Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1451

 

DATE :

14 mai 2021

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Lysane Cree

Présidente

M. Denis Petit, A.V.A.

M. Pierre Masson, A.V.A., Pl. fin.

Membre

Membre

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SYNDIC DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

Partie plaignante

c.

 

JEAN-FRANÇOIS MURPHY-FILIATRAULT, conseiller en assurance et rentes collectives (numéro de certificat 206835 et numéro BDNI 3194251)

 

Partie intimée

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion des noms et prénoms des consommateurs mentionnés à la plainte disciplinaire et tous renseignements à la preuve qui pourraient permettre de les identifier.

 

La présente ordonnance ne s’applique pas aux demandes d’accès à l’information en vertu de la Loi sur l’encadrement du secteur financier et la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

 

[1]          Le 4 février 2021, le Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (« le Comité ») s’est réuni sur la plateforme Webex pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire portée contre l'intimé le 23 novembre 2020 ainsi libellée :

LA PLAINTE

 

1.    Dans la province de Québec, entre le mois décembre 2014 et le mois d’octobre 2018, l’intimé a fait signer en blanc un formulaire « Demande de valeur de rachat » à E.S., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

 

2.    Dans la région de Montréal, vers le 15 février 2016, l’intimé n’a pas rempli de préavis de remplacement lorsqu’il a fait souscrire à V.D-B. les propositions d’assurance […], […] et […], lesquelles étaient susceptibles d’entraîner le remplacement des contrats d’assurance […], […], […], contrevenant ainsi à l’article 22 (2) du Règlement sur l’exercice des activités des représentants.

 

3.    À Laval, vers le 15 février 2016, l’intimé a fait signer partiellement en blanc un formulaire « Proposition d’assurance vie, invalidité et maladies graves » pour la proposition […] à V.D-B., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

 

4.    À Laval, vers le 16 février 2016, l’intimé a fait signer en blanc un formulaire « Pages produits relatives à la proposition d’assurance-vie » pour la proposition […] à V.D-B., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

 

5.    Dans la région de Montréal, vers le 23 mars 2016, l’intimé a contrefait ou permis que soit contrefaite la signature de V.D-B. sur un formulaire « Assurance individuelle Affaires nouvelles – Attestation du statut fiscal aux États-Unis », contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et 11 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[2]          Un plaidoyer de culpabilité écrit, signé par l’intimé en date du 12 janvier 2021 a été transmis au comité avant l’audience. En début d’audience, l’intimé, qui se représentait seul, a confirmé vouloir enregistrer un plaidoyer de culpabilité sur chacun des cinq chefs d’infraction ci-haut décrits.

[3]          Le comité s’est assuré que l’intimé comprenait bien le sens de son plaidoyer, qu’il plaidait coupable d’une façon libre et volontaire et qu’en ce faisant, il reconnaissait que les gestes reprochés constituaient des infractions déontologiques.

LES FAITS

[4]  L’intimé est inscrit en assurance de personnes et en assurance collective de personnes pendant la période pertinente aux chefs de la plainte disciplinaire et l’est toujours en assurance collective des personnes.

Chef 1

[5]          Un formulaire « Demande de valeurs de rachat » a été signé par E.S., client de l’intimé, en blanc, sans qu’aucun autre renseignement ne soit inscrit (pièce P-2).

[6]          N’ayant aucune date d’inscrite sur le document, la partie plaignante a placé la date entre septembre 2014 et octobre 2018, ce qui n’est pas contesté par l’intimé.

Chef 2

[7]          En 2016, le client de l’intimé, V.D.B. détenait trois contrats d’assurance, dont deux avec Great-West et un avec London Life.

[8]          Vers le 15 février 2016, V.D.B. souscrit trois propositions d’assurance de Canada-Vie par l’entremise de l’intimé dans le but de remplacer les contrats existants.

[9]          Seulement un préavis de remplacement d’un contrat d’assurance de personnes a été complété et signé par V.D.B. et l’intimé le 15 février 2016, indiquant que la police London Life serait remplacée par une police de Manuvie (pièce P-4).

[10]       Aucun autre préavis n’a été complété pour aviser que les polices Great-West et London Life seraient remplacées par des polices Canada-Vie.

[11]       Suite aux trois propositions de Canada-Vie complétées le 15 février 2016, trois polices d’assurance Canada-Vie ont été émises, au nom de V.D.B., le 26 mai 2016 (pièce P-3, p. 9, 18 et 22).

[12]       Le 22 septembre 2016, V.D.B. écrit à Groupe Investors pour annuler les trois polices d’assurance (deux de Great-West et une de London Life) qui sont toujours en vigueur (pièce P-6).

