Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1389

 

DATE :

6 avril 2020

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Lysane Cree

            Présidente

M. Antonio Tiberio

            Membre

Mme Dyan Chevrier, A.V.A., Pl. fin.

            Membre

______________________________________________________________________

 

ALAIN GALARNEAU, ès qualités de syndic ad hoc de la Chambre de la sécurité financière

 

Partie plaignante

c.

 

VAN TAN NGO (certificat numéro 125010, BDNI 1677431)

 

Partie intimée

 

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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION

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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion de tout renseignement et de tout document qui pourrait permettre d’identifier les  consommateurs mentionnés à la plainte disciplinaire et dans la présente décision, étant entendu que la présente ordonnance ne s'applique pas aux demandes d'accès à l'information provenant de l'Autorité des marchés financiers et du Fonds d'indemnisation des services financiers.

[1]           Le 23 janvier 2020, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (« le comité ») s’est réuni aux bureaux de la Chambre de la sécurité financière situés au 2000 avenue McGill College, 12e étage, à Montréal, pour procéder à l'audition de la plainte disciplinaire portée contre l'intimé le 23 août 2019 ainsi libellée :

LA PLAINTE

1.    Dans la province de Québec, entre les ou vers les 15 juillet 2005 et 28 février 2017, l’intimé a fait signer en blanc ou partiellement en blanc des formulaires à plusieurs clients, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

 

2.    Dans la province de Québec, entre les ou vers les 30 mars 2004 et 10 mai 2016, l’intimé a confectionné des documents notamment en modifiant les renseignements de plusieurs formulaires, tels que la date, la signature ou le numéro de contrat, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et service financiers (RLRQ, c. D-9.2), 16, 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

 

3.    Dans la province de Québec, entre les ou vers les 2 septembre 2005 et 10 mai 2016, l’intimé a confectionné des documents notamment en modifiant les renseignements de plusieurs formulaires, tels que la date, la signature ou le numéro de contrat, contrevenant ainsi à l’article 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1).

 

LES FAITS

[2]           L’intimé est inscrit comme représentant en assurance de personnes du 1er janvier 2003 au 28 février 2017 et comme représentant de courtier pour un courtier en épargne collective du 28 septembre 2009 au 15 février 2017, pendant les périodes pertinentes aux chefs de la plainte disciplinaire (pièce P-1).

[3]           L’Autorité des marchés financiers a été informée d’irrégularités dans les dossiers de l’intimé suite à sa retraite de SunLife Financial Investment Services. L’information a été transmise au syndic de la Chambre de la sécurité financière le 5 juillet 2017 (pièce
P-2).

[4]           Les irrégularités en question concernaient des documents qui avaient été signés en blanc par des consommateurs, et autres documents qui avaient été confectionnés pour changer des dates, des signatures et/ou des numéros de contrat.

[5]           Les documents originaux ont été déposés au Comité pour démontrer plus clairement l’utilisation de liquide correcteur blanc ou de morceau de papier collé par dessous une date ou un autre renseignement pour pouvoir créer un nouveau document par la suite, en plus des documents signés en blanc par les  clients de l’intimé. Les documents originaux seront remis au syndic.

[6]           Le procureur de l’intimé, Me Jean Dury, a expliqué au Comité que l’intimé était très impliqué dans sa communauté vietnamienne tout au courant de sa vie et dans son travail et que son intention derrière le « copié collé » de documents et les signatures de documents en blanc par ses clients était guidé par un sens « d’aider » ses clients qui habitaient à Vancouver lorsque l’intimé habitait Montréal. Au soutien de ses représentations sur cette assistance fournie par l’intimé dans sa communauté, Me Dury a déposé au Comité un exposé écrit par l’intimé décrivant son implication profonde dans sa communauté et l’assistance qu’il a fournie à certaines personnes à travers les années.

PLAIDOYER DE CULPABILITÉ

[7]           L’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité sur chacun des trois chefs d’infraction ci-haut décrits.

[8]           Le Comité s’est assuré que l’intimé comprenait bien le sens de son plaidoyer et qu’en se faisant, il reconnaissait que les gestes reprochés constituaient des infractions déontologiques.

[9]  Les procureurs des parties ont informé le Comité qu’ils s’étaient entendus sur des recommandations communes quant aux sanctions à être ordonnées à l’intimé.

ANALYSE ET MOTIFS

[10]        Les recommandations communes des parties quant aux sanctions à imposer à l’intimé sont une radiation temporaire de deux mois sur chacun des chefs, à être purgée concurremment.

