Chambre de la sécurité financière (Québec)

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 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

C A N A D A

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1418

 

DATE :

16 juillet 2020

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Marco Gaggino

Président

M. André Noreau

M. Pierre Masson, A.V.A., Pl. Fin.

 Membre

 Membre

 

 

 

SYNDIC DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

Plaignant

c.

 

JEAN-FRANÇOIS FLYNN, conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective (certificat numéro 112347, BDNI 1635881)

 

Intimé

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ PRONONCE L’ORDONNANCE SUIVANTE :

Ordonnance de non-divulgation, non-diffusion et non-publication du nom et prénom du consommateur impliqué dans la plainte disciplinaire, ainsi que de toute information qui permettrait de l’identifier, étant entendu que la présente ordonnance ne s’applique pas aux échanges d’information en vertu de la Loi sur l’encadrement du secteur financier[1] et de la Loi sur la distribution de produits et services financiers[2].

[1]           L’intimé est cité devant le Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le « Comité ») à la suite d’une plainte disciplinaire du 6 avril 2020, libellée comme suit :

1.    À Montréal, entre le 25 juillet 2019 et le 29 août 2019, l’intimé n’a pas agi avec respect, modération et dignité dans ses communications avec D.D., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers et 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières.

 

[2]           Le Comité s’est réuni le 23 juin 2020 pour procéder à l’audience sur culpabilité de cette plainte.

[3]           Le plaignant était alors représenté par Me Julie Piché et l’intimé, bien que présent, était non représenté.

[4]           Au début de l’audience, les parties ont indiqué au Comité que l’intimé désirait enregistrer un plaidoyer de culpabilité à l’égard de l’unique chef d’infraction contenu à la plainte disciplinaire, et ce, pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers[3].

[5]           Après avoir confirmé auprès de l’intimé son intention d’enregistrer ce plaidoyer de culpabilité, le Comité a déclaré celui-ci, séance tenante, coupable de l’unique chef d’infraction contenu à la plainte disciplinaire.

I- LES FAITS

[6]           De consentement avec l’intimé, la procureure du plaignant a déposé les pièces
P-1 à P-6 et a procédé à exposer les faits à la base de l’unique chef d’infraction contenu à la plainte disciplinaire.

[7]           L’intimé a par ailleurs témoigné à l’issue de cet exposé.

[8]           Le Comité retient ce qui suit des faits qui lui ont été présentés.

[9]           L’intimé âgé de 52 ans, détient un certificat en assurance de personnes pour la période allant de 1991 à 1994 puis, de 2010 jusqu’à ce jour. Depuis 1994, il est également inscrit à titre de représentant pour un courtier en épargne collective.

[10]        L’intimé n’a aucun antécédent disciplinaire.

[11]        Au moment des faits reprochés, D.D. était cliente de l’intimé, et ce, depuis une dizaine d’années.

[12]        Dans le cadre de cette relation d’affaires, l’intimé s’occupait, sans frais, des déclarations d’impôts de la consommatrice et de sa fille.

[13]        Le 19 juillet 2019, D.D. avise l’intimé par téléphone qu’elle fera désormais affaire avec la Banque Nationale pour ses placements.

[14]        L’intimé prend très mal cette décision et, à partir de ce moment, un véritable « bras de fer » s’engage entre l’intimé et D.D., et ce, tel qu’en fait foi l’échange de courriels qui s’amorce alors entre eux[4].

[15]        Ainsi, D.D. demande à l’intimé de lui faire parvenir ses documents d’impôts ainsi que ceux de sa fille.

[16]         L’intimé réplique en posant comme condition que la consommatrice lui fasse préalablement parvenir une somme de 150,00 $ pour le travail accompli en 2019 pour ses impôts et ceux de sa fille.

[17]        D.D. répond qu’elle paiera ce qu’elle doit à l’intimé lorsqu’elle aura reçu les documents demandés.

[18]        Le ton et le contenu des courriels de l’intimé dégénèrent à compter de ce moment.

