Chambre de la sécurité financière (Québec)

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COMITÉ DE DISCIPLINE

CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

CD00-1180

 

DATE :

17 juin 2019

______________________________________________________________________

 

LE COMITÉ :

Me Janine Kean

Présidente

M. John Ruggieri, A.V.A.

Membre

______________________________________________________________________

 

NATHALIE LELIÈVRE, ès qualités de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Partie plaignante

c.

CLAUDE NOBERT, conseiller en sécurité financière et représentant de courtier en épargne collective (certificat numéro 125073 et BDNI numéro 1704311)

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE COMITÉ A RÉITÉRÉ L’ORDONNANCE SUIVANTE :

         Non-divulgation, non-diffusion et non-publication des noms et prénoms des consommateurs impliqués dans la présente plainte ainsi que toute information personnelle les concernant.

[1]          Le comité de discipline (le comité) de la Chambre de la sécurité financière (CSF) s'est réuni à Montréal, pour procéder à l’audition sur sanction, à la suite de sa décision sur culpabilité rendue contre l'intimé le 10 décembre 2018.

[2]          La plaignante était représentée par Me Mathieu Cardinal, alors que l’intimé était présent et représenté par Me Carolyne Mathieu.

[3]          Par sa décision sur culpabilité, le comité a déclaré l’intimé coupable sous chacun des quatre chefs d’accusation contenus dans la plainte :

a)       Sous le chef d’accusation 1, concernant le changement de bénéficiaire de la police d’assurance au profit de C.J., J.P. et H.G.J.B., pour avoir contrevenu à l’article 21 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (CDCSF) énonçant :

21. Le représentant doit ignorer toute intervention d’un tiers susceptible d’influer sur l’exécution des devoirs reliés à l’exercice de ses activités au préjudice de son client ou de tout client éventuel.

b)       Sous le chef d’accusation 2, concernant la signature en sa faveur d’une contre-lettre, pour avoir contrevenu à l’article 18 du CDCSF énonçant :

18. Le représentant doit, dans l’exercice de ses activités, sauvegarder en tout temps son indépendance et éviter toute situation où il serait en conflit d’intérêts.

c)       Sous le chef d’accusation 3, concernant le transfert de propriété de la police d’assurance au profit de C.J., J.P. et H.G.J.B., pour avoir contrevenu à l’article 19 du CDCSF énonçant :

19. Le représentant doit subordonner son intérêt personnel à celui de son client et de tout client éventuel. Sans restreindre la généralité de ce qui précède, le représentant: (…).

d)       Sous le chef d’accusation 4, pour avoir transmis la demande de prestation décès au profit de C.J., J.P. et H.G.J.B., pour avoir contrevenu à l’article 19 du CDCSF.

LA PREUVE

[4]          Comme preuve additionnelle sur sanction, Me Cardinal a déposé la décision du Tribunal administratif des marchés financiers (TMF), rendue le 20 décembre 2017[1] sur la demande de l’Autorité des marchés financiers (AMF) contre notamment C.J., J.P. et H.G.J.B., les trois consommateurs impliqués dans la présente plainte disciplinaire, la succession de L.R., le cabinet de l’intimé Gestion Claude Nobert inc. et l’intimé lui-même.

[5]          Me Mathieu a fait entendre :

a)     Monsieur Mathieu Lefebvre, conseiller en sécurité financière et représentant en épargne collective, dirigeant responsable ainsi que superviseur du cabinet de l’intimé, à la suite de l’entente conclue entre l’intimé et l’AMF;

b)     L’intimé qui a déposé l’entente conclue entre lui, son cabinet et l’AMF (SI-1) et une lettre du Groupe financier Horizons (Groupe) en date du
30 avril 2019 (SI-2).

REPRÉSENTATIONS DE LA PLAIGNANTE

[6]           Le procureur de la plaignante a recommandé d’imposer à l’intimé une période de radiation temporaire de trois ans sous chacun des quatre chefs d’accusation, à être purgée de façon concurrente.

[7]           Il a également recommandé d’ordonner la publication d’un avis de la présente décision et la condamnation de l’intimé au paiement des déboursés.

