Chambre de la sécurité financière (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

comité de discipline

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

canada

province de québec

 

 

 

N° :

CD00-1368

DATE :

23 décembre 2021

le comité :

Me Claude Mageau

M. Pierre Masson, A.V.A.

M. Bruno Therrien, Pl. Fin.

Président

Membre

Membre

 

 

SYNDIC DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

Partie plaignante

c.

JOSÉ DE TRINIDAD, conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective (certificat numéro 198722, BDNI 2903381)

 

Partie intimée

décision sur SANCTION

conformément à l’article 142 du code des professions, le comité a prononcé les ordonnances suivantes :

               Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non‑diffusion du nom et prénom de la consommatrice impliquée dans la plainte disciplinaire, ainsi que de toute information se trouvant dans la preuve qui permettrait de l’identifier, étant entendu que la présente ordonnance ne s'applique pas aux échanges d’information prévus à la Loi sur l’encadrement du secteur financier et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers;

 

               Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non‑diffusion de toute information révélée au témoignage de M. Jacques Houde portant sur la description, la configuration, la gestion et le fonctionnement des équipements informatiques de la Chambre de la sécurité financière de même que sur les mesures mises en place pour les protéger, étant entendu cependant que cette ordonnance ne vise pas la partie de son témoignage quant à l’existence d’une panne électrique ayant eu lieu à l’automne 2018, laquelle aurait causé la perte de l’enregistrement original de l’entrevue de l’intimé tenue par les enquêteurs du plaignant, M. Sébastien Lévesque et Mme Annie Desroches, le 25 mai 2018;

               Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non‑diffusion de l’information contenue aux pièces R-2, R-3 et R‑31 déposées devant le comité et décrites au courriel de la procureure de l’intervenante transmis au comité le 11 novembre 2020, lequel fait aussi l’objet de ladite ordonnance;

               Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non‑diffusion du témoignage rendu par M. Christian Faubert devant le comité le 11 novembre 2020.

APERÇU
[1]       Le 18 mai 2021, M. José De Trinidad est déclaré coupable sous l’unique chef d’infraction de la plainte disciplinaire portée contre lui pour avoir contrevenu à l’article 16 de Loi sur la distribution de produits et services financiers en ayant contrefait la signature de sa cliente A.D. sur un document manuscrit identifié « Situation financière révisée 20 mars 2013 », pièce P-3.
 
[2]       À ladite décision, le comité avait tout d’abord rejeté la Requête en arrêt des procédures présentée par M. De Trinidad.
[3]       Le comité entend les représentations sur sanction des parties le 27 juillet 2021.
[4]       Le plaignant est représenté par Me Alain Galarneau et l’intimé se représente seul.
[5]       Le comité tient à préciser que les demandes de M. De Trinidad datées du 21 octobre et 9 novembre 2021 visant à obtenir des copies de pièces et d’enregistrements de témoignages de même que la levée partielle des ordonnances de non‑publication, de non-communication et de non-diffusion rendues en vertu de l’article 142 du Code des professions par le comité le 13 novembre 2020 ne sont pas visées par la présente décision.
[6]       Ces demandes contestées par le plaignant et la Chambre de la sécurité financière (« CSF ») présentées le 13 décembre 2021 sont présentement en délibéré par le comité.
QUESTIONS EN LITIGE
[7]             En tenant compte des circonstances propres au dossier de M. De Trinidad, quelle est la sanction appropriée à rendre par le comité?
PRÉTENTIONS DES PARTIES
[8]             Le procureur du plaignant recommande au comité qu’une période de radiation temporaire d’un ou deux mois soit ordonnée à M. De Trinidad.
[9]             Il demande aussi la publication d’un avis de la présente décision conformément à l’alinéa 7 de l’article 156 du Code des professions et la condamnation aux déboursés en vertu de l’article 151 du Code des professions.
[10]          Il allègue que l’infraction pour laquelle le comité a trouvé l’intimé coupable est d’une gravité élevée, et ce, même si la cliente était une proche de l’intimé.
[11]          Il dépose les autorités au soutien de sa position[1] et il réfère en plus au jugement de la Cour du Québec rendue dans l’affaire Brazeau[2].
[12]          M. De Trinidad quant à lui fait entendre M. Michel Simard, qui était son supérieur immédiat chez London Life au moment où il a commis l’infraction reprochée.
[13]          Ce témoin explique que M. De Trinidad était alors au tout début de sa carrière quand il conseillait la cliente A.D.
[14]          Il explique aussi que le dossier de la cliente a fait l’objet d’une vérification par la conformité de London Life et il ne se souvient pas qu’il y ait eu d’indicateur négatif le concernant.
[15]          Il ajoute enfin que le lien professionnel entre M. De Trinidad et la consommatrice était très positif jusqu’à ce que leur relation personnelle prenne fin.

