Chambre de la sécurité financière (Québec)

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 COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1287

 

 

DATE :

23 août 2019

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ 

Me Marco Gaggino

Président

Mme Claudette Saint-Germain

M. Pierre Décarie

 Membre

 Membre

 

 

MARC-AURÈLE RACICOT, ès qualités de syndic adjoint de la Chambre de la sécurité financière

 

Plaignant

c.

 

JEAN-ROCH NELSON, conseiller en sécurité financière (certificat numéro 124957, BDNI 1829311)

 

 

Intimé

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ PRONONCE L’ORDONNANCE SUIVANTE :

Ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion des noms et prénom des consommateurs visés par la plainte disciplinaire ainsi que de tout renseignement de nature personnelle et économique permettant de les identifier.

 

[1]           L’intimé est cité devant le Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (le « Comité ») à la suite d’une plainte disciplinaire du 16 novembre 2017 libellée comme suit :

1.    À Lorraine, le ou vers le 20 septembre 2004, l’intimé s’est placé en situation de conflits d’intérêts en empruntant à son client A.S. une somme d’environ 10 000 $, contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 16, 18, 19 et 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

 

2.    À Lorraine, à compter du 21 septembre 2007 jusqu’à ce jour, l’intimé s’est approprié la somme de 10 000 $ que lui avait confiée son client A.S., contrevenant ainsi aux articles 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2), 11, 17 et 35 du Code déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3);

 

3.    À Lorraine, le ou vers le 7 novembre 2016, l’intimé n’a pas agi avec professionnalisme et n’a pas fait preuve d’une conduite empreinte de dignité, de discrétion, d’objectivité et de modération en invectivant et menaçant A.S., contrevenant ainsi à l’article 6 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r.3).

 

[2]           Le Comité s’est réuni le 29 mai 2018 afin de procéder à l’audience sur culpabilité de cette plainte.

[3]            Le plaignant était alors représenté par Me Jean-Philippe Lincourt et l’intimé se représentait seul.

I- PREUVE DU PLAIGNANT

[4]           Le plaignant a fait entendre dans le cadre de sa preuve Me Mélissa Desrosiers, enquêtrice auprès de la Chambre de la sécurité financière, ainsi que le consommateur visé par la plainte disciplinaire portée contre l’intimé.

Témoignage de Me Mélissa Desrosiers

[5]           Me Desrosiers est inscrite au Barreau du Québec depuis le mois d’avril 2013. Elle agit comme enquêtrice à la Chambre de la sécurité financière depuis le 20 février 2017.

[6]           Selon l’attestation de droit de pratique émise par l’Autorité des marchés financiers du 14 septembre 2017[1], l’intimé détenait un certificat en assurances de personnes pour les périodes visées par les chefs d’infraction numéro 1 et 3 de la plainte disciplinaire et un certificat en planification financière en ce qui a trait à la période visée par le chef d’infraction numéro 2 de cette plainte.

[7]           Une demande d’enquête visant divers agissements de l’intimé a été formulée par A.S. le 29 juin 2017 auprès de la Chambre de la sécurité financière[2].

[8]           A.S. était client de l’intimé de 1999 à 2009[3].

[9]           Durant cette période, il a notamment souscrit une police d’assurance-vie et fait des placements par le biais de l’intimé, alors que celui-ci était son représentant.

[10]        Parallèlement à son rôle de représentant, l’intimé avait une implication personnelle dans un projet immobilier à Sainte-Émélie-de-l’Énergie.

[11]        En septembre 2004, A.S. a investi personnellement la somme de 10 000 $ dans ce projet.

[12]        À cet égard, une entente manuscrite datée du 20 septembre 2004, signée par A.S. et par l’intimé, révèle les détails de cet investissement :

 « Lorraine 20/09/2004

Entente entre [A.S.] et Jean-Roch Nelson.

En échange d’un investissement de $10.000 dans le projet de terrains St-Émilie je m’engage à remettre dans les 3 ans de la dite entente la somme de $20.000. Advenant l’impossibilité de respecter cette entente M. [A.S.] se verra rétrocéder sans frais 3 terrains de ± 140.000 pieds2 à St-Émilie de l’Énergie.

