Chambre de la sécurité financière (Québec)

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Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1344

 

DATE :

12 août 2020

_____________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Madeleine Lemieux

Présidente

 

Mme Dominique Vaillancourt

Membre

 

M. Kaddis Sidaros, A.V.A.

Membre

_____________________________________________________________________

 

SYLVIE POIRIER, ès qualités de syndique ad hoc de la Chambre de la sécurité financière

 

Partie plaignante

c.

 

ANDRÉ LOISEL, conseiller en sécurité financière et en assurance collective de personnes (certificat numéro 121965)

 

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

                Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom et du prénom des consommateurs concernés, ainsi que de toute information pouvant les identifier, étant entendu que cette ordonnance ne s’applique pas à toute demande d’accès à l’information provenant de l’Autorité des marchés financiers et du Fonds d’indemnisation des services financiers.

[1]       André Loisel fait l’objet d’une plainte disciplinaire déposée le 21 novembre 2018 qui comporte deux (2) chefs d’accusation qui se lisent comme suit :

1.         Dans la région de Montréal, le ou vers le 18 novembre 2014, l’intimé a déconseillé à un client, A.M., de consulter un autre représentant ou une autre personne de son choix, contrevenant ainsi aux articles 16 de Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et 28 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

2.         Dans la région de Montréal, le ou vers le 26 janvier 2015, l’intimé n’a pas agi avec professionnalisme et a manqué de modération dans sa conduite en intentant une poursuite civile contre le client A.M. pour avoir fait affaire avec un autre représentant, contrevenant ainsi à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) et 6 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

[2]       L’intimé a enregistré un plaidoyer de non culpabilité sur chacun des chefs d’accusation de la plainte.

LES FAITS

[3]       André Loisel détient, au moment des événements qui donnent lieu à la plainte, un certificat qui l’autorise à agir à titre de représentant autonome en assurance de personnes pour le cabinet Loisel Actuariel inc., firme dont il est actionnaire. Il est aussi actuaire Fellow depuis 1991.

[4]       En octobre 2011, André Loisel achète la clientèle de Louis Dalbec lui‑même courtier en assurance.  Le contrat de vente prévoit que Louis Dalbec cède à André Loisel la totalité des éléments relatifs à son activité en assurance de personnes. La cession inclut également « tous les prospects et ventes futures qui viendront de la clientèle achetée ».

[5]         Louis Dalbec prend aussi des engagements de présenter André Loisel à sa clientèle « comme étant son seul successeur et en invitant la clientèle de Monsieur Dalbec à reporter sur lui la confiance qu’elle voulait bien leur accorder »[1].  En bref, Monsieur Loisel s’attend à ce que la clientèle de Louis Dalbec lui soit acquise et que Louis Dalbec facilite le transfert de ses clients dans son entreprise. 

[6]       Louis Dalbec signe d’ailleurs une lettre composée par André Loisel destinée aux clients pour les informer que ce sera André Loisel qui prendra en charge le suivi de ses clients[2]. Une lettre à cet effet est envoyée au client A.M.

[7]       Ce client A.M. est actionnaire d’une compagnie de camionnage, Camionnage X dont le co-actionnaire est E.O. Cette compagnie est un des clients importants de Louis Dalbec vendus à André Loisel. Les deux actionnaires détiennent des polices d’assurance-vie au bénéfice l’un de l’autre. La police d’assurance sur la vie de Monsieur M. est une assurance temporaire contractée en 2007, d’une durée de 10 ans qui expire en 2017. La prime est de 8 325 $ par année.

[8]       En juin 2014, Valérie Ménard, elle aussi représentante en assurance personnelle dans une autre firme, écrit à A.M. à propos du renouvellement de cette assurance-vie. Elle l’informe que la prime augmentera de façon considérable passant probablement au triple soit à 24 000 $ au moment de son renouvellement. Elle lui suggère qu’il serait avantageux de fournir de nouvelles preuves de santé et de souscrire un nouveau contrat.

[9]        On comprend de cette lettre adressée à A.M. que c’est désormais Madame Ménard qui agit comme courtier pour les assurances de l’autre actionnaire E.O. parce qu’elle demande qu’on lui fournisse les états financiers de la compagnie pour compléter la demande d’assurance de E.O.

