Chambre de la sécurité financière (Québec)

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 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

C A N A D A

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1496

 

DATE :

23 juin 2022

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

M. Benoit Bergeron, A.V.A., Pl. Fin. 

Membre

M. Michel Dubé, Pl. Fin.

 Membre

 

 

SYNDIC DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

Plaignant

c.

 

SYLVAIN LAPOINTE, conseiller en sécurité financière (certificat numéro 119406)

 

Intimé

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ, LORS DE L’AUDIENCE, L’ORDONNANCE SUIVANTE :

       Non-divulgation, non-diffusion et non-publication des noms et prénoms de la consommatrice impliquée dans la plainte disciplinaire, ainsi que de toute information se trouvant dans la preuve qui permettrait de l’identifier. Toutefois, il est entendu que la présente ordonnance ne s’applique pas aux échanges d’information prévus à la Loi sur l’encadrement du secteur financier et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

 

[1]          Le Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (CDCSF) (le Comité) est saisi de cette plainte disciplinaire portée contre l’intimé, Sylvain Lapointe, le
11 novembre 2021, laquelle comporte un seul chef d’infraction.

[2]          Ce chef reproche à l’intimé de s’être placé en situation de conflits d’intérêts le
21 juin 2021 en agissant à titre de représentant pour la consommatrice M.B., notamment en lui faisant souscrire à une assurance vie alors qu’il lui avait déjà emprunté 45
000 $, contrevenant ainsi à l’article 16 Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) et à l’article 18 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (Code CSF).

[3]          Le Comité étant informé que l’intimé enregistre un plaidoyer de culpabilité et que les parties présentent des recommandations communes sur sanction, le procureur du plaignant a résumé les faits entourant les gestes reprochés.

DÉCLARATION DE CULPABILITÉ

[4]          Après l’enregistrement par l’intimé de son plaidoyer de culpabilité sous le seul chef d’infraction de la plainte, le Comité l’en déclare coupable pour avoir contrevenu à chacune des dispositions invoquées au soutien de ce chef d’infraction.

[5]          Par ailleurs, l’article 18 du Code CSF s’avérant plus précis pour les gestes commis par l’intimé de ne pas avoir sauvegardé son indépendance en tout temps et évité toute situation où il se trouvait en conflit d’intérêts, le Comité prononce l’arrêt conditionnel des procédures à l’égard de l’article 16 LDPSF.

ET PROCÉDANT SUR SANCTION

[6]          Les parties ont recommandé la radiation temporaire de l’intimé pour une période d’une ou deux années, à la discrétion du Comité. À cette sanction s’ajoutent la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés et la publication de l’avis de la décision prévue à l’article 156 du Code des professions.

 

Représentations du syndic

[7]          Le procureur du syndic a soulevé les facteurs aggravants dans le présent cas :

a)    La gravité objective de l’infraction. Le représentant devant toujours sauvegarder son indépendance, l’intérêt du client doit primer. Dans le présent cas, il s’agissait d’une situation nettement conflictuelle pour l’intimé;

b)    La longue expérience de l’intimé au moment de l’infraction aurait dû l’empêcher de la commettre.

[8]          Quant aux facteurs atténuants :

a)    L’intimé a collaboré à l’enquête et au processus disciplinaire;

b)    Dès que l’intimé a reçu l’avis de l’enquêteur du bureau du syndic de la CSF, il a annulé l’assurance vie et le transfert du placement. Aussi, en mars 2022, il a remboursé à la consommatrice l’entièreté du capital emprunté;

c)    L’absence d’antécédent disciplinaire;

d)    L’absence de mauvaise foi chez l’intimé qui a depuis pris conscience de sa faute.

Représentations de l’intimé

[9]          En plus de facteurs déjà signalés par son collègue, le procureur de l’intimé a fait valoir :

a)    La longue carrière de l’intimé qui est sans antécédent disciplinaire pendant près de 40 ans;

b)    Le fait qu’il s’agit d’un événement isolé qui implique une seule consommatrice;

c)    Aucun indice de mauvaise foi de la part de l’intimé;

d)    Le fait que le prêt a fait l’objet d’un contrat et que le document a été déposé chez un notaire;

e)    L’absence de préjudice subi par la consommatrice.