Priorité accordé au remboursement en argent. » (sic) [4] 

 

[13]        Cette entente a été rédigée par l’intimé.

[14]        Au terme de la période de trois (3) ans prévue à l’entente de même qu’en date de l’audience, aucune somme ni aucun terrain n’avaient été remis à A.S.

[15]        Me Desrosiers en conclut que l’entente n’a pas été respectée par l’intimé, et ce, malgré plusieurs démarches d’A.S. pour obtenir le remboursement de son dû auprès de l’intimé.

[16]        À cet effet, une mise en demeure a été rédigée le 25 novembre 2015 par les avocats de A.S. Cependant, cette mise en demeure, transmise par courrier recommandé, n’a pas été acceptée par l’intimé et a été retournée à A.S[5].

[17]        Par ailleurs, Me Desrosiers produit comme pièce P-8A une conversation téléphonique obtenue dans le cadre de son enquête entre l’intimé et A.S. le 7 novembre 2016. Cette conversation a été enregistrée par A.S.

[18]        Cette conversation faisait suite à un commentaire d’A.S. publié sur la page Facebook de l’intimé puis transmis au fils de ce dernier par A.S[6], et qui se lit comme suit :

« Voici ce que je viens d’écrire à ton père:oui, mais regarde toi ce que tu fais, tu empruntes de l’argent de personne qui t’on fait confiance et tu les voles. Tu sais tu me dois de l’argent (20K) min. et j’attends que tu me remettre mon argent. J’espère que tes enfants ne suivent pas tes traces.

Excuse moi de t’aviser c’était pour que tu saches que ton père me doit de l’argent. » (sic)

 

[19]        À l’audience, les membres du Comité ont pu écouter l’enregistrement de près de deux (2) minutes et demie de cette conversation[7]. Dans cet enregistrement, on entend l’intimé invectiver A.S. dans des termes injurieux, grossiers et menaçants.

[20]        Le Comité retient notamment les propos suivants de cet enregistrement : « Tu vas payer mon chum », « t’as mêlé ma famille là-dedans, je vais mêler la tienne là, je vais engager un gars qui est un hacker en informatique … qui va aller écœurer tes  criss  de filles, comme toué t’ écœures mon gars », « tu vas voir mon ostie d’enfant de chienne, je vais te faire payer mon tabarnak », « j’ai un rendez-vous avec un avocat je vais te faire une poursuite pour diffamation … au bout de cinq (5) ans selon le code civil c’est fini les dettes, fais que légalement je te dois rien, tu vas te faire planter mon chum », « check ben tes filles comment qui vont se faire écœurer en tabarnak », « le gars y va partir des rumeurs comme quoi leur père c’est un pédophile », « tu vas payer mon [nom de famille du consommateur], vas chier [nom de famille du consommateur] »[8].

Témoignage de A.S.

[21]        A.S. est retraité depuis janvier 2010. Auparavant, il était inspecteur pour Transports Canada, et ce, de 2000 à 2010. Il était le client de l’intimé de mars 1999 à juin 2009, moment où il a décidé de changer de conseiller financier.

[22]        Quant au contexte de l’entente P-2, A.S. relate qu’à l’occasion d’une rencontre avec l’intimé à son domicile, celui-ci lui a parlé des terrains qu’il avait achetés à Sainte-Émélie-de-l’Énergie. L’intimé était alors propriétaire, selon ses dires, de deux (2) terrains et voulait en acquérir d’autres. L’intimé a alors offert à A.S. d’investir la somme de 10 000 $ comptant en échange de quoi il lui rembourserait 20 000 $ dans les trois (3) ans ou bien, si le remboursement ne pouvait pas se faire, il lui cèderait trois (3) terrains d’une superficie de 140 000 pieds carrés, sans frais.

[23]        L’entente produite à la pièce P-2 a alors été rédigée par l’intimé et, une fois signée par les deux (2) parties, A.S. a remis le jour même la somme de 10 000 $ en argent comptant à l’intimé.

[24]        Autant en 2007 qu’au moment de l’audience, l’intimé n’a pas honoré ses engagements consignés dans l’entente à la pièce P-2, et ce, malgré plusieurs démarches d’A.S.

