Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE
CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° : CD00-1426

DATE :

 15 décembre 2020

 

 

 

LE COMITÉ :

 

Me George R. Hendy

M. Jacques Denis, A.V.A., Pl. Fin.

M. Louis-André Gagnon

 

 

Président

Membre

Membre

 

 

SYNDIC DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

 

 

Partie plaignante

 

c.

 

 

CATHERINE MASSE, conseillère en sécurité financière (numéro de certificat 182484)

 

 

 

Partie intimée

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

 

CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L'ORDONNANCE SUIVANTE :

 

Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom et du prénom du consommateur concerné ainsi que de toute information permettant de l'identifier, étant entendu que la présente ordonnance ne s'applique pas aux échanges d'information prévus à la Loi sur l'encadrement du secteur financier et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

[1]          Le 7 décembre 2020, le Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le « Comité ») a procédé à l'audition par visioconférence de la plainte disciplinaire contre l'intimée ainsi libellée :

LA PLAINTE

1.         À Notre-Dame-des-Prairies, le ou vers le 13 septembre 2014 et le ou vers le 1er octobre 2014, l’intimée n'a pas agi avec professionnalisme en ne s’assurant pas que le profil d’investisseur inscrit sur les documents « Your investors profile » et « Votre profil d’investisseur » de son client M.Q. correspondait aux réponses inscrites dans ces documents, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

 2.        À Pointe-Claire, entre le ou vers le 17 février 2015 et le ou vers le 9 août 2019, l’intimée a utilisé la lettre d'autorisation limitée signée par son client M.Q. pour effectuer des transferts interfonds dans les comptes N0s […] et […] sans obtenir au préalable une autorisation spécifique de sa part pour chacun des transferts interfonds, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

 PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[2]          Au début de l'audition, l'intimée (représentée par Me Martin Courville) a plaidé coupable aux deux chefs d'accusation contenus à la plainte, tout en confirmant que son plaidoyer était libre, volontaire et éclairé, et qu'elle était d'accord avec les termes des recommandations conjointes des parties sur sanction ci-après énoncées.

[3]          Le Comité a pris acte de ce plaidoyer de culpabilité, séance tenante, et a déclaré l'intimée coupable des deux chefs d'accusation énoncés ci-haut pour avoir contrevenu à l'article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

[4]          Considérant le principe interdisant les condamnations multiples, le Comité ordonnera la suspension conditionnelle des procédures à l’égard de l'article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

PREUVE DE LA PLAIGNANTE

[5]          Le plaignant, représenté par Me Claude G. Leduc et Me Lucie Vallade, a versé alors au dossier une preuve documentaire qui fut cotée P-1 à P-12. Il ne fit entendre aucun témoin.

[6]          Les faits pertinents de cette affaire ont été résumés en détail comme suit dans un texte conjoint des parties intitulé « Énoncé conjoint des faits » :

1.         L'intimée agit à titre de représentante en assurance de personnes depuis le 1er septembre 2014 minimalement, tel qu’il appert de son attestation de droit de pratique (pièce P-1);

2.         Elle exerce ses activités au sein de l’agence Industrielle Alliance, Assurance et services financiers Inc.;

3.         L’intimée a un antécédent disciplinaire, sans que cela ne constitue une récidive;

4.         En effet, en date du 16 juin 2016, l’intimée a plaidé coupable et a été sanctionnée sur sept (7) chefs de plainte, tel que plus amplement détaillé dans la décision rendue par le Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (ci-après « CSF »), déposée en pièce P-2;

5.         Monsieur M.Q. est un retraité, âgé de 67 ans, en 2014;

6.         L’intimée connaît M.Q. depuis septembre 2014;

7.         Elle le rencontre pour la première fois au domicile de ce dernier le
4 septembre 2014;

8.         Cette première rencontre permet de cibler les besoins et attentes de M.Q.;

Les erreurs de calcul sur les profils « investisseur » de M.Q.

