Chambre de la sécurité financière (Québec)

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comité de discipline

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

canada

province de québec

 

 

 

N°:

CD00-1486

DATE: 30 mai 2022

 

le comité :

Me Madeleine Lemieux

M. Shirtaz Dhanji, A.V.A., Pl. Fin.

M. Hubert Benoit Décary

Présidente

Membre

Membre

 

 

SYNDIC DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

Partie plaignante

c.

KARINE GAGNON, conseillère en sécurité financière et représentante de courtier en épargne collective (numéro de certificat 142257 et numéro BDNI 1605121)

 

Partie intimée

décision sur culpabilité

 

conformément à l’article 142 du code des professions, le comité a prononcé l’ordonnance suivante :

         Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non‑diffusion des noms et prénoms des consommateurs concernés par la plainte disciplinaire ainsi que de toute information permettant de les identifier, étant entendu que la présente ordonnance ne s’applique pas à tout échange d’information prévu à la Loi sur l’encadrement du secteur financier (RLRQ, c. E-6.1) et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2).

[1]             L’intimée fait l’objet d’une plainte disciplinaire qui contient deux chefs d’accusation.  On lui reproche de ne pas avoir procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers à la fois de l’assurée et du preneur d’une assurance-vie et on lui reproche d’avoir fourni des renseignements inexacts à l’assureur.
LA PLAINTE

1.       À Matane, le ou vers le 19 juillet 2018, l’intimée n’a pas procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers de R.T. ni de M.T., alors qu’elle a fait souscrire à R.T. la police d’assurance vie N0 […], contrevenant ainsi à l’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants.

2.       À Matane, le ou vers le 19 juillet 2018, l’intimée a fourni des renseignements inexacts à l’assureur sur le formulaire de proposition d’assurance vie de PPC pour l’assurée M.T. notamment pour les motifs suivants :

a)      En répondant « non » à la question 8 c) de la section 3A;

b)      En répondant « oui » à la question 4 du Rapport du conseiller, alors qu’elle n’a pas rencontré en personne l’assurée M.T dans le cadre de cette proposition,

contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et de services financiers et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[2]             Voici les faits pertinents pour bien comprendre les reproches de la plainte.
LE CHEF D’INFRACTION 1

Le 19 juillet 2018, R.T. se présente au bureau de l’intimée, sans rendez‑vous.  Il veut souscrire une assurance sur la vie de sa fille M.T.  Celle-ci est affectée de déficience intellectuelle et souffre de dystrophie musculaire.  Elle est âgée de 43 ans et R. T., son père, s’occupe d’elle.  Ce que R.T. veut, c’est une assurance qui va couvrir les frais funéraires de sa fille. La rencontre dure entre 45 minutes et une heure.

 

[3]             L’intimée connaît, au moins de vue, M.T. et sait qu’elle est affectée de déficience intellectuelle.
[4]             Connaissant les conditions médicales de l’assurée, l’intimée se dirige vers un produit d’assurance qui n’exige pas un examen médical et dont la prime mensuelle est d’environ 15 $.
[5]             Elle complète une analyse de besoins financiers (« ABF ») de M.T., l’assurée, mais n’en complète pas pour R.T., même s’il est le preneur et même si selon toute vraisemblance c’est lui qui assumera le paiement de la prime.  C’est ce que le syndic lui reproche.
[6]             L’ABF qu’elle complète indique que M.T. reçoit de l’aide sociale, qu’elle habite dans un foyer auxiliaire, qu’elle souffre de déficience intellectuelle et de dystrophie musculaire.  Elle n’a aucun actif ni passif. Elle n’a aucune police d’assurance en vigueur. Le reproche du syndic est de ne pas avoir inscrit à l’ABF de M.T. le montant d’aide sociale qu’elle reçoit; ce à quoi l’intimée répond qu’elle n’a pas vu pourquoi elle inscrirait quelque montant que ce soit puisque la totalité de ce qu’elle reçoit est versée au foyer auxiliaire où elle habite.
[7]             L’article 6 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (le « Règlement ») est la disposition réglementaire que les représentants doivent respecter :

« 6. Le représentant en assurance de personnes doit, avant de faire remplir une proposition d’assurance ou d’offrir un produit d’assurance de personnes comportant un volet d’investissement, dont un contrat individuel à capital variable, analyser avec le preneur ses besoins ou ceux de l’assuré.

