Chambre de la sécurité financière (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

29comité de discipline

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

canada

province de québec

 

 

 

N°:

CD00-1415

DATE:

29 juin 2020

le comité :

Me Claude Mageau

M. Marc Binette, Pl. Fin.

M. Stéphane Prévost, A.V.C.

Président

Membre

Membre

 

 

SYNDIC DE LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

 

Partie plaignante

c.

JEAN-BENOIT CÔTÉ, conseiller en sécurité financière, courtier en épargne collective et conseiller en assurance et rentes collectives (numéro de certificat 107962, BDNI 1542921)

 

Partie intimée

décision sur culpabilité ET SANCTION

conformément à l’article 142 du code des professions, le comité a prononcé l’ordonnance suivante :

Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non‑diffusion de tout renseignement et de tout document qui pourrait permettre d’identifier la consommatrice mentionnée dans la présente décision, étant entendu que cette ordonnance ne s’applique pas aux demandes d’accès à l’information provenant de l’Autorité des marchés financiers (« l’AMF ») et du Fonds d’indemnisation des services financiers.

[1]           Le 16 juin 2020, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le « comité ») a procédé par visioconférence grâce à la plateforme Webex, à l’audition de la plainte disciplinaire portée contre l’intimé le 24 mars 2020, ainsi libellée :

la plainte

1.         À Granby, depuis le 5 février 2020, l’intimé fait défaut de répondre dans les plus brefs délais et de façon complète et courtoise aux correspondances du syndic ou d’un membre de son personnel, contrevenant ainsi à l’article 42 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.

