Chambre de la sécurité financière (Québec)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

COMITÉ DE DISCIPLINE
CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

N° :

CD00-1297

 

 

 

DATE :

3 septembre 2019

 

 

 

 

 

LE COMITÉ :

Me George R. Hendy

Président

 

M. Serge Lafrenière, Pl. Fin. 

Membre

 

M. Louis-André Gagnon

Membre

 

 

 

 

LYSANE TOUGAS, ès qualités de syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière

 

 Partie plaignante

 

 

c. 

 

ROMEL MINTOR (certificat 202833, BDNI 104981) 

 

Partie intimée

 

_____________________________________________________________________ 

 

DÉCISION SUR SANCTION

_____________________________________________________________________ 

 

 

CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A PRONONCÉ L'ORDONNANCE SUIVANTE :

         Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom et du prénom du consommateur visé par la plainte disciplinaire, ainsi que de toute information personnelle et économique permettant de l'identifier.

[1]           Le 27 juin 2019, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le « Comité ») s'est réuni aux bureaux de la Chambre, sis au 2000, avenue McGill College, 12e étage, à Montréal, et a procédé à l'audition sur sanction, suite à la décision sur culpabilité rendue le 17 avril 2019 à l'égard de la plainte disciplinaire déposée contre l'intimé ainsi libellée :

LA PLAINTE

1.       Dans la Province de Québec, entre les ou vers les 28 mai 2014 et 26 janvier 2016,  l'intimé s'est approprié pour ses fins personnelles la somme d'environ 75 000$ du compte XXXX de la Succession de Feu I.J. alors qu'il était liquidateur de la succession et fiduciaire, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers mobilières (RLRQ, c. D-9.2), 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

[2]          Par ladite décision sur culpabilité, l’intimé a été déclaré coupable de l’infraction reprochée, pour avoir contrevenu à l’article 17 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière et un arrêt conditionnel a été ordonné quant aux autres dispositions législatives citées au soutien de l’unique chef d’infraction.

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES

[3]          Me Alain Galarneau, le procureur de la plaignante, recommande une radiation de dix ans, et la condamnation de l'intimé au paiement des déboursés, y compris ceux pour la publication d’un avis de la décision dans les journaux locaux de la région où l'intimé a son domicile professionnel. 

[4]          Relativement au chef d'infraction, il souligna comme facteurs aggravants la gravité objective de l'infraction (l'appropriation pour fins personnelles de fonds appartenant à sa cliente), que Me Galarneau a qualifiée comme une des infractions les plus sérieuses qu'on peut reprocher à un représentant. Il souligna que l'intégrité est une des qualités les plus importantes qu'un représentant doit démontrer, laquelle est fondamentale au lien de confiance qui doit exister entre le représentant et ses clients, dont la violation reflète négativement sur la profession.

[5]          Dans ce cas, il s'agissait, de plus, d'une victime vulnérable, l'appropriation ayant été effectuée par plusieurs retraits illégaux pendant une période de 20 mois, pour une somme totale importante (75 000 $), de sorte qu'une sanction exemplaire et dissuasive est requise pour rassurer le public que ce genre de conduite est inacceptable.

[6]          Selon Me Galarneau, il n'y a pas de facteurs atténuants, l'absence d'antécédents disciplinaires de l'intimé étant (selon lui) un facteur neutre. Me Galarneau souligna aussi que l'intimé n'a pas collaboré à l'enquête, n'a pas plaidé coupable et n'a pas exprimé de remords pour sa conduite.

[7]          Le procureur de la plaignante a ensuite référé le Comité à la jurisprudence suivante qui, selon lui, démontre que, dans des cas similaires, la sanction suggérée est appropriée:

a)            Chambre de la sécurité financière c. Marleau, 2017 QCCDCSF 40

-        Radiation de dix ans imposée à un représentant (agissant à titre de liquidateur d'une succession) qui s'est approprié de la somme de 40 000 $ par le biais de huit retraits effectués pendant une période de deux ans, malgré le fait que l'intimé demandait une période de radiation plus courte, était sans antécédents disciplinaires, a négocié une entente de remboursement, a collaboré à l'enquête, a plaidé coupable et a exprimé ses remords.

b)            Chambre de la sécurité financière c. Raymond, 2011 CanLII 99457 (QCCDCSF)

-        L'intimée, qui s'est approprié de la somme de 1 300 $ de son employeur par le biais de neuf transactions frauduleuses survenues pendant une période de cinq mois, a collaboré à l'enquête, a remboursé les sommes appropriées, a plaidé coupable et exprimé ses remords après avoir été congédiée, a écopé d’une radiation de dix ans, alors que la plaignante réclamait une radiation permanente.