9.         Le ou vers le 13 septembre 2014, l'intimée se rend au domicile de M.Q. afin de lui faire remplir deux propositions de rente différée à primes flexibles, portant respectivement les numéros […] et […] (ci-après les « Propositions »), tel qu’il appert desdites propositions déposées en pièce P-3 en liasse;

10.       Dans le cadre des Propositions, la même journée, l'intimée complète à l’aide et avec le concours de M.Q., un document intitulé « Your investor profile », permettant ainsi de déterminer le profil d’investisseur M.Q. et de cerner et identifier la composition du portefeuille des placements qui seront effectués, tel qu’il appert dudit document, pièce P-4;

11.       Le document est en anglais puisque c’est le seul exemplaire dont disposait l'intimée à ce moment-là;

12.       Alors qu’elle parachève ce document, l'intimée commet une erreur de calcul, qui aboutit à l’établissement d’un profil investisseur ne correspondant aucunement aux réponses apportées par M.Q.;

13.       En effet, le total des points inscrits par l'intimée est 108, ce qui correspond à un « Growth profile », alors que si le calcul avait été adéquatement fait, M.Q. aurait obtenu 51 points, soit un profil modéré;

14.       À titre informatif, la gradation des profils, par ordre croissant de risques, est établie dans la pièce P-4 comme suit :

-       Profil prudent

-       Profil modéré

-       Profil équilibré

-       Profil croissance

-       Profil audacieux

15.       Le profil effectif de M.Q. était donc plus risqué que son profil identifié par les réponses données à P-4, auquel il aurait dû être initialement affilié;

16.       Cette erreur de calcul est aussi visible sur les contrats émis à la suite des Propositions, portant respectivement les numéros […] et […]. De fait, à la case relative au profil d’investisseur, le pointage indiqué est 108, tel qu’il appert desdits contrats, pièce P-5 en liasse;

17.       Le ou vers le 1er octobre 2014, l'intimée rencontre à nouveau M.Q. au domicile de ce dernier;

18.       Lors de cette rencontre, un nouveau profil investisseur au profit de M.Q. est rempli, en français cette fois-ci, dans lequel l'intimée commet la même erreur de calcul, tel qu’il appert du document déposé en pièce P-6;

19.       De fait, le total des points inscrits par l'intimée est à nouveau 108, alors que si le calcul avait été adéquatement réalisé, le montant qui aurait dû être inscrit est 51 et le profil investisseur en découlant devait donc être un profil modéré;

20.       Or, en inscrivant 108 points, le profil investisseur de M.Q. est considéré comme un profil croissant et permet donc de faire des investissements plus audacieux que ceux désirés; 

21        Ces erreurs de calcul imputables à l'intimée auront des conséquences sur les futurs investissements que cette dernière entreprendra dans les comptes de M.Q., tel qu’il appert des tableaux récapitulant les différentes transactions effectuées dans les comptes […] et […] de monsieur M.Q. et de l’ensemble des confirmations de transaction, déposé en pièce P-7 en liasse;

22.       Ainsi, certaines des différentes transactions effectuées par l'intimée ne correspondaient pas aux deux profils d’investisseur P-4 et P-5 de M.Q., soit un profil modéré;

23.       À titre d’exemple, en date du 31 décembre 2015, la distribution du portefeuille de M.Q. correspond à un profil d’investisseur audacieux, allant ainsi à l’encontre du profil modéré auquel il correspond réellement, tel qu’il appert du relevé d’investissement daté du 31 décembre 2015 affilié au contrat […], pièce P-8; 

24.       Le même constat est établi à la lecture du relevé d’investissement daté du 31 décembre 2017 affilié au même contrat, pièce P-9; 

25.       Pour une vue d’ensemble du dossier, l’ensemble des relevés d’investissements, autres que ceux susmentionnés, est déposé en pièce
P-10;

26.       En date du 20 février 2020, lors d’une rencontre avec Me Sandra Robertson, enquêtrice au sein de la CSF, l'intimée reconnaît avoir commis une erreur de calcul sur les deux profils investisseur P-4 et P-6, tel qu’il appert de l’enregistrement de la rencontre, déposé en pièce P-11; 

27.       Au regard des éléments susmentionnés, l'intimée plaide donc coupable au premier chef de plainte porté à son encontre.