[2]           Le plaignant était représenté par Me Vivianne Pierre-Sigouin et l’intimé, qui était présent, se représentait seul.
PLAIDOYER DE CULPABILITÉ
[3]           Au début de l’audition, l’intimé confirma au comité que c’était son intention de plaider coupable au chef d’infraction unique de la plainte.
[4]           Après s’être assuré que l’intimé comprenait bien qu’en plaidant coupable à l’infraction reprochée, il admettait avoir commis un manquement déontologique et qu’il en serait sanctionné, le comité accepta le plaidoyer de culpabilité écrit de l’intimé daté du 28 mai 2020, lequel fut produit comme pièce PS-1.
[5]           Par la suite, le comité demanda à la procureure du plaignant de faire une courte présentation de la preuve pertinente au dossier.
LA PREUVE
[6]           La procureure du plaignant déposa tout d’abord, de consentement avec l’intimé, une série de pièces identifiées PS-2 à PS-13.
[7]           L’intimé, au moment de l’infraction reprochée, était inscrit comme représentant en assurance de personnes, en assurance et rentes collectives, courtier pour un courtier en assurance collective et enfin, représentant de courtier pour un courtier en plans de bourses d’études.
[8]           En mai 2018, il fit souscrire à une cliente une police d’assurance prêt universelle et invalidité en lien avec l’hypothèque souscrite par le conjoint de celle‑ci concernant un immeuble pour lequel ce dernier était l’unique propriétaire.
[9]           L’année suivante, la consommatrice fut informée par un autre représentant que ladite assurance qu’elle avait contractée par l’intermédiaire de l’intimé ne pouvait, selon lui, la couvrir en cas d’invalidité, étant donné qu’elle n’était ni débitrice hypothécaire ni propriétaire de l’immeuble hypothéqué.
[10]        Après en avoir brièvement discuté avec l’intimé, elle communiqua par la suite avec l’assureur, Industrielle Alliance (« I.A. »), lequel lui confirma qu’elle n’avait pas d’intérêt assurable et qu’elle contribuait sans raison à ladite assurance.
[11]        Elle en informa l’intimé et il fut entendu en septembre 2019 qu’il lui rembourserait les versements de prime qu’elle avait effectués pour un total d’environ 480 $.
[12]        Par la suite, la police d’assurance fut résiliée par I.A.[1].
[13]        L’intimé faisant défaut de s’exécuter, la consommatrice, quelques deux mois après qu’elle s’était entendue avec l’intimé, fit une plainte auprès de l’AMF le 10 novembre 2019[2].
[14]        L’intimé remboursa finalement la consommatrice le 20 novembre 2019, laquelle informa par la suite l’AMF qu’elle désirait retirer sa plainte, qui avait cependant été transférée à la Chambre de la sécurité financière pour que le bureau du syndic fasse une enquête sur le dossier.
[15]        Le 27 novembre 2019, l’intimé était informé par le bureau du plaignant qu’une enquête était en cours et que l’enquêteuse au dossier était Mme Elise Dagenais Guertin[3].
[16]        Le 28 novembre 2019, l’enquêteuse fit parvenir une lettre à l’intimé l’informant qu’elle enquêtait son dossier et elle lui demanda alors de lui faire parvenir au plus tard le 13 décembre 2019 différents documents, dont une copie du dossier complet et intégral de la consommatrice[4].
[17]        L’intimé, ayant fait défaut de donner suite à la demande de l’enquêteuse, celle-ci fit parvenir le 24 janvier 2020 une deuxième demande écrite à l’intimé de lui faire parvenir entre autres une copie du dossier complet et intégral de la consommatrice[5].
[18]        Le 27 janvier 2020, l’intimé communiqua avec l’enquêteuse et lui dit qu’il lui ferait parvenir le dossier.
[19]        Le 28 janvier 2020, l’intimé transmit par courriel à l’enquêteuse des documents indiquant la fermeture des dossiers à l’AMF et à I.A. concernant la plainte de la consommatrice, mais aucune information en lien avec son dossier comme elle lui avait demandé.
[20]        L’enquêteuse fit alors parvenir à l’intimé le 29 janvier 2020 un courriel lui demandant de lui confirmer au plus tard le 3 février 2020 qu’il lui avait bien fait parvenir une copie complète de son dossier concernant la consommatrice[6].
[21]        L’intimé, ayant encore fait défaut de donner suite à la demande de l’enquêteuse, le plaignant lui fit une demande écrite formelle le 5 février 2020 de lui faire parvenir une copie de son dossier complet et intégral de la consommatrice au plus tard le 6 février 2020[7].
[22]        Entre le 4 février et le 13 février 2020, l’enquêteuse a laissé cinq messages téléphoniques à l’intimé de le rappeler concernant sa demande faite le 28 janvier 2020[8].
[23]        Le 14 février 2020, l’intimé eut deux conversations téléphoniques avec l’enquêteuse et c’est uniquement à ce moment qu’il l’informa qu’il n’avait pu retrouver le dossier de la cliente, que ce soit sur support papier ou sur support électronique.
[24]        Lors de l’audition sur sanction, l’intimé n’avait toujours pas retrouvé le dossier de la consommatrice.
[25]        Compte tenu du plaidoyer de culpabilité de l’intimé et de la preuve ci-haut décrite, l’intimé est par conséquent déclaré coupable du chef d’infraction unique de la plainte.
REPRÉSENTATIONS DU PLAIGNANT
[26]        La procureure du plaignant déclara que les parties présentaient au comité une recommandation commune de sanction pour une radiation temporaire d’un à deux mois, la publication d’un avis de la décision et aussi la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés.
[27]        Elle mentionna aussi que l’intimé renonçait au délai d’appel afin que sa radiation temporaire soit exécutoire le plus rapidement possible.
[28]        Elle allégua, en l’espèce, l’existence des facteurs aggravants suivants :

               La gravité objective de l’infraction;

               La négligence de répondre au syndic est un risque à la protection du public;

               La perte du dossier de la cliente est inquiétante pour la confiance du public;

               La grande expérience de l’intimé.

[29]        Elle suggéra, par la suite, les facteurs atténuants suivants militant en faveur de l’intimé :

               Son absence d’antécédent disciplinaire;

               Son plaidoyer de culpabilité;

               Sa coopération depuis le dépôt de la plainte disciplinaire;

               L’existence d’excuses;

               La confusion de sa part quant au processus d’enquête suite au règlement intervenu avec la cliente, et à la fermeture du dossier par l’AMF et I.A.