[8]           L’intimé s’étant placé en situation de conflit d’intérêts et fait défaut de conserver son indépendance à l’égard de son client L.R., le procureur de la plaignante a résumé brièvement le contexte des infractions commises :

a)     En 1994, L.R. a souscrit par l’entremise de l’intimé une police d’assurance vie universelle de 2 M$;

b)     Au cours de leur relation, l’intimé a investi, pour sa part, dans des dinars irakiens, par l’entremise de L.R., mais ces investissements se sont révélés infructueux;

c)      En 2014, une première rencontre a eu lieu entre l’intimé et les trois autres personnes impliquées dans la plainte, C.J., J.P. et H.G.J.B., ceux-ci ayant vécu avec L.R. des expériences semblables à celle de l’intimé;

d)     Plus tard en 2014, les quatre ont tenu une deuxième rencontre au cours de laquelle ils ont décidé de tous se rendre à la clinique de L.R. à Drummondville, pour lui parler de leurs investissements, sans toutefois s’annoncer au préalable;

e)     Cette visite à L.R. est vite devenue tendue, voire hostile;

f)       C’est à cette occasion que l’intimé a procédé au changement de bénéficiaire de la police d’assurance détenue par L.R., au profit de C.J., J.P. et H.G.J.B.;

g)     Ces derniers ont ainsi été nommés bénéficiaires irrévocables;

h)     Le 31 janvier 2015, l’intimé a signé une contre-lettre avec C.J., J.P. et H.G.J.B., stipulant que le produit de l’assurance vie serait divisé en quatre parts égales, l’intimé profitant ainsi du quart des 2 M$ de ladite police;

i)       Le 4 mai 2015, l’intimé a procédé au changement du titulaire de la police, en faveur de C.J., J.P. et H.G.J.B;

j)       Le 7 novembre 2015, L.R. s’est suicidé;

k)      Par la suite, l’intimé a transmis à l’assureur la réclamation de C.J., J.P. et H.G.J.B.;

l)       Le 26 février 2016, l’AMF a demandé au TMF une ordonnance de blocage[2].

[9]          Le procureur de la plaignante a rappelé que deux théories s’affrontaient au moment de la culpabilité, la première voulant que l’intimé ait agi en toute connaissance de cause et de façon préméditée et la deuxième voulant qu’il ait plutôt agi de façon involontaire. Le comité a tranché en faveur de la première théorie, soulignant qu’au surplus, l’intimé avait eu de nombreuses occasions d’éviter de poser les gestes reprochés ou de les corriger.

[10]       De l’avis du procureur, la contre-lettre à elle seule prouve la préméditation de la part de l’intimé en ce qui a trait au changement de bénéficiaire de la police d’assurance.

[11]       Il a aussi rappelé qu’à l’audition sur culpabilité le témoignage de l’intimé était évasif et comportait des contradictions, surtout quant au contexte entourant la contre-lettre.

[12]       Il a soutenu que la décision sur culpabilité rendue par le comité appelait une sanction sévère.

[13]       Ensuite, il a abordé la décision du TMF[3] signalant qu’initialement, l’AMF demandait l’annulation du changement de bénéficiaires de la police d’assurance vie en faveur de C.J., J.P. et H.G.J.B. et du changement subséquent de titulaire en faveur de ces trois mêmes personnes. Il a souligné que le TMF ayant refusé ces deux demandes, le produit de l’assurance de L.R. de 2 M$ leur a été versé.

[14]       Quant à l’intimé et son cabinet, le TMF a entériné l’entente conclue entre eux et l’AMF[4]. Par ailleurs, le Tribunal a signalé sa difficulté à concilier comment l’AMF avait pu conclure cette entente qu’il considérait comme étant clémente, alors qu’elle tentait de lui démontrer que les manquements étaient d’une telle importance qu’il devait annuler lesdites transactions[5]. Nonobstant ces commentaires, le TMF l’a entérinée, la déclarant suffisamment raisonnable.

[15]       Au cours de son analyse, à savoir s’il pouvait ou non annuler les transactions en cause, le TMF a pris acte que le volet déontologique serait traité par la CSF[6], tout en reconnaissant que la législation lui permettait de le faire également[7], mais déclarant  ne pas vouloir opérer un dédoublement des rôles de chacun. Le procureur de la plaignante a demandé au comité de considérer ces indications du TMF lors de son analyse de cette décision qui s’avère être seulement une mesure administrative.

[16]       Quant aux facteurs aggravants, il a mentionné :

a)     Le degré spécialement important de la gravité objective des infractions;

b)     L’étalement des infractions sur une période relativement courte;

c)      L’existence d’une contre-lettre démontrant la préméditation des gestes, en dépit de ce que l’intimé a voulu faire croire au comité en alléguant s’être retrouvé dans un tourbillon;

d)     L’avantage tiré par l’intimé de sa faute.