[19]        Ainsi, dans un courriel du 25 juillet 2019 à 14:29, l’intimé menace D.D. d’amender ses rapports d’impôts s’il ne reçoit pas la somme exigée :

« […] Si tu veux pas que jamende tes impots tel que discute, paye-moi mon $150 aujourd’hui … les impôts de ta fille a bc [Colombie-Britannique] c’est gratuit tu penses ??? » [sic]

[20]        Le même jour, à 19:39, l’intimé écrit :

« tu sais quoi [D.] garde ton argent et transfère au plus vite … bonne chance … pas peur je suis un gars honnête et intègre … je m’en rappellerai … » [sic]

[21]        Puis, le 27 juillet 2019 à 8:05, l’intimé s’adresse ainsi à D.D. :

« Si tu veux récupérer tes recus avant que je fasse le ménage ds ma boite d’impots, tu me payes le montant pas cher en passant de $150 + $10 de frais de poste. » [sic]

[22]        À 9:41, l’intimé transmet un autre courriel à D.D., lequel contient les propos suivants :

« Dernière chose … Si tu étais intelligente tu changerais de représentant en gardant Rbc et Bmo … Tu n’aurais aucun frais […]. » [sic]

[23]        Le 7 août 2019, D.D. se voit contrainte de transmettre une mise en demeure à l’intimé afin de récupérer, notamment, ses documents d’impôts ainsi que ceux de sa fille[5].

[24]         Il est à noter que dans cette mise en demeure, D.D. prétend que l’intimé est responsable des frais d’entrée et de sortie qu’elle a dû assumer depuis 2007 et qui s’élèvent à la somme de 3 037,72 $.

[25]        Par ailleurs, D.D. porte plainte auprès de la Chambre de la sécurité financière (la « Chambre ») relativement aux agissements de l’intimé.

[26]        À cet égard, le ou vers le 28 août 2019, la Chambre fait parvenir à l’intimé un avis d’ouverture de dossier[6].

[27]        L’intimé transmet alors un courriel à D.D. le 29 août 2019[7], dans lequel il mentionne ce qui suit :

« wow merci [D.] pour la plainte … C’est la première depuis 1993 que j’ai … j’étais parti en vacance jusqu’à mercredi passe … Tes reçus ds la poste … » [sic]

[28]        Dans le cadre de son témoignage, l’intimé a fait part au Comité qu’il ne cesse de penser à cette plainte, son dépôt l’ayant grandement affecté.

[29]        Cependant, cette plainte lui a fait prendre conscience du manque de professionnalisme dont il a fait preuve dans le cadre de ses échanges avec D.D., alors que celle-ci avait parfaitement le droit de transférer ses placements auprès d’une autre institution.

[30]        Il reconnaît ainsi être responsable du « bras de fer » entre lui et la consommatrice.

[31]        Par ailleurs, l’intimé ajoute avoir contacté D.D. pour s’excuser et, dans un geste de bonne foi, lui avoir offert d’assumer la moitié des frais de sortie que la consommatrice a engagés pour le transfert de ses placements.  

II- RECOMMANDATION COMMUNE SUR SANCTION

[32]        Les parties recommandent au Comité d’imposer à l’intimé une réprimande sous l’unique chef d’infraction de la plainte disciplinaire portée contre lui en plus du paiement des déboursés.

[33]        Afin de justifier cette sanction, la procureure du plaignant a fait état des facteurs atténuants et aggravants devant guider le Comité.

[34]        À cet effet, la procureure du plaignant a référé aux facteurs atténuants suivants :

-       L’intimé a admis les faits de même que sa responsabilité;

-       Il a offert une excellente collaboration à l’enquête du syndic;

-       Il a exprimé des regrets sincères;

-       Il n’a pas d’antécédents disciplinaires, et ce, en 25 ans de carrière;

-       L’intimé a plaidé coupable à la première occasion;

-       L’infraction ne vise qu’un seul consommateur et s’étend sur un espace de temps restreint, soit quatre (4) semaines;

-       D.D. n’a jamais eu à débourser la somme de 150,00 $ réclamée par l’intimé;

-       L’intimé a payé la somme de 1 520,00 $ à la consommatrice pour éponger une partie des frais de sortie découlant du transfert de ses fonds;

-       Il s’est excusé auprès de la consommatrice, laquelle n’a subi aucun préjudice;

-       Les documents demandés par la consommatrice lui ont été remis.

