Chambre de la sécurité financière (Québec)

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comité de discipline

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

canada

province de québec

 

 

 

N°:

CD00-1388

DATE :

2 décembre 2021

le comité :

Me George R. Hendy

M. Denis Petit, A.V.A.

M. Richard Charette

Président

Membre

Membre

 

 

SYNDIC DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

Partie plaignante

c.

DAVID VEILLEUX, conseiller en sécurité financière, conseiller en assurances collectives et représentant de courtier en épargne collective (certificat numéro 133951, BDNI 1607941)

 

Partie intimée

décision sur CULPABILITÉ

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

Ordonnance de non-divulgation, de non-diffusion et de non-publication du nom et prénom des consommateurs concernés par la plainte disciplinaire ainsi que toute information permettant de les identifier, étant entendu que la présente ordonnance ne s’applique pas à tout échange d’information prévu à la Loi sur l’encadrement du secteur financier (RLRQ, c. E-6.1) et de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D‑9.2).

[1]             Le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le « comité ») est saisi d’une plainte déposée contre l’intimé, David Veilleux, ainsi libellée : 

1.         À Québec, entre le 14 avril et 3 mai 2017, l’intimé a autorisé un tiers à confectionner des lettres de mandat de transfert laissant faussement croire que les clients avaient signé celles-ci, alors que les signatures y apparaissant avaient été tirées d’autres lettres, contrevenant ainsi à l’article 16 Loi sur la distribution de produits et services financiers.

APERÇU
[2]             M. Veilleux est conseiller en sécurité financière depuis 2009 détenant un certificat comme représentant en assurance de personnes, assurances collectives de personnes et courtage en épargne collective.
[3]             En janvier 2017, il s’associe avec Mme Annie Doire sous le nom de Doire et Veilleux, Assurances et Rentes Collectives Inc.
[4]             De janvier à mars 2017, les contrats d’assurance collective de clients de M. Veilleux sont transférés dans la nouvelle société et des lettres de mandat de transfert (« lettres de mandat ») sont signées par les clients concernés.
[5]             Le 14 avril 2017, Mme Doire décide de mettre fin à son association avec M. Veilleux après seulement quelques semaines et celui-ci change alors le nom de sa société opérant en assurances collectives de personnes pour devenir dorénavant Veilleux Assurances et Rentes Collectives Inc.
[6]             Cela étant, les mêmes clients concernés devaient dorénavant être transférés au nom de la nouvelle société de M. Veilleux.
[7]             Mme Jessica Denis‑Lavoie, une adjointe du cabinet qui n’est pas l’adjointe attitrée de M. Veilleux, est mandatée par lui pour ce faire.
[8]             Mme Denis-Lavoie est une jeune adjointe à l’emploi de l’entreprise de M. Veilleux ayant peu d’expérience dans le domaine des assurances et rentes collectives de personnes.
[9]             Mme Denis-Lavoie s’informe auprès des assureurs de la démarche administrative devant être exécutée suite au départ de Mme Doire.
[10]          Plus particulièrement, en ce qui concerne l’assureur Great West (« GWL »), elle est avisée que de nouvelles lettres de mandat doivent être signées par les clients concernés afin que la nouvelle société de M. Veilleux soit inscrite comme courtier responsable de leur assurance collective.
[11]          Au lieu de refaire signer par lesdits clients de nouvelles lettres de mandat au nom de la nouvelle société, Mme Denis-Lavoie procède plutôt à une contrefaçon : elle découpe les signatures des clients se trouvant sur les anciennes lettres de mandat et les ajoute aux nouvelles préparées au nom de la nouvelle société de M. Veilleux.
[12]          Une photocopie du montage est par la suite confectionnée par Mme Denis‑Lavoie et les nouvelles lettres de mandat contrefaites pour les clients concernés sont envoyées par courriel à l’assureur GWL, avec copie transmise à M. Veilleux, qui admet qu’il a « probablement » vu les lettres contrefaites avant leur transmission à GWL.
[13]          M. Veilleux est celui qui supervise directement Mme Denis-Lavoie pour l’exécution de son mandat d’obtenir des clients concernés les nouvelles lettres de mandat.
[14]          Mme Denis-Lavoie obtient de M. Veilleux l’autorisation de faire parvenir à GWL lesdites lettres de mandat, et prétend ne pas lui avoir donné des détails quant à leur confection.
[15]          M. Veilleux, quant à lui, prétend qu’il ne s’est pas informé auprès de Mme Denis‑Lavoie comment elle procéderait pour exécuter son mandat.
QUESTION EN LITIGE
[16]          M. Veilleux a-t-il agi avec compétence et professionnalisme en autorisant Mme Denis-Lavoie à confectionner des lettres de mandat, laissant faussement croire que les clients les avaient signées, alors que les signatures y apparaissant avaient été tirées d’autres lettres de mandat?
PRÉTENTIONS DES PARTIES
[17]          Le plaignant est d’opinion que M. Veilleux est responsable du geste illégal de Mme Denis-Lavoie dans la confection des nouvelles lettres de mandat requises par l’assureur GWL, car elle est son alter ego.
[18]          En fait, le plaignant plaide que M. Veilleux a été négligent, qu’il a rendu possible la contrefaçon desdites lettres de mandat par son employée alors que celle-ci était directement sous sa supervision pour l’exécution du mandat confié et qu’il a ainsi manqué de compétence et de professionnalisme.
[19]          M. Veilleux quant à lui prétend que le plaignant n’a pas prouvé les éléments constitutifs de l’infraction reprochée, en ce qu’il ne savait pas et ne pouvait pas savoir que Mme Denis-Lavoie allait confectionner des lettres de mandat contrefaites pour les clients concernés.
[20]          De façon subsidiaire, M. Veilleux prétend en plus qu’il ne peut être déclaré coupable de l’infraction reprochée, car il aurait agi avec diligence raisonnable[1].