Ainsi, selon le produit offert, le représentant en assurance de personnes doit analyser avec le preneur, notamment, ses polices ou contrats en vigueur ou ceux de l’assuré, selon le cas, leurs caractéristiques et le nom des assureurs qui les ont émis, ses objectifs de placement, sa tolérance aux risques, le niveau de ses connaissances financières et tout autre élément nécessaire, tels ses revenus, son bilan financier, le nombre de personnes à sa charge et ses obligations personnelles et familiales.

Le représentant en assurance de personnes doit consigner les renseignements recueillis pour cette analyse dans un document daté. Une copie de ce document doit être remise au preneur au plus tard au moment de la livraison de la police. »

[8]             Le comité de discipline se penche régulièrement sur des manquements à cet article 6 du Règlement par des représentants.  Le comité réitère d’ailleurs tout aussi régulièrement l’importance de cet aspect du travail des représentants.
[9]             L’ABF est la base du travail du représentant et il faut plus qu’un « bilan sommaire ».  Ce bilan doit être tenu à jour et faire l’objet d’une véritable analyse[1].
[10]          Est-ce à dire que toutes les situations commandent un bilan tout aussi élaboré?
[11]          Le comité est d’avis que l’ABF préparée pour M.T. est certes sommaire, mais elle est suffisante dans les circonstances propres à ce dossier : l’assurée est lourdement handicapée, ne possède aucun bien et ne touche aucun revenu.  Ce qu’elle reçoit est versé au foyer qui l’héberge.  L’ABF est suffisamment explicite pour que le représentant possède les informations dont il a besoin pour conseiller adéquatement le consommateur. Le seul objectif du père est de couvrir les frais funéraires de sa fille avec une prime la moins élevée possible.
[12]          Qu’en est-il maintenant de l’ABF du preneur?  Selon le syndic, le fait que le preneur paie la prime commande de compléter une ABF non seulement pour l’assurée, mais aussi pour le preneur.
[13]          Selon le syndic, cela permettra au représentant de savoir si le preneur a les moyens de payer la prime.  Cela lui aurait également permis de découvrir qu’une police antérieure avait été annulée par l’assureur à la suite d’un arrêt de paiement des primes.
[14]          L’article 6 du Règlement ne précise pas les circonstances dans lesquelles le représentant doit faire une ABF à la fois pour l’assuré et pour le preneur.  Cet article 6 parle de l’assuré ou du preneur.
[15]          L’intimée plaide que cet article 6 n’exige pas une ABF de celui qui paie les primes et que l’assurance-vie souscrite n’a aucun lien avec les obligations ou même la situation financière de R.T., preneur de l’assurance et père de l’assurée. Elle ajoute que le montant de la prime, 15 $, par mois est très peu élevé.
[16]          Si l’article 6 du Règlement est silencieux, la jurisprudence n’est pas beaucoup plus explicite quant aux circonstances dans lesquelles le représentant doit dresser l’ABF du preneur lorsque celui-ci assure la vie d’un tiers.
[17]          Les décisions déposées par le plaignant traitent de situations très différentes de la situation de l’intimée.
[18]          Ainsi, dans l’affaire Gagné[2], l’intimé avait accepté de faire des placements sans ABF et avec un bilan incomplet jamais mis à jour malgré de fait qu’il se soit écoulé plusieurs années entre ce bilan et des placements subséquents.
[19]          Dans l’affaire Viau[3], les consommateurs détenaient plusieurs produits d’assurance et avaient de nombreux objectifs à rencontrer. L’analyse des besoins financiers des consommateurs devait nécessairement être faite en lien avec chacun des produits et de nouveaux produits exigent que le représentant fasse à nouveau l’analyse des besoins financiers en lien avec ces produits.
[20]          Dans Corriveau[4], l’intimée se prétendait dispensée de faire l’analyse des besoins financiers parce que les jeunes professionnels n’ont pas de revenus au moment de la souscription.
[21]          On peut penser que l’ABF du preneur quand il n’est pas l’assuré est nécessaire si l’assurance est souscrite dans un objectif d’investissement, de placements ou encore dans un objectif spéculatif, ce qui n’est pas le cas.
[22]          Rappelons que l’objectif de l’ABF est de permettre au représentant de déterminer les besoins en assurance du consommateur et de lui présenter les divers produits qui conviennent à sa situation[5].
[23]          Le comité est d’avis que dans les circonstances propres à ce dossier, la représentante n’a pas commis une faute déontologique en complétant une ABF pour l’assurée sans en compléter une pour le preneur. Les besoins étaient clairement identifiés tout comme la situation financière de l’assurée.
[24]          Le comité acquitte l’intimée de l’infraction du chef 1 de la plainte disciplinaire, soit d’avoir contrevenu à l’article 6 du Règlement.
LE CHEF D’INFRACTION 2
[25]          L’intimée est accusée d’avoir transmis des informations inexactes à l’assureur lorsqu’elle lui a transmis le formulaire de proposition d’assurance-vie de M.T.
[26]          La question 8 c) à laquelle la représentante a répondu « non » se trouve dans la section « Admissibilité »; on demande d’inscrire si, dans les dernières années, l’assurée a souffert de dystrophie musculaire; l’intimée a répondu « non ». Ceci est évidemment inexact; l’ABF complétée le même jour indique clairement que l’assurée souffre de dystrophie musculaire.
[27]          L’intimée explique cette réponse inexacte par une erreur d’inattention de sa part.