[30]        Elle soumit par la suite quatre décisions rendues par le comité pour appuyer la recommandation des parties[9].
[31]        Elle termina en déclarant qu’elle considère la recommandation tout à fait raisonnable et appropriée dans les circonstances.
REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ
[32]        L’intimé déclara tout d’abord qu’il est dans l’industrie depuis près de trente ans, ayant exercé à la même place d’affaires pendant plus de vingt ans à Granby.
[33]        Il est père de deux garçons adolescents pour qui il a la garde à plein temps.
[34]        Il déclara que mise à part la présente instance, il n’a fait l’objet d’aucune autre enquête par le plaignant et il n’a pas d’antécédent disciplinaire.
[35]        Il expliqua qu’il avait reçu les confirmations de fermeture de dossier de la part de l’AMF et aussi d’I.A. et que, dans les circonstances, il était d’opinion que le dossier était terminé.
[36]        Il expliqua aussi que sa place d’affaires est à son domicile et que compte tenu qu’il a vécu une période mouvementée au niveau personnel, il a effectué trois déménagements en l’espace de deux ans, ce qui peut expliquer le fait qu’il ne peut retrouver le dossier de la consommatrice.
[37]        En ce qui concerne la recommandation faite par la procureure du plaignant, il déclara au comité qu’il la respecte et il préfère laisser plutôt le soin au comité de décider et déterminer quelle devrait être la sanction appropriée, sans présenter spécifiquement de suggestion.
[38]        Pour ce qui est de son droit d’appel, il mentionna au comité qu’il est prêt à y renoncer si cela peut mener à une sanction plus clémente.
ANALYSE ET MOTIFS
[39]        L’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité et il a été reconnu coupable d’avoir contrevenu à l’article 42 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière, soit d’avoir fait défaut de répondre dans les plus brefs délais et de façon complète et courtoise aux correspondances du syndic ou de son personnel.
[40]        Bien que la procureure du plaignant ait indiqué au comité que la recommandation de sanction qu’elle présentait était commune, le comité, après avoir entendu les représentations de l’intimé, est plutôt d’opinion que celui-ci comprend et respecte cette recommandation, mais n’est pas explicitement et sans réserve en accord avec celle-ci.
[41]        D’ailleurs, il a bien souligné dans ses représentations qu’il allait laisser au comité le soin de décider de l’opportunité de la sanction à lui être imposée.
[42]        De plus, compte tenu de ses représentations, le comité est d’opinion que l’intimé n’a pas explicitement renoncé à son droit d’appel et il n’en sera donc pas tenu compte dans la détermination de sa sanction.
[43]        En conséquence, le comité est d’opinion que la recommandation sur sanction faite par la procureure du plaignant pour qu’une période de radiation temporaire pour une période d’un ou deux mois n’est pas une recommandation commune faite au comité par les parties, tel que discuté dans l’affaire Anthony‑Cook[10].
[44]        Cela étant, le comité considère néanmoins que cette recommandation de la part de la procureure du plaignant est raisonnable dans les circonstances pour les raisons suivantes.
[45]        Les critères devant être pris en considération par le comité lors de la détermination de la sanction sont bien connus et énoncés par la Cour d’appel du Québec à l’arrêt Pigeon c. Daigneault[11].
[46]        La Cour d’appel y a alors souligné l’importance d’imposer une sanction juste et raisonnable adaptée aux circonstances du dossier, afin de permettre d’atteindre les objectifs suivants :

               Assurer la protection du public;

               Dissuader le professionnel de récidiver;

               Servir d’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables, tout en considérant le droit du professionnel d’exercer sa profession.