[13]       L’intimé a eu confirmation que les trois propositions avaient été reçues et le 13 avril 2016, Canada-Vie lui a demandé de leur faire parvenir le formulaire de remplacement pour les trois produits, ce que l’intimé n’a pas fait.

[14]       Le 15 septembre 2020, un représentant de Great-West-London Life confirme à l’enquêteur du syndic que les deux contrats d’assurance Great-West et le contrat d’assurance London Life que V.D.B. détenait en février 2016 étaient toujours en vigueur.

[15]       Le client a décidé de maintenir les contrats initiaux et les nouveaux contrats Canada-Vie ont été annulés.

 Chef 3

[16]       Le 15 février 2016, l’intimé a fait signer à son client V.D.B. une proposition d’assurance Manuvie qui, à l’exception de quelques renseignements, était presque entièrement en blanc. L’intimé a signé le rapport du conseiller (pièce P-7).

Chef 4

[17]       Le 16 février 2016, un autre formulaire de Canada-Vie intitulé « Pages de produits relatives à la proposition d’assurance-vie » a été signé en blanc par le client de l’intimé, V.D.B.

[18]       De plus, le numéro de police inscrit sur ce formulaire était incorrect.

Chef 5

[19]       Le 23 mars 2016, une autre proposition Canada-Vie aurait été signée par le client de l’intimé, V.D.B.

[20]       La signature du client V.D.B. sur ce document est différente de sa signature sur les autres documents et une note est incluse sur le formulaire indiquant :

« Nous avons l’original

   Signature différente de la signature habituelle du client » 

[21]       En toute apparence, cette signature n’est pas celle du client V.D.B., mais plutôt une signature contrefaite.

RECOMMANDATIONS COMMUNES SUR SANCTION

[22]       La procureure du plaignant, avec le consentement de l’intimé, recommande au Comité d’imposer à l’intimé de façon concurrente, un à deux mois de radiation temporaire pour chacun des cinq chefs à la plainte disciplinaire, et ce, en plus de la publication d’un avis de la radiation et la condamnation aux frais de publication et déboursés.

[23]       À cet égard, le plaignant réfère aux facteurs aggravants suivants :

         La gravité objective des infractions qui va au cœur de la profession;

         L’intimé a démontré un manque de probité sur les règles sur la conformité et les soins à apporter dans ses dossiers;

[24]       Le plaignant réfère également aux facteurs atténuants suivants :

         L’intimé a plaidé coupable;

         Il n’a pas d’antécédents disciplinaires;

         Au moment des infractions, l’intimé était un jeune représentant en début de sa carrière et il est toujours dans l’industrie en assurance collective des personnes;

         Il n’y a pas eu de préjudice subi par les deux consommateurs impliqués;

         Deux consommateurs impliqués sur une courte période;

         Le temps écoulé (5 ans) depuis les infractions;

[25]       Pour appuyer la recommandation commune ainsi que la publication de l’avis, le plaignant a déposé plusieurs décisions du Comité dans lesquelles, pour des chefs d’infractions similaires, une radiation temporaire a été imposée dans une fourchette entre un[1] à deux mois,[2] incluant une période de radiation temporaire de six semaines dans Wan[3].

ANALYSE ET MOTIFS

[26]       Les cinq chefs d’infractions auxquels l’intimé a plaidé coupable sont objectivement graves et représentent des manquements à plusieurs obligations qui vont au cœur de la profession – il a fait signer en blanc ou partiellement en blanc des documents par deux clients (chefs 1, 3 et 4), le défaut de remplir un préavis de remplacement lorsqu’il a fait souscrire des propositions d’assurances au client, lesquelles étaient susceptibles d’entrainer le remplacement de contrats d’assurance existants (chef 2) et la contrefaçon de signature d’un client (chef 5). 

[27]       Le comité a déterminé dans Nemeth[4] que les infractions d’avoir fait signer au client des documents incomplets militent en faveur d’une radiation temporaire, citant ainsi une décision antérieure dans Alami[5] :

« 19. Cette pratique de signer à la place du client, d’imiter sa signature ou de lui faire signer des formulaires en blanc est clairement prohibée et ne peut être tolérée même sous prétexte d’accélérer les transactions ou d’éviter des déplacements et en l’absence de malhonnêteté. Ceci est vrai tant pour le représentant qui a déjà quelques années d’expérience que pour celui qui débute dans la profession. »

 

[28]        La radiation est aussi la sanction appropriée dans les cas de contrefaçon de signature, ce qui représente un geste grave qui ne peut être toléré dans la profession[6].

