhicules lourds.
[37]          Le 9 juillet, l’assureur demande des documents à S.B. et tout indique que les documents ont été acheminés à l’assureur.
[38]          Il y a diverses communications entre la conjointe de S.B., l’intimé et l’assureur pour tenter de comprendre pour quelles raisons la réclamation pour frais généraux d’entreprise est refusée alors que la réclamation d’assurance-invalidité personnelle est acceptée.
[39]          La raison du refus de payer l’assurance frais généraux ne ressort pas clairement de la preuve.
[40]          Selon le plaignant, l’intimé n’aurait pas fait souscrire le bon produit.  Un chauffeur (« Driver ») ne serait pas admissible et le payeur des primes étant S.B.  lui-même, ceci l’aurait rendu inadmissible. Il aurait dû faire une vérification plus approfondie de la nature des dépenses en lien avec la police d’assurance et s’assurer qu’elles étaient admissibles.
[41]          De son côté, l’intimé soutient que la réclamation n’a pas été acceptée parce que le consommateur n’a pas fourni à l’assureur la preuve du paiement des dépenses alléguées.
[42]          La correspondance échangée entre l’assureur et le consommateur et tout particulièrement la lettre du 17 septembre 2019 est à l’effet que :

« Les factures reçues ne correspondent pas à des frais fixes contractuels d’entreprises ».

[43]           Cet énoncé est suivi d’une liste de ce qui est compris dans les frais fixes d’entreprise, liste qui correspond à ce qu’on retrouve déjà dans la police d’assurance.
[44]          On ajoute dans cette lettre :

« De plus, afin de pouvoir considérer les frais généraux d’entreprise, nous avons besoin de facture et preuve de paiement et dans certains cas une copie du contrat ».

[45]          La preuve ne révèle pas ce qui s’est passé après le 17 septembre 2019, on ne sait donc pas si les documents demandés par l’assureur ont été fournis par S.B., ni s’il a fourni les preuves du paiement des factures comme l’assureur le lui a demandé.
[46]          Dans un courriel transmis à l’enquêteur de la CSF le 8 juin 2021, l’assureur dit n’avoir reçu aucune réponse de l’assuré S. B. après cette lettre du 17 septembre 2019.
[47]          Chose certaine, il n’y a pas de preuve claire que l’assureur a refusé de reconnaître l’invalidité, ni de preuve concluante que le produit auquel S.B. a souscrit n’était pas le bon produit pour son type d’entreprise. Les discussions entre l’assureur et la conjointe de S. B. portent autant sur la cause de l’invalidité, blessure ou maladie que sur l’étendue de la couverture.
[48]          Bref, on ne connait pas les motifs de la décision de l’assureur quant à l’assurance frais généraux souscrite par S. B. ni les raisons pour lesquelles S. B. n’a pas donné suite aux demandes de l’assureur du 17 septembre 2019.
[49]          Le comité est donc d’avis que le syndic ne s’est pas déchargé du fardeau de prouver que l’intimé a commis les infractions qui lui sont reprochées. La preuve claire et convaincante requise pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités n’a pas été faite.
[50]          Le comité est d’avis que l’intimé n’a pas contrevenu aux articles 12 et 15 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (le Code).
[51]          L’article 12 du Code impose au représentant un devoir de probité et un devoir de travail consciencieux; il doit informer adéquatement son client et il doit accomplir toutes les démarches nécessaires pour bien le conseiller. La preuve ne permet pas de conclure que l’intimé n’a pas travaillé de façon consciencieuse et qu’il n’a pas fait souscrire un produit d’assurance adéquat.
[52]          De la même manière, la preuve n’a pas démontré que l’intimé n’avait pas une connaissance complète des faits nécessaires pour bien conseiller son client comme le prévoit l’article 15 du Code.
[53]          L’intimé est donc acquitté de l’infraction du chef 3 de la plainte.

POUR CES MOTIFS, le comité de discipline :

ACQUITTE l’intimé des chefs d’infraction 1 et 3 de la plainte;

DÉCLARE l’intimé coupable du chef d’infraction 2 pour avoir contrevenu à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (RLRQ, c. D-9.2, r. 10);

CONVOQUE les parties avec l’assistance de la secrétaire du comité de discipline à une audition sur sanction.

 

 

 

(S) Me Madeleine Lemieux

 

Me MADELEINE LEMIEUX

Présidente du comité de discipline

 

(S) John Di Nezza

 

M. JOHN DI NEZZA

Membre du comité de discipline

 

 

 

 

Me Sandra Robertson

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

Avocats de la partie plaignante

 

Me René Vallerand

DONATI MAISONNEUVE S.E.N.C.R.L.

Avocats de la partie intimée

Dates d’audience : 17 et 18 janvier 2022

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 



[1]      Le troisième membre du comité de discipline, M. Michel McGee, étant dans l’impossibilité d’agir, la présente décision est rendue par les deux autres membres, conformément aux dispositions de l’article 371 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

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