Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

 

 
COMITÉ DE DISCIPLINE

 

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

N° :

CD00-1472

 

 

 

DATE :

30 janvier 2022

 

______________________________________________________________________

 

 

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

Mme Dominique Vaillancourt

Membre

M. Ramil Julien

Membre

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SYNDIC DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

 

Partie plaignante

 

c.

 

 

FRÉDÉRIC LALANCETTE, conseiller en sécurité financière (numéro de certificat 191952)

 

 

Partie intimée

 

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION RECTIFIÉE

 

 

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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

         Non-divulgation, non-diffusion et non-publication des noms et prénoms des consommateurs impliqués dans cette plainte, ainsi que de toute information permettant de les identifier. Toutefois, il est entendu que la présente ordonnance ne s’applique pas aux échanges d’informations prévus à la Loi sur l’encadrement du secteur financier et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

 

APERÇU

[1]           La plainte disciplinaire portée initialement contre l’intimé le 1er avril 2021 comporte trois chefs d’infractions.

[2]           À l’audience, n’étant pas en mesure de relever son fardeau de preuve à l’égard du troisième chef d’infraction, le plaignant en demande le retrait.

[3]           De plus, elle présente un amendement à la plainte afin de regrouper les deux premiers chefs d’infraction en un seul et invoquer comme unique lien de rattachement, l’article 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers.

[4]           Le comité accueille ces demandes.

[5]           En conséquence, le comité est saisi de la plainte amendée suivante :

LA PLAINTE AMENDÉE

1.  À Saint-Ambroise, le ou vers le 23 mai 2019, l’intimé a fait défaut de bien connaître la situation de son client J.L. avant de procéder au dépôt d’une somme de 95 837 $ dans un fonds avec frais de vente reportés dans le compte numéro [no xxx], alors que cette transaction ne convenait pas à ce dernier, contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

DÉCLARATION DE CULPABILITÉ

[6]           L’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité à la plainte telle qu’amendée. Il a reconnu les faits reprochés et qu’il a contrevenu à ses obligations déontologiques. De plus, il a affirmé que son plaidoyer était fait librement, sans aucune pression ou menace de qui que ce soit.

[7]           Le comité l’a déclaré coupable séance tenante, sous le seul chef d’infraction de la plainte amendée, pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

 

RECOMMANDATION COMMUNE SUR SANCTION

[8]          Les parties ont recommandé la condamnation de l’intimé au paiement d’une amende de 5 000 $, ainsi que des déboursés, et ce, dans un délai de six mois[1].

[9]          Aussi, l’intimé a consenti à la signification par courrier électronique de la décision à être rendue par le comité.

QUESTION EN LITIGE

Dans le cas de recommandation commune sur sanction, le comité doit déterminer si celle-ci déconsidère l’administration de la justice ou est contraire à l’intérêt public[2].

LE CONTEXTE

[10]       En 2014, le couple de consommateurs transfère ses comptes REÉR à M. Steve White. Le couple souscrit également aux fins de leur régime à deux contrats de fonds distincts sans frais auprès de Standard Life[3]. Les fonds distincts ainsi souscrits sont sans frais.

[11]       La relation d’affaires entre l’intimé et ce couple commence en février 2017, à la suite de l’achat par l’intimé du bloc d’affaires de M. White.

[12]       À ce moment-là, trois profils d’investisseur, complétés par M. White en 2004, 2008 et 2014, se trouvent au dossier[4].

[13]       Le premier formulaire est rempli pour les deux clients. Pour chacun, seul diffère le pointage aux questions. Les notes de M. White indiquent sept ans pour l’horizon de placement et qu’éventuellement l’époux recevra une pension de deux organismes, dont Hydro-Québec. La tolérance aux risques est moyenne-élevée.

[14]       Pour les profils de 2008 et 2014, est indiqué le même pointage pour les deux, sans distinction ni autre information.

[15]       Entre février 2017 et juillet 2019, l’intimé rencontre le couple une fois par année. Il utilise alors le premier profil, complété par son prédécesseur, lequel contient les informations financières.

[16]       L’intimé ne procède pas à l’étude du contrat REÉR, tenant pour acquis que les clients le connaissent.

[17]       Le 3 octobre 2018, il rencontre ses clients et procède à un premier profil[5]. Pour celui-ci, il utilise le même pointage pour les deux membres du couple.

[18]       Ses notes indiquent notamment que monsieur, âgé de 68 ans, reçoit une pension d’Hydro-Québec, de la Commission de la construction du Québec (CCQ) et « prestation de l’État max ». Ses revenus s’élèvent à 50 000 $ avec la mention « suffisant pour eux » et sans dettes. Âgée de 65 ans en novembre 2018, madame recevra la pension de la sécurité de vieillesse (PSV). Elle détient aussi une assurance vie avec la Mutuelle du Canada (Sun Life).