[10]    Pour le bénéfice de A.M. elle analyse deux produits qu’elle décrit comme suit :

« Caractéristique des produits analysés :

Contrat temporaire : Temporaire 10 ans :

BMO Assurance : 17 275 $ / par année

    La prime augmente à tous les dix (10) ans

    Convertible en un produit permanent sans preuve de santé jusqu’à l’âge de 70 ans

    Le contrat se termine à l’âge de 85 ans

    Le capital-décès est fixe

    Cette option est la plus économique si vous prévoyez conserver votre contrat plus de sept (7) ans

 

Contrat permanent : Vie universelle à prime croissante annuellement, jusqu’à 100 ans

 

Empire Vie : 5 543 $ pour la première année

 

    La prime augmente à chaque année (voir le détail des primes dans le tableau ci-après)

    Il est possible de niveler la prime en cours de route (la prime sera calculée selon l’âge atteint)

    Le contrat est en vigueur la vie durant

    Il est possible d’accumuler des valeurs excédentaires au contrat, qui s’ajoutent au capital-décès »[3]

[11]    A.M. témoigne qu’à ce moment, il se rend au souhait de son co-actionnaire E.O. et décide de souscrire une police temporaire dont les primes sont gelées pour dix (10) ans, et ce, même si les primes sont plus élevées dès le départ.

[12]    A.M. donne instruction à Madame Ménard de commencer les démarches pour mettre cette police en vigueur en remplacement de la police qu’il détient et qui expirera en 2017.

[13]    Fin octobre ou début novembre 2014, RBC Assurances, le fournisseur de l’assurance en vigueur, informe André Loisel qu’un avis de remplacement concernant la police d’assurance-vie de son client A.M. a été reçu. Cet avis donné par RBC lui suggère de communiquer avec son client pour conserver cette affaire.

[14]    André Loisel communique alors avec A.M. pour le rencontrer et lui offrir une police d’assurance-vie. Monsieur Loisel prend rendez-vous et la rencontre a lieu le 18 novembre 2014. D’entrée de jeu, l’intimé lui demande de signer un engagement de confidentialité. Cet engagement se lit comme suit[4] :

« Clause de non-divulgation et de confidentialité

Il est entendu que les concepts discutés aujourd’hui sont uniques et ne doivent pas être divulgués aux personnes non autorisées tel d’autres courtiers d’assurance et autres professionnels au milieu de l’assurance sans l’autorisation écrite de Loisel Actuariel.

Cette clause est nécessaire parce que :

a)    Le propriétaire et l’assuré sont liés à Louis Dalbec (beau-frère) et Assurances Dalbec (administrateur au c.a.)

b)    Le propriétaire et l’assuré ont soumis une proposition antérieure avec Valérie Ménard parce que Louis Dalbec (Assurances Dalbec) a signé une entente avec la famille Ménard le rémunérant très bien en partage de revenus si une commission est payée. »

[15]    L’intimé explique les raisons de cet engagement qu’il a demandé à A.M. de signer. Son entreprise a développé un produit logiciel nommé Flexi retraite. Ce produit a nécessité trois (3) ou quatre (4) mois de travail dans son entreprise. Il utilise un produit standard auquel il ajoute des scénarios par lesquels il exploite toutes sortes de possibilités permettant de maintenir la prime la plus basse possible tout en conservant la même couverture. Il y aurait « un million de possibilités et 25 paliers ». Les conversions exigent toutefois des preuves d’assurabilité. Il insiste pour dire que son produit est un produit unique.

[16]    A.M. signe cet engagement de confidentialité et André Loisel lui présente le produit d’assurance qu’il lui propose.

[17]    On comprend qu’au moment où a lieu cette rencontre, les relations entre Monsieur Loisel et Monsieur Dalbec se sont détériorées notamment parce que Monsieur Dalbec n’a pas fait affaire avec lui pour ses besoins personnels en assurance-vie. Monsieur Dalbec était lui aussi un client important parmi les actifs cédés à Monsieur Loisel.

[18]    S’il a fait signer la clause, dit monsieur Loisel, c’est à cause des liens qui existent entre Monsieur Dalbec, A.M. et Madame Ménard. Messieurs Dalbec et A.M. sont des beaux-frères. A.M. siège au conseil d’administration de l’entreprise de Monsieur Dalbec et Madame Ménard est aussi liée à Monsieur Dalbec.

