Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1370

 

DATE :

3 juin 2020

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

M. Christian Fortin

Membre

M. Bruno Therrien, Pl. Fin.

Membre

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SYNDIC DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

Partie plaignante

c.

CAROLLE FERLAND (certificat numéro 133203, BDNI 1598301)

Partie intimée

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DÉCISION SUR SANCTION

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LE COMITÉ A RÉITÉRÉ l’ORDONNANCE PRONONCÉE CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS LORS DE LA CULPABILITÉ :

         Non-divulgation, non-diffusion et non-publication du nom et prénom du consommateur impliqué dans la présente plainte, ainsi que de toute information personnelle permettant de l’identifier.

[1]          Le 5 mai 2020, le comité de discipline (le comité) de la Chambre de la sécurité financière (CSF), avec le consentement des parties, a procédé par vidéoaudience à l’audition sur sanction, à la suite de sa décision sur culpabilité rendue le 23 octobre 2019.

[2]          Par cette décision, l’intimée a été déclarée coupable sous l’unique chef d’accusation de la plainte portée contre elle pour avoir contrevenu à l’article 18 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[3]          La plaignante était représentée par Me Jean-Simon Britten.

[4]          Tout comme pour la culpabilité, l’intimée était présente et se représentait seule.

LA PREUVE

[5]          Comme preuve supplémentaire, Me Britten a déposé les décisions rendues contre l’intimée en 2011 par une autre formation du comité de discipline de la CSF, par lesquelles elle a été déclarée coupable et sanctionnée pour contrefaçon de signature[1].

[6]          Pour sa part, l’intimée, dûment assermentée, a témoigné. Au soutien, l’intimée a transmis au cours de l’audience cinq documents. Un de ceux-ci comportait deux déjà produits par le plaignant lors de la culpabilité. Il a donc été convenu de plutôt référer à ces derniers (P-6 et P-9).

[7]          Quant à un des quatre autres documents, le comité a accueilli l’objection de
Me Britten au motif de non-pertinence. Comme l’intimée n’a pas référé par la suite à ses autres documents et afin d’éviter toute confusion à cet égard, le comité a précisé que ceux-ci ne faisaient donc pas partie de la preuve, s’avérant au surplus non pertinents. 

REPRÉSENTATIONS DU PLAIGNANT

[8]           Me Britten a fait part que le syndic recommandait d’ordonner la radiation temporaire de l’intimée, et ce, pour une période d’un à trois ans, avec prise d’effet au moment où l’intimée reprendra son droit de pratique et que l’autorité compétente émettra un certificat en son nom, le cas échéant.

[9]           Quant à la publication d’un avis de la décision, celle-ci devrait être faite au même moment que la prise d’effet de la radiation. Enfin, il a demandé la condamnation de l’intimée au paiement des déboursés.

[10]        Au titre des facteurs aggravants et atténuants, il a allégué la gravité objective de l’infraction qui se trouve au cœur de l’exercice de la profession, le représentant se devant de conserver son indépendance en tout temps.

[11]        Il a évoqué notamment la longue expérience de l’intimée qui aurait dû la prévenir de commettre ces gestes. À son avis, ce type d’infraction réfère à l’intégrité du représentant, tout comme celle de contrefaçon de signature, pour laquelle infraction l’intimée a été reconnue coupable en 2011 (SP-1).

[12]        Quant à l’expression de remords, Me Britten met en doute la sincérité de ceux exprimés par l’intimée. Selon le témoignage qu’elle a rendu à l’audience tant sur culpabilité que sur sanction, l’intimée a plutôt démontré ne pas avoir une réelle compréhension de l’importance des gestes qu’elle a posé, comme l’avait d’ailleurs relevé le comité dans sa décision sur culpabilité. En dépit de sa déclaration voulant qu’elle comprît ce que voulait dire « préserver son indépendance », l’intimée n’a cessé de se dire victime et faire porter les torts au consommateur, soutenant que cette plainte résultait du conflit matrimonial entre lui et sa conjointe.

[13]        Bien que l’intimée n’exerce plus depuis le 30 avril 2017 dans les domaines qui sont de la compétence du comité de discipline de la CSF, Me Britten a dit s’interroger sur le risque potentiel de récidive, advenant le cas où l’intimée revenait dans l’exercice de la profession.