[19]       Enfin, quant à ses instructions, il indique « transférer CÉLI Desjardins chez Manuvie ». Il leur recommande de changer les fonds CI pour le Fonds Mondial équilibré et de faire leur testament[6].

[20]       Le ou vers le 24 octobre 2018[7], le CÉLI est transféré chez Manuvie.

[21]       En mai 2019, l’épouse décède subitement. Environ deux semaines plus tard, monsieur en informe l’intimé. Les comptes bancaires étant gelés, il lui demande de retirer de son CÉLI environ 10 000 $ afin de pouvoir couvrir les frais funéraires.  

[22]       Le 21 mai 2019, Manuvie transmet à l’intimé le contrat REÉR de madame et lui précise les documents à compléter pour y procéder.

[23]       Le 23 mai suivant, l’intimé rencontre monsieur à son domicile. Ce dernier se dit très affecté par le décès de sa conjointe.

[24]       Même s’il n’y a pas d’urgence pour procéder au roulement du REÉR de madame vers celui de monsieur, l’intimé recommande de le faire dans le même Fonds Mondial, cette fois avec des frais de vente reportés sur une période de sept ans, contrairement à sans frais comme auparavant.

[25]       L’intimé note pour cette rencontre du 23 mai 2019 qu’il procède au roulement du REÉR de feu madame et que les objectifs semblent les mêmes. Le roulement se fait dans le Fonds Mondial Équilibré. Monsieur confirme ne pas avoir besoin de ces REÉR et ils conviennent d’attendre le décaissement du minimum de son Fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) à partir de 72 ans.

[26]       Dans ses notes, l’intimé indique que le produit, qui permettait un retrait annuel de 20 % et comportait des frais différés, a été discuté et que monsieur n’avait pas de problème avec cela. Enfin, monsieur déclarant ne pas avoir « la tête à plus de détails pour le décaissement suite au décès », ils conviennent d’une autre rencontre.

[27]       En mai 2019, Desjardins transfère les 95 837 $ du REÉR de son épouse vers Manuvie. Pour cette dernière transaction, l’intimé a reçu une commission 5 160,87 $.

[28]       Le 30 mai 2019, l’intimé transmet une demande de retrait de 10 000 $ du CÉLI, pour être déposé dans le compte de banque de monsieur.

[29]       Comme le spécimen de chèque du client était non personnalisé, l’intimé demande alors à Manuvie d’envoyer au client les 10 000 $ par chèque. Manuvie émet ce chèque le 11 juin 2019[8].

[30]       Cette dernière opération retarde le tout. Dans les circonstances, le client s’est tourné vers la compagnie d’assurance pour emprunter les 10 000 $, et en a été très contrarié. Dès lors, monsieur demande de transférer son REÉR à sa Caisse Populaire.

[31]       Le transfert de ces Fonds a engendré des frais de 5 191,60 $ pour le client, étant donné que la cédule de sept ans recommandée par l’intimé pour ces Fonds n’était pas expirée. C’est à la suite de ces frais que le client a porté plainte à l’Autorité des marchés financiers (AMF).

ANALYSE ET MOTIFS

[32]        L’intimé exerce en assurance de personnes depuis juin 2011. Il a commencé auprès d’Industrielle Alliance et y a exercé cinq mois. Il a continué comme représentant indépendant chez Desjardins, devenu SFL, pendant environ trois ans. Au moment des événements, il exerçait en tant que conseiller autonome auprès de AFL Groupe Financier.

[33]        Il ne s’agissait pas dans ce dossier d’un mauvais placement, mais de la formule de rémunération choisie par l’intimé laquelle est liée à la cédule de frais reportés. La décision du consommateur de transférer le REÉR avant l’expiration des sept ans vers sa Caisse populaire a entraîné la charge de ces frais.

[34]       L’intimé a admis les faits, ainsi que la difficulté causée par la cédule de frais qu’il a choisie pour ce consommateur. Il n’avait pas l’habitude de faire des roulements. Toutefois, il sait maintenant que les frais de vente reportés ne sont pas recommandés lors des renouvellements de placements.

[35]       Par ailleurs, il n’a pas agi avec une intention malhonnête. Le fait que son client était bouleversé par la situation l’a affecté, tant personnellement que professionnellement. L’intimé a exprimé des remords sincères.

[36]       Il a collaboré à l’enquête de façon complète et transparente.

[37]        Sa reconnaissance des faits et son plaidoyer de culpabilité ont évité au consommateur J.L. de témoigner.

[38]        Parmi les facteurs objectifs et subjectifs tant aggravants qu’atténuants, soulignons le remboursement intégral par l’intimé des frais chargés par Manuvie à son client, à la suite du transfert réclamé par ce dernier. Ces frais sont près de 20 % supérieurs à la commission que l’intimé a perçue.

[39]       Ainsi, le consommateur n’a subi aucun préjudice financier et l’intimé n’a pas non plus tiré avantage de son infraction.