ANALYSE ET MOTIFS

[21]          L’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers se lit comme suit :

« 16. Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.

Il doit agir avec compétence et professionnalisme. »

[22]          En l’espèce, vu la position du plaignant, le comité doit décider seulement si l’intimé a contrevenu au deuxième alinéa de ladite disposition, à savoir si M. Veilleux a manqué de compétence et de professionnalisme.
[23]          Les éléments essentiels d’un chef de plainte disciplinaire ne sont pas constitués par son libellé, mais par les dispositions règlementaires reprochées à un professionnel[2].
[24]          En droit disciplinaire, les exigences relatives à la rédaction d’une plainte sont beaucoup moins sévères qu’en droit criminel[3].
[25]          Le comité doit déterminer si le plaignant s’est déchargé de son fardeau de preuve concernant les éléments constitutifs de l’infraction reprochée, lesquels en l’espèce sont les suivants :

                    Confection par Mme Denis-Lavoie des lettres de mandat laissant faussement croire que les clients les avaient signées;

                    Autorisation de M. Veilleux permettant à Mme Denis-Lavoie de confectionner lesdites lettres de mandat;

                    Existence d’un manque de compétence et professionnalisme de la part de M. Veilleux.

[26]          Le terme « autoriser » n’étant pas défini à la législation ni à la règlementation pertinente, le comité devra donc utiliser le sens commun du terme.
[27]          Ainsi, le verbe « autoriser » signifie entre autres « donner à quelqu’un la permission ou le droit de faire quelque chose, « de rendre possible » et de « permettre » une action[4].
[28]          Un professionnel peut être déclaré coupable d’un manquement déontologique non seulement pour l’avoir commis lui-même, mais aussi, en cas d’un acte délégué à un employé sous sa supervision, pour celui commis par celui-ci en vertu de la théorie de l’alter ego, laquelle est applicable en droit disciplinaire[5].
[29]          Par conséquent, si le professionnel délègue son obligation déontologique à son employé, sa responsabilité déontologique n’en est pas atténuée[6].
[30]          Cependant, cette responsabilité disciplinaire du professionnel pour les actes qu’il a délégués à des tiers en vertu de la théorie de l’alter ego, n’est pas automatique et il pourra invoquer la défense de diligence raisonnable, laquelle est aussi applicable en droit disciplinaire[7].
[31]          Dans les cas où le professionnel est poursuivi déontologiquement pour un acte délégué et qu’il présente une défense de diligence raisonnable, celui-ci aura alors le fardeau de démontrer qu’il a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter que le geste posé par l’employé ne se produise pas.
[32]          Le professionnel ne pourra invoquer sa diligence raisonnable lorsqu’il ne démontre pas qu’il a pris les mesures nécessaires pour s’assurer que l’action du mandataire ou employé soit exécutée correctement[8].
[33]          Pour réussir une telle défense de diligence raisonnable « Il faut faire la preuve non seulement de la mise en place de mesures adéquates pour éviter l’infraction, mais également d’un mécanisme de surveillance pour en assurer l’efficacité. »[9].
[34]          Le concept de la diligence raisonnable dans le cas d’une défense à une infraction est différent de celui de la négligence comme élément d’une infraction[10].
[35]          Après avoir pris connaissance et analysé l’ensemble de la preuve présentée, le comité est d’avis, pour les raisons ci-après mentionnées, que l’intimé doit être déclaré coupable du chef unique d’infraction de la plainte pour ne pas avoir agi avec compétence et professionnalisme.
[36]          Le 14 avril 2017, après seulement quelques semaines, la nouvelle associée de M. Veilleux en matière d’assurances et rentes collectives, Mme Doire, décide de mettre fin abruptement à leur association.
[37]          Les assureurs doivent alors être informés que M. Veilleux fait dorénavant affaire sous le nom de sa nouvelle société et qu’il est toujours le représentant responsable de l’assurance collective de ses clients.
[38]          C’est Mme Jessica Denis-Lavoie qui est assignée par M. Veilleux pour ce faire.
[39]          Elle a cependant peu d’expérience en matière d’assurances et rentes collectives étant donné qu’elle est assignée à la division placements de l’entreprise de M. Veilleux.
[40]          Mme Denis-Lavoie est une jeune adjointe, ayant débuté dans l’organisation de M. Veilleux en janvier 2016.
[41]          Elle doit exécuter cette tâche sous la supervision directe de M. Veilleux.
[42]          Après s’être informée auprès des différents assureurs, Mme Denis-Lavoie apprend que pour GWL, de nouvelles lettres de mandat devront être signées pour cinq (5) clients,[11] et ce, même si ces clients avaient signé tout récemment de tels documents lors de l’arrivée de Mme Doire comme associée de M. Veilleux en janvier 2017.