Conformément à la contre-lettre, l’intimé devait retirer 500 000 $, soit le quart de l’assurance vie de 2 M$. Aux dires de l’intimé, il n’a finalement obtenu que 150 000 $ au cours de la dernière année;

e)     La longue expérience de l’intimé qui exerce depuis plus de quarante-cinq ans rend inacceptable sa prétention d’avoir agi par naïveté ou ne pas avoir agi en connaissance de cause;

f)       La présence d’un risque de récidive, en dépit de la lettre signée par la vice-présidente des ventes du Groupe financier Horizons de la région du Québec[8].

Cette lettre, plutôt laconique, ne fait que mentionner que le rapport de l’ancien chef de la conformité sur cette affaire offrait une analyse positive.

Du plus, comme l’intimé a témoigné que la commission de ces fautes était devenue hors de son contrôle, cela est peu rassurant pour le futur. Aussi, il lui paraît contradictoire pour l’intimé de déclarer assumer ses erreurs et en même temps qu’elles étaient hors de son contrôle.

 

[17]       Comme facteurs atténuants, il a noté :

a)     Que ce cas particulier ne risque pas de se présenter souvent, d’autant plus que la preuve devant le TMF laissait croire que le tout faisait partie d’un stratagème international frauduleux auquel participait L.R.;

b)     L’absence d’antécédent disciplinaire;

c)      L’entente conclue avec l’AMF pour une supervision de son cabinet pendant une période de trois ans qui expire le 30 juin 2019, cette période ayant commencé en 2016.

Néanmoins, rien dans le témoignage de son superviseur n’assurait que les gestes, autres que ceux relevant de la conformité c’est-à-dire avoir rempli adéquatement les formulaires obligatoires ou recommandés par l’industrie, soient décelés à même les dossiers de l’intimé. Or, les fautes commises en l’espèce ne relèvent pas de ce type d’erreurs, mais de gestes exigeant des démarches approfondies pour les découvrir.

Qui plus est, le témoin était incapable de différencier l’AMF et la CSF, alors que son rôle était d’appliquer le cadre réglementaire.

Par conséquent, son témoignage a peu d’incidence sur les éléments dont doit tenir compte le comité lors de la détermination de la sanction à imposer à l’intimé.

[18]        Subséquemment, il a passé en revue le cahier d’autorités remis au soutien de la sanction proposée[9], s’attardant particulièrement à la décision Thibault.

[19]        Il a rapporté que dans l’affaire Thibault, comportant treize chefs d’accusation, seul le troisième concernait une infraction relative à un conflit d’intérêts lié au transfert d’une police d’assurance vie. Thibault avait convaincu son client de lui vendre la police qu’il ne voulait plus, en lui expliquant que ce type de police pouvait être vendu à profit à un « hedge fund ». Par conséquent, il lui a fait signer des documents transférant ladite police à une fiducie, dont il était lui-même fiduciaire et ses deux filles bénéficiaires. Le client ne savait pas que ce faisant, sa police profitait indirectement à l’intimé. Le comité a conclu que l’intimé ne pouvait ainsi spéculer sur la vie de son client, en plus de le tenir dans l’ignorance. Il ne pouvait pas non plus procéder comme il l’a fait en lui faisant cadeau de 20 000 $ en raison de cet achat[10] par la fiducie. Thibault a été radié cinq ans sous ce chef d’accusation.

[20]        Selon le procureur de la plaignante, un parallèle est à faire avec la contre-lettre dans le présent dossier. Par celle-ci, l’intimé a non seulement caché la vérité sur sa participation au produit de l’assurance vie de son client, mais n’en a pas informé ce dernier.

REPRÉSENTATIONS DE L’INTIMÉ

[21]        La procureure de l’intimé a déposé un cahier d’autorités[11] incluant la décision du TMF discutée par son confrère. Même si ces autorités portent sur des intimés s’étant placés en situation de conflits d’intérêts ou ayant fait défaut de conserver leur indépendance, elle a précisé qu’aucun des contextes entourant les infractions ne s’apparentait à celui en l’espèce. Ces décisions ont conclu pour des infractions de même nature à des périodes de radiation d’un à trois mois.

[22]        À son avis, aucune des autorités fournies par la plaignante ne se rapproche non plus du contexte de la commission des infractions en l’espèce, le présent cas étant unique.

[23]        Commentant la décision du TMF, elle a souligné que celui-ci rapportait que L.R. avait accepté et confirmé les démarches entreprises par l’intimé, telles que les changements de bénéficiaire et de titulaire de sa police d’assurance vie, et qu’il n’avait pris aucune action pour mettre fin à ces changements[12].