[28]          Dans les jours qui ont suivi l’envoi de la proposition, l’assureur soulève la question de la dystrophie musculaire; en 2013, R.T., le père de M.T., avait soumis une proposition d’assurance dans laquelle il avait indiqué que M.T. souffrait de dystrophie musculaire; l’erreur de l’intimée est alors corrigée.
[29]          Dans le Rapport du conseiller à la question « avez-vous rencontré le propriétaire et l’assurée en personne dans le cadre de cette proposition? », l’intimée indique « non », puis indique « oui » et encercle le « oui » pour bien signaler que la réponse à cette question est le « oui ».
[30]          L’intimée n’a pas rencontré M.T., l’assurée; elle a rencontré le preneur, R.T. qui est son père; on comprend que l’assurée lourdement handicapée n’était pas présente lors de la rencontre entre R.T. et l’intimée.
[31]          L’intimée explique qu’elle s’est interrogée sur ce qu’elle devait répondre à cette question : elle a rencontré le preneur, propriétaire de l’assurance qui est aussi le tuteur de sa fille qui n’a pas la capacité requise pour voir à ce genre de choses.  Comme il la représente, elle a cru qu’elle pouvait indiquer qu’elle avait rencontré l’assurée, puisque le preneur parlait en son nom.
[32]          La preuve est donc sans équivoque à l’effet qu’il y avait deux informations inexactes dans la proposition d’assurance.
[33]          S’agit-il pour autant d’infraction à l’article 16 de Loi sur la distribution de produits et services financiers (la « Loi ») et à l’article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (le « Code »)?
[34]          L’article 16 de la Loi impose des devoirs d’honnêteté, de loyauté, de compétence et de professionnalisme.  L’article 35 du Code est sensiblement au même effet interdisant la malhonnêteté et la négligence.
[35]          Il va sans dire qu’il n’est pas question ici ni de malhonnêteté, ni d’un manque de loyauté. S’agit-il d’un manque de compétence? D’un manque de professionnalisme de la part de l’intimée?
[36]          Les autorités citées par le plaignant doivent être distinguées. Ainsi dans l’affaire Thibault[6], citée par le plaignant, l’intimée omet d’inscrire à la proposition un refus antérieur d’assurance-vie; la section renseignements personnels n’est pas complète; il y a plusieurs « non » là où il aurait dû y avoir des « oui »; on n’indique pas les activités de pilotage, ni la plongée en apnée, ni les infractions au Code de la sécurité routière.
[37]          Il est évident que cette affaire est bien loin de l’erreur d’inattention commise par l’intimée et de son erreur quant au rôle du preneur qui représente sa fille gravement malade.
[38]          Dans l’affaire Lachance[7], également citée par le plaignant, la lecture de la décision ne permet pas de savoir exactement quelles sont les informations qui n’ont pas été fournies à l’assureur; on constate que l’intimé soulève que les omissions étaient involontaires et que cette défense n’est pas retenue par le conseil.  On constate également que l’intimé Lachance était accusé de plusieurs chefs d’infraction qui amènent le conseil à le trouver coupable de négligence.
[39]          Le comité est d’avis que l’intimée n’a pas été négligente.  Elle a fait une erreur, ce qui est bien différent.
[40]          Le syndic plaide que l’erreur de bonne foi n’est pas une défense en droit disciplinaire et que les informations qui sont inexactes auraient pu avoir des conséquences.
[41]          Dans l’affaire De Barros[8], le notaire est accusé d’avoir reçu un acte de vente sans avoir reçu les fonds, d’avoir fait défaut de retenir en fidéicommis tous les fonds jusqu’à l’inscription de l’acte au registre foncier et surtout d’avoir omis de déposer une recette avant de sortir les fonds; la plainte comporte dix-huit chefs d’infraction.
[42]          Le notaire reçoit les fonds, fait signer les emprunteurs le 22 décembre et ne dépose les chèques que le 13 février, soit presque six semaines plus tard.  Entretemps, il a émis les chèques et disposé des fonds reçus.
[43]          Il se défend en disant qu’il a obtenu une autorisation « rétroactive » du prêteur pour utiliser d’autres fonds qu’il détenait en fidéicommis pour ce même prêteur et ainsi compenser pour les chèques tirés prématurément.
[44]          Il se défend également en disant qu’il a vérifié si les fonds étaient déposés et qu’il a fait une erreur de bonne foi dans sa vérification.
[45]          Encore une fois, le comité est d’avis que les faits de cette affaire sont très loin de la situation du présent dossier.
[46]          De l’avis du comité, la question de savoir si la défense de l’erreur commise de bonne foi est admissible en droit disciplinaire n’est pas la véritable question à résoudre.
[47]          Il s’agit plutôt de savoir si toutes les erreurs que peut commettre un représentant constituent de la négligence ou un manque de professionnalisme comme les dispositions de rattachement le prévoient.
[48]          De l’avis de comité, l’erreur d’inattention n’est pas automatiquement une faute déontologique surtout si elle rapidement corrigée; le comité croit que la réponse à la question 8 c) est bel et bien une erreur d’inattention.
[49]          L’erreur à la question 4 s’explique par la situation très particulière de l’assurée incapable de se présenter au bureau de l’intimée en raison de sa condition et du rôle que joue son père, qui agit comme tuteur et preneur et qui est présent.
[50]          L’intimée s’est questionnée, a ultérieurement vérifié avec l’assureur; elle pouvait se tromper sans pour autant manquer de professionnalisme et commettre une infraction déontologique.
[51]          Le comité acquitte donc l’intimée de l’infraction du chef 2 de la plainte d’avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi et à l’article 35 du Code.