[11]        Le procureur de l’intimé, Me Dury, a expliqué au Comité que dans la culture vietnamienne de l’intimé, l’honneur est primordial. De ce fait, l’intimé ne croit pas vouloir se réinscrire parce qu’il comprend qu’au moment où il se réinscrira, la sanction recommandée d’une radiation temporaire deviendrait exécutoire et serait suivi par la publication d’un avis dans un journal local. L’intimé considère que la connaissance de ses gestes fautifs dans sa communauté entraînerait un déshonneur pour lui. Me Dury a indiqué que l’intimé choisirait de ne pas se réinscrire pour le simple fait d’éviter que cette décision et ses gestes fautifs ne soient connus dans sa communauté.

[12]        L’importance accordée aux facteurs subjectifs, tel que les valeurs culturelles de l’intimé ainsi que son implication dans sa communauté, doivent nécessairement être soupesés en considérant le facteur objectif de la protection du public. Dans le présent cas, l’intimé a pris sa retraite en date du 15 février 2017. Il y a peu de chance de récidive si l’intimé ne travaille plus dans ce domaine et la protection du public est assurée s’il n’est plus inscrit auprès de l’Autorité des marchés financiers.

[13]        Les facteurs subjectifs retenus par le Comité sont les suivants :

         L’intimé a plaidé coupable aux trois chefs d’infraction de la plainte.

         L’intimé a tenté de faciliter les signatures de documents et l’achèvement de documents pour des clients qui se trouvaient à Vancouver (lorsque l’intimé résidait à Montréal).

          L’intimé a de difficulté avec l’idée que cette plainte et son plaidoyer de culpabilité puissent être connus dans sa communauté vietnamienne, car un sens d’honneur est très fort dans sa culture et un plaidoyer de culpabilité entraîne le déshonneur.  

[14]        Les facteurs objectifs retenus par le Comité sont :

         La gravité objective de l’infraction est manifeste, l’intimé ayant signé de multiples documents en blanc et ayant confectionné plusieurs documents.

         L’intimé n’avait pas d’intention frauduleuse et n’a pas eu de gain personnel suite à ses gestes.

         Les actes de l’intimé n’ont pas causé un préjudice aux clients impliqués.

[15]        Suivant l’audience, et en se référant aux enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Anthony-Cook[1], le Comité a suspendu son délibéré et a transmis une lettre aux procureurs le 2 mars 2020. Le comité demandait aux procureurs de recevoir des représentations additionnelles sur les recommandations communes, car les faits au dossier et la gravité des gestes ne semblaient pas concorder avec la jurisprudence déposée. 

[16]        Le syndic ad hoc, Me Alain Galarneau a précisé par lettre du 11 mars 2020 que l’information au dossier qui notait plus d’une centaine de documents confectionnés et de clients affectés représentait l’information de départ du syndic. Par contre, suivant l’enquête, ce même nombre n’était pas représentatif de la preuve sur les infractions. 

[17]        Les pièces P-3 à P-48 ont été déposées en preuve au soutien des chefs d’infraction dans la plainte et constituent l’entièreté de la preuve documentaire détenue au moment du dépôt de la plainte. 

[18]        Plus précisément, la preuve a démontré les infractions citées dans les trois chefs de la plainte disciplinaire, représentait plutôt 11 clients sous le chef 1, 28 clients sous le chef 2 et 7 clients sous le chef 3.

[19]        La Cour suprême dans Anthony-Cook enseigne qu'un décideur, tel comme le Comité, doit accepter les recommandations communes proposées par les parties à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public.

[20]        La Cour suprême précise aussi qu’un plaidoyer de culpabilité peut avoir plusieurs avantages :

« Les personnes accusées tirent un avantage à plaider coupable en échange d’une recommanda­tion conjointe relative à la peine... L’avantage le plus évident       est le fait que le ministère public accepte de recommander une peine que l’accusé est disposé à accepter. Cette re­commandation est susceptible d’être plus        clémente que ce à quoi l’accusé pourrait s’attendre à l’issue d’un procès ou d’une audience de détermination de la peine contestée. Les personnes accusées qui plaident coupables rapidement sont en mesure de minimiser le stress et les frais liés aux procès. De plus, pour ceux qui éprouvent des remords sincères, un plaidoyer de culpabilité offre une occasion de commencer à reconnaître leurs torts. Pour de nom­breux accusés, il est crucial de favoriser au plus haut point la certitude quant au résultat   — et une recommandation conjointe, même si elle n’est pas inviolable, offre à cet égard une assurance considé­rable. »[2]

[21]        Dans une situation similaire à celle dans le présent dossier, l’intimée dans Couture[3] avait fait signer en blanc des formulaires par plusieurs clients sur une période de plusieurs années. Le comité a déterminé que la sanction appropriée, en considérant l’absence d’une intention malhonnête ou malveillante et qu’aucun préjudice n’a été causé aux consommateurs, était la radiation temporaire pour une période de deux mois.

[22]        Également, dans Gauthier[4], l’intimé qui avait 11 chefs d’infraction contre lui pour des signatures de formulaires en blanc par les consommateurs, le comité a déterminé que la sanction appropriée était une radiation temporaire de deux mois sur chacun des chefs d’accusation, à être purgée concurremment.