[24]        Elle a convenu qu’une ratification de ces transactions par L.R. n’atténuait probablement pas la responsabilité de l’intimé, mais qu’il s’agissait d’un élément important à considérer pour la détermination de la sanction.

[25]        Comme indiqué par le TMF[13], L.R. comprenait qu’il perdait ses droits. Il s’agissait d’un individu commercialement avisé, qui avait d’ailleurs déjà donné en garantie sa police, ce qui supportait la version de l’intimé voulant que ce soit plutôt lui qui a été la victime en l’espèce. D’ailleurs, le TMF a constaté que L.R. n’était pas un ignare, qu’il s’agissait d’un individu ayant trompé plusieurs personnes[14]. Qui plus est, L.R. était lui-même un professionnel, soumis à son ordre, ce qui le distinguait des autres consommateurs habituellement impliqués. Il s’agit d’un cas unique.

[26]        Insistant sur le côté délinquant de L.R., elle a avancé que ce dernier avait en quelque sorte incité l’intimé à commettre ces gestes, ajoutant même qu’il y avait lieu de se questionner sur les raisons de son suicide.

[27]        Dans un autre ordre d’idées, elle a signalé que le TMF possédait une double juridiction, partageant sa compétence avec le comité de discipline de la CSF, il pouvait très bien se prononcer à l’égard d’un individu. Or, il ne l’a pas fait, bien qu’il ait étudié largement les gestes de l’intimé, passant au peigne fin son comportement et mettant en doute l’entente de l’AMF, mais l’entérinant quand même. Le TMF a choisi de scinder sa compétence, alors qu’il pouvait se prononcer à l’égard de l’intimé.

[28]        À ce propos, elle a soutenu que le comité n’avait pas à agir en exécution de la décision du TMF qui lui a délégué en quelque sorte la tâche d’imposer à l’intimé la sanction qu’il juge pertinente.

[29]        Étant donné la conclusion du TMF, elle a fait valoir que l’intimé avait déjà été jugé et puni devant subir une supervision pendant trois ans. Alléguant que la sanction ne doit pas être accablante et doit avoir une fin, elle a soumis des passages de l’article de Jean-Guy Villeneuve[15], sur le caractère accablant ou excessif du cumul de sanctions lorsque celles-ci sont appliquées globalement.

[30]        Elle a également plaidé, comme le TMF l’a énoncé, « qu’un client peut consentir à ce qu’un représentant agisse pour lui malgré qu’il soit en situation de conflit d’intérêts. Or, il ne peut pas renoncer au devoir d’indépendance de celui-ci. »[16].

[31]        Parmi les facteurs atténuants, elle a convenu avec son confrère qu’il s’agit d’un cas particulier impliquant en outre un stratagème international frauduleux. Elle a réitéré que l’intimé a exercé pendant plus de quarante-cinq ans sans aucun antécédent disciplinaire et a invité le comité à tenir compte du fait que ce dernier y a perdu les économies d’une vie[17], ainsi que des éléments suivants :

a)     La collaboration de l’intimé à l’enquête;

b)     L’intimé n’a jamais nié les faits;

c)      Il a exprimé des regrets et a expliqué s’être « fait avoir ».

[32]        Contrairement à son confrère, elle est d’avis que le comité devrait être rassuré par le témoignage de monsieur Lefebvre. Celui-ci remet un rapport mensuel à l’AMF qui peut intervenir si elle n’est pas satisfaite, ce qui ne semble pas avoir été le cas. Pour ce qui est de l’argument voulant que la lettre du Groupe financier Horizons[18] ne soit pas concluante, elle a soutenu qu’étant donné que le Groupe désirait toujours que l’intimé en fasse partie et qu’il méritait son appui, force était de conclure que l’intimé est un représentant respectable.

[33]        Vu l’ensemble des circonstances du présent dossier, le risque de récidive est faible, le cas de L.R. s’avérant un cas unique au cours de la longue carrière de l’intimé. Au surplus, il a commis ces gestes dans un court laps de temps.

[34]        De plus, l’intimé a indiqué avoir reçu 150 000 $ du produit d’assurance, alors qu’il avait le loisir de taire ce fait. Or, en se basant sur le montant de 480 000 $USD mentionné par le TMF, elle évalue sa perte à environ 800 000 $CAD.