Signature de la lettre d’autorisation limitée et transactions effectuées sans autorisation

28.       Tel que susmentionné, le ou vers le 13 septembre 2014, les Propositions (P-3) sont remplies par M.Q. à son domicile;

29.       Le ou vers le 14 septembre 2014, dans le cadre de ces propositions, M.Q. a signé la lettre d’autorisation limitée (ci-après la « Lettre ») en faveur de l'intimée et auprès de l’IA, tel qu’il appert de ladite lettre, pièce P-12;

30.       La Lettre (P-12) autorise l'intimée à fournir, par écrit, des instructions au nom de son client auprès de l’IA;

31.       Il y est aussi mentionné que l’IA s’en remettra à la Lettre pour effectuer des transactions autorisées et demandées par M.Q.;

32.       Cependant, la Lettre prévoit spécifiquement ce qui suit :

« Il est toutefois interdit au représentant d’effectuer des transactions discrétionnaires en votre nom, c’est-à-dire de donner à la Compagnie quelque instruction sans avoir obtenu au préalable une autorisation spécifique de votre part pour chacune des instructions, et rien dans le présent formulaire ne confère au représentant un tel pouvoir ». [Notre soulignement]

33.       De ce fait, l'intimée doit requérir l’autorisation spécifique de M.Q. avant de recourir à quelque transaction que ce soit dans les comptes ouverts par ce dernier;

34.       Entre le 17 février 2015 et le 9 août 2019, l'intimée procède à environ trente-deux (32) transactions dans le compte de M.Q.;

35.       Or, rien au dossier n’indique que l'intimée a effectivement obtenu l’autorisation de son client avant de procéder à ces transactions dans les comptes de ce dernier;

36.       L’intimée reconnaît que plusieurs de ces transactions ont été réalisées de façon discrétionnaire, sans qu’elle n’informe son client de la transaction à venir et n’obtienne son autorisation spécifique pour se faire, bien que dument indiqué à la Lettre;

37.       De plus, lors de sa rencontre avec Me Robertson de la CSF, dont l’enregistrement est déposé en pièce P-11, l'intimée admet qu’elle pensait avoir le droit de faire toute transaction dans les comptes de ses clients et ce, sans obtenir leur consentement au préalable;

38.       L'intimée reconnaît ainsi ne pas avoir demandé systématiquement à M.Q. son autorisation préalable pour effectuer des transactions;

39.       Au regard des éléments susmentionnés, l'intimée a donc effectué des transferts interfonds dans les comptes de M.Q., à plusieurs reprises entre le 17 février 2015 et le 9 août 2019 et ce, sans obtenir préalablement son autorisation, contrevenant ainsi aux mentions indiquées à la Lettre;

40.       Dès lors, l’intimée plaide aussi coupable au second chef de plainte porté à son encontre.

RECOMMANDATIONS COMMUNES SUR SANCTION

[7]          Les parties ont ensuite fait les représentations communes suivantes pour l'imposition des sanctions :

a)            pour le chef 1, une amende de 5 500 $; 

b)            pour le chef 2, une amende de 6 500 $;

c)            une condamnation au paiement des débours prévus à l'article 151 du Code des professions.

[8]          Comme facteurs aggravants, les parties ont souligné :

a)            la gravité objective des infractions, qui vont au cœur de l'exercice de la profession et portent atteinte à celle-ci;

b)            l'antécédent disciplinaire de l'intimée (P-2), dont quelques chefs font état de négligence de la part de l’intimée dans l'exécution de son travail;

c)            la nature répétitive (plusieurs incidents) des transferts interfonds qui n'ont pas été préapprouvés par le client, et qui ont eu lieu sur une période d'environ quatre ans et demi.

[9]          Comme facteurs atténuants, les parties ont souligné le plaidoyer de culpabilité et la collaboration de l'intimée à l'enquête.