[47]        De plus, il est bien établi en jurisprudence que l’objectif de la sanction disciplinaire n’est pas de punir le professionnel, mais plutôt de corriger un comportement fautif[12].
[48]        Le comité devra donc imposer la sanction après avoir considéré les facteurs objectifs et subjectifs propres à l’espèce.
[49]        En matière d’entrave et de refus de collaborer avec le syndic, la jurisprudence a établi qu’il s’agit d’une infraction très grave, car elle est essentielle au bon fonctionnement du système disciplinaire[13].
[50]        Le comité considère cependant que le défaut de l’intimé de répondre au syndic en l’espèce n’avait pas un caractère malveillant ou intentionnel démontrant une volonté d’empêcher le syndic d’effectuer son travail.
[51]        Il s’agit plutôt d’un cas de négligence où l’intimé a considéré à tort que son dossier était terminé par le retrait de la plainte de la consommatrice et où il a démontré une insouciance inacceptable par rapport aux demandes du plaignant.
[52]        L’intimé n’avait qu’à communiquer avec l’enquêteuse et répondre à ses nombreux messages téléphoniques qu’elle lui avait laissés.
[53]        En fait, s’il avait démontré un sens élémentaire de civisme envers l’enquêteuse, il n’aurait pas commis l’infraction reprochée.
[54]        Évidemment, le fait qu’il n’a pas d’antécédent disciplinaire en près de trente ans de carrière, qu’il ait collaboré avec le plaignant après le dépôt de la plainte disciplinaire et qu’il ait plaidé coupable à l’infraction reprochée, sont des éléments importants qui militent en faveur de l’intimé.
[55]        Le comité est d’accord avec la procureure du plaignant que la jurisprudence soumise constitue des exemples pertinents et applicables au présent dossier.
[56]        Ainsi, dans les affaires de Michaud, Taillon et Auclair[14], tout comme en l’espèce, le comité avait ordonné une radiation temporaire d’un mois pour des représentants qui n’avaient aucun antécédent disciplinaire et qui aussi, avait plusieurs années d’expérience.
[57]        Après considération de l’ensemble des facteurs tant objectifs que subjectifs, le comité est d’avis que l’imposition d’une période de radiation temporaire d’un mois à l’intimé est tout à fait appropriée dans les circonstances.
[58]        Le comité considère qu’une telle sanction est adaptée aux circonstances de l’infraction reprochée, qu’elle assure pleinement la protection du public, qu’elle est respectueuse des critères de dissuasion et d’exemplarité et qu’elle n’empêchera pas l’intimé de continuer à exercer sa profession.
[59]        Le comité ordonnera aussi la publication d’un avis de la décision conformément à l’article 156 (7) du Code des professions, aucun argument ne lui ayant été présenté pour justifier qu’une telle ordonnance ne soit pas rendue.
[60]        Enfin, l’intimé sera de plus condamné au paiement des déboursés conformément à l’article 151 du Code des professions.
[61]        Finalement, la notification de la présente décision se fera par moyen technologique, à savoir par courriel, les parties ayant, lors de l’audition, exprimé leur consentement pour ce faire.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE l’ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non‑diffusion de tout renseignement et de tout document qui pourrait permettre d’identifier la consommatrice mentionnée dans la présente décision, étant entendu que cette ordonnance ne s’applique pas aux demandes d’accès à l’information provenant de l’Autorité des marchés financiers et du Fonds d’indemnisation des services financiers;

PREND ACTE du plaidoyer de culpabilité de l’intimé à l’égard de l’unique chef d’infraction contenu à la plainte disciplinaire;

DÉCLARE l’intimé coupable de l’unique chef d’infraction contenu à la plainte disciplinaire;

et procédant sur sanction :

ORDONNE la radiation temporaire de l’intimé pour une période d’un mois;

ORDONNE au secrétaire du comité de discipline de faire publier aux frais de l’intimé un avis de la présente décision dans un journal où ce dernier a son domicile professionnel ou à tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer la profession conformément aux dispositions de l’alinéa 7 de l’article 156 du Code des professions (RLRQ c. C-26);

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ c. C-26);

PERMET la notification de la présente décision à l’intimé par moyen technologique conformément à l’article 133 du Code de procédure civile (RLRQ, c. C-25.01), à savoir par courrier électronique.

 

 

(S) Me Claude Mageau

 

Me CLAUDE MAGEAU

Président du comité de discipline

 

 

(S) Marc Binette

 

M. MARC BINETTE, Pl. Fin.

Membre du comité de discipline

 

 

(S) Stéphane Prévost

 

m. stéphane prévost, A.V.C.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Vivianne Pierre-Sigouin

CDNP Avocats INC.

Avocats du plaignant

L’intimé se représentait seul.

Date d’audience : 16 juin 2020

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1]      Pièce PS-3.

[2]      Pièce PS-3.

[3]      Pièce PS-6

[4]      Pièce PS-7.

[5]      Pièce PS-8.

[6]      Pièce PS-10.

[7]      Pièce PS-11.

[8]      Pièce PS-13.

[9]      Chambre de la sécurité financière c. Michaud, 2020 QCCDCSF 6 (CanLII); Chambre de la sécurité financière c. Taillon, 2018 QCCDCSF 3 (CanLII); Chambre de la sécurité financière c. Touchette, 2017 QCCDCSF 87 (CanLII); Chambre de la sécurité financière c. Auclair, 2017 QCCDCSF 6 (CanLII).

[10]     R. c. AnthonyCook, 2016 CSC 43 (CanLII), [2016] 2 RCS 204.

[11]     Pigeon c. Daigneault 2003 CanLII 32934 (QC CA).

[12]     Royer c. Rioux, ès qualités de syndic, 2004 CanLII 76507 (QC CQ).

[13]     Terjanian c. Lafleur, 2019 QCCA 230 (CanLII), par. 50.

[14]     Chambre de la sécurité financière c. Michaud, Chambre de la sécurité financière c. Taillon, Chambre de la sécurité financière c. Auclair, 2017 QCCDCSF 6 (CanLII), préc., note 9.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.