[14]        Même si reconnaissant que la décision antérieure rendue contre l’intimée ne constitue pas une récidive, mais un antécédent, il a allégué que tant l’infraction relative à la falsification de signature pour laquelle l’intimée a été déclaré coupable antérieurement que celle de conflit d’intérêt en l’espèce, remettent en cause l’intégrité du représentant. Il a fait valoir que c’est en 2013, soit à peine deux ans après la décision rendue quant à la falsification de signature, que l’intimée a commis cette infraction de conflit d’intérêts laquelle est également liée à son intégrité.  À son avis, ce dernier élément ajoute à la gravité de l’infraction commise en l’espèce.

[15]        Quant aux facteurs atténuants, il a mentionné qu’il s’agit d’une seule infraction et qu’il y a absence de préjudice pour le consommateur, celui-ci ayant même tiré un certain profit puisqu’il a perçu les intérêts convenus lors du remboursement dudit prêt.

[16]        Me Britten a par ailleurs concédé qu’il n’y avait pas de preuve d’intention malhonnête de la part de l’intimée.

[17]        Quant à la décision Pop[2] qu’il a soumise, l’intimé a été radié temporairement pour une année. Tout comme dans le présent cas, la plainte comportait un seul chef de conflit d’intérêts. Cet intimé avait emprunté 20 000 $ à son client. Le plaignant réclamait une période de radiation temporaire de cinq ans alors que l’intimé proposait cinq mois. Comme en l’espèce, il s’agissait d’un acte isolé et il y avait absence d’intention malhonnête ou frauduleuse. Toutefois, cet intimé Pop a plaidé coupable évitant au consommateur de témoigner, n’avait pas d’antécédent disciplinaire et avait exprimé des remords sincères. Aussi, bien qu’il n’y ait pas eu remboursement, cet intimé avait tenté de le faire à la suite de la plainte disciplinaire déposée contre lui par le syndic de la CSF. Toutefois le consommateur avait refusé le chèque que le procureur de l’intimé lui a fait livrer.  

[18]        Le comité dans cette affaire, précisant que cet emprunt ne se trouvait pas dans un contexte d’appropriation[3], s’est éloigné de la recommandation des deux parties et a conclu à une radiation temporaire d’un an. Me Britten a néanmoins insisté qu’il y avait plusieurs facteurs atténuants contrairement au présent cas et que cette période de radiation se trouvait au bas de la fourchette des sanctions normalement ordonnées pour ce type d’infraction.

[19]        Dans Lévesque[4], la deuxième affaire soumise à l’appui de sa recommandation, l’emprunt était plus élevé que dans le présent dossier. L’intimé Lévesque avait emprunté 60 000 $ de son client pour relancer son entreprise et a reconnu qu’il aurait pu procéder autrement. Il y avait absence d’antécédent disciplinaire, l’expression de remords sincères et une reconnaissance non-équivoque de la part de l’intimé qu’il n’aurait pas dû agir de cette façon. Toutefois, il possédait aussi une longue expérience et n’a remboursé que la moitié du prêt, faisant subir au consommateur une perte d’environ 28 000 $. Le plaignant recommandait une période de radiation de trois ans que l’intimé contestait, sans toutefois soumettre de recommandation. Le comité a conclu à une période de radiation temporaire de trois ans.

[20]        Quant à la collaboration des intimés à l’enquête, Me Britten a indiqué que cet élément devait être ignoré, car ce faisant, les représentants ne font que remplir leurs obligations à ce titre.

[21]        Enfin, Me Britten a conclu qu’en l’espèce la période de radiation devait se rapprocher davantage de la période de trois ans, car l’infraction en cause est relative à l’intégrité du représentant. Aussi, l’intimée possède un antécédent et n’a pas exprimé de remords sincères.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉE

[22]        L’intimée a fait valoir que l’intimé Pop, contrairement à elle, n’avait signé aucun contrat avec le client et selon le témoignage de cet intimé seule une date présumée de remboursement avait été prévue. Elle a non seulement signé un contrat avec le consommateur, mais les conditions y étaient détaillées. Elle a fait valoir également que l’intimé Pop n’avait offert de rembourser qu’au moment où il avait reçu la plainte du syndic alors qu’elle a procédé au remboursement en totalité et versé les intérêts convenus au contrat bien avant le dépôt de quelque plainte que ce soit contre elle par le consommateur. Ainsi, elle a soutenu que son intégrité ne pouvait être remise en cause.