[25]        Ainsi, A.S. s’est rendu à plusieurs reprises chez l’intimé pour lui demander ce qu’il advenait avec l’argent qu’il lui devait. À ces occasions, l’intimé lui racontait des « histoires », ou il ne répondait pas à la porte.

[26]        A.S. témoigne qu’il a également relancé l’intimé par téléphone.

[27]        Devant l’échec de ses démarches et l’attitude de l’intimé, A.S. a éventuellement compris qu’il s’était « fait avoir » par l’intimé.

[28]        La dernière fois où A.S. a parlé à l’intimé remonte au 7 novembre 2016.

[29]        A.S. explique qu’il avait répondu à un commentaire de l’intimé sur Facebook, a transmis ce commentaire au fils de celui-ci.

[30]        Il s’en est suivi la conversation enregistrée par A.S. et produite comme pièce P‑8A.

[31]        Référant à cet enregistrement, A.S. explique qu’à cette occasion, l’intimé lui a proféré des menaces ainsi qu’à l’égard de ses filles.

[32]        Prenant ces menaces au sérieux, A.S. a changé son nom sur Facebook et n’a gardé que quelques contacts, de peur de se faire « hacker » son compte.

[33]        A.S. déclare qu’en date de l’audience, il vit toujours avec un sentiment de crainte, car, dit-il, il ne fait pas confiance à l’intimé.

[34]        En contre-interrogatoire, A.S. précise avoir rencontré l’intimé en mars 1999, alors qu’il avait été présenté par une ancienne conjointe.

[35]        De même, il précise qu’il allait régulièrement chez l’intimé de 2000 à 2004, à raison d’une (1) fois par mois ou à tous les deux (2) mois.

[36]        La première fois qu’A.S. entend parler des terrains est chez l’intimé, et ce, en août ou septembre 2004.

[37]        À cet effet, A.S. précise qu’il allait de temps à autre chez l’intimé pour vérifier ses placements. Un jour, l’intimé lui a parlé du fait qu’il avait investi dans des terrains. L’intimé lui a alors montré des plans et lui a dit que s’il voulait « embarquer », il devrait lui donner 10 000 $.

[38]        A.S. n’a jamais insisté pour investir dans le projet, c’est l’intimé qui lui a offert.

[39]        Entre 2006 et 2013, l’intimé ne lui a jamais offert de terrain.

II- PREUVE DE L’INTIMÉ

[40]        L’intimé a été le seul témoin entendu en défense.

Témoignage de l’intimé

[41]        L’intimé explique que toute l’histoire a débuté en 2004.

[42]        Ainsi, il a fait l’acquisition d’un terrain de deux cents (200) arpents à Ste-Émélie-de-l’Énergie dans le cadre d’une faillite.

[43]        Vers le mois d’août 2004, Bell Canada (« Bell ») communique avec lui pour lui offrir d’installer une tour de télécommunication sur son terrain. De plus, cette entreprise s’engageait à construire un chemin principal sur son terrain et surtout, à y amener l’électricité.

[44]        Le terrain de l’intimé est à trois (3) kilomètres dans le bois et il estime le coût des investissements de Bell à 250 000 $.

[45]        Cependant, à Sainte-Émélie-de-l’Énergie, il y avait déjà une tour appartenant à Telus de sorte que l’intimé a demandé aux démarcheurs de Bell pourquoi ils ne s’installaient pas sur cette tour.

[46]        Ceux-ci auraient mentionné à l’intimé que Bell était en conflit avec Telus et qu’il ne s’agissait pas de la même installation, la tour de Telus étant pour le téléphone, alors que Bell voulait fournir des services d’Internet à haute vitesse.

[47]        Devant cette promesse de Bell, l’intimé décide alors de développer son terrain en lots.

[48]        L’intimé a acheté un terrain contigu au sien, de sorte qu’après cette transaction il possédait quatre-cents (400) arpents.

[49]        Le financement a été obtenu auprès de Desjardins en décembre 2004.

[50]        De plus, l’intimé a lui-même investi des sommes pour le développement de ses terrains.

[51]        À cet égard, l’intimé déclare qu’il n’avait pas besoin de financement supplémentaire auprès de qui que ce soit.

[52]        Malheureusement, Bell a éventuellement décidé de s’installer sur la tour Telus.