[43]          Plus précisément, ces cinq (5) clients avaient signé de tels documents en janvier, février et même aussi tard que le 23 mars 2017 dans le cas de la cliente S.T.[12]
[44]          Mme Denis-Lavoie informe directement M. Veilleux de cette demande de GWL.
[45]          Mme Denis-Lavoie témoigne à l’effet qu’elle est venue obtenir l’autorisation de M. Veilleux sans lui dire cependant comment elle entendait procéder pour exécuter sa tâche. En réponse à une question du comité, elle admet avoir été au courant en mai 2017 de la règle de déontologie interdisant la contrefaçon de signature et prétend (pour la première fois) que c’est pour cette raison qu’elle n’a pas informé l’intimé de son intention de contrevenir à cette règle en préparant les nouvelles lettres de mandat.
[46]          En fait, elle ne fait pas signer de nouvelles lettres de mandat aux cinq clients concernés, mais plutôt en confectionne de nouvelles à partir de leurs signatures se trouvant déjà aux lettres de mandat signées par ceux-ci lors de l’arrivée de Mme Doire comme associée de M. Veilleux en janvier 2017.
[47]          Elle prépare de nouvelles lettres aux noms des clients datées du 30 avril 2017, indiquant que ceux-ci nomment « Monsieur David Veilleux, du cabinet Veilleux Assurances et Rentes Collectives Inc., à titre de courtier responsable de notre assurance collective en date d’aujourd’hui »[13].
[48]          Les lettres de mandat indiquent aussi que « Les commissions seront payables à David Veilleux » et que « Le présent mandat annule toute nomination antérieure et demeurera en vigueur jusqu’à sa résiliation par écrit ». 
[49]          Elle ajoute par la suite au bas de ces nouvelles lettres les signatures des clients qui sont découpées des lettres de mandat signées plus tôt pour l’arrivée de Mme Doire comme associée de M. Veilleux en janvier 2017.
[50]          Mme Denis-Lavoie fait par la suite une photocopie des nouvelles lettres de mandat confectionnées.
[51]          Mme Denis-Lavoie témoigne à l’effet qu’elle n’a pas montré à M. Veilleux lesdites lettres de mandat contenant la signature des clients avant de les faire parvenir à GWL et que M. Veilleux ne lui a posé aucune question à ce sujet.
[52]          M. Veilleux quant à lui, lors de son témoignage, réitère que les lettres de mandat lui ont probablement été montrées par Mme Denis Lavoie avant d’être envoyées à l’assureur.
[53]          Aussi, lors de sa conversation téléphonique avec l’enquêtrice du syndic, Mme Daigneault, le 30 août 2018, il admet que Mme Denis-Lavoie lui a « probablement » présenté les lettres de mandat avant qu’elle les envoie à GWL[14].
[54]          Mme Denis-Lavoie mentionne par la suite qu’elle n’a pas envoyé immédiatement les documents, mais plutôt une journée après avoir rencontré M. Veilleux.
[55]          Effectivement, elle les transmet à GWL le 3 mai 2017, avec copies à M. Veilleux[15].
[56]          La situation cependant se complique le 5 mai 2017, lorsque M. Veilleux reçoit de Marie-Pierre Tremblay de GWL, un courriel l’informant que l’assureur ne peut accepter la lettre de mandat du client D.S.[16]
[57]          En fait, avant l’envoi par Mme Denis-Lavoie de la lettre de mandat contrefaite, D.S. en avait déjà signé une avec un autre représentant que M. Veilleux.
[58]          Mme Denis-Lavoie mentionne à son témoignage de même que lors de sa conversation téléphonique du 25 juin 2019 avec l’enquêtrice du syndic, Mme Isabelle Desmarais, que suite à la réception par M. Veilleux du courriel du 5 mai 2017, elle a dû préparer pour sa superviseure (Mme Bégin) un courriel détaillé expliquant ce qui s’était passé en ce qui concerne le client D.S.[17]
[59]          Elle témoigne aussi à l’effet qu’elle a fait l’objet d’un avis disciplinaire concernant la lettre de mandat de D.S. et plus particulièrement, en ce qu’elle avait procédé à de la « découpe de signature » pour la confectionner.
[60]          L’avis disciplinaire et le courriel de Mme Denis-Lavoie à sa superviseure sur le sujet n’ont pas été déposés devant le comité par la partie intimée. Il est d’ailleurs surprenant que ce courriel soit prétendument introuvable, vu que l’autrice et la récipiendaire doivent normalement l’avoir dans leurs fichiers de courriels, aucune explication n’ayant été fournie à ce sujet.
[61]          M. Veilleux, à son témoignage de même que lors de sa conversation téléphonique du 30 août 2018 avec l’enquêtrice du syndic, Mme Jeanne Daigneault[18], reconnaît qu’un avis disciplinaire a été donné à Mme Denis‑Lavoie par Mme Bégin, directrice du personnel, mais il mentionne qu’il n’en connaît pas le contenu, ayant laissé celle-ci s’en occuper.
[62]          Le comité ne peut accepter la défense de M. Veilleux.