Le 1er mars 2022, une fois son duplex vendu, l’intimé lui a remboursé en totalité le capital, comme stipulé au contrat de prêt, ainsi que les intérêts de 8 % chaque mois jusqu’au paiement du capital;

f)     Pour ce qui est du contrat d’assurance-vie, quoique plaçant l’intimé en situation évidente de conflit d’intérêts, dès qu’il en a été avisé par l’enquêteur, le contrat a été annulé;

g)    Les remords de l’intimé[1].

[10]       Aussi il a plaidé qu’une période de radiation d’une année est suffisante, d'autant plus que l’intimé n’exerce plus depuis janvier 2022, faute d’avoir complété ses unités de formation continue (UFC). 

CONTEXTE

[11]       L’intimé exerce dans le domaine de l’assurance depuis plus de vingt ans.

[12]       Au moment des événements, il détient un certificat en assurance de personnes avec renouvellement le 30 juin 2022.

[13]       Par ailleurs, comme il n’a pas complété les UFC exigées par la CSF, son droit d’exercer a été suspendu par l’Autorité des marchés financiers (AMF) dès janvier 2022. Son certificat reste cependant en vigueur jusqu’à son renouvellement à la fin juin prochain.

[14]       L’intimé et la consommatrice M.B. font connaissance lors de soirées de rencontres sociales. Ils deviennent amis.

[15]       Par la suite, l’intimé, dont la capacité d’emprunt auprès d’institutions bancaires est limitée, apprend que son amie prête de l’argent à des particuliers.

[16]       Aussi, le 22 juin 2021, M.B. signe un contrat de prêt de 45 000 $ en faveur de l’intimé. Ce contrat stipule que ce dernier remboursera à M.B. le capital après la vente d’un de ses deux immeubles. Entre-temps, l’intimé verse à M.B. un intérêt annuel de
8 %, au moyen de
mensualités de 300 $.

[17]       Aux fins de garantir le paiement de sa dette advenant son décès, une clause du contrat prévoit la souscription par l’intimé d’une assurance sur la vie de M.B., plutôt qu’une assurance vie sur sa propre vie.

[18]       L’intimé a expliqué qu’ils ont dû procéder ainsi, car lui-même n’était « pas assurable ». Ainsi, le 20 juin 2021, l’intimé souscrit une assurance de 100 000 $ temporaire 10 ans (T-10), sur la vie de M.B. La fille de celle-ci est nommée bénéficiaire à raison de 45 % et l’intimé de 55 %. L’intimé s’engage à payer, pendant au moins deux ans, la prime mensuelle de cette assurance qui s’élève à environ 44 $.

[19]       Enfin, il y est également prévu que ledit contrat sera remis à une notaire qui le conservera.

ANALYSE ET MOTIFS

[20]       Rappelons que dans le cas de recommandations communes sur sanction, le Comité devra y donner suite, à moins que celles-ci ne lui paraissent contraires à l’intérêt public ou de nature à déconsidérer l’administration de la justice[2]

[21]       Ainsi, il n’y a pas lieu pour le Comité de se questionner quant à la sévérité ou la clémence de cette sanction.

[22]       La sanction de radiation temporaire de l’intimé proposée par les parties pour une période entre une et deux années respecte les critères énoncés par la Cour suprême et le Comité y donnera suite.

Question en litige

[23]       La durée de cette radiation ayant toutefois été laissée à sa discrétion, le Comité doit maintenant la déterminer.

[24]       L’intimé a été déclaré coupable sous l’article 18 du Code CSF :

Le représentant doit, dans l’exercice de ses activités, sauvegarder en tout temps son indépendance et éviter toute situation où il serait en conflit d’intérêts.

(Nos soulignés)

[25]       Les infractions commises par l’intimé vont au cœur de la pratique du représentant et portent ombrage à la profession. Leur gravité objective est indéniable.