[35]        Par ailleurs, la procureure du plaignant soumet que les gestes posés par l’intimé sont néanmoins de nature à discréditer la profession.

[36]        La procureure du plaignant a également référé à certaines décisions afin de démontrer que la sanction recommandée se situe dans la fourchette des sanctions imposées pour des infractions similaires :

-       Chambre de la sécurité financière c. Turcotte, 2001 CanLII 27752 (QC CDCSF) (Amende de 600,00 $). 

-       Chambre de l’assurance de dommages c. Guertin, 2010 CanLII 9220 (QC CDCHAD) (Amende de 1 000,00 $).

-       Chambre de la sécurité financière c. Arbour, 2015 QCCDCSF 25 (CanLII) (Amende de 2 000,00 $).

[37]        Ainsi, dans  ces affaires, l’amende minimale applicable à l’époque de l’infraction a été imposée.

[38]        Par ailleurs, dans chacun de ces cas l’intimé avait enregistré un plaidoyer de non-culpabilité, ce qui les distingue du présent dossier.

[39]        Conséquemment, la procureure de plaignant soumet que l’imposition d’une amende à l’intimé n’est pas appropriée considérant le plaidoyer de culpabilité de celui-ci et les nombreux facteurs atténuants applicables en l’espèce.

III- ANALYSE ET MOTIFS

[40]        Lorsque des sanctions sont suggérées conjointement par les parties, le Comité n’a pas à s’interroger sur la sévérité ou la clémence de celles-ci. Il doit y donner suite, sauf s’il les considère contraires à l’intérêt public ou si elles sont de nature à déconsidérer l’administration de la justice, et ce, tel que la Cour suprême l’a rappelé[8] :

« [31]         Après avoir examiné les diverses possibilités, je crois que le critère de l’intérêt public, tel qu’il est développé dans les présents motifs, est celui qui s’impose. Il est plus rigoureux que les autres critères proposés et il reflète le mieux les nombreux avantages que les recommandations conjointes apportent au système de justice pénale ainsi que le besoin correspondant d’un degré de certitude élevé que ces recommandations seront acceptées. De plus, il diffère des critères de " justesse " employés par les juges du procès et les cours d’appel dans les audiences classiques en matière de détermination de la peine et, en ce sens, il aide les juges du procès à se concentrer sur les considérations particulières qui s’appliquent lors de l’appréciation du caractère acceptable d’une recommandation conjointe. Dans la mesure où l’arrêt Douglas prescrit le contraire, j’estime avec égards qu’il est mal fondé et qu’il ne devrait pas être suivi. »

 

[41]        Il s’agit donc d’un seuil élevé qui ne peut être franchi à la légère, par exemple parce que le décideur considère qu’il aurait plutôt imposé une autre sanction en appliquant les critères usuels de détermination de la sanction.

[42]        Par ailleurs, cela n’empêchera pas un comité d’intervenir si, à première vue, il y a une telle disproportion entre la sanction suggérée et celle normalement applicable, que celle-ci devient controversée et semble porter atteinte à l’intérêt public ou à l’administration de la justice.

[43]        Dans ce cas, le comité devrait demander des explications sur les considérations et les concessions qui sont à la base de la recommandation commune. À cet effet, la Cour suprême précise ainsi cette démarche :

« [53]         Troisièmement, en présence d’une recommandation conjointe controversée, le juge du procès voudra sans aucun doute connaître les circonstances à l’origine de la recommandation conjointe, en particulier tous les avantages obtenus par le ministère public ou toutes les concessions faites par l’accusé. Plus les avantages obtenus par le ministère public sont grands, et plus l’accusé fait de concessions, plus il est probable que le juge du procès doive accepter la recommandation conjointe, même si celle‑ci peut paraître trop clémente. Par exemple, si la recommandation conjointe est le fruit d’une entente par laquelle l’accusé s’engage à prêter main‑forte au ministère public ou à la police, ou si elle reflète une faille dans la preuve du ministère public, une peine très clémente peut ne pas être contraire à l’intérêt public. Par contre, si la recommandation conjointe ne découlait que du constat de l’accusé qu’une déclaration de culpabilité était inévitable, la même peine pourrait faire perdre au public la confiance que lui inspire le système de justice pénale. »[9]

 

[44]        C’est selon ces critères que le Comité examinera la recommandation commune des parties, et ce, afin de déterminer si celle-ci est contraire à l’intérêt public ou à l’administration de la justice.