[29]        Le défaut de remplir et de transmettre un préavis de remplacement est parfois sanctionné par une amende, tel que décidé dans Nemeth pour le chef d’infraction 2. Dans le présent dossier, et tenant compte que les propositions remplies par l’intimé étaient susceptibles d’entraîner le remplacement de trois contrats d’assurance pour le client impliqué et démontre un modus operandi inquiétant, la procureure de la partie plaignante demandait qu’une période de radiation soit aussi imposée.

[30]       Depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada Anthony-Cook[7], il est bien établi en droit disciplinaire que la recommandation conjointe présentée par les parties ne peut être écartée par le décideur que s’il la considère contraire à l’intérêt public ou s’il est d’avis qu’elle va déconsidérer l’administration de la justice.

[31]       Cela étant, le Comité doit s’assurer que la sanction qu’il rendra assurera avant tout la protection du public, permettra de dissuader le professionnel de récidiver, servira d’exemple pour les autres représentants et enfin, permettra au professionnel de pratiquer sa profession[8].

[32]       Le Comité doit, de plus, individualiser la sanction à être prononcée, et ce, en tenant compte des facteurs objectifs et subjectifs de même que ceux aggravants et atténuants propres à l’affaire concernée.

[33]       Le Comité considère que la recommandation commune proposant une radiation temporaire d’un à deux mois pour chacun des cinq chefs et à être purgée de façon concurrente n’est pas contraire à l’intérêt public et ne déconsidère pas l’administration de la justice.

[34]       Compte tenu des décisions rendues en semblable matière et de l’ensemble des éléments du dossier, le Comité imposera une radiation temporaire de deux mois pour chacun des cinq chefs, à être purgée de façon concurrente.

[35]       En ce qui a trait à la publication, le but de celle-ci est la protection du public et d’aviser le public que le professionnel ne peut exercer sa profession pour une période de temps fixe. De ce fait, la règle générale est que lorsque le comité impose la radiation à l’intimé, la publication d’un avis de la décision est publiée dans le lieu où le représentant exerce sa profession. La non-publication de cet avis est ordonnée dans des circonstances exceptionnelles seulement[9].

[36]       En l’absence de circonstances exceptionnelles au dossier, le Comité ordonnera qu’un avis soit publié en vertu de l’article 156, al. 7 du Code des professions, avec le paiement des frais de publication par l’intimé. L’intimé devra aussi payer les déboursés au dossier.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

PREND ACTE à nouveau du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sur chacun des chefs d’infraction contenus à la plainte disciplinaire;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité prononcée à l’audience pour tous les cinq chefs d’infraction de la plainte pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et l’article 22 (2) du Règlement sur l’exercice des activités des représentants (RLRQ, c. D-9.2, r.10);

RÉITÈRE l’arrêt conditionnel des procédures pour tous les chefs d’infraction de la plainte, en ce qui a trait aux autres dispositions alléguées.

ET PROCÉDANT À RENDRE LA DÉCISION SUR SANCTION :

CONDAMNE l’intimé à une radiation temporaire de deux mois pour chacun des cinq chefs à la plainte disciplinaire, à être purgée de façon concurrente;

ORDONNE à la secrétaire du Comité de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans les lieux où ce dernier a eu son domicile professionnel ou dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession, conformément aux dispositions de l’article 156, al. 7 du Code des professions (RLRQ, c. 26);

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement, conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

 

(S) Me Lysane Cree

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Me Lysane Cree

Présidente du comité de discipline

 

(S) M. Denis Petit

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M. Denis Petit, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

(S) M. Pierre Masson

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M. Pierre Masson, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

Me Julie Piché

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

Procureure de la partie plaignante

 

 

M. Jean-François Murphy-Filiatrault

Non-représenté

 

 

 

Date d’audience :

4 février 2021

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] CSF c. Nemeth, 2015 QCCDCSF 24; CSF c. Langlais, 2017 QCCDCSF 37; CSF c. Couture, 2017

QCCDCSF 68; CSF c. Stepin, 2011 CanLII 99524 (QC CDCSF); CSF c. Hattem, 2019 QCCDCSF 39.

[2] CSF c. Gauthier, 2019 QCCDCSF 58; CSF c. Bonin, 2020 QCCDCSF 28; CSF c. Brassard-Gagnon, 2019

QCCDCSF 10.

[3] CSF c. Wan, 2019 QCCDCSF 69.

[4] Nemeth, précité note 1 (sanction), par. 47-49.

[5] CSF c. Alami, 2013 CanLII 46905 (QC CDCSF).

[6] Wan, précité note 3, par. 19; Gauthier, précité note 2, par. 33.

[7] [2016] 2 SCR 204.

[8] Pigeon c. Daigneault, préc., note 8.

[9] Nemeth, précité note 1, par. 51.

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