[53]        Tout ce que l’intimé avait dépensé devenait donc un investissement peu rentable, et l’intimé témoigne avoir essuyé une perte de 250 000 $ vu la volte-face de Bell.

[54]        Par ailleurs, tout le stress vécu a fait en sorte que l’intimé a été victime d’un infarctus en septembre ou en octobre 2005.

[55]        Vers l’été 2006, l’intimé commence à penser à abandonner le projet tel que prévu et envisage de vendre ses terrains.

[56]        C’est à ce moment qu’il aurait dit à A.S. qu’il pouvait choisir ses terrains, lesquels seraient vendus les premiers.

[57]        Même si l’entente prévoyait qu’il avait jusqu’en 2007 pour honorer ses engagements, il voyait que le projet n’avançait plus.

[58]        Cependant, à la même époque, en raison de la réforme cadastrale, il était très difficile de trouver un arpenteur-géomètre.

[59]        C’est pour cette raison que les premières ventes n’ont été effectuées que plus tard.

[60]        De toute façon, selon l’intimé, A.S. ne voulait pas de terrains.

[61]        À cette époque, A.S. venait encore régulièrement chez l’intimé.

[62]        Entre 2000 et 2004, son bureau était à Boisbriand, donc l’intimé met en doute le témoignage de A.S. selon lequel il allait le visiter chez lui à cette époque.

[63]        L’intimé n’a jamais demandé à A.S. ou à qui que ce soit d’investir dans son projet.

[64]        A.S. avait perdu 20 000 $ dans une entreprise d’urnes funéraires et voulait récupérer ses pertes. C’est pour cette raison qu’il se présentait au domicile de l’intimé pour lui demander d’investir.

[65]        Éventuellement, l’intimé, en boutade, a fait passer le message à A.S. d’amener 10 000 $ comptant, « pour qu’il [lui] sacre patience ».

[66]        Contre toute attente, la semaine suivante A.S. lui a apporté la somme demandée.

[67]        L’intimé déclare à ce sujet qu’il se sentait alors mal pris, puisqu’en fait, il ne voulait pas avoir quelqu’un avec lui dans son projet.

[68]        C’est dans ce contexte que l’intimé a rédigé l’entente P-2 qui a été signée par les parties.

[69]        Selon l’intimé, si le projet avait fonctionné, les terrains auraient valu 25 000$ chacun.

[70]        L’intimé aurait dit à peu près dix (10) fois à A.S. de prendre les terrains, A.S. répondait alors, « je vais attendre mon 20 000 $ ».

[71]        La dernière fois qu’il lui aurait demandé de prendre les terrains serait en 2012. Après, A.S. ne serait plus passé chez l’intimé.

[72]        L’intimé a par ailleurs commencé à louer des terrains[9]. Il aurait mentionné à A.S. de prendre ses terrains et faire de même, ce qui lui aurait permis de récupérer son argent.

[73]        En 2014 et 2015, l’intimé n’a pas eu de contacts avec A.S. parce qu’au mois d’octobre 2014, il a été opéré puis en convalescence pendant un an.

[74]        Par la suite, l’intimé apprend par son fils qu’A.S. lui a fait suivre un commentaire publié sur la page Facebook de l’intimé.

[75]        Après avoir pris connaissance de ce commentaire, le fils de l’intimé a appelé celui-ci en panique, disant qu’il était en réunion avec d’autres gens lorsqu’il a vu ce message traitant son père de voleur.

[76]        L’intimé témoigne à l’effet qu’apprenant la situation et ayant « le feu au derrière », il a appelé A.S. Il était alors furieux et vindicatif.

[77]        L’intimé témoigne à l’effet qu’il considère inacceptable le comportement de A.S., et qu’il ne devrait pas être sanctionné pour ses propos, car il aurait été provoqué par A.S.

[78]        De même, l’intimé ajoute dans son témoignage qu’il n’aurait pas fallu qu’il soit devant lui au moment de son échange de novembre 2016.

[79]        Par ailleurs, l’intimé soumet qu’il n’a jamais pensé une seconde, sauf lors de la conversation du 7 novembre 2016, alors qu’il est sous le coup de la colère, de ne pas rembourser A.S., ajoutant au surplus que si ce dernier voulait toujours les terrains ou la somme de 10 000 $, qu’il était prêt à les lui remettre. L’intimé prétend avoir une dette morale envers A.S.