[19]    Ce produit unique dont parle Monsieur Loisel se greffe au produit Trilogie de la compagnie Empire qui lui, est accessible à tous. Ce qu’il utilise, dit-il, c’est en effet le produit que Madame Ménard a proposé à Monsieur M.  Mais, dit-il, il y ajoute le « concept » développé par sa firme. Aucun autre courtier n’utiliserait ce concept selon lui.

[20]    Le 18 novembre 2014, quand il se présente chez A.M. il a en main un « gros cartable noir » qui contient cette proposition unique et qu’il veut protéger par la clause de confidentialité. Ce cartable n’a pas été produit lors de l’audition parce que, dit l’intimé, il l’a détruit dans les jours qui ont suivi la rencontre. Le Comité en ignore donc le contenu.

[21]    A.M. décide de faire affaire avec Monsieur Loisel le jour même de cette rencontre du 18 novembre 2014 considérant la proposition plus avantageuse que celle à laquelle il avait souscrit avec Madame Ménard.

[22]    Monsieur Loisel complète le formulaire de « Proposition d’assurance-vie et maladies graves » pour A.M. La proposition est pour une assurance temporaire et le produit est Trilogie et la compagnie Empire. Le montant de la couverture d’assurance est de 2,5 millions et la prime pour la première année est de 5 543 $.

[23]    Dans les jours qui suivent, les contacts reprennent entre A.M. et Madame Ménard. A.M. témoigne que Madame Ménard lui fait réaliser que le produit que lui propose Monsieur Loisel est le même que celui qu’elle lui avait proposé en juin de la même année, mais dont il ne se souvenait pas.

[24]    Le 9 décembre, A.M. écrit à Madame Ménard pour lui dire qu’il reconnait qu’elle a été la première à lui offrir le produit Trilogie et que c’est à elle que le contrat revient et non pas à Monsieur Loisel. Il signe alors des lettres préparées par Madame Ménard pour révoquer la demande placée par André Loisel auprès d’Empire et la remplacer par une demande au même effet dans laquelle il désigne Madame Ménard comme courtier. C’est Madame Ménard qui complète le préavis de remplacement d’un contrat d’assurance de personnes, le 10 décembre 2014, dans lequel on peut lire ce qui suit :

« Commentaires

Cette section permet de compléter les renseignements inscrits précédemment.  Indiquez notamment si les montants de prestations et de primes indiquées sont fixes, garantis ou non, les primes payables dans 10 ans, à un âge précis, etc.

Tel qu’inscrit ci-haut, ce nouveau contrat a pour but le remplacement de trois (3) contrats :

1-    Contrat RBC - Temporaire 10 ans – Actuellement en vigueur

La prime de renouvellement arrive à échéance et elle augmentera à 24 000 $ (approx).  Le nouveau contrat propose une prime plus basse et ce pour toute la durée dont le client prévoit avoir besoin de la couverture (expectative de 3 à 5 ans).

 

2-    Contrat BMO Assurance – T10 de 2,5 M $ - Actuellement à l’étude

Au préalable, le client préférait souscrire un nouveau T10, afin de geler sa prime pour les 10 prochaines années, nous avons donc soumis une demande chez cet assureur.  Mais après y avoir repensé, il a préféré retourner à l’idée présentée au départ, et souscrire un contrat permanent à prime croissante annuellement chez Empire.  Comme il évalue la durée de son besoin de 3 à 5 ans, il s’agit de la solution la plus économique, si l’on compare avec un T10.

 

3-    Contrat Empire Vie – VU Trilogie de 2,5 M $ (TRA 100) – Actuellement à l’étude

Le client a également présenté une demande pour le même produit que celui comparé dans le présent document, mais via l’entremise d’un autre courtier.  Après réflexions, il a choisi de soumettre son dossier via l’entremise de notre cabinet, et de ne pas donner suite à la demande présentée par l’autre courtier. »[5]

[25]    Ainsi, on remplacera la police en vigueur depuis 2007, et celle souscrite en juin par l’entremise de Madame Ménard par une nouvelle police souscrite par Madame Ménard en décembre 2014.