c)            Chambre de la sécurité financière c. Erdogan, 2017 QCCDCSF 9

-        L’intimé a été radié pour une période de dix ans après avoir plaidé coupable pour s’être approprié une somme totale de 280 $ de son employeur par le biais de 11 retraits effectués sur une période de sept semaines.

d)            Chambre de la sécurité financière c. Bradet, 2017 QCCDCSF 38

-        L'intimée, qui était responsable de la conformité chez son employeur (pour qui elle travaillait depuis 30 ans), a été radiée pour une période de dix ans pour s'être appropriée de la somme de 3 000 $ pendant une période de 18 mois, malgré le fait qu'elle ait remboursé ladite somme, collaboré à l'enquête et plaidé coupable, tout en exprimant ses sincères remords.

e)            Chambre de la sécurité financière c. Boudreault, 2015 QCCDCSF 65

-        L'intimée a été radiée pour une période de dix ans après avoir plaidé coupable pour s’être appropriée de la somme totale d'environ 1 700 $ de ses clients, pendant une période de six semaines.

[8]          Le procureur de l'intimé, Me José Dorelas, a recommandé une période de radiation temporaire d’un à deux ans, en invoquant l'absence d'antécédents disciplinaires, le préjudice moral et financier que l'intimé aurait subi à cause de la plainte ci-haut, le fait qu'il était sans emploi depuis au moins trois ans, qu'il ait rendu des services qui valaient la somme de 75 000 $, que l'appropriation des fonds n'a pas été commise avec une intention de nuire ou avec préméditation. De plus, Me Dorelas a plaidé, dans un premier temps, que l'intimé a collaboré à l'enquête, même si l'enquêteur n'était pas satisfait du degré de collaboration, et en contre-réplique aux arguments de Me Galarneau, a ajouté qu'il n'avait pas l'obligation de collaborer après le 7 juillet 2016, date où il a cessé d'être inscrit auprès de la CSF. ll ajoute que son client n'a pas exprimé de remords, car il contestait de bonne foi l'accusation portée contre lui et qu'il espérait effectuer un remboursement lorsqu'il réussirait à trouver un nouvel emploi. Enfin, il demande la non-publication de la radiation temporaire qui sera imposée, car ceci ne sera pas nécessaire pour protéger le public.

[9]           Me Dorelas a soumis les décisions suivantes lors de sa plaidoirie :

a)            Chambre de la sécurité financière c. Fiset, 2018 QCCDCSF 58.

-        Il s'agit d'un cas où la plaignante réclamait une radiation temporaire d'un mois contre un représentant qui avait été jugé coupable de l'encaissement de 14 chèques (payables à un agent d'assurance) en 2005 et 2006, sans l'autorisation dudit agent. Cependant, en condamnant l'intimé à une amende de 7 000 $ (plutôt qu'à une radiation temporaire d'un mois, tel qu'exigé par la plaignante), le Comité a pris le soin de préciser (aux par. 23 et 25 du jugement) que, par ses gestes, l'intimé ne s'est pas approprié l'argent et qu'il n'a pas agi par malhonnêteté, mais plutôt par négligence en déposant des chèques payables à un agent d'assurance à l'ordre d'un autre agent, en croyant que ce dernier y avait droit. Le Comité a aussi précisé clairement (par. 60 de la décision rectifiée sur sanction, rendue le 19 février 2019) que l'intimé n'était pas accusé d'appropriation ou détournement.

b)            Chambre de la sécurité financière c. Szabo, 2018 QCCDCSF 87.

-        Cette décision a été citée par Me Dorelas en rapport avec trois chefs d'accusation (#5, 6 et 7, aux pages 2 et 3) d'avoir fourni de faux renseignements à l'assureur, qui, selon lui, constituent une infraction aussi sérieuse que l'appropriation. L'intimé dans cette décision, qui n'avait pas d'antécédents disciplinaires mais semblait avoir agi avec négligence concernant ces trois chefs, a été condamné à une radiation temporaire de deux mois pour chacun desdits chefs, tel que réclamé par la plaignante.

c)            Chambre de la sécurité financière c. Singh, 2018 QCCDCSF 7.

-        L'intimée dans cette cause a effectué six virements totalisant 285 $ du compte de son employeur pendant une période de dix semaines (en utilisant des codes d'accès de ses collègues) parce qu'elle voulait se rembourser des dépenses qu'elle avait encourues en organisant des activités reliées à son travail. Elle a reconnu son manque de jugement à la première occasion, a collaboré à l'enquête, et a plaidé coupable, aucun client n'ayant été lésé par sa conduite. Le Comité lui a imposé une radiation temporaire de deux ans.