[80]        En contre-interrogatoire, l’intimé confirme avoir rédigé et signé l’entente P-2 chez lui et avoir reçu la somme de 10 000 $ comptant de A.S.

[81]        De même, il reconnaît qu’A.S. était son client pour la période de 1999 à 2009.

[82]        Finalement, l’intimé confirme qu’il n’a jamais remis d’argent ou de terrains à A.S.

II- REPRÉSENTATIONS DU PLAIGNANT

[83]        Dans un premier temps, le procureur du plaignant souligne qu’à chaque époque visée par les chefs d’infraction de la plainte disciplinaire, M. Nelson était inscrit auprès de l’Autorité des marchés financiers.

[84]        Selon le procureur du plaignant, les chefs d’infraction contenus à la plainte disciplinaire peuvent être regroupés en (2) groupes : les chefs numéro 1 et 2 sont interreliés et découlent d’une même série de faits, alors que le chef numéro 3 est distinct.

[85]        À une question du Comité visant à déterminer quelles sont les dispositions légales applicables pour les chefs d’infraction numéro 1 et 2 de la plainte disciplinaire, le procureur du plaignant précise que pour le chef d’infraction numéro 1, il s’agit de l’article 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3), alors que pour le chef d’infraction numéro 2, il s’agit de l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2).

[86]        Par ailleurs, quant à la preuve présentée au Comité, le procureur du plaignant rappelle qu’en tout temps pertinent aux chefs d’infraction numéro 1 et 2, une relation de client-représentant existait entre A.S. et l’intimé, celle-ci ayant perduré de 1999 à 2009.

[87]        Selon le procureur, la relation de client-représentant est centrale pour le chef de conflit d’intérêts et pour celui d’appropriation de fonds.

[88]        Le procureur réfère par la suite à l’entente à la pièce P-2 qui n’est pas contestée et qui est très claire.

[89]        À cet égard, trois (3) ans après sa conclusion, la somme de 20 000 $ devait être remise à A.S., selon le plan A, alors que le plan B était de céder trois (3) terrains sans frais.

[90]        Au lendemain du 20 septembre 2007, il y aurait dû y avoir des gestes positifs de l’intimé pour que les termes de l’entente soient respectés.

[91]        Or, selon le procureur du plaignant, aucune preuve sérieuse n’a été administrée par l’intimé pouvant permettre de croire qu’il avait déployé quelque effort qu’il soit pour honorer ses engagements.

[92]        Par ailleurs l’investissement d’A.S. était au bénéfice de l’intimé, lequel s’est placé en situation flagrante de conflit entre ses intérêts propres et ceux de son client.

[93]        Quant à la conversation téléphonique du 7 novembre 2016, le procureur du plaignant soumet que l’intimé a invectivé et menacé A.S., son ancien client, alors qu’il détenait un certificat de l’Autorité des marchés financiers.

[94]        Il est clair pour le procureur du plaignant que l’intimé n’a pas agi avec professionnalisme et n’a pas eu une conduite empreinte de discrétion, d’objectivité et de modération, ce qui constitue un geste dérogatoire à l’article 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3).

[95]        Le procureur du plaignant a par la suite fait référence à l’affaire Chambre de la sécurité financière c. Baril[10] relativement aux notions de conflit d’intérêts et d’appropriation de fonds.

[96]        Faisant le parallèle avec cette affaire, le procureur du plaignant souligne que l’intimé avait un intérêt personnel dans l’entreprise dans laquelle il a accepté un investissement de A.S., ce qui le plaçait en situation de conflit d’intérêts.

[97]        Par ailleurs, toujours en relation avec cette décision, le procureur du plaignant note que dans le cas d’appropriation de fonds, il n’est pas pertinent de considérer l’intention de l’intimé de remettre l’argent dû ou même de savoir s’il y a eu remboursement en tout ou en partie. La conservation d’une somme d’argent sans autorisation constitue en soi de l’appropriation de fonds.

[98]        À cet effet, dès le lendemain du délai de trois (3) ans prévu à l’entente à la pièce P-2, l’intimé n’avait plus l’autorisation de détenir la somme que lui avait confiée A.S. à titre d’investissement, et se trouvait alors en situation d’appropriation.