[63]          Le comité considère que dès le mois de mai 2017, le cabinet de M. Veilleux était au courant qu’à tout le moins une des cinq lettres de mandat préparées par Mme Denis-Lavoie avait été contrefaite, soit celle pour le client D.S.
[64]          De plus, le comité ne peut concevoir que M. Veilleux n’ait pas eu connaissance dès l’été 2017 de cette lettre de mandat contrefaite, ayant été personnellement avisé par GWL le 5 mai 2017 que l’assureur ne pouvait accepter la lettre de mandat pour le client D.S.[19]
[65]          Le comité constate aussi que Mme Nathalie Chadwick qui était alors depuis son arrivée au cabinet de M. Veilleux en 2016, directrice aux procédures et conformité, n’a pas été informée de cet avis disciplinaire donné à Mme Denis‑Lavoie, avec laquelle elle tenait des communications presque quotidiennes.
[66]          À son témoignage rendu en août 2020 devant le comité, elle mentionne que ce n’est qu’en janvier 2020 qu’elle a appris que des lettres de mandat contrefaites avaient été préparées par Mme Denis-Lavoie en mai 2017.
[67]          Il est étonnant qu’une telle faute aussi sérieuse commise par une employée n’ait pas été dénoncée promptement et avec diligence à la personne responsable des procédures et de la conformité du cabinet.
[68]          Le comité n’a pas été convaincu par la preuve présentée par la partie intimée à l’effet que l’observation de la conformité au cabinet est une priorité pour l’entreprise de M. Veilleux et que ce dernier est pointilleux pour son respect.
[69]          Le comité considère que la négligence de M. Veilleux en l’espèce constitue l’élément constitutif de l’infraction reprochée et que la preuve de diligence raisonnable qu’il a tenté de présenter ne lui est d’aucun secours.
[70]          En effet, le comité considère que M. Veilleux a été personnellement négligent quant à l’exécution par son employée, Mme Denis-Lavoie, de la demande faite par GWL à l’effet que de nouvelles lettres de mandat soient exécutées pour cinq de ses clients.
[71]          Il faut tout d’abord souligner qu’une lettre de mandat est un document important, car il doit être signé par le client alors qu’il déclare à l’assureur qu’une entité ou un représentant est nommé à titre de courtier responsable de son assurance collective à compter de la date de sa signature.
[72]          Bien que M. Veilleux considère ce document en l’espèce comme une « simple formalité administrative », le comité, au contraire, considère qu’il s’agit d’un document d’une importance capitale pour l’assureur et l’assuré, car il confirme le mandat accordé à un représentant.
[73]          Le cas du client D.S. qui avait déjà accordé un mandat à un autre représentant et pour lequel le cabinet de M. Veilleux a considéré important d’émettre un avis disciplinaire à Mme Denis-Lavoie en est l’évidence même.
[74]          En l’espèce, pour l’exécution de cette importante tâche, Mme Denis-Lavoie n’agit pas sous la supervision d’une autre adjointe ou de la directrice du cabinet, mais bien plutôt directement sous les ordres de M. Veilleux et il en avait ainsi le contrôle.
[75]          C’est lui en l’espèce qui doit s’assurer que ce mandat délégué a été bien exécuté par son employée.
[76]          Il est le dernier rempart du cabinet pour s’assurer le respect des bonnes pratiques et de la conformité.
[77]          Le comité considère que M. Veilleux aurait dû être d’autant plus vigilant étant donné qu’il savait très bien que cette employée déléguée avait très peu d’expérience dans le domaine des assurances et rentes collectives.
[78]          De plus, Mme Denis-Lavoie prend la peine de lui expliquer qu’elle devra obtenir de nouvelles lettres et ce, même si les clients avaient tout récemment signé le même genre de document quelques semaines auparavant.
[79]          Elle explique lors de sa conversation téléphonique du 25 juin 2019 avec l’enquêtrice du syndic, Mme Desmarais, qu’elle est venue chercher l’approbation de M. Veilleux et même obtenir sa bénédiction[20] .
[80]          Elle mentionne au début de cette conversation téléphonique qu’elle avait fait un « bricolage » de logo aux lettres de mandat déjà existantes pour y insérer le nom de la nouvelle société de M. Veilleux.
[81]          Ce n’est qu’après plusieurs interventions de la part de l’enquêtrice que finalement, elle se souvient qu’elle avait dû faire du « bricolage de signature » et non seulement un « bricolage de logo », ce qui de son aveu même est « encore pire ».
[82]          À son témoignage, elle explique clairement qu’elle a contrefait les lettres de mandat en y insérant les signatures des clients déjà obtenues antérieurement.
[83]          Lors de sa conversation du 25 juin 2019 avec l’enquêtrice, Isabelle Desmarais (P-10C, 9:00 à 11:20), Mme Denis-Lavoie raconte ce qui suit concernant sa rencontre avec l’intimé :  