[35]        Quant au témoignage de l’intimé voulant qu’il ait été victime de L.R., il devait être perçu non pas comme un déni de sa culpabilité, mais plutôt comme une explication de la situation.

[36]        Puisque la succession de L.R. n’a pas contesté ou réclamé le produit de l’assurance, aucun préjudice n’a été subi, d’autant plus que le TMF n’a pas accordé l’annulation de la désignation de bénéficiaires et de titulaires, mais par sa décision a permis à l’assureur de verser les 2 M$ en faveur de C.J., J.P. et H.G.J.B.

[37]        Elle a rappelé que les éléments propres à la personnalité du professionnel devaient aussi être considérés.

[38]        Enfin, se gardant bien de suggérer une quelconque sanction, elle a laissé le tout à la discrétion du comité, mais a plaidé que des périodes de radiation de trois à six mois seraient même excessives en l’espèce. Comme le dossier est un cas particulier, il devait être traité comme tel.

RÉPLIQUE DE LA PLAIGNANTE

[39]        Bien que la plupart des arguments de sa consœur reposent sur le fait qu’il s’agit d’un cas unique, il n’en est rien pour les éléments essentiels des infractions de changement de bénéficiaire et de titulaire, ni dans le fait que l’intimé s’est bel et bien placé en situation de conflit d’intérêts et n’a pas su conserver son indépendance en agissant comme il l’a fait. Ce qui distingue ce dossier, ce sont les éléments périphériques.

[40]        La situation de victime représentée par l’intimé constitue la trame de fond pour expliquer ses gestes. De même, que L.R. soit ou non un consommateur sophistiqué n’est qu’accessoire. Rien dans cette situation n’est pertinent aux fins de la détermination de la sanction.

[41]        À l’instar du comité, il a rappelé que c’est l’intimé en tant que représentant qui est devant lui et non le consommateur.

[42]        Les éléments plus sensationnels que sa consœur a mis de l’avant, comme le suicide de L.R. et l’existence d’une fraude potentielle des investissements qu’il proposait à ses patients, ne sont pas pertinents. Ils ne changent en rien la gravité objective des infractions commises par l’intimé qui sont semblables à celles que l’on retrouve dans les autorités qu’il a soumises au soutien de sa recommandation.

[43]        Quant à l’argument voulant que l’intimé ait déjà été puni, il a rappelé que selon la supervision que monsieur Lefebvre a décrite, celle-ci requérait tout au plus une rencontre d’une heure par semaine, voire généralement quinze minutes, de sorte que rien ne permet de dire que celle-ci punissait l’intimé.

[44]        Il ressort manifestement de la décision du TMF qu’il ne s’agit que d’une mesure administrative.

[45]        Quant à la contre-lettre, il s’agissait pour l’intimé d’un moyen utilisé aux fins de bénéficier du produit de l’assurance vie de son client en contournant ses obligations déontologiques, ce qu’il savait pertinemment.

[46]        Quant à l’évaluation de 800 000 $CAD pour les prétendues pertes de l’intimé, celle-ci n’a fait l’objet d’aucune preuve. La seule preuve se trouve à la pièce P-5 déposée sur culpabilité. Elle fait état de sommes investies par l’intimé quatorze ans avant les faits et d’autre plus modestes en 2010-2011[19], lesquelles sont loin du montant avancé.

[47]        Au sujet du cumul des sanctions et de leur effet accablant, lorsqu’il y a plusieurs chefs d’accusation, cela peut rapidement entraîner ce résultat. Toutefois, dans le présent cas, il y a quatre infractions et la radiation temporaire de trois ans demandée est à purger de façon concurrente. Par conséquent, jumelée à la mesure administrative que le TMF a entérinée, elle ne revêt certes pas un tel effet.

[48]        Quant aux autorités soumises par sa consœur, il a signalé que dans l’affaire Szabo[20], une radiation de deux ans avait été ordonnée et la décision Parent est traitée dans l’affaire Huet[21] qu’il a soumise au soutien de sa recommandation. Quant à l’affaire Daigle, une radiation de deux mois a été ordonnée, mais comme y mentionné, il s’agissait d’un cas où l’intimé a convaincu le comité[22] qu’il n’aurait jamais agi ainsi à l’égard de quelqu’un avec qui il n’avait pas de lien familial, ce qui rendait inexistant le risque de récidive.

ANALYSE ET MOTIFS

[49]        Le comité est d’avis que non seulement la gravité objective des infractions est indéniable, mais elle revêt un degré spécialement important, en raison du contexte entourant leur commission par l’intimé.  