 

[16]          M. De Trinidad suggère qu’une amende lui soit ordonnée par le comité compte tenu de l’existence de tous les facteurs atténuants de son dossier.
[17]          Entre autres, il explique que le document, pièce P-3, sur lequel il a imité la signature de sa cliente, n’a pas été utilisé pour l’émission de sa police d’assurance‑vie universelle, mais a plutôt été préparé en prévision d’une éventuelle vérification de la part du département de conformité de son employeur.
[18]          M. De Trinidad considère qu’une radiation temporaire n’est pas nécessaire pour protéger le public et qu’une amende de 2 000 $ à 4 000 $ est la sanction appropriée dans les circonstances.
[19]          Pour appuyer sa prétention, il réfère à deux décisions du comité, soit celles rendues dans les affaires Yaffe[3] et Doyon[4] où des amendes ont été ordonnées.
ANALYSE ET MOTIFS
[20]          M. De Trinidad a été trouvé coupable en vertu de l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers pour avoir contrefait la signature de sa cliente A.D. sur le document manuscrit intitulé « Situation financière révisée 20 mars 2013 ».
[21]          La jurisprudence est à l’effet qu’une période de radiation est justifiée en matière de contrefaçon et que sa durée sera plus ou moins longue selon que le contrevenant pose ce geste avec une intention frauduleuse ou non[5].
[22]          Les tribunaux ont cependant établi que les fourchettes jurisprudentielles de sanctions demeurent des guides pour déterminer la sanction appropriée et non pas des carcans emprisonnant le décideur[6].
[23]          Ainsi, la Cour Suprême considère qu’un juge peut rendre une sanction qui déroge de la fourchette établie en autant qu’elle respecte les principes et objectifs de détermination de peine[7].
[24]          Le plus haut tribunal du pays mentionne qu’une peine peut néanmoins être appropriée compte tenu des circonstances même si elle n’a jamais été rendue auparavant pour une infraction similaire[8].
[25]          En droit disciplinaire, contrairement au droit criminel où on retrouve au Code criminel les objectifs et principes devant guider les tribunaux pour l’imposition d’une peine, le Code des professions est très laconique relativement aux objectifs généraux de la sanction disciplinaire[9].
[26]          En fait, le seul véritable guide pour le décideur en matière disciplinaire en ce qui concerne les objectifs de la sanction se trouvent à l’arrêt Pigeon c. Daigneault[10].

 

[27]          La Cour d’appel place comme règle fondamentale en matière d’imposition de sanction en droit disciplinaire l’individualisation de celle-ci[11].
[28]          Ainsi, elle explique qu’une sanction doit atteindre les objectifs suivants :
(i)            La protection du public;
(ii)          La dissuasion du professionnel de récidiver;
(iii)         L’exemplarité à l’égard des autres membres;
(iv)         Le droit du professionnel d’exercer sa profession (ce critère arrivant en dernier lieu)[12].
[29]          Le Tribunal des professions dans l’affaire Serra mentionne qu’« en matière disciplinaire, le principe jurisprudentiel établissant que la sanction ne doit pas être punitive signifie que les mesures prises ne doivent pas uniquement sanctionner un comportement fautif mais veiller à ce que ce comportement ne se reproduise plus » et que « le but visé par la sanction disciplinaire est la protection du public et pour l’atteindre, les conseils de discipline doivent trouver un juste équilibre entre tous ces objectifs, en insistant à l’occasion sur l’un ou l’autre en relation avec le cas particulier, mais pas au détriment des autres objectifs »[13].
[30]          De plus, il conclut qu’ « en définitive, un conseil de discipline qui ne considère pas à sa juste valeur les principes de l’individualisation et de la proportionnalité risque fort de commettre une erreur de principe et d’imposer une sanction manifestement non indiquée[14].