a)            elle a expliqué à l’intimé que GWL voulait une lettre de mandat avec le logo de la nouvelle firme;

b)            comme elle avait compris de GWL qu’il s’agissait d‘une « simple formalité », elle a convenu avec l’intimé qu’elle modifierait les lettres de mandat en remplaçant l’ancien logo (de Doire Veilleux ) par le nouveau logo;

c)            elle a « fait croire à M. Veilleux que ça serait super simple » et celui-ci « ne s’est pas cassé la tête » en posant des questions sur les moyens qu’elle prendrait pour confectionner ces nouvelles lettres, parce qu’elle « lui a présenté ça comme une formalité »;

d)            elle a reconnu qu’elle aurait « du courir après les clients » pour obtenir leurs signatures, mais « qu’à ce moment-là, j’en n’étais pas là » parce qu’elle « trouvait ça plate de faire resigner des clients qui venait de signer quelque chose…des clients qui sont parfois difficile à rejoindre…pour une formalité ».

[84]          M. Veilleux à son témoignage en chef explique tout d’abord que sa rencontre avec Mme Denis-Lavoie a été très brève, quelques minutes en fait, et qu’il ne lui aurait pas posé de questions quant à l’exécution de sa tâche.
[85]          Pourtant, en réponse à l’enquêtrice, Mme Daigneault, par courriel le 24 août 2018, il explique : « Jessica a contacté les assureurs pour les informer de la situation et a demandé la marche à suivre pour les informer du changement du nom de l’entreprise.  Ceux-ci ont répondu qu’il suffisait de leur fournir une lettre avec le changement de nom d’entreprise, mais que tout le reste sur ladite lettre devait rester intacte.  Ils ont mentionné qu’il s’agissait d’une formalité en soi. Comme nous venions tout juste de faire signer ces clients et que les assureurs nous ont stipulés (sic) qu’il ne s’agissait que d’une formalité, Jessica a fait la correction sur les lettres signées pour les envoyer ensuite aux assureurs.  Elle m’a contacté afin que j’autorise cette démarche, ce que j’ai fait étant donné que nous venions de rencontrer les clients et que les assureurs nous laissaient croire le côté symbolique de la démarche. »[21] (nos soulignés)
[86]          De plus, dans son courriel à Mme Daigneault du 31 août 2018 (P-6), l’intimé a expliqué la contrefaçon des mandats comme suit : «Il était impossible de simplement modifier le logo de la compagnie car le nom était également mentionné dans le texte donc Jessica a modifié la lettre pour faire le changement de nom et a coupé la portion signature. C’était vraiment dans l’optique d’une formailité puisque nous avions déjà les autorisations des clients sauf dans le cas de Monsieur D.S., celui-ci était une erreur. » 
[87]          Ces réponses données à l’enquêtrice du syndic, Mme Daigneault, de même que sa conversation téléphonique du 25 juin 2019 avec Mme Isabelle Desmarais (P-10B), sont donc en flagrante contradiction avec son témoignage à l’audition.
[88]          Il ne peut expliquer au comité pourquoi il aurait donné une telle information à l’enquêtrice du syndic, admettant finalement qu’il a pu avoir donné ainsi son autorisation à Mme Denis-Lavoie pour changer le logo des lettres de mandat, mais pas pour utiliser les signatures des clients déjà obtenues afin de contrefaire les nouvelles lettres de mandat.
[89]          De plus, il admet au comité en contre-interrogatoire que Mme Denis-Lavoie lui a probablement montré les lettres de mandat contrefaites avant qu’elle ne les envoie, ce qu’il admet aussi lors de sa conversation téléphonique du 30 août 2018 avec l’enquêtrice, Mme Daigneault[22].