[10]       Me Leduc a ensuite référé le Comité à la jurisprudence suivante démontrant que, dans des cas similaires, les sanctions suggérées étaient jugées appropriées, en considérant les faits particuliers de cette cause et l'antécédent disciplinaire de l'intimée :

a)            Chambre de la sécurité financière c. Gilbert, 2013 CanLII 43410 (QC CDCSF)

b)            Chambre de la sécurité financière c. Talbot, 2018 QCCDCSF 56

c)            Chambre de la sécurité financière c. Brisson, 2019 QCCDCSF 42

ANALYSE ET MOTIFS

[11]       Le Comité adopte les recommandations des parties pour les raisons suivantes :

a)            il s'agit d'infractions objectivement graves, qui vont au cœur de l'exercice de la profession;

b)            l'erreur de l'intimée quant au chef 1 a été répétée à deux reprises et sa conduite répétitive quant au chef 2 a perduré pendant une période de presque quatre ans et demi; 

c)            l'intimée a un antécédent disciplinaire qui comprenait  sept chefs d'accusation concernant des faits survenus en 2012;

d)            l'intimée a collaboré avec l'enquête et a enregistré un plaidoyer de culpabilité;

e)            les recommandations conjointes des parties respectent le principe de la parité et de la globalité des sanctions, et apparaissent conformes aux précédents jurisprudentiels généralement applicables, y compris la jurisprudence ci-haut citée;

f)             finalement, ces recommandations conjointes ne sont pas susceptibles de déconsidérer l'administration de la justice ni ne sont contraires à l'intérêt public.

[12]       Considérant ce qui précède, après révision des éléments, tant objectifs que subjectifs, atténuants qu'aggravants qui lui ont été présentés, le Comité est d'avis que l'imposition des sanctions recommandées par les parties constituerait des sanctions justes et appropriées, adaptées auxdites infractions, conforme aux précédents jurisprudentiels applicables, ainsi que respectueuse des principes d'exemplarité et de dissuasion dont il ne peut faire abstraction.

[13]       En conséquence, le Comité imposera les sanctions ci-haut décrites recommandées par les parties.

[14]       Quant aux débours, aucun motif ne lui ayant été soumis qui lui permettrait de passer outre à la règle habituelle voulant que les débours nécessaires à la condamnation du représentant fautif lui soient généralement imputés, le Comité condamnera l'intimée au paiement des débours en vertu de l'article 151 du Code des professions.

 

PAR CES MOTIFS, le Comité de discipline :

RÉITÈRE l'ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom et du prénom du consommateur concerné ainsi que de toute information permettant de l'identifier, étant entendu que la présente ordonnance ne s'applique pas aux échanges d'information prévus à la Loi sur l'encadrement du secteur financier et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

ACCUEILLE le plaidoyer de culpabilité enregistré par l'intimée;

DÉCLARE l'intimée coupable des chefs 1 et 2 de la plainte pour avoir contrevenu à l'article16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, et ordonne la suspension conditionnelle des procédures concernant l'article 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

ET, PROCÉDANT SUR SANCTION :

CONDAMNE l'intimée comme suit :

a)            à une amende de 5 500 $ quant au chef 1 de la plainte;

b)            à une amende de 6 500 $ quant au chef 2 de la plainte;

c)            au paiement des débours prévus à l'article 151 du Code des professions;

PERMET la notification de la présente décision à l'intimée par moyen technologique conformément à l’article 133 du Code de procédure civile, à savoir par courrier électronique.

  

 

 

 

 

(S) Me George R. Hendy

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Me George R. Hendy
Président du Comité de discipline

(S) Jacques Denis 

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M. Jacques Denis, A.V.A., Pl. Fin.
Membre du Comité de discipline

(S) Louis-André Gagnon 

_____________________________________
M. Louis-André Gagnon
Membre du Comité de discipline

Me Claude G. Leduc
Me Lucie Vallade
MERCIER LEDUC
Procureurs de la partie plaignante

Me Martin Courville
AD LITEM AVOCATS, s.e.n.c.r.l.
Procureurs de la partie intimée

Date d'audience : 7 décembre 2020

 

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