 

[31]          Compte tenu de ce qui précède, le comité considère que M. De Trinidad ne devrait pas faire l’objet d’une période de radiation temporaire, tel que proposé par le procureur du plaignant, mais devrait plutôt être condamné au paiement d’une amende de 4 000 $, et ce, pour les raisons ci-après mentionnées.
[32]          Tout d’abord, l’intimé n’a aucun antécédent disciplinaire.
[33]          Au moment de l’infraction reprochée, il en était au tout début de sa carrière de représentant à London Life.
[34]          En fait, la preuve est à l’effet qu’il détient un certificat en assurance de personnes depuis le 19 février 2013, soit quelques semaines avant la confection du document, pièce P-3, qui est daté du 20 mars 2013[15].
[35]          Le document manuscrit préparé par l’intimé sur lequel il a contrefait la signature de A.D.[16] a été préparé, non pas pour obtenir l’émission de l’assurance‑vie universelle de sa cliente, mais plutôt afin d’être en mesure de répondre à une éventuelle vérification de la part du département de conformité de son employeur.
[36]          De plus, il est en preuve que la cliente A.D. était au courant que M. De Trinidad préparait le document, pièce P-3.
[37]          En effet, lors de l’entrevue avec les deux enquêteurs le 25 mai 2018, M. De Trinidad explique qu’il a imité la signature de A.D., alors qu’il était au bureau[17].
[38]          Il lui en avait alors parlé au téléphone et il ajoute qu’elle aurait signé ledit document s’il le lui avait demandé[18].
[39]          Les notes d’entrevue de l’enquêtrice, Mme Desroches, contiennent aussi la mention que l’intimé avait l’autorisation de la cliente A.D. pour confectionner le document, pièce P-3[19].
[40]          Le comité est d’opinion qu’il doit aussi prendre en considération le contexte d’animosité existant entre A.D. et M. De Trinidad, après la rupture de leur relation personnelle ayant eu lieu en 2015.
[41]          C’est suite à une demande d’enquête formulée par A.D. en 2016, que le plaignant a débuté son enquête, soit plus de trois ans après la commission du geste reproché.
[42]          La plainte disciplinaire contre M. De Trinidad a été déposée le 11 avril 2019, soit près de six ans après la confection du document, pièce P-3.
[43]          L’intimé est toujours dans le domaine de l’assurance, déclare être heureux à son travail avec Groupe Cloutier chez qui il agit comme représentant depuis plus de cinq ans.
[44]          Tel que mentionné plus haut, le but du droit disciplinaire n’est pas de punir un professionnel, mais avant tout de protéger le public.
[45]          De plus, nonobstant la gravité objective de l’infraction reprochée à l’intimé, le comité est d’opinion que la radiation temporaire de l’intimé n’est pas nécessaire pour protéger le public, pour dissuader l’intimé de recommencer, ni pour constituer un exemple pour les autres membres de la profession, compte tenu de tous les facteurs subjectifs ci-haut exprimés.
[46]          Au contraire, une amende de 4 000 $ apparaît au comité comme étant la sanction individualisée et appropriée pour M. De Trinidad.
[47]          Le comité accordera aussi à M. De Trinidad un délai de six mois pour payer ladite amende.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline statuant sur sanction quant au chef unique de la plainte disciplinaire :

RÉITÈRE l’ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non‑diffusion du nom et prénom de la consommatrice impliquée dans la plainte disciplinaire, ainsi que de toute information se trouvant dans la preuve qui permettrait de l’identifier, rendue séance tenante le 9 novembre 2020, étant entendu que ladite ordonnance ne s'applique pas aux échanges d’information prévus à la Loi sur l’encadrement du secteur financier (RLRQ, c. E-6.1) et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2);