[26]    Cette police entrera en vigueur le 4 mars 2015.

[27]    Commence en décembre 2015 l’envoi de mises en demeure à Louis Dalbec par l’intimé. La première mise en demeure est du 10 décembre 2014 et se lit comme suit :

« Monsieur Dalbec,

La présente est pour vous informer que je vous réclame la somme de 22 250 $ pour les raisons suivantes :

Bris de contrat pour les polices anciennes et nouvelles, personnelles et corporatives (Camionnage X) d’A.M., qui est également de la famille et un administrateur de votre C.A.

Je vous mets donc en demeure de me payer la somme de 22 250$ dans un délai de 14 jours.  Dans le cas contraire, des procédures judiciaires pourront être intentées contre vous sans autre avis ni délai.

Veuillez agir en conséquence. »[6]

[28]    Suit une deuxième mise en demeure, toujours adressée à Louis Dalbec, le
15 décembre, dans laquelle il réclame cette fois 21 000 $ pour plagiat du « concept utilisé pour les besoins d’assurance de A.M., administrateur de votre société (sic) »[7].

[29]    Monsieur Loisel prétend en effet que ce qu’il a présenté à A.M. le 18 novembre n’est pas ce que Madame Ménard lui avait présenté en juin. Selon lui, Madame Ménard a copié son travail et s’en est servi pour faire la proposition d’assurance à A.M.

[30]    Le 17 décembre, c’est à A.M. qu’il envoie une mise en demeure. Il lui réclame 8 500 $ pour bris de contrat. Cette mise en demeure est suivie d’une poursuite intentée en janvier 2015, en Cour du Québec, Division des petites créances, contre A.M. Il lui réclame la commission qu’il aurait perçue suite à la proposition d’assurance faite lors de la rencontre du 18 novembre 2014.

[31]    Le montant réclamé dans la poursuite est de 18 890 $, réduit à 15 000 $ pour avoir accès aux petites créances. Des allégués de cette poursuite sont en lien avec la plainte :

« 7.   Le ou vers le 18 novembre 2014, le défendeur signait une proposition d’assurance préparée par le demandeur basée sur des concepts uniques offerts par un seul assureur sur le marché, pièce P-3 ;

8.      En ce sens, le défendeur s’est engagé à souscrire la police d’assurance seulement par l’intermédiaire du demandeur ; »[8]

[32]    L’action est amendée pour y ajouter Camionnage X comme défenderesse. On y ajoute un allégué à l’effet que Camionnage X s’est engagée à ne pas prendre l’assurance-vie avec Valérie Ménard.

[33]    Éventuellement l’action est transférée à la Chambre civile de la Cour du Québec à la suggestion du juge de la Division des petites créances. Le juge émet en effet l’avis que la poursuite n’est pas dirigée contre la bonne personne.

[34]     On peut lire ce qui suit au procès-verbal d’audition : « Le dossier est transféré à la chambre civile de la cour du Québec pour y ajouter les nouveaux codéfendeurs en dépit que cela fut discuté lors de la précédente audience et que les procédures ont été rédigées, il semble que celles-ci n’ont toujours pas été signifiées et que A. M., le défendeur n’ait pas été avisé de cette situation et qu’il s’est déplacé ce matin à la Division des petites créances pour apprendre ce transfert. Cette façon de faire du demandeur n’est pas très délicate envers le défendeur. »

[35]    L’intimé a aussi intenté une action en bris de contrat contre Louis Dalbec.

[36]    Les deux actions sont réunies; les défendeurs sont A. M., Valérie Ménard, Louis Dalbec, Camionnage X, Gestion Steval inc. et Assurance Dalbec.

[37]    Le juge Jimmy Vallée j.c.q. rejette cette action le 24 juillet 2019 contre tous les défendeurs. Il rejette aussi la demande reconventionnelle en dommages des défendeurs.