[50]        Tel que plaidé par le procureur de la plaignante, le changement de bénéficiaire a été prémédité, et la signature de la contre-lettre le démontre de façon flagrante. Cette façon de faire pour contourner ses obligations déontologiques constitue un geste d’une grande gravité qui ne saurait être toléré. 

[51]        En ce qui concerne la crédibilité de l’intimé, sur sanction tout comme lors de la culpabilité, celui-ci retenait de l’information, répondait de façon évasive de sorte que plusieurs questions se sont révélées nécessaires afin d’obtenir un certain éclairage.

[52]        Notamment, il a persisté à dire que la contre-lettre avait été préparée non pas par lui, mais par un avocat. Il a toutefois oublié de mentionner que c’est lui qui l’avait mandaté à cette fin. Il en est de même de l’obtention d’une partie du produit de la police d’assurance après le décès de L.R. Il a d’abord déclaré n’avoir entrepris aucune démarche en ce sens ni donné mandat à qui que ce soit. Il dira finalement qu’il a communiqué avec le même avocat ayant rédigé la contre-lettre, lequel a négocié pour lui avec C.J., J.P. et H.G.J.B.

[53]        Aussi, ce n’est qu’après insistance lors de son contre-interrogatoire que l’intimé a, « du bout des lèvres », avancé les 150 000 $ qu’il a perçus sur les 2 M$ de l’assurance vie souscrite par l’entremise de cet avocat. Étant la seule preuve que le comité détient à ce titre, ce montant sera retenu comme étant l’avantage tiré par l’intimé de ses fautes.

[54]        Sa procureure a avancé que l’intimé avait subi des pertes de 800 000 $CAD. Cependant, la seule preuve au dossier est celle fournie à la pièce P-5 qui rapporte des investissements par l’intimé d’au plus 312 000 $USD dans des dinars irakiens, dont 270 000 $USD en 2000, quatorze ans avant les faits, la balance de 42 000 $USD ayant été investie en 2010 et 2011. Force est de constater que ces sommes ne peuvent supporter les 800 000 $CAD avancés. Au surplus, comme l’intimé est devant lui à titre de représentant et non de consommateur, le comité estime que ses pertes ne font pas partie des éléments à considérer pour la détermination de sa sanction.

[55]        Quant aux regrets exprimés par l’intimé, ils sont plutôt mitigés. Pour l’essentiel, il s’est présenté comme victime de son client, répétant maintes fois qu’il est un homme honnête, mais qu’il « s’était fait avoir » par L.R. en insistant sur le caractère douteux de celui-ci, laissant même paraître une certaine colère à son égard. Encore là, l’intimé semble confondre son rôle de conseiller avec celui de consommateur. Du reste, conclure comme il le laisse entendre signifierait qu’il a été d’une naïveté extraordinaire[23], ce qui serait loin de rassurer le comité sur sa capacité à exercer.

[56]        Les faits sont plus simples. C’est l’appât du gain qui a amené l’intimé à souscrire les investissements proposés par L.R. et est à la source de ses fautes professionnelles. La trame factuelle a démontré qu’il a consciemment et de façon répétée fait le choix de faire fi de ses obligations déontologiques.

[57]        Comme énoncé par le TMF : « (…), un manquement au devoir d’indépendance entache la relation de confiance entre le professionnel et son client, laquelle doit être basée sur la loyauté et l’honnêteté »[24].

[58]        Quant à la mesure administrative négociée avec l’AMF, avec respect pour l’opinion contraire, elle n’est pas de nature punitive.

[59]        Qui plus est, la supervision en l’espèce ne paraît pas avoir eu un caractère contraignant sur la pratique de l’intimé qui a d’ailleurs continué à exercer sans interruption.

[60]        D’une part, même s’il a témoigné qu’en conséquence des événements soulevés dans le présent dossier, il a perdu son contrat avec la compagnie d’assurance Empire, lequel était à ses dires l’un de ses plus importants, ainsi que celui de La Capitale, questionné par le comité à savoir s’il détenait des contrats avec d’autres compagnies, avec orgueil, l’intimé a énuméré les nombreuses autres avec qui il en détient, la liste s’avérant plutôt longue.

[61]        D’autre part, le témoignage de son superviseur monsieur Lefebvre a laissé le comité pour le moins perplexe.

[62]        D’abord, il ne se souvenait pas qui l’avait sollicité pour agir comme superviseur du cabinet de l’intimé, déclarant même se demander si c’était lui qui l’avait offert à l’intimé. Finalement, après insistance, il a reconnu que c’est à la demande du Groupe qu’il a cumulé sa fonction de directeur de région et celle de superviseur du cabinet de l’intimé.