ANALYSE ET MOTIFS

[10]       Il ressort de la preuve que l'intimé s'est approprié une somme approximative de 75 000 $ qu'il n'a pas remboursée à ce jour. Cette appropriation s'est effectuée par 20 retraits sur une période de 20 mois, prétendument pour des services rendus, sans la remise d'une seule facture justificative à la cliente et sans la tenue d'un registre détaillant la nature et le temps requis pour ses services.

[11]       L'intimé a laissé croire aux fils de sa cliente qu'il leur reviendrait au moins 60 000 $ de la succession dont il était le liquidateur, alors qu'il ne restait plus que 308,82 $ comme actifs. Par la suite, il a fait défaut de répondre aux nombreux messages des héritiers pour des nouvelles concernant la succession et il n'a toujours pas rendu compte de son administration, plus de trois ans après le décès de sa cliente.

[12]       Il s'agit donc d'un cas flagrant d'abus de confiance et d'appropriation illégale de fonds, et le Comité voit mal comment il peut montrer de la clémence ou dévier des normes établies par la jurisprudence en pareille matière.

[13]       La jurisprudence citée par la plaignante établie clairement qu'une radiation temporaire d'au moins dix ans s'impose, en respectant les principes d'exemplarité, de dissuasion et de protection du public.

[14]       La jurisprudence citée par l'intimé ne lui porte pas secours, soit parce qu'elle n'est pas pertinente ou applicable, parce qu'il ne s'agit pas d'appropriation (Fiset et Szabo) ou parce qu'il y a des circonstances atténuantes (Singh) qui se distinguent facilement des faits de la présente cause.

[15]       L'intimé n'est pas présentement inscrit auprès de la Chambre, mais la plaignante demande que la peine de radiation débute immédiatement, car il ne s'agit pas d'une radiation de courte durée, tel qu'énoncé dans la décision Boudreault ci-haut (par. 43).

[16]       De plus, le Comité retient le principe qu'une demande de dispense de publication de l'avis de la décision ordonnant la radiation temporaire ne peut être accordée que dans des circonstances exceptionnelles, qui ne sont pas présentes dans cette cause.

[17]       Considérant ce qui précède, après révision des éléments, tant objectifs que subjectifs, atténuants qu'aggravants, qui lui ont été présentés, le Comité est d'avis que la radiation temporaire de dix ans proposée par la plaignante serait une sanction juste et appropriée, adaptée au seul chef d'infraction, conforme aux précédents jurisprudentiels applicables, ainsi que respectueuse des principes d'exemplarité et de dissuasion dont il ne peut faire abstraction.

[18]       En conséquence, le Comité condamnera l'intimé à une radiation temporaire de dix ans.

[19]       Quant aux déboursés, aucun motif ne lui ayant été soumis qui lui permettrait de passer outre à la règle habituelle voulant que les déboursés nécessaires à la condamnation du représentant fautif lui soient généralement imputés, le Comité condamnera l'intimé à leur paiement, y compris ceux pour les frais de publication d’un avis de la décision dans un journal circulant dans les lieux du domicile professionnel de l'intimé.


 

PAR CES MOTIFS, le Comité de discipline :

RÉITÈRE l'ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion du nom et du prénom du consommateur visé par la plainte disciplinaire ainsi que de toute information personnelle et économique permettant de l'identifier;

ORDONNE, sous l'unique chef d'infraction, la radiation temporaire de l'intimé pour une période de dix ans;

ORDONNE au secrétaire du Comité de faire publier, conformément à ce qui est prévu à l’article 156, alinéa 7 du Code des professions (RLRQ., c. C-26), aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession;

CONDAMNE l'intimé au paiement des déboursés, y compris les frais d'enregistrement, conformément aux dispositions de l'article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

(s) George R. Hendy_________________________
Me George R. Hendy
Président du Comité de discipline

 

(s) Serge Lafrenière _________________________
M. Serge Lafrenière, Pl. Fin. 
Membre du Comité de discipline

 

(s) Louis-André Gagnon______________________
M. Louis-André Gagnon
Membre du Comité de discipline

 

 

 

 

Me Alain Galarneau 

POULIOT, CARON, PRÉVOST,

BÉLISLE, GALARNEAU
Procureurs de la partie plaignante
 
Me José Dorelas

Procureurs de la partie intimée 


Date d'audience: 27 juin 2019

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ

 

A0110

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.