LA REQUÊTE EN REJET DE LA PLAINTE DISCIPLINAIRE

[38]    L’intimé a présenté une requête en rejet de la plainte disciplinaire en vertu de l’article 143.1 du Code des professions. Cette requête a été rejetée par décision du président le 20 février 2019[9]. Certains allégués de cette requête sont pertinents et méritent d’être reproduits puisqu’ils résument l’essentiel de sa défense à l’encontre du deuxième chef de la plainte :

« 3.   L’intimé a institué des procédures judiciaires, afin de protéger ses droits, découlant entre autres, mais sans restreindre, de la pièce P-3;

4.      Les droits de l’intimé lui permettant d’instituer lesdites procédures judiciaires, le libre accès aux tribunaux et le libre exercice de ses droits, sont prévus et protégés tant par les Chartes tant québécoises que canadiennes, des droits et libertés de la personne, que par le C.c.Q.;

7.      De toute évidence, tel qu’il appert de la pièce alléguée comme pièce P-3 à l’appui des procédures judiciaires de l’intimé, il était du droit le plus strict de déconseiller à A.M. de consulter un autre représentant ou une autre personne de son choix;

9.      Au surplus, le syndic ne peut empêcher l’intimé d’exercer ses droits qui lui sont protégés par le Code civil du Québec et les Chartes tant québécoises que canadiennes des droits et libertés de la personne;

19.    Au surplus, la conseillère au dossier, madame Valérie M... (sic) qui a perçu la commission était celle visée à ne pas être consultée par A... M... par l’entente intervenue avec l’intimé puisqu’elle était liée de plusieurs manières à L... D... et à A... M... et qu’elle avait produit un formulaire de remplacement; »

MOTIFS ET DISPOSITIF

Chef d’accusation 1

[39]    À ce chef d’accusation, on reproche à l’intimé d’avoir déconseillé à son client A.M. de consulter un autre représentant en lui faisant signer une clause de non-divulgation et de confidentialité le 18 novembre 2014.

[40]    Cette clause de non-divulgation et de confidentialité fait référence nommément à la représentante Valérie Ménard, qui avait déjà soumis une proposition pour le client A.M. Ce faisant, l’intimé aurait manqué de professionnalisme contrevenant à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et à l’article 28 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[41]    Cet article 28 se lit comme suit :

« 28.  Le représentant ne doit pas déconseiller à un client ou à tout client éventuel de consulter un autre représentant ou une autre personne de son choix. »

[42]    Comme l’écrit la Cour d’appel dans l’arrêt La Mutuelle du Canada, « La clientèle demeure libre de ses choix »[10].

[43]    La législation et la réglementation en matière d’assurance « se soucie[nt] de l’assuré »[11]. En d’autres mots, elle vise la protection de l’assuré par différents mécanismes. Le droit de consulter un autre représentant en est un.

[44]    L’intimé prétend que la clause qu’il a fait signer à A.M. ne visait pas à l’empêcher de consulter un autre représentant mais plutôt à protéger ses droits sur le produit qu’il a développé. Or le comité a comparé l’offre faite par la représentante Ménard en juin 2014 avec le produit présenté par l’intimé au consommateur en novembre 2014 et on ne peut pas y voir le caractère unique auquel prétend l’intimé.

[45]    Si on a présenté un produit unique l’intimé n’en a pas fait la preuve. Il s’agit dans les deux cas du produit Trilogie fourni par Empire et le comité ignore tout de ce qui aurait rendu ce produit unique.

[46]    Mais même en supposant que le courtier présente un produit unique, cela lui permet-il d’interdire au consommateur de consulter un autre représentant? Le comité ne le croit pas. L’article 28 du Code est clair. Si « déconseiller » est un manquement à plus forte raison l’interdiction constitue également un manquement aux obligations imposées par le Code.

[47]    Malgré le fait que l’intimé soit en conflit avec Louis Dalbec, malgré le fait que la clientèle qu’il croyait avoir achetée lui échappe, les obligations de l’intimé envers les consommateurs qui font affaire avec lui demeurent les mêmes. Il ne peut pas les empêcher de consulter un autre représentant.

[48]    Le comité peine à voir dans le produit présenté à A.M. le 18 novembre un « concept unique » comme le prétend l’intimé. La preuve n’a pas été faite que le produit Trilogie présenté en juin par Madame Ménard était différent du Trilogie présenté en novembre par l’intimé.

[49]    L’interdiction de divulguer la proposition présentée à A.M. le 18 novembre à d’autres courtiers d’assurance et autres professionnels en matière de l’assurance va encore plus loin que ce que l’article 28 du Code interdit.