[23]        En comparaison, dans Hannoush[5], le comité a aussi accordé une sanction de deux mois de radiation temporaire à être purgée de façon concurrente. Même si l’intimé, dans ce cas, avait confectionné seulement quelques documents (moins nombreux que l’intimé dans le présent dossier), il y avait aussi plusieurs chefs d’infraction pour avoir faussement témoigné des signatures des clients et avoir faussement attesté de l’identité des clients (représentant la majorité des chefs). L’intimé dans cette instance ne reconnaissait pas sa faute, avait tenté de minimiser la gravité de ses gestes et le risque de récidive était plus probable considérant que l’intimé avait suivi un cours d’éthique et déontologie offert par son employeur, mais avait néanmoins commis les gestes prohibés.

[24]         Dans le présent cas, l’intimé a plaidé coupable aux infractions à la première opportunité et ne retournera probablement pas dans le domaine, ayant pris sa retraite en 2017.

[25]        Après considération de l’ensemble du dossier, des facteurs tant objectifs que subjectifs présentés, et les représentations additionnelles de Me Galarneau, le Comité est d’avis que les recommandations communes sur sanction ne sont pas contraires à l’intérêt public ou à l’administration de la justice, et sont adaptées aux infractions reprochées à l’intimé et respectueuses des principes de dissuasion et de protection du public[6]. Les sanctions demandées sont en lien avec la gravité sérieuse des infractions reprochées.

[26]        L’intimé sera donc condamné à deux mois de radiation temporaire sur chacun des chefs, à être purgée concurremment, et qui sera exécutoire au moment où l’intimé se réinscrira auprès de l’Autorité des marchés financiers.

[27]        Enfin, le Comité réitèrera l’ordonnance de notification de la présente décision par un moyen technologique aux parties, tel qu’il en a été décidé lors de l’audition.

 

PAR CES MOTIFS, le Comité de discipline :

PRENDS ACTE à nouveau du plaidoyer de culpabilité de l’intimé sur chacun des chefs d’infraction contenus à la plainte disciplinaire;

RÉITÈRE la déclaration de culpabilité de l’intimé sous chacun des chefs d’infraction prononcée à l’audience pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), aux articles 11, 16, 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3), et à l’article 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1);

ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures quant aux articles 11, 16, 34 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3), en ce qui concerne les deux premiers chefs d’infraction;

RÉITÈRE l’ordonnance du Comité prononcée à l’audience de la notification de la présente décision aux parties par moyen technologique conformément à l’article 133 du Code de procédure civile (RLRQ, c. C-25), à savoir par courrier électronique;

ET STATUANT SUR LA SANCTION :

CONDAMNE l’intimé à deux mois de radiation temporaire sur chacun des chefs à être purgé concurremment pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), en ce qui concerne les deux premiers chefs d’infraction, et à l’article 14 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (RLRQ, c. D-9.2, r.7.1), en ce qui concerne le troisième chef d’infraction;

ORDONNE que ces périodes de radiation temporaire ne commencent à courir, le cas échéant, qu’au moment où l’intimé reprendra son droit de pratique à la suite de l’émission à son nom d’un certificat par l’Autorité des marchés financiers ou par toute autre autorité compétente;

ORDONNE au secrétaire du Comité de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans les lieux où ce dernier a eu son domicile professionnel ou dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession, conformément aux dispositions de l’article 156, al. 7 du Code des professions (RLRQ, c. 26);

ORDONNE au secrétaire du Comité de ne procéder à cette publication qu’au moment où l’intimé reprendra son droit de pratique et que l’Autorité des marchés financiers ou toute autre autorité compétente émettra un certificat en son nom;

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d’enregistrement, conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

 

 

_(s) Lysane Cree ___________________

Me Lysane Cree

Présidente du Comité de discipline

 

 

 

_(s) Dyan Chevrier__________________

Mme Dyan Chevrier, A.V.A., Pl. Fin.

Membre du Comité de discipline

 

 

 

_(s) Antonio Tiberio__________________

M. Antonio Tiberio

Membre du Comité de discipline

 

 

Me Alain Galarneau

POULIOT, CARON, PRÉVOST,

BÉLISLE, GALARNEAU

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Jean Dury

ADVOCATIS

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

23 janvier 2020

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 

 

 



[1] R. c. Anthony-Cook, [2016] 2 R.C.S. 204.

[2] Préc., note 1, par. 36.

[3] Chambre de la sécurité financière (CSF) c. Couture, 2019 QCCDCSF 3.

[4] CSF c. Gauthier, 2019 QCCDCSF 58.

[5] CSF c. Hannoush, 2016 CanLII 24456 (QC CDCSF).

[6] Préc., note 1.

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