[99]        Dans la même veine, lors de sa conversation téléphonique du 7 novembre 2016, le procureur du plaignant note que dans la présente affaire, l’intimé a clairement indiqué à A.S. qu’il n’avait aucune intention de lui remettre l’argent qu’il lui devait en vertu de l’entente car, selon lui, sa dette était alors légalement éteinte.

[100]     Le plaignant conclut en rappelant avoir fait la preuve des éléments constitutifs des infractions prévues aux trois (3) chefs de la plainte disciplinaire portée contre l’intimé.

III- REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

 

[101]     L’intimé soumet qu’il n’a jamais emprunté d’argent à A.S. et qu’il ne lui a jamais demandé ou suggéré d’investir dans son projet, de sorte qu’il n’a jamais été en situation de conflit d’intérêts.

[102]     Par ailleurs, l’intimé soumet avoir offert à plusieurs reprises à A.S. de prendre ses terrains, mais A.S. n’en voulait pas.

[103]     De même, l’intimé réitère qu’il n’a aucun problème à remettre les terrains à A.S., car il a une dette morale, ce qui est plus important qu’une dette légale.

[104]     L’intimé ajoute qu’il n’a jamais voulu s’approprier l’argent d’A.S.

[105]     En ce qui concerne le chef d’infraction numéro 3, l’intimé admet avoir «  pété un plomb » à cause de l’appel en panique de son fils et d’avoir invectivé A.S. pour cette raison.

IV- ANALYSE ET MOTIFS

Chef 1

[106]     Sous le chef d’infraction numéro 1, il est reproché à l’intimé de s’être placé en situation de conflit d’intérêts en empruntant à son client A.S. la somme de 10 000 $, et ce, le ou vers le 20 septembre 2004.

[107]     La preuve révèle que A.S. était le client de l’intimé pour la période de 1999 à 2009.

[108]     Le 20 septembre 2004, l’intimé a rédigé l’entente à la pièce P-2 par laquelle il s’engageait, moyennant un investissement de 10 000 $ de la part de A.S., à remettre à celui-ci dans les trois (3) ans suivant l’entente, la somme de 20 000 $ ou, en cas d’impossibilité de paiement de cette somme, à céder à A.S. trois (3) terrains de plus ou moins 140 000 pieds carrés.

[109]     La somme de 10 000 $ comptant a été remise à l’intimé par A.S. suite à la signature de l’entente par les deux (2) parties.

[110]      Cette somme de 10 000 $ était versée pour le bénéfice personnel de l’intimé, et ce, dans le cadre de son projet immobilier.

[111]     Il est à noter d’ailleurs que l’entente à la pièce P-2, rédigée par l’intimé, qualifie cette somme d’investissement.

[112]     Considérant ces faits ainsi que l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée, le Comité est d’avis que l’intimé s’est placé dans une situation de conflit d’intérêts en obtenant de la part de A.S. la somme de 10 000 $ à titre d’investissement dans son projet immobilier à Sainte-Émélie-de-l’Énergie.

[113]     À cet égard, le Comité ne retient pas l’argument de l’intimé selon lequel il n’aurait pas sollicité A.S. et que c’est plutôt ce dernier qui voulait absolument investir dans le projet de l’intimé.

[114]     D’une part, cette preuve est contredite par le témoignage crédible d’A.S. et, d’autre part, même si A.S. avait été celui qui avait sollicité l’intimé, ce que le Comité ne retient pas de la preuve, cela n’aurait rien changé au fait qu’en acceptant l’argent de son client pour son projet, l’intimé se plaçait dans une situation de conflit d’intérêts.

[115]     Par ailleurs, les explications de l’intimé sont d’autant moins crédibles quand on considère qu’il lui était loisible de tout simplement refuser l’argent d’A.S. s’il n’avait pas besoin d’un tel investissement.

[116]     Conséquemment, le Comité conclut que l’intimé doit être reconnu coupable d’avoir contrevenu à l’article 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière en se plaçant, à l’égard de son client A.S., dans une situation de conflit d’intérêts. 

Chef 2

[117]     Il est reproché à l’intimé, sous le chef d’infraction numéro 2 de la plainte disciplinaire, de s’être approprié, à compter du 21 septembre 2007, la somme de 10 000 $ que lui avait confiée A.S.