[50]    Cet article interdit de « déconseiller » au client de consulter un autre agent, alors que la clause que Monsieur Loisel fait signer à son client se veut une interdiction pure et simple.

[51]    De toute évidence, l’intimé confond sa relation contractuelle avec Monsieur Dalbec et sa relation professionnelle avec A.M., son client.

[52]    Ainsi, l’intimé argumente que la clause ne vise pas à empêcher le client de faire affaire avec un autre courtier, sauf si ce client devient complice de son vendeur et de l’autre agent, dont il serait l’alter ego.

[53]    À preuve, dit-il, A.M. a fait affaire avec un autre représentant en l’occurrence Madame Ménard. Ce n’est pas ce que prévoit l’article 28 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière. Il suffit de déconseiller pour enfreindre l’article 28. À plus forte raison, l’interdire.

[54]    De l’avis du comité, l’intimé a contrevenu à l’article 28 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière et il sera déclaré coupable pour ce chef.

[55]    En l’application des principes énoncés par la Cour suprême dans l’affaire Kineapple[12], le comité prononcera la suspension conditionnelle de l’accusation sous l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

Chef d’accusation 2

[56]    À ce chef d’accusation, le syndic reproche à l’intimé de ne pas avoir agi avec professionnalisme et d’avoir manqué de modération en intentant une poursuite civile contre le client A.M. pour avoir fait affaire avec un autre représentant.

[57]    Le véritable litige qu’entretient l’intimé, c’est avec Louis Dalbec. Il lui envoie d’ailleurs deux mises en demeure dès les premiers jours de décembre 2014 pour lui reprocher de ne pas respecter l’acte de vente intervenu entre eux. Pourtant, c’est le client A.M. qu’il choisit de poursuivre, convaincu que son client et son vendeur ne font qu’un.

[58]    Dans sa poursuite, l’intimé allègue que son client s’était engagé à souscrire la police d’assurance seulement par son entremise. Il prend prétexte de la vente intervenue avec Louis Dalbec pour réclamer la commission qu’il aurait perçue si A.M. avait choisi de faire affaire avec lui plutôt qu’avec Valérie Ménard.

[59]    Ces allégués des procédures sont sans équivoque. Le différend avec Monsieur Dalbec, vendeur, s’est transporté au client A.M. C’est d’ailleurs ce que le juge de la Cour du Québec, Division des petites créances a constaté : « le dossier à la demande du juge est reporté pour y ajouter d’autres défendeurs, Dalbec et Ménard ».

[60]    L’action sera rejetée contre tous les défendeurs et, comme le comité, le juge constate que les reproches sont dirigés beaucoup plus vers Monsieur Dalbec que vers les autres défendeurs.

[61]    Le fondement de l’action contre A.M. est le fait qu’il ait opté pour donner suite à une nouvelle proposition d’assurance-vie avec Madame Ménard plutôt qu’avec lui.

[62]    Or, comme le juge l’écrit dans son jugement, A.M. était en droit d’agir comme il l’a fait.

[63]    Le juge écrit :

« [80]     Rappelons qu’en leur qualité de clients détenteurs de polices d’assurance‑vie, monsieur M. et C.P. n’appartiennent à personne et ils peuvent décider à tout moment de procéder avec le courtier de leur choix, au détriment de tous les autres.

[81]        Ils ne sont d’aucune façon liée contractuellement à monsieur Loisel ou encore débiteurs d’obligations en sa faveur.

[82]        Par ailleurs, il est vrai que monsieur M. a signé une entente de confidentialité et de non-divulgation des détails de l’offre de l’assureur Empire que lui a faite monsieur Loisel. »[13]

[64]    Puis il ajoute:

« [86]     Le Tribunal se permet d’ajouter que même s’il y avait eu preuve d’une faute quelconque, la réclamation visant les commissions pour la police émise à monsieur É. O., de même que pour celle déjà détenue par monsieur [M.] à titre personnel, ne tiennent absolument pas la route, en plus de n’avoir fait l’objet d’aucune preuve quant à la valeur monétaire. »[14]

[65]    Ce faisant, l’intimé a-t-il tout simplement exercé son droit de s’adresser aux tribunaux comme il le plaide, ou a-t-il manqué de modération, contrevenant à son code de déontologie?