[90]          Le comité ne peut concevoir que M. Veilleux n’ait pas exprimé sa surprise à Mme Denis-Lavoie devant la rapidité avec laquelle celle-ci aurait réussi à obtenir les nouvelles signatures des cinq clients concernés et qu’il n’ait même pas vérifié auprès d’elle si elle avait bien obtenu à nouveau les signatures des clients[23].
[91]          Le mutisme et l’indifférence apparente affichés par M. Veilleux ne constituent certainement pas le comportement d’un représentant prudent et diligent, d’autant plus qu’il était en l’espèce directement responsable de l’exécution du mandat délégué à Mme Denis-Lavoie et ainsi le dernier rempart du cabinet pour le respect de la conformité.
[92]          Il mentionne en plus à son témoignage que ce ne serait que lorsqu’il a répondu à Mme Daigneault le 31 août 2018 par courriel qu’il a appris pour la première fois que Mme Denis-Lavoie avait « bricolé » les signatures des clients[24].
[93]          Pourtant, dès le 5 mai 2017, suite à la demande du client D.S., M. Veilleux avait été mis au courant par GWL que la lettre de mandat pour le client D.S. avait été refusée[25].
[94]          Il a même admis à son témoignage que suite à sa réception du courriel de GWL le 5 mai 2017, un avis disciplinaire avait été émis à Mme Denis-Lavoie pour ladite lettre de mandat, refusée pour le client D.S.
[95]          Cependant, il prétend qu’il n’était « pas beaucoup impliqué » dans l’avis disciplinaire et que, bien qu’il était au courant d’une plainte logée contre lui en mai 2017, il n’avait alors « aucune idée de cette histoire de signature », dont qu’il aurait eu connaissance seulement après sa conversation avec l’enquêtrice du 30 août 2018 (P-10A).
[96]          Il prétend qu’il n’a pas posé de questions en mai 2017 pour déterminer pourquoi GWL avait refusé d’accepter la lettre de mandat confectionnée par Mme Denis-Lavoie concernant D.S. parce qu’il n’était pas anormal à l’époque qu’un client décide subitement de changer de représentant.
[97]          Bien que la lettre de l’AMF l’informait que la plainte logée contre lui (qui n’était pas jointe à la lettre de l’AMF) concernait « votre défaut d’exercer ses/vos activités avec intégrité, honnêteté, loyauté, compétence et professionnalisme », l’intimé prétend ne pas avoir vérifié en mai 2017 de quoi il s’agissait exactement.
[98]          Mme Denis-Lavoie, à son témoignage, explique que son avis disciplinaire lui avait été donné en juin 2017 pour la « découpe » de la signature du client D.S., ce qui signifie, selon le comité, qu’elle aurait donc reçu cet avis disciplinaire pour avoir contrefait la lettre de mandat du client D.S.
[99]          Le témoignage de M. Veilleux et ses déclarations antérieures sont contradictoires, improbables et le comité y accorde peu de crédibilité.
[100]       Le comité est d’opinion que M. Veilleux ne s’est pas comporté comme un représentant prudent, diligent et responsable, mais a plutôt fait montre d’aveuglement volontaire.
[101]       Par conséquent, le comité considère que son manque de surveillance a rendu directement possible la contrefaçon par Mme Denis-Lavoie des lettres de mandat des cinq clients.
[102]       À titre subsidiaire, M. Veilleux plaide la diligence raisonnable.
[103]       Le comité est d’opinion que la preuve présentée par la partie intimée quant à une diligence raisonnable de sa part n’est pas convaincante et certainement pas prépondérante.
[104]       Le comité considère qu’elle ne démontre pas « non seulement la mise en place des mesures adéquates pour éviter l’infraction, mais également d’un mécanisme de surveillance pour en assurer l’efficacité.[26] (nos soulignés)