[118]     Dans l’affaire Baril, le Comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière rappelle certains principes relatifs à l’appropriation de fonds, qu’il convient de reproduire :

« [24] La preuve a révélé que l’intimé n’a jamais versé le capital et les intérêts échus en vertu de ce prêt. Selon l’argument de la plaignante, l’intimé, l’emprunteur en l’espèce, se devait de rembourser le prêt dès son échéance selon les termes auxquels il s’est engagé. Ainsi, par son défaut, l’intimé perdrait l’autorisation de détenir la somme prêtée et il doit être conclu qu’il s’est approprié la somme de neuf mille dix dollars (9 010 $).

 

[25] Ainsi, elle rapporte que : « l’infraction d’appropriation de fonds, pour les fins du droit disciplinaire, s’apparente à la possession d’un bien ou de sommes appartenant à un client de façon temporaire, sans son autorisation, et ce, même avec l’intention de le lui remettre. Elle est essentiellement fondée, dans tous les cas sur l’absence d’autorisation du client  ».

 

(…)

[82]  Le procureur de la plaignante citant, Me Patrick de Niverville, rapporta que :

« Selon la jurisprudence développée par le Tribunal des professions, l’appropriation de fonds est une infraction:

         qui doit être interprétée de façon large et libérale;

         qui ne nécessite pas de preuve d’intention malhonnête, sauf si le chef d’accusation y réfère;

         est essentiellement fondée, dans tous les cas sur l’absence d’autorisation du client.

[83]  Tel que représenté par le procureur de la plaignante, il y a lieu de considérer l’infraction d’appropriation de fonds comme davantage liée à la possession d’un bien ou de sommes appartenant à un client de façon temporaire, sans son autorisation, et ce, même avec l’intention de lui remettre plutôt que comme un vol. Le comité est d’avis que l’intimé ne s’est pas acquitté des mandats reçus par sa cliente et s’est, de plus, approprié à des fins personnelles des argents de sa cliente et ce, même s’il a remboursé la somme faisant l’objet de l’infraction. Il s’est ainsi approprié cette somme pendant plus d’un an, entre le mois d’avril 2005 et le mois d’août 2006. En conséquence, le comité conclut à la culpabilité de l’intimé sur chacun des chefs 32, 33, 34 et 35. »[11] (Notre soulignement)

[119]     Le Comité retient donc que l’appropriation de fonds s’apparente à la possession d’un bien ou de sommes appartenant à un client de façon temporaire, sans son autorisation, et ce, même avec l’intention de le lui remettre et même si cette somme est éventuellement remboursée, en tout ou en partie.

[120]     Dans la présente affaire, l’intimé a reçu la somme de 10 000 $ de la part de A.S., et ce, selon les conditions de l’entente à la pièce P-2.

[121]     À compter du 21 septembre 2007, soit la date d’échéance de la période qu’avait l’intimé pour rembourser A.S. ou pour lui céder des terrains, celui-ci détenait sans droit la somme que A.S. lui avait remise.

[122]     À cet égard, le Comité retient de la preuve qu’A.S. a fait de nombreuses démarches pour récupérer les sommes qui lui étaient dues, et ce, sans succès, l’intimé négligeant d’honorer ses engagements et allant même jusqu’à déclarer dans l’enregistrement à la pièce P-8A qu’il ne lui devait plus rien puisque légalement, sa dette était désormais éteinte.

[123]     Par ailleurs, la preuve démontre que l’intimé n’a jamais remboursé un sou à A.S., ni cédé les terrains promis.

[124]     À cet effet, le Comité retient le témoignage d’A.S. selon lequel l’intimé n’a fait aucune démarche utile pour respecter les engagements qu’il avait souscrits dans l’entente à la pièce P-2.

[125]     Eu égard à la preuve et à la crédibilité des différents témoignages entendus, le Comité conclut donc que l’intimé s’est approprié la somme de 10 000 $ appartenant à son client A.S., et ce, en contravention de l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

Chef 3

[126]     Sous le chef d’infraction numéro 3, il est reproché à l’intimé d’avoir invectivé et menacé A.S. à l’occasion d’un appel téléphonique du 7 novembre 2016.