[66]    Qu’est-ce que le professionnalisme et qu’est-ce que la modération? Ce sont là deux concepts qui sont difficiles à définir et qui relèvent à chaque fois du contexte dans lequel les gestes reprochés sont posés.

[67]    Le professionnalisme est la conduite que le public attend d’une personne qui détient le privilège d’exercer une activité qui lui est réservée sinon exclusive.

[68]    La modération est synonyme de mesure dans ses paroles ou dans l’action; c’est le contraire de l’excès.

[69]    Le comité est d’avis que l’intimé a manqué de modération et de professionnalisme en transportant le litige qui l’opposait à son vendeur, Louis Dalbec, à son client A.M. et en décidant de le poursuivre.

[70]    Tout au long de son témoignage devant le comité, l’intimé a réitéré ses griefs envers son vendeur pour justifier sa conduite envers le client A.M. Le comité ne retient pas, comme le prétend l’intimé, qu’il possède un droit absolu de poursuivre un client.

[71]    L’intimé soutient que puisque A.M. n’a pas respecté la clause de non-divulgation, il était dans son droit de le poursuivre. Or, la poursuite réclame le paiement d’une commission et non pas de dommages pour bris de confidentialité. Nous l’avons dit plus haut, le client est toujours libre de décider avec qui il fera affaire à titre de représentant en assurance. Les amalgames que l’intimé a tentés de faire entre son vendeur, son client et la représentante Ménard n’ont pas été prouvés.

[72]    Certes, le droit de s’adresser aux tribunaux pour obtenir une condamnation au paiement d’une somme qui lui est due appartient au représentant comme à tout autre citoyen.

[73]    Toutefois, le représentant lié par son code de déontologie doit faire preuve de modération et de professionnalisme quand il envisage de s’adresser aux tribunaux à l’encontre d’un client.

[74]    De l’avis du comité, la conduite de l’intimé envers A.M. ne rencontre pas ce standard, étant dénuée de tout fondement tant factuel que juridique.

[75]    L’intimé sera donc déclaré coupable pour le chef d’accusation 2 pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

[76]    En l’application des principes énoncés par la Cour suprême dans l’affaire Kineapple[15], le comité prononcera la suspension conditionnelle de l’accusation sous l’article 6 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

POUR CES MOTIFS, le comité de discipline :

Sous le chef d’accusation 1

DÉCLARE l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 28 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3);

ORDONNE la suspension conditionnelle de l’accusation sous l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2);

Sous le chef d’accusation 2

DÉCLARE l’intimé coupable de l’accusation d’avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2);

ORDONNE la suspension conditionnelle de l’accusation d’avoir contrevenu à l’article 6 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r 3);

ORDONNE au secrétaire du Comité de discipline de convoquer les parties à une audition pour entendre la preuve et les représentations des parties sur sanction.

 

 

 

 (S) Me Madeleine Lemieux

_______________________________

Me MADELEINE LEMIEUX

Présidente du Comité de discipline

 

 

(S) Dominique Vaillancourt

                                                                      

Mme DOMINIQUE VAILLANCOURT

Membre du Comité de discipline

 

 

(S) Kaddis Sidaros

                                                                      

M. KADDIS SIDAROS, A.V.A.

Membre du Comité de discipline

 

Me Sylvie Poirier

CDNP AVOCATS INC.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Robert Brunet

BRUNET & BRUNET

Procureurs de la partie intimée

 

 

 

Dates d’audience : 16 et 18 décembre 2019

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]     Pièce P-4.

[2]     Pièce P-3.

[3]     Pièce P-5.

[4]     Pièce P-9a).

[5]     Pièce P-17.

[6]     Pièce P-20.

[7]     Pièce P-21.

[8]     Pièce P-23.

[9]     Chambre de la sécurité financière c. Loisel, 2019 QCCDCSF 23 (CanLII).

[10]    Mutuelle du Canada, compagnie d'assurance-vie c. Djebbari, 1992 CanLII 3559 (QC CA), p. 29.

[11]    Préc., note 10, p. 32.

[12]    R. c. Kineapple, [1975] 1 R.C.S. 729.

[13]    Pièce P-30.

[14]    Pièce P-30.

[15]    Préc., note 12.

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