[63]        Aussi, le comité conçoit mal comment monsieur Lefebvre a pu témoigner avoir agi à titre gratuit en tant que superviseur de l’intimé, alors que questionné à ce sujet par le comité, il a dû reconnaître que pour les deux premières années durant lesquelles il continuait d’agir comme directeur de la région, il recevait toujours sa rémunération du Groupe.

[64]        À tout événement, selon son témoignage, dépendant du volume de vente et du type d’assurance souscrite, pour passer à travers les différents formulaires aux dossiers de l’intimé, leur rencontre hebdomadaire pouvait durer au maximum entre trente minutes et une heure.

[65]        Ainsi, son rôle qui prend fin le 30 juin prochain se rapproche davantage de celui d’un maître de stage devant remplir un formulaire sur lequel il coche des « oui » ou des « non ».

[66]        Par ailleurs, pour déceler un conflit d’intérêts ou le défaut de sauvegarder son indépendance de la part d’un représentant, une supervision beaucoup plus pointue s’avère pourtant nécessaire.

[67]        Pour ce qui est du caractère unique de la situation, à l’instar du procureur de la plaignante, le comité est d’avis qu’il n’en est rien. Ce sont plutôt les circonstances entourant l’affaire, dont le suicide du consommateur, les tractations conclues entre l’intimé et C.J., J.P. et H.G.J.B. pour arriver à leurs fins et le fait que les investissements proposés par L.R. fissent partie, selon la décision du TMF, d’un stratagème international frauduleux, qui sont sensationnelles.

[68]        Sauf respect, le comité estime que ces particularités ne constituent pas des facteurs atténuants, même s’il est exact que ces circonstances ne risquent pas de se présenter souvent et que dans les affaires soumises, le contexte entourant les changements de bénéficiaire et de titulaire de polices pouvait être différent.

[69]        Quant au risque de récidive, il peut, à première vue, sembler négligeable étant donné que l’intimé est maintenant âgé de 69 ans et ayant une moins longue carrière devant lui. D’un autre point de vue, considérant ces mêmes éléments, advenant que l’intimé ait à choisir entre une occasion d’affaires proposée par un de ses clients et ses devoirs de représentant, il pourrait être tenté de contrevenir de nouveau à ses obligations déontologiques devant les gains pécuniaires qu’il pense pouvoir en tirer. Le risque de se placer en situation de conflit d’intérêts ou de ne pas sauvegarder son indépendance se trouve ainsi très présent.

[70]        Les affaires soumises par la plaignante au soutien de la sanction qu’elle recommande comportent certaines similitudes avec le présent dossier, et font surtout état de la sévérité avec laquelle sont sanctionnés les représentants qui privilégient leurs intérêts au détriment de ceux de leurs clients. Dans celles-ci, des périodes de radiation variant entre trois et cinq ans ont été ordonnées.

[71]        À l’instar de l’affaire Thibault[25], des sanctions sévères et dissuasives s’imposent en l’espèce.

[72]        Aussi, considérant les faits propres à la présente affaire, le degré de gravité particulièrement important des infractions commises, et les autres facteurs discutés, une période de radiation de cinq ans paraît être la sanction adéquate pour chacune des infractions commises.

[73]        Néanmoins, le comité estime que l’absence d’antécédent disciplinaire combiné à l’âge de l’intimé milite pour une période de radiation plus courte comme recommandé par la plaignante.

[74]       Par conséquent, le comité ordonnera la radiation temporaire de l’intimé pour une période de trois ans sous chacun des quatre chefs d’accusation, à purger de façon concurrente.

[75]       Le comité ordonnera également la publication d’un avis de la décision et condamnera l’intimé au paiement des déboursés.

PAR CES MOTIFS, le comité de discipline :

RÉITÈRE ORDONNER la non-divulgation, la non-publication et la non-diffusion des noms et prénoms des consommateurs impliqués dans la présente plainte ainsi que toute information personnelle les concernant;

ORDONNE, sous chacun des chefs d’accusation 1, 2, 3 et 4, la radiation temporaire de l’intimé pour une période de trois ans, à être purgée de façon concurrente;

ORDONNE au secrétaire du comité de discipline de faire publier, aux frais de l’intimé, un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où ce dernier a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où il a exercé ou pourrait exercer sa profession conformément aux dispositions de l’article 156 du Code des professions (RLRQ, c. C-26);

CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément aux dispositions de l’article 151 du Code des professions (RLRQ, c. C-26).