[26]       La sanction disciplinaire se détermine en fonction de la gravité objective des infractions et s’individualise en raison des facteurs subjectifs de la situation.

[27]       En l’espèce, l’individualisation de la sanction exige une attention particulière aux aspects subjectifs suivants : la personnalité de l’intimé et les lacunes importantes de ses connaissances eu égard à ce que constitue une situation de conflit d’intérêts où le représentant peut se retrouver.

[28]       L’impact de la sanction sur la carrière du professionnel, sur sa réinsertion sur le marché du travail, et sur sa situation financière doit être pris en compte par le Comité afin d’éviter de donner un caractère punitif à la sanction qu’il impose.

[29]       Quant à la situation financière personnelle de l’intimé, elle n’a pas été abordée, mais l’absence de l’exercice de la profession depuis le mois de janvier dernier, le remboursement de la dette contractée envers la consommatrice à même la vente d’un de ses immeubles, et tous les frais peuvent créer un fardeau financier important pour l’intimé. Le Comité ne peut l’ignorer.  

[30]       En ce qui constitue une situation de conflit d'intérêts, l’intimé a déclaré ignorer, en agissant comme il l’a fait, être en conflit d’intérêts et contrevenir ainsi à ses obligations déontologiques. Ce n’est qu’à la suite de l’avis de l’enquêteur du bureau du syndic de la CSF, ayant reçu une plainte à ce sujet, qu’il l’a appris.

[31]       L’intimé a déploré que son bureau en assurances n’ait pas offert de formation sur les potentielles situations de conflit d'intérêts pour les représentants. À son avis, peu de ses collègues sont au courant de ce type de situations.  

[32]       Pourtant, c’est la responsabilité de ces derniers de tenir à jour leurs connaissances. L’intimé exerce comme représentant en assurances depuis plus de trente ans, de sorte que cette importante lacune au niveau de ses connaissances paraît pour le moins surprenante et est inacceptable.

[33]       Ceci est certes de nature à inquiéter le Comité, d’autant plus que l’intimé a négligé de compléter ses UFC, à tout le moins pour la dernière période de deux ans qui se terminait le 30 novembre 2021. Aussi, même si son certificat est toujours valide auprès de l’AMF jusqu’à son renouvellement à la fin juin 2022, son droit de pratique est suspendu depuis janvier 2022.

[34]       À même la preuve documentaire déposée, le Comité a constaté d’autres irrégularités commises par l’intimé. Par exemple, l’intimé inscrit comme date de signature sur un formulaire une date antérieure à celle-ci pour la faire correspondre à l’échéance du placement visé[3].

[35]       Lors de l’individualisation de la sanction, la personnalité du professionnel entre en ligne de compte.

[36]       L’intimé s’est dit très amer de cette expérience, car après toutes ces années dans la profession, il ne souhaitait certes pas terminer sa carrière par une plainte.

[37]       Il a souligné que « les gens l’aiment, qu’il est toujours souriant et prêt à aider les autres ». Il a rencontré M.B. lors de « soirées de rencontres ». Rappelons que c’est lui qui l’a approchée pour lui emprunter de l’argent.

[38]       L’intimé n’a pas semblé prendre vraiment la responsabilité de sa faute. Il considère avoir été le bouc émissaire de la Caisse populaire, expliquant qu’un membre du personnel aurait indiqué à M.B. désapprouver ce prêt d’argent, affirmant qu’un représentant ne pouvait procéder à ce type de transaction avec un client. L’intimé a déclaré soupçonner l’institution être à l’origine de la plainte déposée contre lui à l’AMF.

[39]       Il a annoncé qu’il songeait à peut-être exercer de nouveau dans un an, ou encore rester en Floride, où vit actuellement son épouse, pour y « faire de l’immobilier ». 

[40]       Dans les circonstances, un risque de récidive ne peut être écarté. 

[41]       L’intimé était un représentant d’expérience qui aurait dû savoir que ses gestes étaient déontologiquement inappropriés.