RÉITÈRE l’ordonnance de non-divulgation, la non-publication et la non‑diffusion de toute information révélée au témoignage de M. Jacques Houde rendu devant le comité le 10 novembre 2020 portant sur la description, la configuration, la gestion et le fonctionnement des équipements informatiques de la Chambre de la sécurité financière de même que sur les mesures mises en place pour les protéger, étant entendu cependant que cette ordonnance ne vise pas la partie du témoignage de M. Jacques Houde quant à l’existence d’une panne électrique ayant eu lieu à l’automne 2018, laquelle aurait causé la perte de l’enregistrement original de l’entrevue de l’intimé tenue par les enquêteurs du plaignant, M. Sébastien Lévesque et Mme Annie Desroches, le 25 mai 2018;

RÉITÈRE l’ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non‑diffusion de l’information contenue aux pièces R-2, R-3 et R‑31 déposées devant le comité et décrites au courriel de la procureure de l’intervenante transmis au comité le 11 novembre 2020, lequel fait aussi l’objet de ladite ordonnance;

RÉITÈRE l’ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non‑diffusion du témoignage rendu par M. Christian Faubert devant le comité le 11 novembre 2020;

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 4 000 $;

ACCORDE à l’intimé un délai de six mois pour payer ladite amende;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26);

PERMET la notification de la présente décision à l’intimé par moyen technologique conformément à l’article 133 du Code de procédure civile (RLRQ, c. C-25), à savoir par courrier électronique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(S) Me Claude Mageau

_______________________________

Me CLAUDE MAGEAU

Président du comité de discipline

 

 

 

 

 

(S) M. Pierre Masson

_______________________________

M. PIERRE MASSON, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

 

(S) M. Bruno Therrien

_______________________________

M. BRUNO THERRIEN, PL. FIN.

Membre du comité de discipline

Me Alain Galarneau

POULIOT PRÉVOST GALARNEAU

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représente seul.

 

Date d’audience : 27 juillet 2021

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]    Chambre de la sécurité financière c. Dion, 2018 QCCDCSF 37 (CanLII); Chambre de la sécurité financière c. Hattem, 2019 QCCDCSF 39 (CanLII); Chambre de la sécurité financière c. Legault, 2019 QCCDCSF 60 (CanLII); Chambre de la sécurité financière c. Viau, 2021 QCCDCSF 28 (CanLII); Chambre de la sécurité financière c. Guernon, 2015 QCCDCSF 4; Chambre de la sécurité financière c. Jutras, 2017 QCCDCSF 20; Chambre de la sécurité financière c. Ywan, 2018 QCCDCSF 60; Chambre de la sécurité financière c. Morin, 2021 QCCDCSF 21 (CanLII).

[2]    Brazeau c. Chambre de la sécurité financière, 2006 QCCQ 11715 (CanLII).

[3]    Chambre de la sécurité financière c. Doyon, 2007 CanLII 31463 (QC CDCSF).

[4]    Chambre de la sécurité financière c. Yaffe, 2001 CanLII 27757 (QC CDCSF).

[5]    Brazeau c. Chambre de la sécurité financière, préc., note 2, par. 136-137.

[6]    R. c. Lacasse, 2015 CSC 64 (CanLII), [2015] 3 RCS 1089, par. 57; Terjanian c. Lafleur, 2019 QCCA 230 (CanLII), par. 53;

[7]    R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6 (CanLII), [2010] 1 RCS 206, par. 44.

[8]    R. c. Lacasse, préc., note 4, par. 58.

[9]    Serra c. Médecins (Ordre professionnel des), 2021 QCTP 2 (CanLII), par. 112.

[10]  Id., par. 113; Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA).

[11]  Pigeon c. Daigneault, préc., note 10, par. 37; Serra c. Médecins (Ordre professionnel des), préc., note 9, par. 114.

[12]  Pigeon c. Daigneault, préc., note 10, par. 43.

[13]  Serra c. Médecins (Ordre professionnel des), préc., note 9, par. 111 et 116.

[14] Id., par. 121.

[15]  Attestation du droit de pratique déposée comme pièce P-1 par le plaignant.

[16]  Pièce P-3.

[17]  Pièce P-5A.

[18]  Pièce P-5A.

[19]  Pièce P-6.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.