 

 

 

(s) Janine Kean_____________________

Me Janine Kean

Présidente du comité de discipline

 

 

(s) John Ruggieri ____________________

M. John Ruggieri, A.V.A.

Membre du comité de discipline

 

 

Me Mathieu Cardinal

CDNP AVOCATS INC.

Procureurs de la partie plaignante

 

Me Carolyne Mathieu

CABINET DE SERVICES JURIDIQUES INC.

Procureurs de la partie intimée

 

Date d’audience :

Le 9 mai 2019

 

COPIE CONFORME À L’ORIGINAL SIGNÉ



[1] SP-1 : Autorité des marchés financiers (AMF) c. Succession de L.R. et al., 2017 QCTMF 134 (CanLII).

[2] P-34.

[3] AMF c. Succession de L.R. et al., préc., note 1.

[4] Ibid., par. 511 et 522.

[5] Ibid., par. 556.

[6] Ibid., par. 527.

[7] Ibid., par. 417.

[8] SI-2.

[9] CSF c. Thibault, 2013 CanLII 73212 (QC CDCSF), décisions sur culpabilité du 15 octobre 2013 et sur sanction du 2 juillet 2014; CSF c. Huet, 2017 QCCDCSF 75 (CanLII), décision sur culpabilité et sanction du 27 novembre 2017; CSF c. Therrien, 2017 QCCDCSF 83 (CanLII), décision sur culpabilité et sanction du 15 décembre 2017; CSF c. Guilbault, 2018 QCCDCSF 50 (CanLII), décision sur culpabilité et sanction du 20 juin 2018.

[10] CSF c. Thibault, préc., note 9, décision sur culpabilité, par. 171 à 177.

[11] CSF c. Parent, 2005 CanLII 59627 (QC CDCSF), décision sur culpabilité et sanction du 24 novembre 2005; CSF c. Létourneau, 2012 CanLII 97211 (QC CDCSF), décisions sur culpabilité du 30 août 2012 et sur sanction du 16 mai 2013; CSF c. Blanchet, 2016 CanLII 92432 (QC CDCSF), décision sur culpabilité et sanction du 15 décembre 2016; CSF c. Szabo, 2016 QCCDCSF 31 (CanLII), décision sur culpabilité du 29 juillet 2016 et 2018 QCCDCSF 87 (CanLII), décision sur sanction du 18 mai 2018; CSF c. Daigle, 2018 QCCDCSF 86 (CanLII), décision sur culpabilité du 18 novembre 2018 et 2019 QCCDCSF 31 (CanLII), décision sur sanction du 12 avril 2019; AMF c. Succession de Roberge et al., 2017 QCTMF 134 (CanLII), décision du 20 décembre 2017.

[12] AMF c. Succession de L.R. et al., préc., note 1, par. 429.

[13] Ibid., par. 432.

[14] Ibid., par. 437.

[15] Jean-Guy Villeneuve et Nathalie Dubé, Précis de droit professionnel, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 250.

[16] AMF c. Succession de L.R. et al., préc., note 1, par. 364.

[17] Notons qu’aucune preuve de la situation financière de l’intimé n’a été présentée.

[18] SI-2.

[19] Selon P-5, le 26 octobre 2000, l’intimé a envoyé 105 000 $USD ainsi que 170 000 $USD additionnels (incluant 5 000 $USD de frais). Les documents subséquents sont datés entre les 2 et 6 août 2010 et font état de sommes investies plus modestes de 2 200 $USD, 8 800 $USD et 25 000 $USD, et d’un dernier de 6 000 $USD en mai 2011.

[20] CSF c. Szabo, préc., note 11.

[21] CSF c. Huet, préc., note 9, par. 90.

[22] CSF c. Daigle, préc., note 11, par. 22.

[23] Selon les documents produits en liasse sous P-5, l’investissement de l’intimé de 270 000 $USD en octobre 2000 devait lui rapporter huit millions de dollars US en aussi peu que quarante semaines. Aucune preuve de rendement n’a toutefois été faite devant le comité. Néanmoins, en 2010 et 2011, l’intimé a continué d’investir dans les dinars irakiens pour 42 000 $USD. De deux choses l’une, l’intimé a fait preuve d’une grande témérité ou a retenu de l’information.

[24] AMF c. Succession de L.R. et al., préc., note 1, par. 427.

[25] CSF c. Thibault, préc., note 9.

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