[42]       Néanmoins, soulignons l’enregistrement par l'intimé d’un plaidoyer de culpabilité, l’absence d’intention malhonnête de sa part, qu’il s’agit d’un événement isolé impliquant une seule consommatrice et l’absence d’antécédent disciplinaire.

[43]       De plus, M.B. n’a subi aucun préjudice, ayant même, au contraire, bénéficié d’un rendement appréciable sur son capital, lequel lui a été entièrement remboursé en
mars 2022.

[44]       Aussi, notons que le conflit d’intérêts dans la présente affaire ne résulte pas d’un abus de confiance qui justifierait une sanction plus sévère.

[45]       C’est plutôt le lien d’amitié entretenu avec M.B. qui a mené à cette situation, sans que l’intimé ne manipule ou n'intimide M.B.

[46]       Considérant ce qui précède et le principe de la parité des sanctions, à la lumière de la jurisprudence soumise, le Comité estime qu’une période de radiation pour une année se révèle appropriée, d’autant plus que l’intimé n’exerce plus depuis déjà environ six mois.

[47]       Le Comité ordonnera donc la radiation temporaire de M. Lapointe pour une période d’une année sous l’unique chef d’infraction contenu à la plainte disciplinaire.

[48]       Au cours du délibéré, le Comité a convenu avec les parties d’ajouter le suivi par l’intimé de la formation CSF 14465L2FR. Celle-ci s’articule « À partir de cas vécus par des représentants en assurance de personnes qui ont eu à se présenter devant le comité de discipline de la Chambre, cette formation permet de mieux comprendre la portée et la signification des obligations prévues au Code de déontologie de la CSF », notamment les situations de conflits d’intérêts, afin d’éviter à l’intimé de comparaître de nouveau devant le CDCSF.

[49]       Le Comité condamnera M. Lapointe au paiement des déboursés et ordonnera la publication de l’avis de la présente décision.

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

PREND ACTE à nouveau du plaidoyer de culpabilité de l’intimé à l’égard de l’unique chef d’infraction de la plainte disciplinaire;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimé à l’égard de l’unique chef d’infraction de la plainte disciplinaire pour avoir contrevenu aux articles 16 de la LDPSF et 18 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures à l’égard de l’article 16 de la LDPSF invoqué au soutien de ce chef d’infraction.

 

ET STATUANT SUR SANCTION :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période d’une année pour l’unique chef d’infraction de la plainte disciplinaire;

RECOMMANDE au conseil d'administration de la Chambre de la sécurité financière d’IMPOSER à l’intimé de suivre, à ses frais, la formation accréditée par la Chambre numéro CSF 14465L2FR (Cas vécus et déontologie en assurance de personnes) ou l’équivalent, l'intimé devant produire audit conseil d'administration une attestation confirmant qu’il a suivi ladite formation avec succès dans l’année de sa résolution, le défaut de s’y conformer résultant en la suspension de son droit d’exercice par l’autorité compétente jusqu’à la production de cette attestation;

ORDONNE à la secrétaire du Comité de faire publier, conformément à l’article 156 alinéa 7 du Code des professions, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a ou pourrait exercer sa profession;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, conformément à l’article 151 du Code des professions.

 

(S) Janine Kean

____________________________

Me Janine Kean

Présidente du Comité de discipline

 

 

(S) Benoit Bergeron

____________________________

 

M. Benoit Bergeron, A.V.A., Pl. Fin.

 

Membre du Comité de discipline

 

 

(S) Michel Dubé

___________________________

 

M. Michel Dubé, Pl. Fin.

 

Membre du Comité de discipline

 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT PRÉVOST GALARNEAU, s.e.n.c.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Jocelyn Bélisle

Procureur de l’intimé

 

Date d’audience :

31 mars 2022

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Questionné quant aux remords, le procureur du syndic a répliqué qu’il retenait que l’intimé a pris conscience d’avoir commis une infraction déontologique.

[2] R. c. Anthony-Cook, [2016] 2 R.C.S. 204.

[3] P-8.

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