POUR CES MOTIFS, le comité de discipline :

ACQUITTE l’intimée des chefs d’infraction 1 et 2 de la plainte;

CONDAMNE le plaignant au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

 

 

 

 

 

 

(S) Me Madeleine Lemieux

 

 

 

Me Madeleine Lemieux

Présidente du comité de discipline

 

(S) Shirtaz Dhanji

 

M. Shirtaz Dhanji, A.V.A., Pl. FIn.

Membre du comité de discipline

 

(S) Hubert Benoit Décary

 

M. Hubert Benoit Décary

Membre du comité de discipline

 

 

Me Marie-Christine Bourget

THERRIEN COUTURE JOLI-COEUR S.E.N.C.R.L.

Avocats de la partie plaignante

Me Maurice Charbonneau

TRIVIUM AVOCATS INC.

Avocats de la partie intimée

Date d’audience : 23 février 2022

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]      Chambre de la sécurité financière c. Gagné, 2021 QCCDCSF 2 (CanLII).

[2] Préc., note 1

[3] Chambre de la sécurité financière c. Viau, 2020 QCCDCSF 2 (CanLII)

[4] Chambre de la sécurité financière c. Corriveau, 2016, QCCDCSF 3 (CanLII)

[5] Id., par. 12-13.

[6]      Chambre de la sécurité financière c. Thibault, 2013 CanLII 73212 (QC CDCSF).

[7]      Chambre de la sécurité financière c. Lachance, 2006 CanLII 59870 (QC CDCSF).

[8]      Notaires (Ordre professionnel des) c. De Barros, 2020 QCCDNOT 4 (CanLII).

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