[23]        Quant à l’intimé Lévesque, elle a rappelé qu’il n’a pas remboursé l’emprunt dans sa totalité. Ainsi, contrairement à la présente affaire, les consommateurs impliqués dans Pop et Lévesque, ont subi des pertes.

[24]        Elle a déclaré avoir toujours agi dans l’intérêt de ses clients et de bonne foi. Elle a réitéré ne pas avoir l’intention de pratiquer à nouveau.

[25]        Elle a ajouté que la publication de la décision sur culpabilité rendue contre elle en 2011, lui avait causé beaucoup de tort dans sa communauté.

[26]        Enfin, l’intimée a fait valoir que la réprimande, l’amende, et la radiation, bien que constituant les sanctions prévues par la loi, le choix de celles-ci restait à la discrétion du comité. Comme l’emprunt n’a pas été soulevé dans la plainte du consommateur, elle a demandé au comité de lui imposer qu’une réprimande et de la dispenser du paiement des déboursés.

RÉPLIQUE DU PLAIGNANT

[27]        En réplique, Me Britten a réitéré ses arguments et a souligné qu’en l’espèce, l’intimée était celle qui a sollicité cet emprunt à son client.

ANALYSE ET MOTIFS

[28]        Au moment des événements, l’intimée exerçait depuis 1991. Elle a commencé à exercer dans la discipline d’assurance de personnes et par la suite a ajouté à son certificat celle de la planification financière, de l’assurance de dommages et de courtage en épargne collective.

[29]        En 2017, l’intimée n’a pas renouvelé son certificat. Elle n’exerce donc plus dans aucune des disciplines sous l’égide du comité de discipline de la CSF.

[30]        L’attestation de droit de pratique de l’intimée (P-1) révèle que trois conditions d’une durée de deux ans lui ont été imposées relativement au certificat qu’elle détenait dans les disciplines de l’assurance de personnes, de l’assurance collective de personnes et de la planification financière le 11 novembre 2011. Celles-ci lui ont été imposées à la suite de sa radiation temporaire de trois mois ordonnée la même année par le Comité de discipline de la CSF:

a)     Elle ne pouvait agir à titre de dirigeante responsable ou administratrice d’un cabinet pendant la période de deux ans, cette condition devant être retirée à la réception d’un jugement de libération de la faillite;

b)     Elle devait également exercer sous la supervision d’une autre personne pendant environ deux ans;

c)      Elle ne devait pas non plus agir comme superviseur pour une autre personne dans le domaine des services financiers. Cette dernière condition, tout comme l’autre, devait être retirée advenant la libération de faillite.

[31]        L’intimée vivait donc des difficultés financières, à tout le moins encore en 2011.

[32]        Dans les circonstances, le comité convient avec le procureur du syndic qu’un potentiel risque de récidive est à craindre advenant la réinscription de l’intimée, la preuve ayant démontré qu’elle a commis l’infraction en l’espèce à l’expiration de ces deux ans en empruntant à son client dès 2013.

[33]        Aussi, en dépit des explications que le comité a fourni à l’intimée sur la distinction à faire entre les reproches contenus dans la plainte d’un consommateur et ceux soulevés dans la plainte disciplinaire par le syndic, l’intimée a insisté, tant à l’audience sur culpabilité qu’à celle sur sanction, sur le fait que celle du consommateur ne reprochait pas l’emprunt. Qui plus est, l’intimée s’est posée en victime voulant faire porter le blâme à son client alléguant notamment la situation matrimoniale de ce dernier.    

[34]        Elle a, en outre, persisté à nier que ses gestes constituaient une infraction disciplinaire réitérant qu’elle avait fait un contrat en bonne et due forme lequel faisait échec au conflit d’intérêts, et ce, nonobstant les explications répétées du comité sur la notion de conflit d’intérêts et de l’obligation du représentant de sauvegarder en tout temps son indépendance.