[45]        Les parties suggèrent au Comité d’imposer à l’intimé une réprimande sous l’unique chef d’infraction contenu à la plainte disciplinaire portée contre lui.

[46]        Le Comité considère qu’il n’y a pas de disproportion telle entre la sanction recommandée par les parties et la gravité objective des gestes qui permettrait de croire que l’intérêt public en serait affecté.

[47]        En effet, sans amoindrir l’importance pour un professionnel d’agir avec respect, modération et dignité dans ses communications avec son client, force est de constater que, dans la présente affaire, de nombreux facteurs militent en faveur de la sanction recommandée par les parties.

 

[48]        Ainsi, le Comité retient particulièrement le fait que l’intimé, qui a une longue expérience sans antécédents disciplinaires, a reconnu sa responsabilité à la première occasion, qu’il a collaboré de façon exemplaire à l’enquête du syndic et qu’il a plaidé coupable.

[49]        De même, les gestes reprochés à l’intimé ne visent qu’un seul consommateur et se sont étalés sur une courte période de temps.

[50]        Finalement, l’intimé a présenté ses excuses à la consommatrice et il a même défrayé la moitié des frais de sortie encourus par celle-ci dans le cadre du transfert de ses fonds, et ce, alors que l’intimé ne fait l’objet d’aucune accusation disciplinaire à cet égard.

[51]        Par ailleurs, le Comité a été à même de constater l’introspection et les regrets sincères formulés par l’intimé dans le cadre de son témoignage.

[52]        L’ensemble de ces éléments laisse croire que l’intimé, tel que l’a exprimé la procureure du plaignant, a « compris la leçon » et que les risques de récidive de sa part sont minimes.  

[53]        Par ailleurs, il faut noter que dans les trois (3) décisions soumises par la procureure de la plaignante, l’amende minimale prévue au Code des professions[10] a été imposée aux intimés alors que ceux-ci n’avaient pas plaidé coupables, forçant ainsi la tenue d’une audition sur culpabilité.

[54]        En conséquence, le Comité conclut qu’aucun facteur en lien avec l’intérêt du public ne justifie de s’écarter de la sanction recommandée par les parties, celle-ci n’étant pas par ailleurs disproportionnée par rapport aux décisions soumises par la procureure du plaignant.

[55]        De même, le plaidoyer de culpabilité de l’intimé favorise l’administration de la justice en ce qu’il permet notamment à celle-ci de sauver de précieuses ressources en évitant une audition au cours de laquelle la consommatrice aurait vraisemblablement eu à témoigner.

[56]        Le Comité donnera donc suite à la recommandation commune des parties puisque celle-ci ne contrevient pas à l’intérêt public et ne va pas à l’encontre de l’administration de la justice.

[57]        Le Comité ordonnera à l’intimé de payer les déboursés, conformément à l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c C-26).

 

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé à l’égard de l’unique chef d’infraction contenu à la plainte disciplinaire portée contre lui;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimé prononcée à l’audience du 23 juin 2020 pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2);

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures en ce qui concerne l’article 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r. 7.1);

ET STATUANT SUR SANCTION :

ORDONNE l’imposition d’une réprimande à l’intimé sous l’unique chef d’infraction contenu à la plainte disciplinaire;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément à l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

 

 

_(s) Marco Gaggino_________________

Me Marco Gaggino

Président du Comité de discipline

 

 

 

_(s) André Noreau__________________

M. André Noreau

Membre du Comité de discipline

 

 

 

_(s) Pierre Masson_________________

M. Pierre Masson, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du Comité de discipline

 

 

Me Julie Piché

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

Procureure du plaignant

 

L’intimé se représentait seul

 

Date d’audience : 23 juin 2020

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 

 



[1] RLRQ, c. E-6.1.

[2] RLRQ, c. D-9.2.

[3] Ibid.

[4] Pièce P-3, en liasse.

[5] Pièce P-4.

[6] Pièce P-5.

[7] Pièce P-6.

[8] R. c. Anthony-Cook, [2016] 2 RCS 204.

[9] Ibid.

[10] RLRQ, c. C-26.

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