[127]     Après avoir entendu l’enregistrement de la pièce P-8A, le Comité n’a aucun doute que l’intimé, alors qu’il était inscrit comme représentant auprès de l’Autorité des marchés financiers, a invectivé et menacé son ancien client A.S. lors d’un appel téléphonique ayant eu lieu le 7 novembre 2016.

[128]     D’ailleurs, l’intimé reconnaît dans son argumentation avoir invectivé A.S. Cependant, il prétend avoir eu raison d’agir de la sorte en raison du commentaire sur Facebook que A.S. avait relayé au fils de l’intimé.

[129]     Le Comité ne retient pas le moyen de défense de l’intimé.

[130]     Ainsi, même si l’intimé a pu perdre le contrôle en raison de l’implication de son fils dans cette situation, il n’en demeure pas moins que les paroles et le ton utilisés à l’égard d’A.S. sont inexcusables et inappropriés.

[131]     De même, il y a une disproportion totale entre le commentaire d’A.S. au fils de l’intimé et sa menace d’embaucher un hacker afin de propager la rumeur que A.S. est un pédophile, et ce, afin « d’écœurer » les filles d’A.S.

[132]     Clairement, le comportement de l’intimé est en contravention de l’article 6 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière qui prévoit que :

« 6. La conduite du représentant doit être empreinte de dignité, de discrétion, d’objectivité et de modération. »

[133]     Or, les paroles ainsi que le ton utilisés par l’intimé dans le cadre de l’appel téléphonique du 7 novembre 2016 sont aux antipodes d’une conduite empreinte de  dignité et de modération.

[134]     En conséquence, le Comité en vient à la conclusion que l’intimé doit être reconnu coupable sous le chef d’infraction numéro 3 de la plainte disciplinaire.

PAR CES MOTIFS, LE COMITÉ DE DISCIPLINE :

DÉCLARE l’intimé coupable sous le chef d’infraction numéro 1 de la plainte disciplinaire pour avoir contrevenu à l’article 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3);

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures quant à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2) ainsi qu’aux articles 16, 18 et 20 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D‑9.2, r. 3) invoqués au chef d’infraction numéro 1 de la plainte disciplinaire;

DÉCLARE l’intimé coupable sous le chef d’infraction numéro 2 de la plainte disciplinaire pour avoir contrevenu à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (RLRQ, c. D-9.2);

ORDONNE l’arrêt conditionnel des procédures quant aux articles 11, 17 et 35 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3) invoqués au chef d’infraction numéro 2 de la plainte disciplinaire;

DÉCLARE l’intimé coupable sous le chef d’infraction numéro 3 de la plainte disciplinaire pour avoir contrevenu à l’article 6 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (RLRQ, c. D-9.2, r. 3);

ORDONNE au secrétaire du Comité de discipline de convoquer les parties à une audition pour entendre la preuve et les représentations des parties sur sanction.

 

 

 

 

 

 

(s) Marco Gaggino _________________

Me Marco Gaggino

Président du Comité de discipline

 

 

(s) Claudette Saint-Germain__________

Mme Claudette Saint-Germain

Membre du Comité de discipline

 

 

(s) Pierre Décarie___________________

M. Pierre Décarie

Membre du Comité de discipline

 

 

 

 

 

Me Jean-Philippe Lincourt

BÉLANGER, LONGTIN, S.E.N.C.R.L.

Procureurs de la partie plaignante

 

L’intimé se représentait seul.

 

 

Date d’audience :

29 mai 2018

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] Pièce P-1.

[2] Pièce P-3 (en liasse).

[3] Voir notamment les pièces P-3, P-5, pages 191 et 364, P-5, P-6, pages 196 et 200 et P-7, page 294.

[4] Pièce P-2.

[5] Pièce P-4, page 165 et pièce P-3, page 141. Par ailleurs, voir le courriel de Me Lincourt du 1er juin 2018 confirmant l’absence de preuve de réception de cette mise en demeure.

[6] Pièce P-4, page 148.

[7] Pièce P-8A.

[8] Transcription maison faite par le Comité d’extraits de l’enregistrement.

[9] Pièce I-2.

[10] 2009 CanLII 293 (QC CDCSF).

[11] Pécitée, note 10.

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