[35]        De toute évidence, l’intimée ne saisit pas la gravité de son geste. Le représentant qui emprunte à son client se place en situation de conflit d’intérêts s’exposant potentiellement à choisir entre son intérêt et celui de son client, ce qui est contraire à ses obligations déontologiques et susceptible de miner la confiance du public envers les représentants.

[36]        Force est de constater que l’intimée n’a pas appris de ses expériences disciplinaires de telle sorte qu’advenant sa réinscription, un risque de récidive ne peut être écarté.

[37]        Contrairement aux affaires Pop et Lévesque, l’intimée possède un antécédent disciplinaire qui remonte à peine deux ans avant la commission de l’infraction de la présente plainte. Sa longue expérience professionnelle ainsi que cet antécédent, auraient certes dû la prémunir de commettre cette infraction. 

[38]        Le comité retient cependant que l’intimée a remboursé dans sa totalité l’emprunt fait à son client, en plus de verser les intérêts convenus. Il y a ainsi absence de préjudice financier pour le consommateur.

[39]        Ces derniers éléments ne sont pas négligeables et se distinguent des cas Pop et Lévesque cités au soutien de la recommandation du syndic, sans oublier que l’intimée avait, au préalable, conclu avec le consommateur un contrat écrit pour cet emprunt moyennant des conditions. Advenant le non-remboursement par l’intimée, l’existence de cet écrit était de nature à faciliter la réclamation du client, le cas échéant.  

[40]        Par conséquent, tenant compte des faits propres à la présente affaire ainsi que des facteurs aggravants et atténuants, le comité ordonnera la radiation temporaire de l’intimée pour une période de deux ans, laquelle ne prendra effet qu’au moment de sa demande de réinscription auprès de l’Autorité des marchés financiers ou de toute autre autorité compétente.

[41]        La publication de l’avis de la décision sera également ordonnée et devra être faite au moment de la prise d’effet de la radiation.

[42]        L’intimée n’ayant pas démontré de circonstances exceptionnelles qui permettrait au comité de déroger à la règle voulant que la partie qui succombe assume les déboursés, elle sera condamnée à leur paiement.

 

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE ORDONNER la non-divulgation, la non-publication et la non-diffusion du nom et prénom du consommateur impliqué dans la présente plainte, ainsi que de toute information personnelle permettant de l’identifier;

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimée pour une période de deux ans sous l’unique chef de la plainte, laquelle débutera au moment où l’intimée reprendra, le cas échéant, son droit de pratique et que l’autorité compétente émettra un certificat en son nom;

ORDONNE au secrétaire du comité de faire publier, conformément aux dispositions de l’article 156, al. 7 du Code des professions (RLRQ, c. C-26), aux frais de l’intimée, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où cette dernière a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où elle a exercé ou pourrait exercer sa profession;

ORDONNE au secrétaire du comité de ne procéder à cette publication qu’au moment où, le cas échéant, l’intimée reprendra son droit de pratique et que l’autorité compétente émettra un certificat en son nom;

CONDAMNE l'intimée au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l'article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

 

_(s) Me Janine Kean________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

 

_(s) Christian Fortin_________________

M. Christian Fortin

Membre du comité de discipline

 

 

 

_(s) Bruno Therrien_________________

M. Bruno Therrien, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

 

Me Jean-Simon Britten

THERRIEN COUTURE JOLI-CŒUR s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimée se représentait seule.

 

Date d’audience :

Le 5 mai 2020

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 

 



[1] SP-1. CSF c. Ferland, 2011 CanLII 99466 (QC CDCSF), décisions sur culpabilité du 3 janvier 2011 et sur sanction du 20 juillet 2011.

[2] CSF c. Pop, 2016 QCCDCSF 51 (CanLII), décision sur culpabilité et sanction du 6 décembre 2016.

[3] Ibid paragraphes 65 à 69.

[4] CSF c. Lévesque, 2017 QCCDCSF 84, décision sur culpabilité et sanction du 13 décembre 2017.

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