[105]       Plus particulièrement, le comité considère que le fait que Mme Chadwick, directrice à la conformité de la société de M. Veilleux, n’ait été informée qu’en janvier 2020, soit près de trois (3) ans après l’incident, de la contrefaçon de lettres de mandat par Mme Denis-Lavoie, démontre un manque flagrant d’organisation et de surveillance au niveau de la conformité.
[106]       D’ailleurs, Mme Chadwick ne pouvait expliquer pourquoi elle n’a pas été informée à ce sujet. M. Veilleux, pour sa part, a témoigné à l’audition qu’il en a discuté avec Mme Chadwick avant janvier 2020, sans préciser quand exactement, mais pas en grand détail, parce que « c’était un dossier pas positif, on n’avait pas beaucoup d’éléments …c’était un dossier… évolutif… très très évolutif sur trois ans et demi… et c’aurait été difficile de lui en parler avant d’avoir la bonne information ».
[107]       La contrefaçon de lettres de mandat était un manquement grave de la part de Mme Denis-Lavoie et dans les circonstances, il apparait au comité que la directrice à la conformité du cabinet se devait d’en être informée sans délai afin que le cabinet mette en place les correctifs nécessaires afin qu’un tel geste ne se reproduise plus.
[108]       De plus, le comité est d’opinion qu’un dirigeant d’entreprise rigoureux qui a la conformité à cœur, comme le prétend M. Veilleux, aurait dû s’intéresser et s’informer de la nature de l’avis disciplinaire émis à son employée et de la version écrite donnée par cette employée pour cet acte repréhensible qui met en cause la réputation même de son cabinet, d’autant plus qu’elle était alors sous sa supervision immédiate lorsqu’elle a commis cet acte.
[109]       Ces documents n’ont pas été déposés par la partie intimée et aucune raison valable n’a été donnée au comité pour expliquer pourquoi ils ne pouvaient l’être.
[110]       Le comité considère que ce défaut démontre aussi que contrairement à ce que prétend M. Veilleux, son organisation n’avait pas mis en place les mesures efficaces pour contrôler la qualité du travail de ses employés.
[111]       Nonobstant ce qui précède, M. Veilleux était celui qui supervisait directement le travail de Mme Denis-Lavoie et il se devait d’agir avec prudence et diligence dans sa supervision immédiate et ultime du mandat qu’il lui avait délégué.
[112]       Il avait l’opportunité de contrôler lui-même la bonne exécution du mandat délégué à Mme Denis-Lavoie, mais il a fait défaut de ce faire.
[113]       Il a d’ailleurs admis lors de sa conversation téléphonique du 25 juin 2019 avec l’enquêtrice, Mme Desmarais, qu’il « aurait dû, en tant que président, faire une vérification beaucoup plus en profondeur » du travail exécuté par Mme Denis-Lavoie[27] et qu’il en prenait la responsabilité.
[114]       Le comité est d’opinion que par sa négligence l’intimé a autorisé Mme Denis-Lavoie à contrefaire les lettres de mandat en ce qu’il « a rendu possible » ou « permis » cette infraction commise par son employée.
[115]       Mme Denis-Lavoie était l’alter ego de M. Veilleux et celui-ci se devait d’exécuter une surveillance adéquate et diligente de l’exécution de sa tâche, ce qu’il a fait défaut de faire.
[116]       En ce faisant, M. Veilleux n’a pas agi avec compétence et professionnalisme et doit par conséquent, être déclaré coupable d’avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.
[117]       Une audience pour sanction sera tenue pour déterminer la sanction applicable pour M. Veilleux.
POUR CES MOTIFS :
DÉCLARE l’intimé coupable du chef unique d’infraction de la plainte disciplinaire pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