[40]       Enfin, l’intimé a modifié sa pratique. Il prend dorénavant le temps nécessaire pour connaître ses clients et les comprendre. À cette fin, au mois de mai 2021, il a complété une formation intitulée « Vulnérabilité des clients »[9].

[41]        Étant d’avis que la recommandation commune des parties ne déconsidère pas l’administration de la justice et n’est pas contraire à l’intérêt public, le comité y donnera suite.

[42]        Par conséquent, le comité condamnera l’intimé au paiement d’une amende de
5 000 $ ainsi que des déboursés, le tout dans les six mois de la présente décision.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimé, prononcée séance tenante, à l’égard du seul chef d’infraction de la plainte amendée pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers;

ET SUR SANCTION :

CONDAMNE l’intimé au paiement d’une amende de 5 000 $;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement, conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26);

ACCORDE à l’intimé un délai de six mois pour acquitter l’amende et les déboursés;

PERMET la notification de la présente décision à l’intimé par moyen technologique conformément à l’article 133 du Code de procédure civile (RLRQ, c. C-25.01), à savoir par courrier électronique.

 

                                   (S) Me Janine Kean

 

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Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

(S) Mme Dominique Vaillancourt

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Mme Dominique Vaillancourt

Membre du comité de discipline

 

(S) M. Ramil Julien

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M. Ramil Julien

Membre du comité de discipline

 

Me Sylvie Poirier

CDNP AVOCATS

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Alexis Gauthier-Turcotte

SIMARD BOIVIN LEMIEUX s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

Le 4 novembre 2021

 

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ


ANNEXE

AUTORITÉS DES PARTIES

 

 

LA PLAIGNANTE

1.      CSF c. Benoit, 2020 QCCDCSF 68, décision sur culpabilité et sanction rendue le 26 décembre 2020.

2.      CSF c. Fournier, 2006 CanLII 59842 (QC CDCSF), décision sur culpabilité et sanction rendue le 28 février 2006.

3.      CSF c. Legros, 2020 QCCDCSF 52, décision sur culpabilité et sanction rendue le 24 septembre 2020.

4.      CSF c. Bernier, 2016 QCCDCSF 1, décision sur culpabilité et sanction rendue le 5 janvier 2016.

5.      CSF c. Abadi, 2020 QCCDCSF 24, décision sur culpabilité et sanction rendue le 13 mai 2020.

6.      CSF c. Simard, 2018 QCCDCSF 44, décision sur culpabilité et sanction rendue le 18 juin 2018.

7.      CSF c. Kapoor, 2020 QCCDCSF 32, décision sur culpabilité et sanction rendue le 25 mai 2020.

8.      CSF c. Jacques, 2006 CanLII 59854 (QC CDCSF), décisions sur culpabilité rendue le 28 avril 2006 et sur sanction rendue le 31 juillet 2006.

9.      CSF c. Morin, 2016 QCCDCSF 3, décision sur culpabilité et sanction rendue le 5 février 2016.

10.   CSF c. Moore, 2016 QCCDCSF 5, décision sur culpabilité et sanction rendue le 8 février 2016.

11.   CSF c. Taillon, 2018 QCCDCSF 3, décision sur culpabilité et sanction rendue le 26 janvier 2018.

12.   CSF c. Baillargeon, 2010 CanLII 99871 (QC CDCSF), décisions sur culpabilité rendue le 25 mars 2010 et sur sanction rendue le 20 septembre 2010.

13.   CSF c. Talbot, 2018 QCCDCSF 56, décisions sur culpabilité rendue le 20 juillet 2018 et sur sanction rendue le 9 mai 2019.

14.   CSF c. Charbonneau, 2012 CanLII 97161 (QC CDCSF), décisions sur culpabilité rendue le 30 juillet 2012 et sur sanction rendue le 22 janvier 2013.

15.   CSF c. Wang, 2017 QCCDCSF 44, décisions sur culpabilité rendue le 22 août 2017 et sur sanction rendue le 20 mars 2019.

16.   CSF c. Cléroux, 2013 CanLII 66456 (QC CDCSF), décisions sur culpabilité rendue le 15 octobre 2013 et sur sanction rendue le 2 octobre 2014.

L’INTIMÉ

1.      CSF c. Fortin, 2017 QCCDCSF 63, décision sur culpabilité et sanction rendue le 30 octobre 2017.

2.      CSF c. Bouayad, 2017 CanLII 16385, décision sur culpabilité et sanction rendue le 23 mars 2017.

3.      CSF c. Côté, 2017 QCCDCSF 70, décision sur culpabilité et sanction rendue le 31 octobre 2017.

4.      CSF c. Desrochers, 2020 QCCDCSF 60, décision sur culpabilité et sanction rectifiée rendue le 20 novembre 2020.

 



[1] Voir les autorités citées, en Annexe.

[2] R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43.

[3] Le 26 août 2014.

[4] P-2 à P-5.

[5] P-8 à P-10.

[6] P-10.

[7] P-12.

[8] P-23 et P-24.

[9] I-1.

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