 

CONVOQUE avec l’assistance de la secrétaire du comité de discipline les parties à l’audience sur sanction.

 

 

 (S) Me George Hendy

 

 

me george r. hEndy

Président du comité de discipline

 

 

(S) M. Denis Petit

 

 

M. denis petit, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

 

(S) M. Richard Charette

 

M. RICHARD CHARETTE

Membre du comité de discipline

Me Vivianne Pierre-Sigouin

CDNP AVOCATS

Avocats de la partie plaignante

me Véronique Gendron

TREMBLAY BOIS MIGNAULT LEMAY S.E.N.C.R.L.

Avocats de la partie intimée

Dates d’audience : 13 et 14 août 2020

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]    La Reine c. Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299; Chauvin c. Beaucage, 2008 QCCA 922 (CanLII); Chambre de l'assurance de dommages c. Pageau, 2005 CanLII 57472 (QC CDCHAD).

[2]    Tremblay c. Dionne, 2006 QCCA 1441 (CanLII), par. 84.

[3]    Béliveau c. Barreau du Québec, 1992 CanLII 3299 (QCCA).

[4]    Pierre Larousse, Larousse Dictionnaire Langue Française, Paris, Éditions Larousse, 2021, en ligne : https://www.larousse.fr/dictionnaires.

[5]    Chauvin c. Beaucage, préc., note 1; Benhaim c. Médecins (Ordre professionnel des), 2019 QCTP 115 (CanLII); Cousineau c. Audioprothésistes (Ordre professionnel des), 2018 QCTP 102 (CanLII); Bond c. Pharmaciens (Ordre professionnel des), [1996] D.D.O.P. 308 (rés) (T.P.), AZ-96041049.

[6]    Chauvin c. Beaucage, préc., note 1, par. 68; Chantal Perreault, « L’aveuglement volontaire et l’alter ego comme mode de commission d’une infraction déontologique », Développements récents en droit professionnel et disciplinaire, 122, 1999, p. 112.

[7]    La Reine c. Sault Ste-Marie, préc., note 1; Chauvin c. Beaucage, préc., note 1; Chauvin c. Pageau, préc., note 1; Martel c. Québec (Tribunal des professions), 1994 CanLII 5310 (QCCA).

[8]    Chambre de la sécurité financière c. Bernard, 2013 CanLII 40245 (QC CDCSF).

[9]    Chauvin c. Beaucage, préc., note 1, par. 90.

[10]  Chauvin c. Beaucage, préc., note 1, par. 92 et 94.

[11]  Pièce P-9.

[12]  Pièce P-9, page I-35/000136.

[13]  Pièce P-9.

[14]  Pièce P-10A, (6:18)

[15]  Pièce P-7, page I-24.

[16]  Pièce P-7, page I-24.

[17]  Pièce P-10C.

[18]  Pièce P-10A.

[19]  Pièce P-7.

[20]  Pièce P-10C.

[21]  Pièce P-5.

[22]  Pièce P-10A.

[23]  Pièce P-9.

[24]  Pièce P-6.

[25]  Pièce P-7.

[26]  Chauvin c. Beaucage, préc., note 1, par. 90.

[27]  Pièce P-10B (6:30 à 8:05).

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